Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch 7-2 - La vie de secteur, les relèves, le repos.
Chapitre 7 – La vie de secteur, les relèves, le repos.
Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 18/05/2016
Photo prise à l’exposition organisée lors de la cérémonie à Steinbach le 4 janvier 2015
Le 1er août anniversaire de la guerre, une messe est dite à la chapelle Saint Jean du camp. Un cimetière est situé à la côte 1025 renfermant de nombreux du 152e et du 68e B.C.A, cimetière qui a été trimballé en bas au chêne Millet.
Le commandant Tabouis m’invite avec Villard à sa popote où sont Simon et Guillebon que j’ai revu souvent par la suite. Excellent déjeuner, manières larges, gaies et aimables qui nous changent du sinistre et avare Jacquemot.
La première série des permissions de la Cie est rentrée, c’est un petit événement car chacun a été exact et tous rapportent vivres et nouvelles. Nous sommes relevés, chose bizarre par deux autres Cies du 152e et nous rentrons au camp Brun (3e bataillon) où je m’attendais à trouver ma permission. Le colonel avait en effet pensé que les officiers partiraient à raison de un par bataillon en commençant par les plus anciens au front, à ancienneté égale ceux cités, et pour départager ceux ayant des enfants. De plus, la Cie de l’officier devait être de préférence en réserve. Je réunissais toutes ces données et on eut la surprise de voir les deux autres bataillons envoyer un officier en permission et le notre personne. Je prends mon courage à deux mains et vais demander au colonel Jacquemot quand il pense me donner cette permission. Très mal reçu et mis littéralement à la porte de son gourbi, il se rassoit et me dit qu’il est le maître, qu’il fera ce qu’il voudra etc.
Je lui dis : « Pas le peine alors de faire tant de prescriptions puisqu’elles ne sont pas suivies ».
Bref, explication très orageuse de son côté, très calme du mien, et pour marquer sa volonté déclare que je partirai au prochain tour, soit dans une quinzaine… si Dieu me prête vie !
Mes bons petits camarades, peu émus au début de ma déconvenue enragent quand ils comprennent que conservant mon tour, ils sont tous reculés de quinze jours.
Le 6 août, la Cie relève la 10e Cie au lieu dit Camp Saint Hubert, endroit humide et froid, nous sommes vaccinés contre la typhoïde. Nous avons comme nouvelle la censure militaire, interdiction d’envoyer des lettres fermées, bref couper la communication avec les siens, mesure très maladroite qui provoque des murmures. Mesure levée immédiatement, dénoncée et dont j’ai conservé l’ordre qui a été bel et bien donné.
Nous sommes depuis Metzeral sans commandant, en voici un qui arrive nommé Aubert venant du 260, chef insignifiant, inquiet, tremblant devant Jacquemot…
Le 17 août, grand bruit d’une attaque sur Mättle, dernier éperon de l’Hilsen, sur Sondernach. Ce sont les deux Cies qui nous ont remplacés à 1025 qui attaquent. Voilà le sort qui nous était réservé. Là encore Jacquemot ne m'a pas eu, pas plus qu’en novembre 1914, pour aller au 158. Une véritable protection me suit, l’attaque a été dure.
Le 18 et 19, on parle de permissions, on l’a, on ne l’a pas, permissions retardées. Enfin le 19, on me la remet à 9 heures du soir et le 20 à 4 heures du matin, je file au galop avec Séjournant, mon fidèle ordonnance.
J’ai fait passer en douce un message à Gérardmer pour que l’auto vienne me chercher… elle arrive à Kruth, ma voiture et dedans bien cachée sous les rideaux Suzanne, et pour compléter, un temps splendide. Joie générale, sensation de liberté de vivre. Il faut être à la guerre depuis treize mois, avoir vu tout ce que nous avions reçu pour se rendre compte du sentiment de bonheur indicible ressenti en ce premier jour de première permission. Et encore, par une chinoiserie ridicule, je n’ai pas le droit de venir chez moi à Gérardmer parce que c’est trop près du front !! C’est à 9 km des boches, j’en étais à 80 mètres et il me faut rester à Saint-Amé où d’ailleurs la famille habite.
Le lendemain, je vais au Kertoff. Les jours suivants, je fais des visites à Thiéfosse, à Docelles, à Rambervillers où je suis le parrain de Françoise, fille d’André. Tout le monde me fait la fête, le lendemain, je vais voir André, artilleur et la permission passe bien vite et le 29, il me faut rallier Kruth où je couche à l’hôtel Joffre.
