Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch. 4.2 - 23 août au 11 septembre 1914
Chapitre 4 - Le Spitzenberg - La stabilisation - 17 août au 18 décembre 1914
Deuxième partie : 23 août au 11 septembre 1914
Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 23/11/2015
POUR MES ENFANTS - En souvenir de François BOUCHER, mon frère et d’Edouard MICHAUT, mon beau-frère, morts au champ d'honneur
Gérardmer - 1920
Paul Boucher avec une partie de la 4e section de la 1re Cie du 152e RI à Soultzeren en août 1914
(3ème en partant de la gauche dans la rangée du bas)
Carte de la région de Colmar annotée par Renaud Seynave
avec les dates indiquant l’endroit où Paul Boucher et la 1re Cie passaient la nuit.
J’ai mentionné l’itinéraire quotidien si nécessaire avec des couleurs différentes :
28 août en rouge, 29 août en bleu. Echelle de la carte : 1cm = 1km
Dimanche 23 août 1914
Réveil à 4 heures du matin.
Visite paternelle, rien de neuf. Entretien avec le député Schmidt à 11 heures à l’Ecole des Sœurs.
Nous rendons les honneurs au lieutenant Capelle ramené par la Croix-Rouge de Gérardmer. J’assiste ensuite aux obsèques d’un soldat de la 7e au cimetière de Wintzenheim. Toute la population suivait l’enterrement. Le soir, la Cie va aux avant-postes en réserve mais nous cantonnons dans les dernières maisons de Wintzenheim en direction de Logelbach. Lettre de Suzanne.
Lundi 24 août 1914
A 4 heures du matin, nous occupons les tranchées là où nous avons reçu tant de balles. Nous y restons jusqu’à midi environ et nous sommes relayés. Nous allons occuper un cantonnement à l’extrémité du village. Je couche chez le gendre du maire dans un vrai lit en me déshabillant pour de bon.
Mardi 25 août 1914
Matinée tranquille. Visite du père. A 5 heures nous partons sur St Gilles. Je couche au restaurant Pflixsbourg avec les gens du train de combat
Mercredi 26 août 1914
J’occupe la ferme St Gilles avec les artilleurs de Spiess. Une grande bataille doit s’engager vers le nord. Déjeuner avec les artilleurs. Je converse avec Taillot. Dîner avec le train de combat.
Jeudi 27 août 1914
Bonne nuit, pluie, nous regagnons Wintzenheim. Une grande bataille est engagée sur la Meurthe vers Bayon. On bombarde St Dié. Nous cantonnons à l’extrémité du village. Je dîne avec le docteur Dantinou.
Vendredi 28 août 1914
A 10 heures du matin, nous sommes attaqués sur Wettolsheim. Nous nous postons sur la montagne. Les Allemands, l’infanterie et les artilleurs atteignent rapidement la lisière de la ville. Je commande deux jeux de salves à 1800 mètres qui font coucher les hommes. Ordre de retraite. Nous gagnons St Gilles par la lisière suivis par le canon jusqu’à Soultzbach. J’ai vu là le 133e RI. Nouvelles de succès sur la montagne. Nous nous installons dans le bois au dessus de Soultzbach pour la nuit. On parle de nous ramener à Gérardmer en réserve d’armée !
Samedi 29 août 1914
Nous passons la journée dans la forêt au dessus de Soultzbach. Vers 3 heures, Papa vient en voiture. Il parait bien réel que nous retournions à Gérardmer mais je n’y croirai que lorsque j’y serai. Sainte-Lucie (propriété d’André Boucher à Rambervillers) a dû être occupée et dévastée par le régiment d’infanterie. On nous fait redescendre pour aller cantonner à Gunsbach près de Munster où je dors assez bien malgré une vive canonnade entendue vers 22 heures.
