14-18Hebdo

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Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch 6-7 - Hartmann- Metzeral

Chapitre 6 – Hartmann- Metzeral

Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 25/04/2016

 

Paul Boucher 6-1 Image1 Photo des Cies.jpg

Une partie de la 4e section de la 1re Cie commandée par le lieutenant de réserve Paul Boucher en septembre 1914 à Soultzeren. (Paul Boucher est le 3e en partant de la gauche, rangée du bas)

 

20 juin 1915

Nous tenons les crêtes et essayons en vain de dégager les boches. Le 2e bataillon a été dégagé en plein jour et a été soumis à un bombardement à vue. Puis chaque sortie a été meurtrière, aussi les hommes sont fatigués malgré les abjurations pressantes de Boussat, lieutenant-colonel commandant l’attaque, et du général Serret.

 

La 47e division du général Pouydraguin essaie de descendre des pentes est du Hohneck. Le 5e chasseur avec le commandant opère sur l’Hilsenfirst en fin de combat. Coloudelle a été tué, c’est un ancien du 152e qui nous a commandé quelques temps au Spitzenberg.

 

Muni de renseignements, je pars guidé par Pierrel pour prendre mon commandement. Il fait beau et chaud, nous arrivons au boyau effondré au milieu des sapins coupés. Je retrouve bientôt l’odeur très caractéristique du champ de bataille des Vosges : bois coupé, résine, explosifs, débris d’hommes, sang et merde. Nous marchons rapidement et nous voyons les tranchées, face à ce petit ballon où sont parait-il les observatoires ennemis. La tranchée est ensoleillée et puante, remplie de débris, fusils, cartouches, puis des cadavres, des corps nombreux. Heureusement, tous ne sont pas morts car des grognements se font entendre. Je marche sur un vivant, j’en réveille un à grand peine.

« Quelle Cie ? »

« La 5e »

« Qui commande ? »

« J’sais pas »

Non sans peine, je tombe sur un réveillé qui m’amène à une sorte d’abri où ronfle un sous-lieutenant, Maréchal, qui semble très fatigué et endormi malgré ou à cause d’une odeur persistante d’alcool. L’accueil est médiocre, chacun se dit être le commandant de Cie et se voit avec peine remplacé. J’obtiens quelques renseignements, nous sommes encadrés de chasseurs du 27e et 68e. La Cie est toute disloquée.

 

On est au contact de l’ennemi, un boyau descend vers lui dans la direction du bois de Winterhagel et on charge des grenades. Il y a en moins 49 fusils à la Cie, le capitaine est parti ainsi que le sergent-major, blessés tous deux et sans laisser aucun papier !

C’est la deuxième fois que Langalerie fout le camp, charmant cette fois, on ne le verra plus au front.

 

Le 19 juin, je passe la nuit sur place, sans incidents. Le lendemain, 20 juin, je circule pour regrouper la Cie. J’ai le plaisir de retrouver Bertin de Docelles, capitaine du 68e bataillon de chasseurs que j’appris à connaître. Je devais par la suite appartenir à ce bataillon…

 

L’endroit est horrible à l’entrée de l’abri où un cadavre git, celui d’un cycliste, avec une odeur méphitique et des mouches partout.

Pour aller vers les chasseurs, il faut enjamber un tronc de chasseur alpin dont la chaire noirâtre émerge de la vareuse bleue et est recouverte d’un essaim de mouches attirées par le sang dont elles se gorgent.

 

Chaque passage fait s’envoler lourdement cet essaim, c’est bien pénible. A ceux qui parlent de la beauté des champs de bataille, je dédie ce souvenir ainsi que bien d’autres semblables par la suite.

 

A 12h45, je reçois un billet du commandant d’Auzers qu’une attaque doit avoir lieu à 16 heures.

 

Entre temps, un renfort nous arrive, venu d’on ne sait où, quarante jeunes soldats du 81e d’infanterie, classe 1914 et 1915 avec quelques vieux, le sergent major Laffont, le fourrier Guiraudie et le caporal-fourrier Pideil. Me voilà bien monté.