Paul Boucher avec son père Henry à Saint-Amé lors de sa première permission
« La gazette du centenaire n° 20 »
Editée en août 2015 par la cellule communication du 152e RI à Colmar et transmise par le lieutenant-colonel Bodénès de la direction des Ressources Humaines de l’armée de terre.
Août 1915, Hilsenfirst
L’Hilsenfirst culmine à 1270 m et pendant tout le mois d’août le temps est exécrable. Vent, froid, pluie agressent nos soldats sur les hauteurs des Vosges. Les 3 bataillons du régiment du Diable, puisque c’est maintenant le nom que lui donnent les Allemands, vont passer sur les hauteurs de l’Hilsenfirst entre positions en première ligne et positions en réserve dans les camps situés en deuxième ligne. Le caporal Chapatte dans ses mémoires compare ce secteur avec celui du Hartmannswillerkopf : « si les tranchées sont moins marmitées que celle de l’Hartmannswillerkopf, elles sont par contre, plus désagréables et on s’y sent plus isolés. Au HWK nous avions une vue splendide sur Mulhouse et la plaine d’Alsace, cela faisait un peu diversion. Ici nous n’avons devant nous et autour de nous que bois et montagnes : le paysage est morne et lugubre ». Le capitaine JENOUDET décrit le secteur comme « un secteur difficile, avec ses bombardements sporadiques, ses rencontres de patrouilles, ses fusillades intermittentes, dans le froid, dans l’inconfort des tranchées à consolider, des abris à renforcer, avec ses journées interminables, ses fatigues, ses misères, son ennui, puis ses nuits sans dormir ».
L'Hilsenfirst vu depuis les lignes allemandes
Le 15-2 va rester sur le sommet jusqu’en décembre. La vie n’y est pas de tout repos, même si dans les communiqués officiels, l’Hilsenfirst n’est plus cité depuis le mois de juin. De juillet à octobre, c’est en effet le Linge où s’épuisent héroïquement les bataillons de chasseurs qui retient l’attention. La lecture du journal de marche du régiment est à ce point de vue particulièrement éloquent, car tous les jours, il enregistre des bombardements et des fusillades et tous les jours, comme un refrain cruel et monotone, ces mots reviennent : tués... blessés... Les tranchées de l'Hilsenfirst sont bombardées, l'ennemi les écrase à coups de grosses torpilles, qui projettent des milliers d'éclats de pierre en percutant sur le roc, plus dangereux encore que les éclats de fonte. Parfois, elles tombent sur un abri qui s'effondre, et nos hommes, épuisés, abrutis par le bombardement, doivent porter secours à leurs camarades ensevelis, réparer la tranchée bouleversée. Les nuits se passent à travailler, à guetter aux créneaux, à rôder en patrouille entre les lignes. Du matin au soir, Français et Allemands s'épient, se fusillent, se battent à coups de grenades de petits postes à petits postes. Le sous-lieutenant Drouet de la 12e compagnie raconte une anecdote dans son journal de guerre : « Un fait amusant m'est arrivé avec Lafaurie pendant notre séjour à l' Hilsenfirst. Très curieux de notre nature, nous étions partis pour visiter de vieux gourbis boches et voir le cimetière. Deux téléphonistes nous rencontrent dans la forêt, nous leur causons et ils nous donnent des renseignements locaux. Après quoi nous regagnons notre emplacement. Dans la nuit le capitaine vient nous réveiller en nous donnant l'ordre d'aller faire des patrouilles dans le secteur, car deux boches habillés en officiers français étaient signalés dans nos lignes. Nous voilà donc partis, revolver au poing à la recherche de deux espions, que nous cherchons toute la nuit sans les trouver. Le lendemain l'on a su qu'il s'agissait de Lafaurie et moi. Les téléphonistes, après réflexion, nous avaient signalés comme espions et toute la division était sur ses gardes. Lafaurie et moi nous étions cherchés toute la nuit ».
De temps en temps des attaques sont lancées des deux côtés. Ainsi le 17 août, les 11e et 12e compagnies attaquent avec « grand entrain et enlèvent les tranchées du bois de Mättle » (extrait du JMO) face à Sondernach soutenues par le 13e bataillon de chasseurs alpins au prix de 15 tués, 60 blessés et 4 disparus. Les Allemands contre-attaquent le lendemain et sont repoussés. Ils réessayent le 24 août et sont repoussés encore une fois. Mais ce jour-là, les Diables Rouges font pour la première fois la connaissance d’une nouvelle arme redoutable : le lance-flammes. Dans le même secteur, le 26 août, la 10e compagnie attaque un fortin et s’en empare.
