14-18Hebdo

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Carnets de guerre (Anna Vautrin) - Extraits 5 (2 oct. 1914 au 15 oct. 1914)

 

Anna Vautrin, 48 ans en 1914, née Perrin, a épousé Alexis Vautrin professeur à la Faculté de médecine de Nancy. Anna est la plus jeune des enfants de Constant et Marie-Virginie Perrin. Elle a un frère Paul et quatre sœurs : Clémentine Cuny, Mathilde Perrin de Thiéfosse, Caroline Garnier et Célina Boucher. Alexis et Anna Vautrin ont quatre filles : Suzanne épouse de Paul Boucher, Madeleine épouse d’Edouard Michaut, Marguerite et Yvonne. Ils habitent à Nancy, cours Léopold, et ont une maison au bord du lac de Gérardmer, « les Roseaux ».

Document transmis par Renaud Seynave, son arrière-petit-fils  05/11/2014

 

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        1910 - Alexis et Anna Vautrin à Nancy (collection Michel Segond)

 

Vendredi 2 octobre 1914

Je reçois une lettre de Suzanne qui me dit que Paul est près de St Dié vers Provenchères. Le 152ème est très décimé. Un jour à l’appel, sur 200 hommes, on ne comptait plus que 85 hommes. Le commandant et le capitaine sont tués. Le capitaine a été tué au moment où il commandait l’assaut du Spitzemberg. Ils sont montés à l’assaut 6 fois. Beaucoup de jeunes gens de Gérardmer sont morts. Dans presque chaque maison, un fils est mort au combat. L’adjudant Tschupp est tué. Il y a aussi beaucoup de tués chez les Alpins. C’est maintenant un commandant alpin qui commande.

François Boucher reste le seul sergent de sa compagnie. Il y avait 6 Saint-Cyriens au 152ème, il en reste un. Ce régiment a été très décimé.

Les Allemands bombardent St-Dié aujourd’hui du Climont. Une caserne est en flammes ainsi qu’un quartier de St-Dié. C’est le second bombardement. La gare est en feu.

Yvonne est toujours à Gérardmer avec Suzanne. Elle soigne les blessés à l’ambulance de l’hôtel du Lac. Trois aéroplanes allemands ont lancé des bombes sur Gérardmer au commencement de septembre.

Samedi 3 octobre 1914

Edouard écrit à Madeleine qu’il est près d’Amiens et qu’il a reçu d’elle 15 lettres à la fois. Il dit que jusqu’ici la bataille est moins dure que près de Nancy. Les obus sont moins gros et la bataille moins acharnée. Il va très bien.

Nous apprenons la mort de Mr Pêcheur, neveu du général Poline, il dansait encore l’hiver dernier avec Gogo. Mr Niégard fils du pasteur protestant sorti 1er de Polytechnique, Mr Chenu sortant aussi de Polytechnique fils de Mme Chenu de la rue Hermite, Mr Genêt cousin de Melle Lefèvre et gendre de Mr de Roche du Teilloy sont également morts au combat. Il a 4 enfants et il était capitaine.

Mr Denis coiffeur est aussi tué. Il est enterré avec trois officiers dans la même tombe à Vitrimont. Un Monsieur qui a trois fils sous les drapeaux me dit qu’il a un fils tué. Il est enterré avec 175 soldats, capitaines et lieutenants dans la même tombe à Vitrimont. Il voulait aller chercher le corps de son fils mais on lui a dit qu’il ne pourra pas le reconnaître et que ce serait violer les sépultures des autres.

Nous bombardons Delme et Château-Salins aujourd’hui. Le général Charles Auguste Roques qui s’était distingué dans l’état militaire a été tué le 6 septembre.

