Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch. 4.3 - 12 septembre-18 octobre 1914
Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 25/11/2015
POUR MES ENFANTS - En souvenir de François BOUCHER, mon frère et d’Edouard MICHAUT, mon beau-frère, morts au champ d'honneur
Gérardmer - 1920
12 août 1914 : Paul et François Boucher à la cabane forestière du Rudlin
Samedi 12 septembre 1914
Réveil à deux heures du matin, quel repos ! On marche sur Munster qui n’est plus occupé. Je rentre à 11h. Nous déjeunons chez le commandant du RI. Pluie. Je loge chez le pasteur. Repos l’après-midi, nous sommes à l’abri.
Echelle : 1cm = 4km
Carte de la région annotée par Renaud Seynave avec les dates indiquant l’endroit où Paul Boucher et la 1re Cie passaient la nuit. J’ai mentionné l’itinéraire quotidien si nécessaire avec des couleurs différentes : 13 septembre en rouge, 14 septembre en bleu.
Dimanche 13 septembre 1914
Arrivée du 229e RI de réserve pour nous relever à Soultzeren et Stosswihr. Nous partons vers 10h du matin vers La Schlucht. Brouillard et temps frais. A La Schlucht, nous trouvons Papa. On prend un casse-croûte au chalet Hartmann. Papa redescend sur Gérardmer chercher les dames. Nous descendons sur le Rudlin et cantonnons à Xonrupt. Les dames arrivent et passent une demi-heure avec nous, Annette est là.
Journal de marche du 152e du 12 au 17 septembre 1914
Lundi 14 septembre 1914
Le régiment se forme en ordre de route, Rudlin, Plainfaing, Fraize, Saint-Léonard, Saint-Dié. Nous cantonnons au 10e bataillon de chasseurs. A Plainfaing, il y a des traces de bataille et surtout à S… qui est détruit.
Saint-Dié a relativement peu souffert, quarante maisons brûlées, peu de pillage. Les Allemands ont occupé quinze jours. Nous parcourons la ville.
Mardi 15 septembre 1914
Journée tranquille à St Dié. Je rends visite à Jeanne Kempf qui est en bonne santé malgré les épreuves du bombardement. A 1 heure arrivée des parents et Suzanne. Bonnes nouvelles de tous sauf de l’oncle Paul Boucher qui est mourant à Aix-les-Bains. Papa va y aller, quelle tristesse.
(Paul Boucher est le frère d’Henry et de Louis Boucher, Paul est magistrat et a occupé le poste de juge auprès du tribunal de Paris.)
Paul Michaut a été tué. Les parents repartent vers trois heures. Repos le reste de l’après-midi. Dîner avec Mesdames Rousseau et Buchman, le capitaine Rousseau est nommé commandant, on fête sa nomination.
Echelle : 1cm = 1km
Carte de la région annotée par Renaud Seynave avec les dates indiquant l’endroit où Paul Boucher et la 1re Cie passaient la nuit. J’ai mentionné l’itinéraire du 16 septembre en rouge. Le Spitzenberg est représenté par le rond jaune.
Mercredi 16 septembre 1914
Réveil à 4 heures du matin. Nous allons à Neuvillers en avant-poste. Nous trouvons Sainte-Marguerite détruite sous un orage effrayant. Nous allons à Bertrimoutier relever la 12e. A peine arrivés, nous sommes vus par l’artillerie allemande, salves de 75 et de grosses artilleries. Il nous reste le temps d’entrer dans une maison où je trouve une femme de chambre de Monsieur Molard. Des obus ont tué un homme.
Je fais une reconnaissance sans mauvais résultat, de là je regagne Neuvillers avec ma section. Malgré des défilements habiles, ma section est vue et sabrée d’une multitude de coups bien ajustés qui nous forcent à patauger dans les près jusqu’à Vernifosse. J’entre à deux ou trois reprises dans l’eau jusqu’aux genoux. Je gagne enfin Neuvillers. A la nuit, ma section occupe des tranchées au nord-est du village, nuit tranquille. La 3e Cie est engagée vers Combrimont, j’ai vu Bran fils blessé aux jambes.
Jeudi 17 septembre 1914
Pas de distribution à Neuvillers, canonnade tout autour mais pas sur nous. Vers 1 heure, je reviens vers Bertrimoutier. On ne peut pas faire un pas sans craindre les obus. Ils tuent, c’est terrible. Distribution, je suis reçu dans la même maison qu’hier.
Journal de marche du 152e du 18 au 22 septembre 1914 avec les combats du Spitzenberg
Vendredi 18 septembre 1914
Je passe toute la journée à Bertrimoutier. Bombardements. Suzanne est venue parait-il à Saint Dié !
