14-18Hebdo

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Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch. 5.4

Chapitre 5 – STEINBACH – La mort de François

 

Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 14/01/2016

 

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A partir de la gauche: Chauffeur d’Henry Boucher, x, François et Paul Boucher, l’ordonnance de Paul Boucher (Photo prise par Henry Boucher en août 1914 au col du Herrenberg)

 

 

Paul Boucher est lieutenant de réserve dans la 1e Cie et François sergent dans la 2e Cie du 152e RI.

 

 

Rappel : Les capitaines Spiess et Vincens de la 1re et 2e Cies viennent d’être fauchés le même jour, à peu de temps d’intervalle. Le capitaine Spiess commandait la 1re Cie de Paul Boucher et le capitaine Vincens commandait la 2e Cie où était François Boucher.

  

 

Par ordre du commandant Castella, je prends provisoirement le commandement de la première Cie. On continue avec un décousu parfait à s’approcher de Steinbach. La première et deuxième compagnies doivent envoyer chacune une section en avant. Je désigne Duplessy à la tête de ma 4e section.

 

La 4e Cie venant par le ravin se porte vers l’entrée du village. Un brouillard épais facilite tout d’abord la progression mais un coup de vent fatal vient le dissiper et nos sections se trouvent pour ainsi dire dans une tranchée allemande. La fusillade éclate, très vive. Nous perdons quelques hommes, Rivot de Gérardmer. Duplessy a son sac criblé de balles.

 

 

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Le quinze-deux pendant la grande guerre

 

 

Extrait tiré du livre «Le quinze-deux pendant la grande guerre »

Chapitre : Steinbach décembre 1914 – janvier-février 1915

 

… Dés le début de l’attaque, l’arrêt de troupes voisines qui doivent enlever la côte 425 et la chapelle Saint Antoine gêne la progression du régiment. Il faut toute l’obstination des braves du Spitzenberg pour avancer pas à pas dans cette vallée encaissée…

 

Peu soutenu à droite et à gauche, insuffisamment appuyé par l’artillerie, le 15-2 n’a plus à compter que sur lui-même, sur sa vaillance et son énergie coutumière. D’ailleurs, il a à sa tête un homme de fer, le commandant Jacquemot, dont l’implacable volonté égale la froide bravoure...

 

La 7e Cie entrainée par le capitaine Marchand force enfin l’entrée du village, lutte corps à corps à travers les barbelés et les barricades qui hérissent la grande rue et se retranche sur place au cours de la nuit.

 

Deux héros sont tombés là, en qui la France espérait, pour devenir plus grande et plus belle : le sergent Boutroux, neveu du philosophe, et le caporal Baudry, de l’école des Chartes, tous deux jeunes, tous deux aimés par leurs camarades qui vénéraient en eux la même beauté d’âme.

 

Le 31 décembre, le tiers du village est entre nos mains, l’attaque se poursuit, malgré la mitraille qui décime les assaillants…

 

 

Caporal François Baudry

(15 juin 1890-25 décembre 1914)

François Baudry.