Madeleine rencontre à Nancy Germaine Larzillière, la sœur de Mme Payelle, qui lui raconte tout ce qu’elle a enduré à Lunéville pendant l’occupation allemande. Elle est restée avec sa mère et son enfant qu’elle nourrissait pendant 20 jours dans sa cave. Son lait s’est passé. Pas moyen de se procurer du lait. Elle avait fait heureusement une provision de lait concentré. Elles ne pouvaient plus se procurer de provisions. Elles ont manqué de pain. Des soldats allemands leur passaient du pain par le soupirail. Aussitôt les Allemands partis de Lunéville, elles sont arrivées chez Mme Payelle, maigries et malades. Mme Meyer me dit que sa bonne vient de recevoir une lettre d’une personne d’Obernai en Alsace qui a fait passer sa lettre par la Suisse et qui lui dit dans sa lettre que les Allemands disent partout en Alsace que Nancy a été bombardé et brûlé complètement et que les Français ont fusillé toutes les bonnes alsaciennes qui étaient dans les maisons.

Dimanche 4 octobre 1914

Le canon tonne toujours mais assez éloigné. C’est toujours du côté de la Woëvre où l’on se bat. Mr Didierjean est allé avec Mr Stoffel chercher le corps de son beau-frère qui a été tué il y a un mois près de Combessaux. Ils sont partis avec les pompes funèbres. Ils ont trouvé le corps de Mr Lacroix couché dans la terre entre un capitaine et un lieutenant. On voyait encore les marques de deux balles, une dans la tête et l’autre près du cœur. Le corps était déjà tout à fait décomposé. On n’a même pas pu garder aucun de ses vêtements. Quelle triste besogne, et comment l’apprendre à sa pauvre femme qui est à Besançon. Il y avait sur cette tombe de trois officiers une croix avec les képis.

Les environs de Nancy sont couverts de croix et de monticules où sont enterrés des centaines de soldats. On nous dit que les Allemands sont en déroute du côté de la Woëvre et qu’on vient de prévenir les habitants de Pont-à-Mousson qu’il faut évacuer la ville parce que les Allemands se retirent de ce côté-là.

Lundi 5 octobre 1914

Camille Biesse doit être parti pour la Belgique car il a réclamé une couverture pour partir loin, très loin dit il, car il est interdit aux soldats et aux officiers de dire lorsqu’ils écrivent où ils sont et où ils se dirigent. On a de nouveau bombardé Pont-à-Mousson jeudi.

Mr Pierre Moreau, le fils du magistrat, est tué. C’était un jeune homme charmant très aimable qu’on voyait beaucoup dans les soirées en hiver.

On nous dit que Mr Pelé, Lieutenant-colonel (beau frère d’Henri de Reure) est tué. Henri de Reure va être obligé de quitter La Rochelle pour aller dans un autre port plus important. Il parait que Méréville est plein, il n’y a plus de place. Ce sont des personnes devenues folles pendant la guerre en ayant vu toutes les horreurs des Allemands, c’est navrant.

Mardi 6 octobre 1914

Je reçois une lettre de Gogo d’Angleterre. Elle va bien et désire beaucoup revenir. Le canon tonne mais assez faiblement. Alexis en rentrant de la clinique m’apprend l’affreuse nouvelle que Mr Châtel, l’officier soigné à la clinique, vient de lui dire que sa mère lui avait écrit que Georges Humbert aurait été tué. Il n’a pas d’autres détails ! J’hésite encore à le croire, ce serait trop épouvantable ! Et Alice Kempf qui est aux bains de mer et qui ne peut pas être prévenue !

La nouvelle de la mort de Georges Humbert est fausse. C’est un autre Mr Humbert de Cornimont qui est mort.

Mercredi 7 octobre 1914

On m’a dit qu’à Morhange, nous avions eu 8 000 morts et, sur 65 officiers, il n’en restait que 10. Cela a été une véritable déroute. C’est le 15ème régiment d’infanterie du midi qui n’a pas marché et soutenu les autres régiments.

J’ai aperçu l’avocat Mangin en tenue de pompier. Depuis le début de la guerre, il s’est engagé chez les pompiers.

Nous avons reçu une carte de Paul. Il va très bien moralement et physiquement. Nous ne pouvons pas savoir où il est. Il est défendu aux militaires d’indiquer où ils sont. L’officier Prussien qui est à la clinique depuis 3 semaines a reçu trois balles dans le même genou et une balle dans l’autre jambe. Il va mieux. C’est un officier allemand de chevau-légers. Voilà déjà plusieurs blessés qui ont leurs membres sauvés grâce aux soins d’Alexis. On devait couper la main d’un blessé, finalement on ne lui a coupé qu’un doigt, pour un autre c’était une jambe, Alexis a pu la conserver.