François et Paul Boucher au col du Herrenberg en août 1914
(en partant de la gauche, François est le 3e et Paul le 4e)
Dimanche 30 août 1914
Journée passée à Gunsbach. Le Colonel a l’oreille fendue. Il est remplacé par le lieutenant-colonel Goybet du 30e bataillon de chasseurs alpins. Ce n’est pas une perte. Nous lui sommes présentés par le général de brigade.
A 10 heures du matin, nous partons à Munster en direction de la Schlucht pour une destination inconnue, je suppose que c’est pour résister à l’attaque sur St Dié. A la montée, nous recevons un contrordre, demi-tour sur la route et nous regagnons vers 1 heure du matin notre cantonnement de Gunsbach. Sur la route, nous rencontrons les deux colonels. L’ancien cherchant ses cantines, préoccupé uniquement de son matériel, refusant de laisser une place à un blessé dans sa voiture.
Lundi 31 août 1914
Nous dormons tous à Gunsbach où nous passons la journée dans l’attente. Canonnade allemande vers 17h sans aucune riposte.
Journal de marches du 152e du 30 août au 2 septembre 1914
Mardi 1er septembre 1914
Après une nuit à demi calme à Gunsbach, nous allons avec des sapeurs travailler à des tranchées en travers de la vallée, en avant de « Weiersthol ». Nous y recevons bientôt une canonnade violente, nous restons à l’abri dans une maison près de la route. Plus de cent obus nous arrivent dont certains rapides. On tiraille aussi de la lisière de Soultzbach. On se replie sur Gunsbach. Je suis fortement salué par des balles. Je traverse La Fecht à gué et entre à 13heures à Soultzbach. Aucun homme n’a été tué mais cela a été assez chaud. Repos
Mercredi 2 septembre 1914
Alerte à 1h30 du matin en direction de Soultzbach. Nous y allons mais faisons demi-tour en route. Vers 8 heures du matin, grande canonnade sur les deux crêtes surtout au dessus de Gunsbach. La 2e Cie est fortement engagée. J’en vois toutes les perceptions depuis le village de Gunsbach où nous sommes en réserve de trois sections. Anxieux toute la journée. Apaisement vers 1h du matin. Grosses pertes à la 2e Cie. Trois chefs de sections sont tués, Brommer, Schlumberger, Mervelot. François (le plus jeune frère de Paul) n’a rien. Quelle journée !
Jeudi 3 septembre 1914
Carte de la région de Colmar annotée par Renaud Seynave
avec les dates indiquant l’endroit où Paul Boucher et la 1re Cie passaient la nuit.
J’ai mentionné l’itinéraire quotidien si nécessaire avec des couleurs différentes :
3 septembre en rouge, 4 septembre en bleu, 10 septembre en vert. Echelle de la carte : 1cm = 1km
A 4 heures du matin, départ sur Munster, Hohrod, Orbey, La Schlucht et le Collet. Cette retraite est motivée par une reculade des Alpins. Chaude journée. (Regardez sur la carte le trajet en rouge effectué le 3 septembre de 4h du matin à 16h).
Sur le Hohrodberg, nous sommes salués par quatre obus français de 75, salves. Ce serait tout de même une guigne d’être tué par nos obus. Nous montons La Schlucht, suant, soufflant. J’ai vu au col une armée d’infirmiers, d’auxiliaires, d’autos... J’ai vu la pauvre femme de Brommer. J’ai vu Papa avec des étrangers. Arrivé à 4 heures, je lui demande de redescendre chercher Maman et Suzanne. Il s’y promet bien qu’à 5 heures, l’auto n’était toujours pas descendue. Nous nous installons dans des gourbis au dessus du train. Je suis content de me retrouver chez nous, il me semble que c’est terminé comme un mauvais rêve.
A 6h15, surprise ! Papa vient de ramener Suzanne et Maman. J’appelle François. Enfin, nous sommes là réunis trop peu de temps, mais c’est l’essentiel, le temps de nous dire courage réciproquement. Papa faisait un peu la tête mais se rendant parfaitement compte de la réalité des choses.
