Carnets de guerre (Anna Vautrin) – N° 11 - 21 au 27 déc. 1914
Anna Vautrin, 48 ans en 1914, née Perrin, a épousé Alexis Vautrin professeur à la Faculté de médecine de Nancy. Anna est la plus jeune des enfants de Constant et Marie-Virginie Perrin. Elle a un frère Paul et quatre sœurs : Clémentine Cuny, Mathilde Perrin de Thiéfosse, Caroline Garnier et Célina Boucher. Alexis et Anna Vautrin ont quatre filles : Suzanne épouse de Paul Boucher, Madeleine épouse d’Edouard Michaut, Marguerite et Yvonne. Ils habitent à Nancy, cours Léopold, et ont une maison au bord du lac de Gérardmer, « les Roseaux ».
Document transmis par Renaud Seynave, son arrière-petit-fils 18/12/2014
Alexis et Anna Vautrin en 1910
Lundi 21 décembre 1914
Suzanne arrive de Gérardmer avec ses enfants pour passer un bon moment avec nous. Annette a trois ans et demi et Jean a eu un an le 5 décembre. Il faut toujours des passeports pour venir et voyager dans toute la France.
Mardi 22 décembre 1914
Edouard écrit du Nord « Un Taube a lancé quelques bombes, toujours du canon, de la mitraille mais sans résultat. Toujours la même situation, il est impossible d’avancer ici, c’est trop marécageux. Un obus est tombé sur une grange. Il a tué 10 chevaux en bas et les hommes qui étaient dans le grenier n’ont rien. C’est la 3ème fois que cela arrive ainsi. ». On entend le canon, toujours dans la direction de Nomeny et dans le bois Le Prêtre près de Pont-à-Mousson.
Suzanne a demandé à son père d’assister à ses opérations à la clinique. Cela l’intéresse beaucoup car elle a été infirmière de la Croix Rouge à la salle d’opération de l’ambulance du lac de Gérardmer pendant les mois d’août et de septembre. Suzanne est allée voir Paul à St Dié avant de venir à Nancy. Il va bien mais ils reçoivent tous les jours des obus.
Mercredi 23 décembre 1914
Un taube est venu sur Nancy aujourd’hui, il a lancé une bombe rue Grandville qui n’a fait aucun dégât.
Jeudi 24 décembre 1914
Rien de nouveau dans le Nord ni vers St Dié.
Vendredi 25 décembre 1914
Noël
Toujours rien de nouveau à Nancy. On entend toujours le canon dans la même direction de l’Argonne et près de Château-Salins.
Edouard écrit du Nord « il fait un froid de loup, j’ai passé ma nuit de Noël à Boesinghe couché dans un fauteuil et les Allemands n’ont même pas fait de trêve ce soir de Noël. Ils nous ont bombardés sans arrêt. La moitié du réveillon n’est pas arrivé ».
Un taube est encore venu sur Nancy aujourd’hui, jour de Noël. A 10h du matin, il a lancé une bombe sur la cathédrale pendant que les catholiques étaient à la messe. J’ai aperçu le taube qui était blindé et pas très haut. A 1h30, nous avons vu depuis notre jardin un taube passer sur la manufacture des tabacs. Il a lancé 2 bombes qui n’ont pas fait grand mal.
Quel Noël triste nous avons passé en l’année 1914 !
Samedi 26 décembre 1914
Dans la nuit à 1h du matin, nous avons entendu une canonnade très violente. Les coups se succédaient très forts. Vers 3h du matin, nous entendons un coup formidable qui ébranle la maison puis après plusieurs coups terribles. Nous nous levons en hâte, je vais réveiller tous nos enfants et les domestiques. Nous descendons tous à la cave avec Annette, Jean et Colette qui a 4 mois. C’est un Zeppelin qui lance des bombes sur la ville. Les coups étaient si terribles que nous avons cru d’abord à un nouveau bombardement de Nancy. Le Zeppelin a lancé 16 bombes dont une sur le cours Léopold derrière la statue de Carnot.
Toutes les maisons du cours Léopold ont eu leurs vitres brisées. On a retrouvé des éclats d’obus devant notre maison. Chez Monsieur Bourgon, deux éclats d’obus ont pénétré à travers leurs persiennes et sont venus frapper dans une porte de leur chambre à coucher. Le petit Simonet qui habite au-dessus a reçu dans son lit un éclat d’obus. Dans la maison à côté sur le cours Léopold, un garçon de café a été tué par un éclat. Nous voyons le gros trou qu’a fait l’obus sur le Cours. La pendule de l’académie est brisée par un éclat.