Jeudi 8 octobre 1914

Le canon tonne très fort depuis ce matin. C’est le canon d’Amance. Il y a un régiment d’Allemands qui a tenté de passer par Champenoux. Ils veulent encore venir vers Nancy.

Nous apprenons la mort de Mr Blosse, jeune homme de 20 ans ! Il est mort près d’Amiens. Le mari de Simone Martin, Mr M. André vient d’être tué à Méaulte. C’est Edouard qui vient de l’écrire à Madeleine en lui disant que c’est Mr Jean Tourtel qui vient de l’enterrer à Méaulte dans la Somme. C’est affreux.

Edouard nous dit que les obus pleuvent mais qu’ils ne sont pas dangereux. Ils s’y habituent. Il est dans la Somme du côté de Lille.

Gogo est toujours en Angleterre. Elle nous écrit que les nouvelles de guerre sont très bonnes là-bas. Je vais aller la chercher au commencement de novembre. On nous annonce la mort du mari d’Elisabeth Ganneval, amie de Suzanne !

Vendredi 9 octobre 1914

Le canon tonne du côté de Pont-à-Mousson. Les Allemands sont toujours près de St Mihiel. On nous raconte que Mme Didierjean et ses filles de St Dié sont restées plusieurs jours dans leurs caves pendant le bombardement. On nous annonce la mort du gendre de Caraux-Caderlet, un jeune lieutenant.

La jeune fille de Mr Adrien Michaut de Baccarat va un peu moins bien, aussi on demande à Alexis d’y retourner. Il part en automobile pour Lunéville mais on l’arrête au moins quinze fois. Il parait qu’on a signalé plusieurs automobiles contenant des espions aussi est-on très sévère. Un gendarme l’empêche de passer et lui dit que son sauf-conduit ne suffit pas et qu’il lui faut une permission particulière du Général. Heureusement qu’un officier, qui est le frère du docteur Vieillard de Cousenvoye, se trouve là et qu’il reconnait Alexis. Il va tout de suite faire signer un sauf-conduit pour passer.

A St Clément, le village est barricadé par de grosses voitures ainsi qu’au village de Ménil-Le-Flin. L’auto a de la peine à passer. On vient de signaler les Allemands. Ils ne sont pas loin. Les cavaliers sont prêts avec leurs chevaux sellés.

Alexis va à Baccarat mais n’ose plus repasser par Lunéville de peur de rencontrer des Allemands. Il revient par Bayon heureusement car à 5 heures les Allemands venaient du côté de St Clément. Alexis aurait pu être pris par eux !

Samedi 10 octobre 1914

J’apprends que le capitaine Ducroc, le mari de Mme Noël est blessé très grièvement à Amiens. Il a la moitié de la figure emportée par un obus. Edouard écrit à Madeleine qu’on permet maintenant aux soldats d’écrire des lettres fermées et de dire à quel endroit ils se trouvent. Edouard est aujourd’hui près d’Amiens, leurs batteries marchent toute la journée. Il dit qu’ils ont canonné toute la nuit dans un bois où se trouvaient les Allemands et qu’ils ont dû faire un véritable carnage. Il dit aussi que les nuits deviennent glaciales et qu’on est très heureux de trouver dans la campagne des meules de paille pour s’en faire un bon lit. Il dit aussi qu’ils vont partir pour la Belgique à Bruxelles.

Le 20ème corps d’armée a été cité à l’ordre du jour pour sa belle conduite pendant toute la durée de la guerre. Le général leur disait que puisqu’ils avaient été de tous les combats, on les mettait à l’honneur en les envoyant en Belgique.

Dimanche 11 octobre 1914

Le canon a tonné hier. Les dépêches officielles disant qu’Anvers est pris par les Allemands et que le peuple belge est admirable.

Colette a deux mois aujourd’hui, elle pousse à merveille.