 

J’exécute les ordres, 1000 cartouches, et à 15 heures, un bombardement commence. Sans réaction, le commandant du 27e me demande qu’une partie de la Cie avance avec le 27e vers Metzeral. Le reste occupe avec le lieutenant Maréchal le boyau vers Winterhagel.

 

Le 21 juin, la nuit est calme et les progrès sont grands, je circule vers Anlass pour tâcher de récupérer mon monde qui est en trois tronçons. J’assiste en spectateur à l’attaque de la 47e division sur le kiosque de Metzeral où flotte un drapeau allemand.

 

A la jumelle, on voit les assaillants qui progressent comme des fourmis, certains courent dans tous les sens, d’autres sautent sur une jambe ou tombent. Cela semble comique si on ne savait pas que tous ces soubresauts sont des coups qui arrivent, des hommes qui tombent et qui meurent.

 

Je rencontre un boche confortablement installé dans les fougères. Il n’appelle pas et semble terrorisé qu’on l’ait découvert. L’ayant interpelé en allemand, il demande à boire et je le confie à mes brancardiers.

 

Un peu après, nos hommes amènent un autre boche qui marche. Cette fois, je pense que c’est un prisonnier non blessé et l’interpelle. Il s’arrête au garde à vous et me fait face. A ce moment, une odeur écœurante me donne un haut le cœur, j’aperçois son bras gauche jusqu’alors masqué, ce bras ne tient plus au corps que par des lambeaux de chair, tandis que la manche et la plaie grouillent de vers et de pourriture.

Je fais envoyer le malheureux vers l’arrière où on lui coupe ce qui reste de bras d’un coup de bistouri.

 

Je retrouve mon PC mais plus d’ordres de personne, le commandant est évacué. Je tâche de me tenir en liaison avec mes voisins, à droite, le capitaine Legard du 28e, à gauche, le 27e et le 152e.

 

Je surveille toujours mon boyau. Le petit Pideil, caporal-fourrier arrivé la veille, âgé de 20 ans, me demande la permission de passer la nuit au poste avancé. Il veut lancer des grenades… Je le laisse, hélas, car ce jeune courageux garçon est tué ainsi que deux voisins.

 

Nous sommes soumis à un violent bombardement qui écrase le sergent Sabatery et plusieurs hommes.

 

Le 22 juin, la journée est fatigante et comme on avance vers Metzeral, les boches en face de nous se trouvent en très mauvaise posture. J’envoie une patrouille pour en informer nos voisins de droite, le groupe Legard. Nous entrons résolument dans le bois de Winterhagel et nous apercevons hélas un groupe de soldats du 15e chasseur tués en bloc devant la tranchée en contre-pente qui défendait la lisière nord-ouest du bois.

 

La position est organisée avec une audace inouïe, créneaux au ras du sol qui sont tenus jusqu’au bout avec acharnement. Ces tranchées sont imprenables à condition d’être occupées par des troupes à cran.

 

Elles laissent venir l’ennemi à vingt pas et seulement quelques rangs de fils de fer. Les guetteurs couchent sur place dans des sortes de niches, ce qui est possible à cette saison où les nuits sont admirablement douces.

 

Sans liaison à droite, j’arrête la Cie le long d’une haie et je profite d’un clair ruisseau pour me raser. Nous sommes tous ravis de cette progression inattendue, nous voyons au dessus de nous les premières maisons de Sondernach, maisons face aux crêtes, montant au Ilienkopf assez redoutable et dont il fallait se défier. Sondernach était-il à nous ?

 

Sans aucun ordre de quiconque, nous continuons notre progression avec prudence, sans la moindre réaction ennemie.

 

Ma patrouille envoyée vers Legard me rapporte un billet qui m’invite à traverser Sondernach dans sa largeur et m’établir sur la crête en face, moyennant quoi le groupe Legard n’avait plus qu’à pénétrer sans peine dans le village.