La 2ème bombe est tombée rue de la Source sur l’ancien Evêché. C’est chez le colonel de Lavilléon. Tout le 3ème étage est endommagé. Ils ont beaucoup de meubles abîmés et cassés au 1er étage. Vis-à-vis, chez les sœurs de St Vincent de Paul, la secousse a fait tomber une poutre dans le dortoir des orphelines.
La 3ème bombe est tombée à la Pépinière derrière chez Me Pagny qui a eu toutes ses vitres brisées. Mme Lacroix qui habitait à côté a eu un éclat d’obus qui a traversé son lit et lui a cassé la jambe au-dessus de la cheville.
La 4ème bombe est tombée Rue de Vigny chez Mme de Roche du Teilloy et a brisé la grille et le mur du jardin.
Une 5ème bombe au bout de la Pépinière, près d’un restaurant qui a eu toutes les vitres brisées et tous les verres et les assiettes cassés.
La 6ème bombe près de St Epvre. Tous les vitraux de l’église St Epvre sont brisés et il y a des trous d’obus sur les murs. Il est à remarquer que les vitraux offerts par L’empereur François-Joseph 1er d’Autriche, le représentant avec son épouse sous les traits de Saint François et Sainte Elisabeth, sont très abimés. Les vitraux avaient été faits à Vienne en 1860 et avaient coûté 300 000 francs.
La 7ème bombe est tombée de l’autre côté de St Epvre près de l’intendance. Un magasin à côté est complètement détruit, la porte arrachée et toutes les vitres et vaisselle du restaurant à côté sont tout à fait brisées.
Une 8ème et 9ème bombes sont tombées dans les jardins de la Toucotte.
Une 10ème à Préville, la 11ème quai Claude Le Lorrain chez Mme Vélin. Une bonne a été tuée et une autre blessée. Tous les appartements ont été complètement abimés. Chez Mme Vélin, tous les meubles sont brisés, sa salle à manger n’existe plus, les lits sont en miettes et les draps sont comme de la charpie. Les plafonds tombent. Elle ne peut plus rester dans son appartement.
Une 12ème bombe est tombée rue Isabey et a enfoncé le toit d’une maison et brisé le 2ème étage.
Deux autres bombes sont encore tombées sur la Pépinière. Mme Hubert a eu tous ses objets d’art brisés et d’anciennes porcelaines cassées.
Gogo avait oublié de fermer ses persiennes et elle a très bien vu les projections du Zeppelin lorsqu’il passait au-dessus de la maison. J’ai aperçu aussi la lueur du Zeppelin lorsqu’il se dirigeait vers la frontière. Avant de partir, le Zeppelin a encore lancé cours Léopold chez Mr de Roche un bidon de 20 litres de pétrole avec une mèche pour incendier la maison. On l’a retrouvé dans le jardin le lendemain matin. Avant d’arriver à Nancy, le Zeppelin avait jeté des bombes à Toul sur une caserne. On avait téléphoné à Nancy pour signaler son arrivée mais les aviateurs n’étaient pas à leur poste.
On nous raconte que le même jour, Mme de Lavilléon absente écrivait à Mme Petit pour lui demander qu’elle aille voir dans sa maison si les souris n’avaient pas fait de dommages. La pauvre femme ne se doutait pas qu’un Zeppelin venait de lui abimer tout son appartement.
Chez Mr Vilgrain, rue de La Ravinelle, un éclat d’obus a cassé une fenêtre et est venu briser la glace d’une armoire dans la chambre à coucher.
Les ravages causés par les bombes du Zeppelin sont terribles. Les Allemands ne respectent rien car cela est tout à fait contre les lois de la guerre de s’attaquer à une ville ouverte.
Dimanche 27 décembre 1914
Edouard écrit du Nord « Sans être pessimiste, les officiers d’ici commencent à trouver que c’est long et se demandent quand cela finira et comment ? Cela influe sur leur caractère, ils ne sont plus bons à toucher avec des pincettes. Heureusement que nous restons quelques-uns d’un caractère toujours égal et gai, du moins nous nous l’imaginons. Nous sommes dans un lac de boue et d’eau et il pleut à torrents. On va finir par y rester enlisés ».
Rien de nouveau pour Paul près de St Dié. On bombarde de temps en temps la ville de St Dié. Tous les soirs, de puissants projecteurs marchent sur la ville. Il y en a 3 qui illuminent le ciel de 6h du soir jusqu’à 5h du matin.
A suivre…
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