Nous venons d’apprendre la mort de Mr Level mari de Paulette Janvier, lieutenant, tué dans la bataille de l’Aisne près d’Amiens.

Lundi 12 octobre 1914

Le canon tonne très fort et très violemment du côté de Pont-à-Mousson. Ce matin, j’ai vu passer sur le cours Léopold des canons et des caissons d’artillerie. J’apprends la mort de Mr France-Lanord fils de Mr France-Lanord entrepreneur, son plus jeune fils de ses trois fils partis à la guerre. Il a été tué par des éclats de bombe d’un aéroplane allemand. Son frère est dans l’aviation de guerre.

Il parait que les Allemands jettent des bombes en celluloïd pour incendier les maisons. Les Français sont aujourd’hui à Manhoué !

Il parait que le général Poline qui était à Charleroi a été changé pour le mettre plus en arrière. Il n’était pas assez ferme pour être au premier rang.

Le Konprinz était à Montfaucon et le 3ème fils du Kaiser, Oscar, commandait près de Verdun. Les Allemands sont encore à Senones et on ne peut pas encore aller à St Dié ni à Moyenmoutier. Le train ne va pas plus loin que Corcieux.

Une femme de Moyenmoutier, brave femme de boucher, a eu les Allemands chez elle. Ils l’ont forcée à boire avec eux et à trinquer avec eux à la gloire de leur victoire mais elle dit à ces soldats « je suis Française et je ne trinquerai pas avec vous. » Ils ne lui ont rien répondu. La mère avait perdu la tête aussi elle voulait toujours échauder les Prussiens. Elle faisait chauffer de l’eau pour cela. Sa fille a demandé à un chef un mot pour qu’elle le montre disant que sa mère était folle et qu’on ne fasse pas attention à ce qu’elle disait aux soldats.

La femme du docteur de Moyenmoutier était très raide avec les Allemands. Elle leur tenait tête quelques fois et certaines personnes lui disaient de prendre garde. Il ne lui est rien arrivé. Les Allemands sont toujours à Senones et on ne peut pas aller par le train à St Dié ni à Baccarat. On ne va pas plus loin que Rambervillers.

Edouard a écrit aujourd’hui à Madeleine qu’ils font des tranchées dans les fossés des routes ; ils les recouvrent de terre de sorte que cela fait de luxueuses chambres à coucher, dit-il, mais si la pluie venait il faudrait quitter ces terriers. Les nuits deviennent glaciales. Il est toujours entre Arras et Amiens. Il dit aussi que les munitions en obus chez les Allemands deviennent rares. Il porte les plis du Colonel à cheval pendant la nuit. Il voit souvent les obus arriver mais il se rend très bien compte maintenant où doivent se diriger les obus lancés pour les éviter !

On me dit que le curé de Ménil-Le-Flin, petit village près de Lunéville, a été emmené comme otage. Il était dans son jardin en pantoufles quand les Allemands l’ont emmené nu-tête. On ne sait pas ce qu’il est devenu.

Mr et Mme Adrien Michaut viennent à Nancy pour emmener leur fille Elisabeth à la clinique car ils ont peur que les Allemands reviennent à Baccarat. Mme Michaut me raconte encore plusieurs détails de l’occupation allemande à Baccarat.

Les Allemands distribuaient le pain et il n’y en avait presque pas. Ils avaient du respect pour Mr Michaut qu’ils appelaient depuis toujours le « Hoch–Personnage ». Leur jardin était rempli de mitrailleuses et il y a une petite pièce d’eau qui était rouge par le sang des blessés allemands tombés dans le jardin. Il y a eu un très fort combat et cela était terrible de les voir se battre à la baïonnette. Du jardin, les Allemands ont abattu avec leurs mitrailleuses 90 soldats qui gardaient le pont de Baccarat. Comme les Allemands dévalisaient nos pauvres soldats, Mme Michaut a organisé une garde près d’eux et elle a montré l’exemple.

