Le mental du poilu
Comment le « mental » du poilu a-t-il pu affronter les conditions de vie inhumaines des tranchées ?
Comment le poilu a-t-il pu aller au delà de ce qui est communément acceptable par le corps et l'esprit humains ?
Comment a-t-il pu en maintes occasions, transcender sa peur par la volonté irréductible de dominer son adversaire grâce à un instinct de conservation poussé à l'extrême ?
Le combat repose avant tout sur l'être humain et notamment sur sa psychologie ; en fait il s'agit ni plus ni moins d'une gestion de la peur.
Il y a la peur négative, qui engendre la défaite, rupture psychologique d'abandon entraînant le désordre, la confusion et la panique ; et il y a la peur positive, qui se transforme en ascendant sur l'adversaire, surtout lorsqu'il est alimenté d'une volonté absolue de revanche qui prime tout.
Le courage n'en est pas la condition unique et suffisante ; il en faut les outils : de solides bases morales, une discipline ferme acceptée par tous, la confiance et la solidarité, et enfin la fraternité d'arme qui obligent l'homme confronté à l'horreur à « tenir » pour ses camarades. Ces qualités sont les garantes de sa survie autant qu'il l'est de la leur.
Telle était la doctrine dispensée aux cadres de l'armée française en 1914 pour le « dressage » de leurs soldats, condition essentielle de la victoire.
Il fallait toutefois « opérer une distinction entre le soldat calme, reposé, repu, attentif, obéissant, en somme l'homme - instrument intelligent et docile à l'exercice et en manœuvre, et l'être nerveux, impressionnable, ému, troublé, distrait, surexcité, mobile, s'échappant à lui-même qui, du chef au soldat, est le combattant ».
Ce postulat a servi de base à la théorie énoncée par le colonel Charles Ardant du Picq, valeureux officier ayant combattu en Crimée, en Syrie, en Algérie, avant de mourir courageusement au combat devant Metz à la tête de son régiment, le 18 août 1870.
Cet officier avait dépassé le cadre purement opérationnel de sa fonction en s'intéressant à la psychologie dans l'armée ; il développa ses théories dans son livre « Etudes sur le combat », publié en 1880, appuyé sur le résultat de questionnaires qu'il faisait parvenir à des militaires ayant l'expérience de la guerre.
Le contenu de cet ouvrage était profondément novateur à l'époque, Ardant du Picq se positionnant dans une perspective très différente de celle de la pensée militaire en vigueur, héritière de l'épopée napoléonienne et fondée sur la supériorité du nombre et des moyens.
D'un caractère difficile et intransigeant, inflexible en toutes circonstances, Ardant du Picq ne connut pas de son vivant la renommée qui sera la sienne au début du XXème siècle, et qui fait toujours écho aujourd'hui. Compte tenu de la date de sa mort, il n'a jamais su que la douloureuse défaite à venir donnerait plus de force encore à ses conceptions. Il écrivait : « La force morale est la composante essentielle de la victoire militaire ; le combat n'est pas seulement une confrontation physique entre deux adversaires, mais surtout un affrontement entre deux volontés opposées. C'est la supériorité morale qui décide de la victoire, même avec un handicap physique ».
Cette doctrine eut son côté positif : l'esprit permanent d'offensive, alimenté du ressentiment de la revanche (ou même de la vengeance), qui guida sans cesse l'armée française en 14-18 (malgré un rapport de forces matériel défavorable au début), permettant aux échecs initiaux de ne pas se transformer en déroute, et de trouver des sursauts magnifiques, comme sur la Marne et à Verdun. On ne retrouvera pas cet atout en 1940...
Mais il y eut aussi un prix à payer : le niveau général des pertes et en particulier l'épouvantable hémorragie d'officiers d'infanterie, surexposés aux feux, qui priva les unités de leur encadrement bien souvent dès le début de l'action.
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