14-18Hebdo

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Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch. 6-1 - Hartmann- Metzeral

Chapitre 6 – Hartmann- Metzeral

Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 22/02/2016

    

  

Paul Boucher 6-1 Image1 Photo des Cies.jpg

Une partie de la 4e section de la 1re Cie commandée par le lieutenant de réserve Paul Boucher en septembre 1914 à Soultzeren. (Paul Boucher est le 3e en partant de la gauche, rangée du bas)

 

A peine installé dans mes fonctions de commandant de Cie, le bruit d’une relève parvint par les cuisiniers comme d’ailleurs toutes les nouvelles sensationnelles confirmées pour la plupart.

 

La visite d’officiers du 357 de réserve va confirmer ces bruits. Plusieurs jours se passent à faire un inventaire détaillé du matériel de secteur : cartouches, marmites, peau de mouton, etc.

 

Nous sommes relevés le 17 mars au matin et ma Cie est installée dans les baraquements en bois à l’entrée de Weiler. Je loge avec le Perrien dans la maison d’Isaac Kœchlin, vide à ce moment là.

 

« LA GAZETTE DU CENTENAIRE - N° 15 »

Editée en mars 2015 par la cellule communication du 152e RI à Colmar et transmise par le lieutenant-colonel Bodénès de la direction des Ressources humaines de l’Armée de terre.

 

Mars 1915 : vers la « Colline immortelle »

Fin décembre 1914, l’Hartmannswillerkopf (HWK) n’est tenu que par une section de chasseurs. Les Allemands qui ont compris l’importance stratégique de ce promontoire s’en sont emparés par surprise début janvier 1915 et leurs sapeurs l’ont rapidement aménagé en une forteresse sur laquelle se sont brisés tous les assauts de la 1re brigade de chasseurs. Blockhaus en béton, tranchées consolidées et protégées par des réseaux denses de barbelés, feux violents des mitrailleuses, des fusils et de l’artillerie en interdisent l’accès. Ils ont même installé un téléphérique qui permet d’acheminer rapidement et sans efforts leur logistique depuis la plaine jusqu’au sommet, alors que du côté français son acheminement est rendu très difficile par le relief, la densité de la forêt, l’absence de route d’accès et l’étroitesse comme l’escarpement des sentiers pierreux, défoncés et boueux qui font dévaler les mulets et leur chargement.

 

Paul Boucher 6-1 Image2 Ligne de front 1915.jpgLigne de front mars 1915

 

Début mars 1915, le 15.2 est toujours installé à Steinbach. Le secteur est calme, l’ennemi s’est résigné à la perte du village. Seuls de petits accrochages et des tirs d’artillerie rappellent au régiment qu’il doit rester en alerte et aménager quotidiennement ses positions.

 

Le 8 mars, ordre est donné au régiment de relever deux compagnies du 13e BCA au Hartmannswillerkopf. Deux compagnies du deuxième bataillon qui était au repos à Bitschwiller sont désignées et montent en fin d’après-midi vers le col du Silberloch où elles s’installent dans les tranchées. Le lendemain, le reste du bataillon monte à son tour pour renforcer la 1re brigade de chasseurs.

 

Le 15 mars, le 357e RI qui n’était pas encore entré en campagne, vient relever les positions du 15-2 dans le secteur de Steinbach. La relève dure deux jours et se termine dans la nuit du 17 au 18 mars à 1 heure du matin. Le régiment est mis en réserve de division près de Willer-sur-Thur.

 

Pendant ce temps, les combats continuent au HWK et on peut lire sur le JMO du régiment à la date du 17 mars : « attaque infructueuse du 13e alpins au Hartmannswillerkopf – pertes : 1 tué et 1 blessé par obus au 2e btn.» La pause pour le régiment est de courte durée, le 19 mars, il reçoit l’ordre de relever le 13e BCA avec le 1er bataillon qui se met en route à 14h00. La relève est effectuée entre 22 et 23 heures. Le 3e bataillon reste à Altenbach. Le soldat Emile Beuraud qui sert dans une section de mitrailleuses du régiment décrit dans son carnet de guerre la marche vers le Silberloch : « Nous pensions rester encore un peu au cantonnement, lorsqu'à 4h nous avons ordre de partir immédiatement pour Silberloch. Nous partons avec armes et bagages à 5h, conduits par 2 dragons qui nous font passer par de mauvais chemins. A tout moment, tellement la nuit est noire, nous tombons dans les rochers ou restons dans la boue. Nous arrivons à Thomannplatz (camp de Turenne) vers 9h et nous ne sommes guère à plus de la moitié du chemin. Ici d'autres guides nous conduisent. Le sentier est presque impraticable, par endroits il faut se cramponner pour ne pas tomber dans le ravin. En cours de route nous relevons un pauvre mulet qui était tombé avec son chargement. Un peu plus loin, c'était notre tour, presque coup sur coup 3 de nos chevaux roulent dans un ravin dont nous avons eu beaucoup de mal à les retirer. Enfin après avoir subi encore quelques petites avanies, nous arrivons enfin à Silberloch. Et là ce n'est pas tout, nous n'avons pas un abri pour pouvoir nous reposer. Enfin, après avoir cherché pendant une demi-heure nous en trouvons un, sans paille, nous nous y installons tant bien que mal, et nous n'avons pas dormi puisque l'on n'entend que coups de fusil et grenades. »