Lance-flammes allemands 1915
Le sous-lieutenant Drouet a décrit l’attaque du 17 pendant laquelle il a été blessé : « Le 17 août nous avons l'ordre d'attaquer la crête du Sondernach et nous prenons position dans les tranchées du 13e chasseurs alpins vers les 10 heures. Le lieutenant-colonel commandant la brigade (LCL Tabouis commandant la 1re brigade de chasseurs) où nous étions, a préféré prendre les troupes qui n'étaient pas les siennes pour faire l'attaque dont il était chargé. […]. Nous gagnons donc Sondernach, qui se trouve dans un trou, à travers de nombreux boyaux et dans les caves des maisons. Nous attendons que l'artillerie commence le bal, celui-ci dura 3 heures ½ et les boches ont dégusté : 220 - 155 - 120 - 75 - 65 et 37. Aussi quand l'infanterie est sortie étaient-ils légèrement abrutis. Deux sections de la Cie, dont la mienne, avaient comme mission de fouiller leur tranchée, pendant que les deux autres continuaient la poursuite sur la hauteur. Nous arrivons chez eux en recevant quelques grenades et aussitôt, nous fouillons la tranchée. Quelques boches sortent en jetant leurs armes et se rendent. En fouinant dans les trous j'en trouve 5 qui se cachaient, je les prends par les oreilles en leur mettant mon revolver sous le nez, ils lèvent aussitôt les bras apeurés. Manquant de courage, je n'ose pas les tuer et je les fais prisonniers. Puis nous regrimpons jusqu'à la crête en aidant l'autre section à chasser les boches. Nous y arrivons et arrêtons là notre poursuite. Aussitôt au travail, nous commençons une tranchée. Notre capitaine a été blessé avant l'assaut. Une heure relativement calme, où nous posons quelques fils de fer et creusons la terre. Puis contre-attaque des boches, les salauds arrivent sans qu'on les voie à 3 mètres de nous. Il faut dire qu'on se battait dans des taillis impénétrables. Ils nous arrosent de grenades, nos hommes ripostent mais nous subissons des pertes sérieuses, surtout en blessés. Une grenade tombe à mes côtés, je veux la saisir pour la relancer sur les boches, mais elle éclate juste à ce moment me blessant légèrement, ainsi que 2 sergents et 3 hommes. Une fois pansé au poste de secours, étant le seul officier blessé pouvant marcher, je coure chez le commandant lui porter des enseignements. Il me félicite sur l'héroïsme de mes hommes et sur le mien, et prend mon nom par écrit. Est-ce pour une citation ? ». Il sera effectivement cité à l’ordre de la division le 17 septembre 1915 : le sous-lieutenant Drouet, Paul - André, du 152e régiment d'infanterie, a brillamment enlevé sa section à l'attaque des tranchées ennemies le 17 août 1915. Contre-attaqué a résisté énergiquement. A été blessé au cours de l'action. Signé: Serret Général de la 66e division.
Tranchée allemande sur l'Hilsenfirst 1915
Les actes de bravoure des Diables Rouges sont justement récompensés, ainsi, le 6 août, se déroule des remises de décorations en première ligne : la Légion d’honneur au commandant Bron (chef du 3e bataillon), deux médailles militaires, 26 croix de guerre à l’ordre de la division et le 14 août, le chef de corps reçoit la croix de guerre avec 2 palmes et une étoile en vermeil destinée au drapeau du régiment pour les trois citations obtenues au Spitzemberg en septembre 1914, à Steinbach en janvier 1915 et à l’Hartmannswillerkopf en avril 1915. Comme le précise le JMO, cette décoration sera remise dès que les circonstances le permettront lors d’une prise d’armes régimentaire.
Le secteur étant moins actif qu’au HWK, le 19 août, 74 nouveaux permissionnaires sont désignés et quittent le régiment. Cependant les pertes sont quotidiennes, blessés ou tués, et il faut en permanence réaligner les effectifs, ainsi le 27 août arrivent 180 hommes alors que les soldats formés par le capitaine Jenoudet pour constituer la compagnie de mitrailleuses de la 81e brigade quittent le régiment.
Fin de la deuxième partie du chapitre VII
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