L’officier allemand a donné l’ordre d’enterrer les cadavres allemands dans la cour de la Cristallerie. On a requis tous les garçons, les femmes et les vieillards pour creuser d’immenses fosses. C’était à cet endroit que l’officier voulait qu’on les enterre. A quatre occasions, ils ont emmené Mr Michaut pour le fusiller. On lui disait qu’il était responsable s’il y a un seul coup tiré. Mr Michaut répondait « vous n’avez pas le droit, vous devez d’abord prévenir vous-même la population ». Il fallait que Mr Michaut fasse le tour de toutes les maisons pour prévenir les gens. Chaque fois qu’on l’emmenait, on ne lui donnait même pas le temps de mettre son chapeau.

Un jour, on l’emmène au village voisin entre deux soldats révolver au poing et on lui dit « vous êtes responsable de ce village ; si on tire un seul coup de fusil, vous serez fusillé ». Mr Michaut répondit « mais je ne suis ni maire de Baccarat, ni maire de ce village ». Et du reste, il faut prévenir la population. On va vous donner un officier et vous irez vous-même prévenir. Mais il n’y avait plus personne dans les maisons et l’officier l’a constaté lui-même. Une autre fois, on l’a encore emmené et il a dû prévenir toutes les personnes qu’il rencontrait pour qu’elles préviennent à Baccarat qu’on ne fasse rien. Les Allemands disaient à Madame Michaut « vous serez fusillée si des soldats français se cachent chez vous. Comment voulez vous que je le sache répondait elle ?

Les Allemands ont pillé toutes les maisons de Baccarat avant d’y mettre le feu. Un jour Mr Michaut se dit qu’il avait vu cette couverture quelque part. En effet, c’était une couverture qu’ils avaient prise chez Mr Henri Michaut. Une autre fois, il reconnaissait un duvet qu’il avait étant enfant et qui était dans la maison de Mr Henri Michaut. Ils avaient tout pris et ils avaient même l’audace de dire qu’il n’y avait pas beaucoup de vin pour l’importance de la maison de Mr Henri Michaut. Par contre, il y avait du très bon vin dans certaines caves et ils en avaient pris plusieurs milliers de bouteilles. Un jour, ils ont invité Mr Michaut à boire du champagne avec eux. C’était son champagne naturellement qu’ils avaient pris. Ils disaient qu’il était bon ! Ils l’ont forcé à boire 4 verres, lui qui n’en boit jamais, et dans les coupes de la Cristallerie bien entendu ! Ils ont du reste fait une grande provision de verres de la Cristallerie qu’ils ont emballés et mis sur des chariots.

Une nuit, un officier est entré dans la chambre de Madame Paul Michaut et lui a dit de descendre à la cave. Il a fait descendre toutes les dames et tous les enfants sans leur donner le temps de s’habiller. Pendant ce temps, ils pillaient.

La famille Michaut passait beaucoup de nuits dans les caves de la Cristallerie car les caves de leur maison n’étaient pas assez sûres. La pauvre Elisabeth qui avait l’appendicite était descendue sur un brancard presque toutes les nuits et quelques fois elle restait aussi pendant la journée car il ne fallait pas beaucoup la remuer. Un jour, alors que sa mère était près d’elle, un officier vient et lui dit « donnez-moi du vin ». Mme Michaut va lui chercher une bouteille de sauternes mais il lui dit « ce n’est pas cela, donnez-moi du sec ». C’est du très bon vin lui répond-elle. « Non je veux du sec ». Alors Elisabeth qui était sur son brancard dit à sa mère que c’était du champagne qu’il voulait.

En général, ils n’étaient pas méchants mais il fallait leur donner tout ce qu’ils voulaient. Ils avaient toujours le révolver à la main. Ils y avaient des Bavarois et des Danois. Les Bavarois étaient plus méchants que les Danois. Une fois un officier vient dire à Mr Michaut : je prends votre automobile à mon service mais lorsqu’il a voulu s’en servir il n’a pu tourner la manivelle. Il a appelé la bonne très gentille et très dévouée parait-il. Il lui a dit : il faut me chercher quelqu’un qui sache tourner cela, mais elle lui a répondu. « Oh, elle doit être abimée car j’ai vu un soldat allemand qui touchait après ». Ce n’était pas vrai mais c’était pour que l’officier ne prenne pas l’auto. Mr Michaut avait fait enterrer les bouteilles de vin fin et de vin ordinaire dans un massif et le jardinier avait planté des fleurs dessus. Les Allemands ont posé par hasard leurs mitrailleuses dessus de sorte qu’ils ne l’ont pas vu car ils avaient creusé ailleurs dans tout le jardin pour faire des tranchées.

