Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch. 5.2
Chapitre 5 - Steinbach - La mort de François
Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 30/12/2015
A partir de la gauche: Chauffeur d’Henry Boucher, x, François et Paul Boucher, l’ordonnance de Paul Boucher
(Photo prise par Henry Boucher en août 1914 au col du Herrenberg)
« La gazette du centenaire » éditée par la cellule communication du 152e RI à Colmar et transmise par le lieutenant-colonel Bodénès de la direction des Ressources Humaines de l’Armée de Terre.
Journal de marche du 152e RI du 27 décembre 1914 au 2 janvier 1915
« A propos Boucher, vous avez une bonne carte, voulez-vous nous la prêter. »
Ma vulgaire carte fut prêtée au commandant pour conduire son bataillon à l’attaque de Steinbach, celle qu’il possédait à l’échelle 80/millième était incomplète et illisible en forêt. A ce moment, François vint aux nouvelles.
« Défais tes cartouches » telle fut ma réponse laconique tandis que j’allais avec Spiess expliquer aux gradés notre future manœuvre. Petite promenade expliquait Spiess, nous rencontrerons peut-être quelques patrouilles qui ne feront pas long feu devant nous.
Les 400 hommes défirent 8 ou 10 paquets de cartouches et 4000 feuilles de papier jonchèrent le sol. Le petit détachement se mit en route, guidé par un soldat du 213e RI qui occupait ô combien pacifiquement les premières lignes d’alors, faibles et illusoires au col au nord de l’Amselkopf. Quelques hommes du 213e RI nous regardent franchir leur maigre fil de fer et semblent nous dire « j’aime mieux que ce soit vous que nous ! »
Nos hommes, si bons gaulois, crânaient de passer devant les guerriers. J’ai remarqué que par l’émulation, l’esprit de corps et de compagnie, on obtient du Français le maximum de rendement.
A ce point de vue, l’invention des fourragères en 1916 fut véritablement géniale.
La 2e Cie à droite et ma 1re Cie à gauche, nous nous formons en ligne de demi-section et descendons la montagne, chaque chef de section en tête de la colonne. Ma section est tout à fait à gauche, sans aucune liaison de ce côté.
Nous apercevons la plaine avec la région de Cernay. Le lieutenant Spiess prend pour point de direction un toit rouge isolé qui allait dans la suite se trouver pendant quatre années dans la première ligne. Comme sur le versant alsacien après les pins et sapins, on trouve une région de châtaigniers et d’osiers puis les vignes et enfin le village.
Après avoir traversé sans encombre les sapinières, nous arrivons aux vignes. Les têtes de sections y débouchent lorsque du mamelon en face qui est resté célèbre sous le nom de la « côte 425 », une violent décharge de mitrailleuse nous salue. Il faut dire que la région était un peu remuée depuis une quinzaine de jours. Le 5e bataillon de chasseurs commandé par Citadelle, un de nos anciens chefs de Gérardmer, avait attaqué Steinbach encore habité le 12 et 13 décembre.
L’attaque mal conçue, les deux Cies de réserve tirent et les vainqueurs trop bien reçus par les habitants, fit réussir une contre-attaque ennemie qui réoccupa le village, fit des prisonniers et tua notamment le capitaine Chenot, un ancien du 152 que j’avais bien connu à Gérardmer autrefois, jeune Cyrien, casse-cou qui a trouvé dans cette affaire une mort très glorieuse. Après ce coup de sonnette, les boches s’empressent de renforcer la défense du village par de nombreux fils de fer, très puissamment barbelés comme nous n’en avions encore jamais vus. Ces travaux furent accomplis par des boches sur lesquels notre artillerie d’ailleurs très peu nombreuse et peu approvisionnée ne devait pas tirer. Donc depuis cette affaire, les boches étaient sur leur garde. Le village était occupé par six Cies du 161e RI.
Notre commandement avait fixé l’attaque du 25 décembre sur les renseignements d’un certain Béha, car ce jour là, les boches fêtaient Noël, les chefs étaient en permission et la surveillance devait être relâchée. Nous fîmes à 14 heures la démonstration du contraire car une rafale de mitrailleuse tuait neuf hommes immédiatement et en blessait un grand nombre.
Je me rappelle le caporal Tambour qui eut la poitrine percée de part en part et qui guérit cependant puisqu’après la guerre il fut tambour-major à Colmar. Ce tir de mitrailleuse fut dirigé dans la lisière où nous nous étions arrêtés et couchés. Je fis pour la première fois l’expérience de la puissance d’arrêt d’un tir semblable qui nous coucha au sol instantanément.
Couché près de mon brave Séjournant, j’étais persuadé de ne pas sortir indemne lorsqu’arrivent à quelques mètres à gauche des éléments de la tranchée, je résolus de m’y précipiter ma section et moi. Mais ignorant totalement le terrain et n’ayant pas connaissance du précédent contact du 5e bataillon de chasseurs, j’agis avec prudence et fis reconnaître par une patrouille si ces tranchées étaient occupées et par qui !
Nous nous précipitâmes dés que la voie nous fut signalée comme « libre » et à peine installés, nous aperçûmes nettement les pointes ouest du village, le clocher et le vallon de Silberthal.
Esquisse du portrait de François Boucher réalisé en 1915 par Honoré Umbricht
(collection Michel Segond)
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