© Ecole nationale des Chartes

Élève à la fois de l'École des Chartes (où il entra en tête d'une liste où Vallet était 2e et de Beausse 4e) et de l'École des Hautes Études, François Baudry portait un nom célèbre ; neveu du peintre Paul Baudry, fils d'un architecte de talent, vendéen d'origine, il naquit à Versailles ; mais, n'oubliant pas la province de ses pères, il choisit pour sujet de thèse la révocation de l'édit de Nantes et le protestantisme en Bas-Poitou au XVIIIe siècle ; ce travail obtint un prix à la soutenance, qui fut brillante, en 1913 ; il y insistait particulièrement sur les conséquences économiques de l'émigration des Vendéens pendant cette période. La guerre survenant, François Baudry était caporal au 152e de ligne à Gérardmer. « La mobilisation dans ce pays est chose splendide, écrivait-il, je la souhaitais, cette guerre, non pour moi, qui suis le plus pacifique des hommes, mais pour mon pays. » Sa joie fut intense lorsque, avec ses soldats, il pénétra en Alsace. Il ne se dissimulait pas les périls auxquels chaque jour le voyait exposé : « Si je tombe, ce sera en bon catholique, en bon Français, en bon Vendéen. » Un mois de combats sur la terre reconquise, trois mois aux tranchées de première ligne devant Saint-Dié donnaient déjà des preuves de sa belle endurance. Il aspirait à mieux faire. Lorsque, le 17 décembre, son régiment, déjà brillamment porté à l'ordre, rentrait en Alsace, sa compagnie fut désignée pour attaquer le village de Steinbach ; c'est en entraînant ses hommes avec fierté qu'il tomba pour ne plus se relever, frappé d'une balle au cœur. « C'était un brave de la belle race, écrivit son lieutenant ; il est mort sans un mot, sans une plainte ; il avait cette bravoure calme qui est la plus difficile et qui résulte de la haute conception du devoir. » Il aura fait partie de cette phalange de glorieux combattants que l'Alsace reconquise a salués comme des libérateurs, sans avoir vécu assez longtemps pour assister au triomphe de nos armes. Si la destinée n'eût pas enlevé sitôt François Baudry, en même temps qu'à l'affection des siens, aux recherches historiques où il se complaisait, on pouvait fonder de brillants espoirs sur ce jeune homme que l'École des Chartes aime à revendiquer pour un de ses meilleurs disciples. D'un naturel affable et sympathique, d'une allure franche et sérieuse, il promettait de réussir dans la vie qui s'ouvrait devant lui. Il n'a pu corriger les épreuves d'un article sur le protestantisme en Bas-Poitou à la fin du 16e siècle, paru dans le Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français quelques mois après son décès.

 

 

C’est surtout la 4e Cie qui fusillée à bout portant éprouve de lourdes pertes. Son chef, le lieutenant David est blessé au pied, son adjudant Jacques père de quatre enfants est tué. Tandis que David essaie de se pousser, il est pris et achevé de loin, mais achevé quand même à coups de fusil. Nous avons regagné la lisière du bois. Le temps est de plus en plus mauvais et nous sommes trempés.

 

Le lendemain arrive pour commander la Cie, le lieutenant Jenoudet de l’active que je connais depuis longtemps et qui tient le record de présence au 152 et le record de changement de situation, servant en quelques sortes d’officier de remplacement de Cie à Cie.

 

 

Portrait du Capitaine Jenoudet, extrait de la gazette du centenaire n° 18 de juin 2015 éditée par la cellule communication du 152e RI à Colmar et transmise par le lieutenant-colonel Bodénès de la direction des ressources humaines de l’armée de terre.

  

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Le capitaine Jenoudet :

Le lieutenant puis capitaine JENOUDET qui forme et commande la compagnie de mitrailleuses du 15-2, fera toute la guerre chez les Diables Rouges et terminera le conflit comme commandant du 3e bataillon et officier le plus titré avec 14 titres de guerre (5 blessures et 9 citations dont 6 à l’ordre de l’armée). Il est successivement décoré au feu de la croix puis de la rosette d’officier de la Légion d’honneur. Il porte la fourragère rouge de la Légion d’honneur à titre individuel pour avoir participé à tous les combats qui ont valu une citation à ce régiment d’élite.

 

En 1922, il quitte le 15-2 et rejoint le 1er régiment étranger à Sidi-Bel-Abbès au Maroc. En 1923, il est affecté au 2e RE où il prend le commandement du 3e bataillon à la tête duquel il est à nouveau cité. En 1925, il rejoint la métropole après 11 ans au combat. Il est affecté successivement au 134e régiment d’infanterie à Chalons-sur Saône de 1925 à 1927 comme chef de bataillon, puis au 13e bataillon de chasseurs alpins à Chambéry de 1927 à 1930 comme chef de corps.