Un factionnaire montait la garde nuit et jour dans le corridor du premier étage. Un jour Mr Michaut entre dans un cabinet de toilette et il trouve un officier qui changeait de linge avec son linge. Un autre jour, il voit un officier sortir de son cabinet de toilette avec ses souliers de chasse à la main. L’officier a l’audace de lui dire « N’avez-vous pas des molletières qui iraient avec ces chaussures ?! ».

Mme Michaut a retrouvé ses chaussures et son linge tachés car plusieurs balles étaient entrées dans les armoires et avaient cassé des pots de confiture qui avaient coulé sur ses effets. Les balles sifflaient dans les chambres, une passait sur les lits des enfants, une autre tombait dans la chambre. Le soir, on en ramassait plusieurs dans les chambres. L’aîné de Monsieur Paul Michaut, quand il voyait un Allemand, se cachait à genoux derrière une chaise et récitait un « Je vous salue Marie ». Il en avait très peur.

Un jour, pendant qu’on descendait Elisabeth atteinte d’appendicite sur un brancard à la cave de la Cristallerie, comme il fallait traverser le jardin, les soldats allemands qui la transportaient avaient posé le brancard au jardin. Un obus a éclaté à quelques mètres d’elle. Un jour, sa bonne en venant dans la chambre d’Elisabeth a entendu une balle siffler dans le corridor tout près d’elle. Elle est entrée vivement dans la chambre. Les Allemands croyaient toujours qu’il y avait des soldats français cachés dans la maison. Avec leurs sabres, ils sondaient les lits et les matelas. Un soir, un officier a fait lever toutes les dames en chemise de nuit pour voir s’il n’y avait personne caché. Quand les obus tombaient près de la maison, ces dames se sauvaient dans les caves. Pendant longtemps, on voyait de la rue dans les ruines de la maison de Monsieur Henri Michaut une cheminée avec une pendule dessus. La glace avait fondu sur la pendule comme si on l’avait recouverte de glace.

Le bois où est mort Mr Paul Michaut aux environs de Lunéville s’appelle le bois St Paul.

Mardi 13 octobre 1914

Un avion allemand a lancé 3 bombes sur la gare de Nancy à 9h du matin. Une est tombée sur un wagon de 1ère classe, une autre sur un wagon petite vitesse et la 3ème sur le wagon de ravitaillement. Il y a eu trois blessés pas très grièvement : des employés de la gare. Nous avons très bien entendu les détonations des trois bombes. L’avion a survolé l’église St Joseph et la clinique, cherchant la gare. Il a lancé sur la tonnellerie Früholtz une oriflamme avec ces mots « Salut à Nancy en attendant qu’elle soit allemande ». A 9h30, nous l’avons très bien vu sur notre maison cours Léopold et il partait du côté de Champigneulles avec sa queue de poisson, ses ailes comme celles d’un pigeon et tout noir. On dit qu’il a été abattu par nos soldats vers Pompey.

Mercredi 14 octobre 1914

Le canon a tonné encore très fort. La gare de Lérouville a été bombardée. Les Allemands sont toujours à Senones et à Montfaucon dans la Meuse et à Gercourt. Pas encore de nouvelles de Grand-mère, nous sommes bien inquiets. Paul Boucher est toujours près de St Dié et Edouard entre Amiens et Arras. Le gouvernement belge a demandé de venir au Havre. Anvers est pris et Bruxelles occupé.

Jeudi 15 octobre 1914

Le canon a tonné très fort presque toute la journée. J’apprends qu’Henri Gérard, le 3ème fils de Mme Gérard de St Dié, est blessé et fait prisonnier. On ne sait pas où !

A suivre…



07/11/2014
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