 

Je n’ai pas eu besoin d’exécuter ce conseil car je ne suis pas sous les ordres de Legard dont les patrouilles pénètrent dans le village en même temps que les miennes et le bruit se répand que le village est vide. C’est une ruée de tous pour rechercher les quelques volailles et bouteilles qui peuvent s’y trouver.

 

On nous retrouve suant et soufflant, et en même temps que la soupe, on m’apporte la décision que je suis nommé capitaine à titre temporaire.

 

Joie générale, Séjournant prélève sur mes galons pour m’en coudre un troisième.

 

Dans la soirée, une fois que tout est fini, je reprends contact avec la capitaine Marchand du 152e qui commande provisoirement le bataillon, le commandant d’Auzers ayant été évacué. Peu brillant comme « cran » et plus fort en paroles que devant le danger. Je le retrouvais par la suite aussi plat qu’il fut arrogant et peu bienveillant.

 

Le 23 juin 1915, je suis allé aux lisières de Sondernach et je me mets personnellement en liaison avec mes voisins. J’aperçois le général Serret. Je fais creuser des tranchées et je déjeune avec le capitaine Legrand qui a raconté la prise de Sondernach à sa manière au général.

 

Il est, je crois, déçu et appelé fâcheusement le duc de Sondernach, alors qu’il a fait sa part, ni plus ni moins. Il fut d’ailleurs inutilement frappé à l’Hartmann, respect à lui, mais si je l’avais écouté, je faisais massacrer toute ma Cie inutilement.

 

J’explore les environs et à la nuit, je reçois l’ordre de monter au camp 1025, le rôle du 152e est fini. La montée est pénible et nous nous retrouvons au camp.

 

Somme toute, dans ces combats, je ne fus qu’aux journées les moins dures et les plus riches en résultat. On se consacre au nettoyage puis nous sommes appelés par le colonel Boussat qui nous remercie du concours apporté par le bataillon et lève les pertes.

 

Le colonel Boussat était le chef de mon ami Maurice Pinot et devait recevoir une balle à l’Hartmann en visitant les tranchées, la veille de l’attaque du 21 décembre 1915. Il est rentré à Moosch.

 

Le 26 juin, nous descendons au repos à Saint Amarin et je loge chez Monsieur Kersten alors maire du village. On réorganise la Cie et je reçois des recrues entre autres C. Marcel, mon employé. J’ai à faire les propositions de récompenses et j’obtiens plusieurs médailles militaires et de nombreuses citations dont Grosjean de Laveline et une pour le gendre de Kersten. Je vais par contre faire une plainte au conseil de guerre contre le fils d’honorables commerçants israélites de Remiremont qui a fui le combat et s’est fait arrêter à Paris. Il a été condamné aux travaux forcés.

 

Nous demeurons à Saint Amarin jusqu’au 6 juillet. Les autres bataillons sont partis vers les crêtes, notamment vers l’Hilsenfirst où nous ne tarderons pas à les rejoindre.

 

Pertes de la Cie du 15 au 21 juin 1915 : 21 tués, 76 blessés, 21 disparus ou évacués. Total : 118, ce qui est énorme.

 

Paul Boucher 6-7 Image2 Le colonel de Poumayrac.jpgColonel de Poumayrac inspectant les tranchées le 20 juin 1915

(Auteur: Ministère de la Guerre, France, albums Valois)

 

 

« Suite de La gazette du centenaire n° 18 »

 

Editée en juin 2015 par la cellule communication du 152e RI à Colmar et transmise par le lieutenant-colonel Bodénès de la direction des Ressources Humaines de l’armée de terre.