 

Il commande ensuite jusqu’en 1934 le 28e régiment de tirailleurs tunisiens à Chambéry comme lieutenant-colonel. En 1934, il est promu colonel et prend le commandement du 95e régiment d’infanterie à Bourges. N’étant pas Saint-Cyrien, il est sélectionné sur dossier pour accéder au généralat et suit l’enseignement du Centre d’Études Militaires à Paris de 1936 à 1937. Il prend en 1937 le commandement de l’infanterie de la 1re division motorisée à Lille et en décembre 1939 est promu général à titre temporaire puis définitif en mars 1940. Il combat vaillamment en Belgique, résistant à l’armée allemande tout en suivant le repli général de l’armée française et rameute autour de lui des régiments débandés. Il conduit une défense exemplaire sur l’Escaut pendant 6 jours, infligeant de lourdes pertes à l’ennemi. Il participe à la défense de Lille où il est fait prisonnier, pistolet à la main, sans plus de cartouches, en combattant à la tête des derniers survivants de sa division. Les Allemands lui rendent les honneurs militaires en le faisant défiler sur la grand ‘place de Lille en tête de ses troupes, arme sur l’épaule. (Le général allemand et son adjoint qui présidaient la cérémonie seront limogés par Hitler à la suite à ce geste chevaleresque !). Il obtient ce jour-là sa 8e palme et sa 11e citation : « […] Complètement encerclé par un ennemi très supérieur en nombre et puissamment armé, a résisté avec acharnement pendant quatre jours à toutes les attaques jusqu’à l’épuisement de ses moyens de défense, forçant ainsi l’admiration de ses adversaires qui lui accordèrent les honneurs de la guerre ». Prisonnier et gravement malade, il est rapatrié en France en octobre 1941 et est radié des cadres. Il décède en 1972 dans le Jura, sa région natale, où il s’était retiré. Le lieutenant, capitaine puis chef de bataillon Jenoudet est l’une des grandes figures de l’histoire du 15-2, et l’un des très rares officiers subalternes qui a survécu à tous les combats de l’année 1915 qu’il a menés en première ligne au HWK[1].

  

 

Nous sommes restés ensuite près de 48 heures à la lisière du bois, essuyant quelques rafales d’obus mais surtout des intempéries horribles.

  

Pendant la nuit, nous avons essayé avec Jenoudet de nous faire une couchette avec des échalas recouverts de feuilles mais l’eau est venue et nous nous sommes réveillés complètement trempés. Notre couchette était devenue « le lac de Gérardmer » ainsi que l’appelait plaisamment Jenoudet. Forcé de demeurer debout, ma capote gela sur moi et était singulièrement pesante.

  

Nous nous demandions vraiment si nous étions oubliés ou ce qu’on allait faire de nous. Cette station prolongée aux intempéries nous enlevait toute vigueur et recherche d’offensives. A plusieurs reprises, François vint vers moi aux renseignements mais je n’étais pas plus fixé que lui.

  

Nous quittons notre lisière et par le chemin creux, nous approchons du village, le temps devient plus sec et dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, je me trouve avec ma section dans un petit élément de tranchée bien à découvert face à la côte 425. Le ravitaillement m’apporte une aubaine inattendue, une bonne bouteille de Bordeaux, envoi gracieux de M. Scheurer. Je réussis à faire venir François et nous vidons avec Séjournant, mon ordonnance, la fameuse bouteille qui nous relève singulièrement notre moral.

  

« Je crois que je suis paf ! « me dit François. « Encore une qu’ils n’auront pas ».

  

Moi assez remonté, j’entreprends d’apprendre à mes hommes quelques bribes d’allemand pour leur crier en face.

  

A minuit, il est convenu que nous tirerons une salve en criant. Mais à cette heure, nous étions endormis à l’exception de la sentinelle.

 



[1] L’Hartmannswillerkopf, rebaptisé aussi « Vieil Armand »

 



15/01/2016
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