Vendredi 4 septembre 1915
A 4 heures départ sur le Hohrodberg, nous qui croyions rester au Collet, cruelle désillusion. Nous redescendons la route de La Schlucht jusqu’au dessus de Soultzeren. Nous assistons à une canonnade et une fusillade en direction du col du Wettstein. Nous restons chaudement puis, au croisement de la route d’Orbey et la route des Lacs, bombardement par les obusiers lourds qui nous dérangent. Nous nous collons à la montagne sur la rive droite du ruisseau. Trois obus éclatent tout près de nous. Par miracle, un seul est blessé au pied, un dénommé Bastide. Quelle émotion ! Il est 4h30, la section n’a pas mangé. La canonnade continue dans la soirée. Vers 18h, la Cie monte vers le Hohrodberg et continue vers les fermes de Mittelbach au dessus de Soultzeren. Je suis éreinté.
Samedi 5 septembre 1914
Après une bonne nuit dans le train, nous montons à 5h vers Eichwald et Gunsbach. Les Allemands ont dû se retirer. Nous passons toute la journée sans incident. Le soir, j’ai un ravitaillement dont deux bouteilles de champagne. Le soir, nous redescendons coucher à Mittelbach.
Dimanche 6 septembre 1914
Levé à trois heures, nous regagnons nos emplacements de la veille. Nous attendons une attaque qui ne se produit pas. La lisière du bois est jonchée de débris allemands. Une ferme a été incendiée par des obus. Les Allemands ont dû reculer. Nous occupons toute la journée cette lisière sans incident. Nuit un peu fraîche à la belle étoile. Nous dînons de fromage et pain.
Lundi 7 septembre 1914
Pas d’incident pour la nuit. Nous occupons les mêmes emplacements que la veille. Il y a une forte canonnade vers Luspach occupé par les chasseurs. A 10 heures du matin, des coups de fusils d’une patrouille ennemie nous mettent quelques temps en alerte. Des patrouilles nous indiquent que l’ennemi n’est pas loin.
Mardi 8 septembre 1914
Un peu de pluie le matin, nous gardons les mêmes emplacements que la veille. Envoi très fréquent de patrouilles. Batet reçoit une balle qui perce le fourreau de sa baïonnette. Lettre de Maman.
Mercredi 9 septembre 1914
Toujours les mêmes emplacements. Vers les avant-postes, il y a des coups de feu. Le poste Lamboley recule. Le soir visite paternelle qui nous ravitaille un peu. Le général Bataille a été tué d’un éclat d’obus.
L’offensive reprend. Un corps d’armée russe va être débarqué en France. A 5 heures reconnaissance au carrefour 955. Je suis prudent sur les avant-gardes. La nuit tombe, il y a une fusillade mais sans mal, repli. A 7 heures, rien à manger, il fait nuit. A 8 heures, orage épouvantable avec des éclairs. A 9h30, la foudre tombe sur la Cie, c’est l’affolement. Nous allons sur la tranchée foudroyée : trois morts, neuf blessés fous hurlant. Nous évacuons dans la nuit et ne fermons pas l’œil. Nous sommes trempés et harassés.
Jeudi 10 septembre 1914
A 12 heures, nous sommes relevés par le 2e bataillon. On se sèche. Déjeuner presque confortable au col de Wettstein. Descente sur Stosswihr. Nous rendons les honneurs à nos foudroyés. Nous cantonnons à Stosswihr. J’occupe la scierie au tournant de la route de La Schlucht. Je dors dans un lit.
Vendredi 11 septembre 1914
Nous occupons la lisière de Stosswihr sur la grande route. Ma section fait des tranchées. Une patrouille de la 5e section a deux blessés graves. L’un dénommé Bouchon, type du voyou et gouailleur, reste sur place, l’autre est amené pour des soins. A midi, visite paternelle. Nous sommes relevés par la 4e. Nous cantonnons à Soultzeren, je dîne avec l’adjudant.
A suivre…
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