 

Le 15 juin, le 2e bataillon et la compagnie de mitrailleuses reçoivent l’ordre de se porter au Schnepfenried sur la côte 1025 et de déboucher à 09h45, avec le 27e BCA sur sa droite et le 68e BCA sur sa gauche, en direction de Metzeral et de Sondernach. Il y a tellement de soldats dans les tranchées que seuls le 68e BCA, la 5e compagnie et une partie de la 6e peuvent s’élancer. C’est un échec. Le lendemain à 13 heures, la 5 et la 6 s’élancent à nouveau avec la 7 et la 8 en soutien, les deux compagnies « sortent de leurs tranchées d’une façon superbe, mais les pertes sont de nouveau très lourdes » (extrait du JMO). Le soir la 7 et la 8 relèvent la 5 et la 6 en première ligne. Les Diables Rouges et les chasseurs essaient de progresser à travers un terrain très fortifié et défendu avec acharnement par la 19e division prussienne et par les 6e et 12e divisions bavaroises.

 

Le 18 juin, à 2 heures du matin, le 27e BCA part à l’assaut mais ne peut déboucher. Il repart à 5 heures 30 avec l’appui des 7e et 8e compagnies qui, malgré l’absence d’appui d’artillerie, progressent de 500 mètres. Les 5e et 6e compagnies comblent les vides sur toute la ligne pendant l’assaut. La conquête de ce terrain va être chèrement payée par un formidable bombardement qui va causer des pertes considérables : 43 tués, 145 blessés et 42 disparus, (extrait du JMO : « présumés tués, beaucoup de cadavres en bouillie ne pouvant être identifiés »). Le 2e bataillon sur ordre du général et à la demande du colonel de Poumayrac est renforcé par des éléments du 81e RI.

   

Le 19 juin à 20 heures, les 6e et 8e compagnies attaquent, le 68e BCA à sa gauche et le 27e BCA à sa droite. La 6e compagnie s’empare de la tranchée allemande alors que la 8e ne peut déboucher. La 7e est engagée pour combler le vide sur la ligne et atteint la tranchée ennemie.

 

Paul Boucher 6-7 Image3 La Bataille de Metzeral.jpg

La bataille de METZERAL du 15 au 22 juin 1915

 

Le 20 juin, l'assaut sur Metzeral est donné par les deux divisions. Les 6e et 8e compagnies aux ordres du 27e BCA attaquent en direction de Sondernach où pendant deux jours a lieu un combat de rue, de maison à maison, au corps-à-corps, à coups de crosses et de baïonnettes. Le village de Sondernach est conquis. Les pertes du bataillon sont très lourdes.

 

Le 22 juin, la bataille de Metzeral est officiellement remportée par les troupes françaises. Metzeral et la haute vallée de la Fecht sont en ruines. Les 47e et 66e DI ont progressé de cinq kilomètres sur une largeur de quatre kilomètres. Plus aucune ligne fortifiée ne les sépare de Munster. Le général de Pouydraguin, commandant la 47e division d’infanterie, veut exploiter ce succès et poursuivre l'offensive par le fond de la vallée en direction de Colmar. Mais le GQG tient à sa manœuvre de débordement par les hauts professée par les théoriciens du haut commandement au début de la guerre. Joffre exige donc l'arrêt de l'offensive en fond de vallée et la reprise de la conquête du massif du Linge et du Barrenkopf.

 

Le linge, tombeau des chasseurs :

 

De juillet à octobre 1915, les attaques françaises ne réussissent pas à entamer le front adverse en raison du renforcement considérable des défenses allemandes organisées comme au HWK avec blockhaus et tranchées bétonnées. Mi-octobre 1915, le front se fige au collet du Linge où chacun s'organise défensivement. Avec l’engagement de 17 bataillons de chasseurs, ce sont près de 10 000 Français qui sont tombés au Linge baptisé depuis à juste titre « le tombeau des chasseurs ».

 

A la fin du mois, le 2e bataillon redescend à Saint-Amarin, rejoint par les 1er et 3e. Le colonel de Poumayrac conserve le commandement du secteur du Hartmannswillerkopf et reste au camp Renié.

 

Paul Boucher 6-7 Image4 Sommet de Hartmann.jpgSommet de L’Hartmann, 20 juin 1915

(Auteur : Ministère de la Guerre, France, albums Valois)

 

Fin du chapitre VI

 



02/05/2016
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