Samedi 19 septembre 1914
Je suis toujours en Cie à Bertrimoutier. Pluie, journée passée à la maison sans mettre le nez dehors à cause du bombardement qui continue toujours. J’interroge un homme venant des lignes allemandes. Canonnade violente.
Dimanche 20 septembre 1914
Pluie. Je suis toujours à Bertrimoutier. Canonnades et fusillades continues. Je suis cloîtré à la maison. Je fais même une partie de jacquet avec l’adjudant Tertaine et le docteur Lemechot. Il commence à faire froid. Quelle perspective !
Lundi 21 septembre 1914
Bertrimoutier, liaison avec le 343e.
A deux heures, on m’apporte une nouvelle qui m’affecte beaucoup, hier le commandant Rousseau, notre capitaine a été tué net d’une balle au front dans le bas du Spitzenberg.
Canonnade le soir de quatre à six obus, rasant la maison avec grand bruit. Canonnade terrible au Spitzenberg. Le soir, je suis de réserve. La 343e occupe le pays.
Mardi 22 septembre 1914
Bertrimoutier. Brouillard. Canonnade sur le Spitzenberg. Il y aurait eu hier beaucoup de dégâts au 3e bataillon. Canonnade dans l’après-midi sur la maison, sans dégâts. A la nuit, nous regagnons Neuvillers.
Mercredi 23 septembre 1914
On descend de nombreux blessés du Spitzenberg. Plus de cinquante tués par des obus. La 3e Cie est éprouvée : Lieutenants Champarnaud et Dousset, adjudant Tschupp, Cusenier, Macel. J’ai vu le lieutenant Chenot du 5ème chasseur et le capitaine de La Baume.
Triste journée !
J’ai vu Papa revenu d’Aix les Bains, Oncle Paul Boucher a eu une attaque aphasique.
Les blessés arrivent toujours ainsi que des Bavarois réservistes.
Jeudi 24 septembre 1914
Neuvillers, la canonnade continue toujours. A 5 heures, nous partons pour le Spitzenberg tombeau du 152e. J’ai vu François. Je couche dehors dans le froid.
Vendredi 25 septembre 1914
Au Spitzenberg : un blessé par un coup de fusil, quatre tués dont le lieutenant Balagnot. Je couche dans la tranchée et dans le froid.
Extrait du livre « Le 15/2 pendant la grande guerre, de l’Alsace aux Flandres 1914-1918 »
Le Spitzenberg
(septembre-décembre 1914)
Rendu furieux par la perte d’une position aussi âprement défendue, l’ennemi concentre sur ce piton le tir de toutes ses batteries. Une tempête de fer et de flamme s’abat sur le Spitzenberg qui disparait dans la fumée. Ses défenseurs décimés repoussent toutes les contre-attaques, mais le boche s’acharne et vers 17h, le bombardement devient effroyable. Les sapins et les rochers volent en éclats et couvrent ses défenseurs de leurs débris. Des grappes humaines gisent écrasées. Les survivants essaient en vain de s’abriter en creusant ce sol rocailleux. Les pertes deviennent telles que le capitaine Sabate demande au colonel de retirer de cet enfer les débris de son bataillon. Mais l’ordre est donné de tenir coûte que coûte. Les braves du 4e bataillon l’exécutent stoïquement… Quand les Allemands gravissent les pentes du Spitzenberg, assurés d’en avoir anéanti tous les défenseurs, ils sont rejetés une fois de plus. La colline sanglante où 8 de ses officiers et 600 hommes sont tombés, reste au 152e RI et, dans ce nom de Spitzenberg, éclatant comme un cliquetis de baïonnette, revivent à jamais l’abnégation, l’obstination farouche et l’indomptable volonté de vaincre du 152e RI. Le régiment a bien gagné l’Etoile d’or que l’ordre général de l’armée des Vosges lui confère.
Journal de marche du 152e du 23 au 28 septembre 1914 avec les combats du Spitzenberg
Samedi 26 septembre 1914
Nous sommes relevés à midi du Spitzenberg. Ouf !
A Combrimont je trouve Papa et François ainsi que les dames à Saint Dié.
Ils sont descendus à Neuvillers.
Dimanche 27 septembre 1914
Je suis malade pendant la nuit, indigestion.
A 5 heures du matin, je vais aux avant-postes.