 

23 mars 1915 : 1er bond vers le sommet

Maintenant installé sur les pentes du HWK, le régiment découvre un terrain déjà bouleversé par les trous d’obus et les tranchées. « Il est impossible de faire un pas en plein bois, tellement les trous creusés par nos 220 sont nombreux et profonds. […]. La tranchée ennemie n'étant [pas] à plus de 40m, il est impossible d'y mettre du fil de fer, et profitant de l'obscurité, l'ennemi s'approche encore plus près de nos lignes pour nous arroser de grenades. Aussi les sentinelles reçoivent l'ordre de tirer toutes les minutes, ce qui occasionne par moments d'assez vives fusillades. Aussi il est impossible de dormir » décrit Emile Beuraud.

 

Paul Boucher 6-1 Image3 Attaque du 23 mars.jpgAttaque du 23 mars 1915

 

Le 22 mars, le lieutenant-colonel Jacquemot, reçoit l’ordre d’enlever les lignes de tranchées allemandes situées entre le sommet et les tranchées du régiment. Il consacre sa journée à étudier la mission et à donner ses ordres pour l’attaque du lendemain.

 

Le 23 mars, conformément aux ordres donnés, la préparation d’artillerie se termine à 14h45 et l'attaque se déclenche à 15 heures, en plein jour, menée à gauche par les 5e et 6e compagnies du deuxième bataillon, et à droite par les 2e et 4e compagnies du premier bataillon.

 

A gauche, le 2e bataillon (commandant d'Auzers) sort des tranchées. Les compagnies entraînées par leurs officiers, sabre à la main, franchissent la zone de barbelés sous un feu violent. La 6e compagnie est décimée, les officiers sont tous tués. Le reste de la compagnie, sous les ordres du sergent Chenegard « se cramponne au terrain, en dépit de la fusillade des grenades et des obus, jusqu’à ce qu’elle soit relevée par une autre compagnie » (extrait du JMO). La 5e compagnie, elle, ne progresse que de 250 m et est arrêtée par le réseau de barbelés et une vive fusillade. Dans cette zone, la végétation encore abondante, a empêché les observateurs de déterminer précisément la position des tranchées allemandes et ainsi rendu inefficaces les tirs de préparation d’artillerie.

 

A droite, au contraire, où le bombardement a été plus efficace, l’attaque a beaucoup progressé. La 2e compagnie a franchi au pas de course les barbelés bouleversés et sauté dans la tranchée ennemie. La 4e compagnie, initialement arrêtée par une vive fusillade, des grenades et des obus, relance vivement son action et s’empare d’un fortin et d’une tranchée ennemie. Sur la gauche du premier bataillon, le 7e BCA n’a pas débouché.

 

Le premier bataillon du commandant Sermet se trouve engagé en avant des positions et vers 17h00 est obligé d’organiser les positions conquises

 

Appuyés par l’artillerie, les Allemands vont tenter à 18h00, 19h00, 20h30, 00h30 de reprendre leurs positions en menant de très violentes contre-attaques qui vont toutes se briser sur le feu des tranchées et le tir de barrage de l’artillerie.

 

Le régiment fait environ 200 prisonniers dont 30 officiers. Ses pertes sont de 60 tués dont 5 officiers et 200 blessés ou disparus, dont 4 officiers. On s'est battu pied à pied : 400 cadavres allemands jonchent le terrain du corps à corps. Pour cette première attaque au HWK, le 152e RI a fait honneur à sa réputation de régiment d’élite…

 

 

Suite du récit de Paul Boucher.

Le colonel fait une visite peu bienveillante tandis que le commandant Sermet s’étonne du bruit fait dans leurs baraquements par nos braves poilus heureux de se détendre. Nous mangeons chez un jardinier de Weiler et comptons sur quelques jours de repos lorsque le 19 mars, je reçois l’ordre de me trouver à dix heures du matin à cheval pour aller en reconnaissance avec le colonel et tous les officiers du 1er bataillon. A cheval, me voici bien perplexe, n’étant jamais de ma vie monté que sur des chevaux de bois. Je veux reculer mais noblesse oblige , à la grande joie de toute la popote, je me hisse sur le cheval de Doucet, suivi de très près par son ordonnance de cheval, un certain Houot de Granges, ancien dragon alcoolique, bien différent de son cousin Houot du 5e bataillon, depuis le début dans ma section, bon et brave soldat.

