14-18Hebdo

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Causeries et souvenirs (Gabriel Bon) - 4. Le soldat français

 

En 1914, le général Gabriel Bon, 61 ans, commande à La Fère (Aisne) l'artillerie du 2ème corps d'armée. Blessé en 1915, il ne participera pas à la suite de la guerre et publiera en 1916 "Causeries et souvenirs, 1914-1915", d'où est extrait ce témoignage.

  

Document transmis par Bernadette Grandcolas, son arrière-petite-fille· 25/10/2014

 

Le soldat français est un merveilleux instrument de guerre. Il se rend compte de tout, il a son avis sur tout, il apprécie ses chefs et juge la manœuvre.

Hier je m’étais attablé devant un café. A côté de moi, un soldat du 47e d’infanterie causait avec son père et deux bonnes femmes. Le brave garçon, blessé deux fois, était en convalescence. Il parlait de la guerre, naturellement. C’était un vrai cours de tactique, de stratégie et de bon sens.

D’abord, il contait la vie des tranchées : comme quoi un bombardement, même terrible, n’était pas démoralisant, pourvu que notre artillerie y répondît. Le dernier auquel il avait assisté était effectué par du 15, du 21 et du 305 ; il avait duré six heures ; sa compagnie avait perdu 23 hommes.

« Les Boches pouvaient venir, disait-il, nous les aurions bien reçus ». Et il ajoutait : « Vous pouvez vous tranquilliser, ils ne nous auront pas. Quant à eux, je crois que bientôt nous aurons tué le dernier dans son trou. Ils ne sont pas si nombreux que ça, on le sent bien. Mais ils ont partout des mitrailleuses. On a bien raison de les tuer sur place : on passera quand il n’en restera plus. Il n’y en a pas pour longtemps. Le diable est qu’on ne sait jamais d’avance si une attaque réussira. »

Je me levai et allai serrer la main du brave garçon. Il en savait autant sur l’art de la guerre que bien des officiers d’état-major. Je ne dis pas qu’un chef doive s’inspirer des soldats. Mais il doit être en contact avec eux. Il obtiendra tout d’une troupe française quand ses conceptions seront par elle reconnues réalisables. En cas contraire, ses régiments iront se faire massacrer comme un troupeau inconscient.

La doctrine ancienne disait que la principale qualité du chef militaire était : consilium in arena[1] , c’est-à-dire la décision sur le terrain.

L’Ecole de Guerre avait changé ce principe en celui : « Ayez de la décision sur la carte. »

Que de voyages d’état-major j’ai faits où l’on allait jamais sur le terrain !

De la guerre napoléonienne, on oubliait volontiers que l’Empereur faisait lui-même toutes les reconnaissances importantes, qu’il galopait des journées entières sur les fronts où les actions allaient s’engager, et que les généraux de cette époque en faisaient autant.

On en était arrivé à une conception, que j’ai vu appliquer aux manœuvres, de généraux se tenant le plus loin possible de l’action pour mieux garder leur impassibilité.

Voyez l’effet que ça aurait eu en campagne. Le général aurait pu commander, à dix kilomètres de son poste de commandement, une attaque en un point où elle était impossible.

J’ai toujours été un réactionnaire, partisan du vieux principe : consilium in arena, de la décision sur le terrain. Que de fois j’ai vu des prévisions déjouées, des plans démolis par un simple accident que ne représentait pas la carte !


 

[1] Il s’agit d’un proverbe latin, cité et défini dans de nombreux dictionnaires anciens : « un conseil pris sur le champ, sur les lieux du combat ». Son auteur, Publius Syrus, a publié de nombreux aphorismes souvent cités, notamment par Horace et Sénèque.



07/11/2014
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