Lundi 28 septembre 1914
Quatre régiments à Neuvillers. Nuit calme mais froide. Nous sommes relevés par la 3e qui amène des territoriaux marseillais. Nous partons à Grandrupt nous reposer. Je continue à être mal fichu et sans force. J’ai de la fièvre…
Mardi 29 septembre 1914
Grandrupt (le Pariol) repos. J’ai froid mais plus de fièvre. Je reste au lit toute la journée. Maman est venue me voir avec François. Les Allemands envoient quelques obus sur Saint Dié avec une pièce de 137. Affolement. Je vais mieux en fin de soirée.
Mercredi 30 septembre 1914
Nous montons aux avant-postes au Spitzenberg. Je suis de réserve à flanc de coteau. La nuit est fraîche. La journée est assez calme. J’ai vu François. Louis Nette aurait été tué !
Jeudi 1er octobre 1914
Je vais aux avant-postes dans les tranchées sur le Beulay. On voit les Allemands à 800 mètres. On ne peut pas bouger de la tranchée. Le temps est long, calme.
Vendredi 2 octobre 1914
Nous sommes relevés sans encombre. Mais que c’est pénible de passer 28 heures dans une tranchée sans bouger. Nous descendons à Neuvillers où nous sommes connus comme le loup blanc. Nous faisons nos provisions à Saint Dié. Bon dîner.
Samedi 3 octobre 1914
Ma section va aux avant-postes. C’est Fontaine qui prend le service.
Dimanche 4 octobre 1914
Des pièces de 120 viennent à Neuvillers. Nous sommes relevés par la 11e Cie. Nous allons à Grandrupt où je trouve Papa toujours en bonne santé. Repos troublé par une fausse alerte à 11 heures.
Lundi 5 octobre 1914
Repos. Fontaine est nommé sous-lieutenant et Rouge aussi.
Journal de marche du 152e du 6 au 18 octobre 1914
Mardi 6 octobre 1914
Pluie, nous montons au Spitzenberg remplacer les deux alpins de l’autre côté de la lisière. Nous occupons les tranchées pleines de cadavres.
Mercredi 7 octobre 1914
Journée entière au Spitzenberg, calme.
Jeudi 8 octobre 1914
A 9h30, nous sommes relevés par la 9e Cie et redescendons à Neuvillers où je reprends vers midi les avant-postes à la côte 425 sans incident.
Vendredi 9 octobre 1914
Je passe la journée à Neuvillers sans incident.
Samedi 10 octobre 1914
On est relevé par la 12e Cie et nous allons à Nayemont.
J’ai vu Papa. Bonne nouvelle mais on se prépare pour la campagne d’hiver.
Dimanche 11 octobre 1914
Journée passée au cantonnement. On se lave…
Il fait beau mais froid.
Lundi 12 octobre 1914
Journée sans incident à 600 mètres des Allemands.
Mardi 13 octobre 1914
Nous arrivons à 6h30. Nuit calme. La patrouille est venue à 100 mètres de nous.
Mercredi 14 octobre 1914
Nuit calme et douce. Cette nuit, nous avons entendu les Allemands travailler et parler. Nous sommes descendus à Neuvillers.
Jeudi 15 octobre 1914
Je reste au village. Cela devient rasant mais calme.
Vendredi 16 octobre 1914
Neuvillers est dans le brouillard. Je vais à Dijon (lieu-dit près du Spitzenberg). Repos. Je trouve Papa, Maman et Suzanne dans la maison. Papa repart, je me retrouve avec Suzanne. Je ne peux y croire. Bonne soirée, si cela durait…
Samedi 17 octobre 1914
Repos à Dijon. Suzanne est là. Elle ne bouge pas à cause de la brigade. Papa revient puis repart avec Maman, départ des dames à 4 heures. C’est triste.
Dimanche 18 octobre 1914
Au Spitzenberg, nous sommes dans un vrai village nègre très amélioré. Tranquille. J’ai vu le nouveau capitaine de bataillon, un alpin nommé Martin.
(Note à propos du village nègre: il s’agit d’un campement ou installation précaire pour les troupes).
Texte rajouté par Renaud Seynave :
Voici ce qu’écrivait Charles Mathiot à propos de François Boucher qui lui aussi était au Spitzenberg. « Ce brave enfant avait été atteint légèrement au front devant le Spitzenberg, mais il n’avait pas quitté son rang et comme M. de La Roncière proposait de le faire inscrire sur le tableau d’honneur des blessés à la Bibliothèque nationale, il s’y était refusé en disant qu’une égratignure ne méritait pas tant et qu’il avait encore bien des coups à donner et à recevoir. »
Note : François allait être tué d’une balle peu de temps après le 2 janvier 1915 à Steinbach.
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