 

Paul Boucher 6-1 Image4 Paul Boucher a Cheval.jpgPaul Boucher à cheval

 

Me voici, mon sac tyrolien au dos, sac qui me servait d’oreiller le soir, et après maints changements renfermait tout ce qui était nécessaire à la vie dans les bois.

 

La montée se fit sans accroc, en passant par la ferme d’Ostein, le cheval s’arrête pour boire et veut retourner dans la vallée, je réussis à lui faire prendre le bon chemin et nous arrivons sans encombres à Thomannplatz où nous mettons pied à terre et prenons le chemin de l’Hartmann par l’Herrenfluh, à grande vitesse, suivant le colonel qui prend l’allure rapide.

 


Paul Boucher 6-1 Image5 Camp de Turenne.jpgThomannplatz ou camp Turenne avec ses baraques et son cimetière

 

Le chemin est encore gelé, le piétinement continu des mulets de ravitaillement provoque de vagues fumées sur le sol, après la ferme. Nous arrivons à quatre heures au Silberloch où est le PC du colonel Tabouis des chasseurs que nous allons relever. Le 13e alpin est fatigué et nous devons lui permettre de prendre quelques jours de repos. Le secteur est agité depuis deux mois.

 

L’Hartmann est à ce moment-là très boisé, les Allemands occupent la pointe ouest au dessus du Silberloch et les 13e et 7e chasseurs s’en étaient rapprochés par des parallèles successives, assez bien construites.

 

Paul Boucher 6-1 Image6 Silberloch.jpgCarte actuelle: Le Silberloch au centre, L’Hartmann à l’est, le Camp Turenne ou Thomannplatz au sud-ouest.

 

Je relève le capitaine Bonnet de La Tour et visite avec lui l’arsenal de nouveautés : grenades sphériques, fusées éclairantes. La Cie arrive dans la nuit et la relève est laborieuse, à vingt mètres de l’ennemi, séparée seulement par quelques chablis de sapeurs renversés et de nombreux cadavres. La consigne est que tout l’effectif veille toute la nuit et tire fréquemment pour ôter toute velléité de sortir.

 

C’est éreintant et énervant, voici 48 heures que nous sommes là et nous avons tiré environ 30 000 cartouches. Je suis relevé le 22 au soir par la 4e Cie (Friquet et Jamelin) et vais au Silberloch.

 

Réunion avec le commandant, demain 23, il y a une attaque du bataillon vers les sommets de l’Hartmann : 2e et 4e Cies en première ligne, 1e et 3e Cies en deuxième ligne.

 

Le 23 au matin, je gagne les deux parallèles et à midi, un violent bombardement de 75 et 220 se fait. Les obus tombent à vingt mètres de nous et semblent faire de gros ravages. Nous sommes émerveillés par cet appui d’artillerie auquel nous n’étions guère habitués. Les gros 220 nous donnent confiance et nous croyions que c’était du matériel neuf. J’ai su depuis qu’il y avait quatre pièces prêtées par le gouverneur de Belfort au général Serret. Lequel gouverneur ne dormait plus pour la sécurité de Belfort tant que les pièces ne lui furent pas rendues.

 

A 3 heures, notre attaque se déclenche et nous atteignons immédiatement la tranchée allemande et nous l’occupons. J’installe la 1e dans les tranchées de départ et je pousse la section Le Perrien.

 

Les Cies qui ont débouché ont pas mal souffert, la 2e a perdu son chef Lecoeur, tué d’une balle à la tête. La 4e a son chef blessé, le capitaine Jamelin. A notre droite, le 7e chasseur alpin qui n’a pas été relevé comme le 13e est fatigué et ne suit pas.

   

Paul Boucher 5-10 Image7 JMO 10mars.jpg

Journal de marche du 152e RI du 10 au 22 mars 1915

 

Un commandant d’état-major Brun les excite et donne l’exemple, il sort de la tranchée et est tué. Je fais un tour rapide avec quelques hommes vers la tranchée allemande qui a été dépassée par la 4e et j’en ressors des quantités d’Allemands désarmés, ensanglantés. L’un d’eux ne lève qu’un moignon sanglant, la main étant arrachée. Ils sont tous terrorisés par le tir du 220. Ils sautent rapidement vers nous en disant « camarades » et je recueille des blessés français dans un gourbi qui est rempli de trophées allemands. Un de nos hommes a une attaque de folie à la vue des casques allemands et se croit entouré d’ennemi et donne des coups dans toutes les directions. Nous devons le faire ligoter. Je cède ma couchette à un blessé, Colin.

 

A terre agonise un adjudant d’active Marco Torchino, le ventre perforé. Les boches nous lancent des balles dans la nuit du 23 au 24. Je me mets en liaison avec le 7e alpin et parle avec un sous-lieutenant. Après l’avoir quitté, je fais quelques pas. Une bombe tombe, j’apprends que ce sous-lieutenant a été tué.

Fin de la première partie du chapitre 6



07/03/2016
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