Ceux de 14 (Maurice Genevoix) - Livre I - Sous Verdun (2/4)
A la mémoire de mon ami ROBERT PORCHON, tué aux Eparges le 20 février 1915.
Le 2 août 1914, Maurice Genevoix, brillant normalien qui n’a pas 24 ans, rejoint le 106ème régiment d’infanterie comme sous-lieutenant… Prodigieux livre, tout à la fois bouleversant face au grand carnage mais également plein d’humour face au grand brassage d’individus qui n’auraient jamais dû se rencontrer. « A mes camarades du 106 - En fidélité - A la mémoire des morts et au passé des survivants. »
Marie Favre : Choix de lecture 27/09/2014
Sortir enfin de ce ravin où la mort siffle à travers les feuilles, pour s’affaler au calme, là-bas où l’on est pansé, où l’on est soigné, et, peut-être, sauvé.
Derrière l’armée du Kronprinz
Dimanche, 13 septembre.
« Nous allons probablement quitter Seigneulles aujourd’hui », m’a dit tout à l’heure le capitaine Rive. « Souhaitons que nos étapes soient longues. » Je le souhaite, mon capitaine. Mais pourquoi diable ai-je tant mangé pendant toute la journée d’hier ? Ils étaient frais, les œufs que m’a trouvés le fourrier de la 5e et que j’ai gobés crus en y faisant deux trous d’épingle ; croustillantes, les frites cueillies à la louche dans les marmites des mitrailleurs ; tendre et rôti à point, le poulet dont le capitaine m’a offert une aile ; dodu, le lapin que mes cuistots ont fait mijoter à petit feu derrière le mur de notre grange. Mais hélas ! Quelle nuit j’ai passée ! La paille me piquait les mains, la figure, les pieds à travers mes chaussettes ; il me semblait qu’elle était brûlante, et je souhaitais la fraîcheur des draps lisses. Mon estomac pesait comme une énorme balle de plomb. Parfois, une danse étrange l’agitait. Aux rares minutes où je m’assoupissais, des cauchemars peuplaient la nuit : réveils brusques, haut-le-corps qui me précipitaient la tête contre les douves de la cuve gigantesque derrière laquelle j’avais fait mon trou dans la paille. Pas de plainte, puisque c’est ma faute. Je ne suis pas mort de cette indigestion. Il n’y paraîtra plus demain.
Je trempe mon nez dans la cuvette exiguë que nous a prêtée, à Porchon et à moi, le docteur du village. Je ne sais dans quelle cuvette il se lave, ce petit docteur aimable ; mais celle-ci, vraiment, est ridicule. Il nous faudrait des baquets d’eau chaude pour dissoudre la crasse accumulée depuis une semaine ; nous avons quelques gouttes d’eau froide au fond d’un pot grand comme un dé à coudre, et c’est dans une soucoupe que nous faisons nos ablutions…
… On attend ; c’est le silence qui précède immédiatement le départ. Et dans ce silence, quelque part au loin, des coups de fusil retentissent tout à coup, qui se multiplient, deviennent fusillade crépitante. Qu’est-ce que c’est ? En voilà une blague ! Depuis avant-hier, nous n’entendions même plus les éclatements des marmites. « Mon lieutenant ! mon lieutenant ! Voyez-le ! » Tous les nez se lèvent ; les regards cherchent le point du ciel que l’homme montre de son doigt tendu. Je l’ai, le Taube : tout petit, net et fin dans un coin du ciel sans nuages, il vient sur nous d’un vol droit. Nous connaissons tous, à présent, sa silhouette. Et lorsque, avertis par le ronflement du moteur, nous découvrons soudain l’avion à peine visible encore, notre hésitation n’est pas longue avant que nous ayons prononcé : « boche » ou « français ». Evidemment, celui-ci est boche. On doit tirer sur lui de Rosnes ou de Marats-la-Grande. Pour nous, il est trop loin ; nous ne pouvons que suivre la chasse des yeux. Mais tous nos hommes frémissent du désir de tirer aussi…
… Pannechon, c’est mon ordonnance. Je l’entends piétiner le foin, buter contre des dormeurs qui grognent. Puis la porte s’ouvre avec un long geignement. Bouh !... Quelle odeur ! Ça sent le petit-lait, le rat, la sueur des aisselles. C’est aigre et fade, ça lève le cœur. Qu’est-ce qui pue à ce point-là ?... Voilà ! Il va falloir dormir dans cette odeur de Boches, s’étendre sur ce foin dans lequel ils se sont vautrés. Bah !... Puisque c’est une reprise de possession !
Lundi, 14 septembre.
Il pleut. L’étape sera pénible, sous ce ciel pâle et triste. Je me résigne à être mouillé toute la journée. C’est un dur effort, lorsqu’on sait, comme nous, l’accroissement de souffrances que la pluie apporte avec elle ; les vêtements lourds ; le froid qui pénètre avec l’eau ; le cuir des chaussures durci ; les pantalons qui plaquent contre les jambes et entravent la marche ; le linge au fond du sac, le précieux linge propre, qui délasse dès qu’on l’a sur la peau, irrémédiablement sali, transformé peu à peu en un paquet innommable sur lequel des papiers, des boîtes de conserve ont bavé leur teinture ; la boue qui jaillit, souillant le visage et les mains ; l’arrivée barbotante ; la nuit d’insuffisant repos, sous la capote qui transpire et glace au lieu de réchauffer ; tout le corps raidi, les articulations sans souplesse, douloureuses ; et le départ, avec les chaussures de bois, qui meurtrissent les pieds comme des brodequins de torture. Dur effort, la résignation !
Samedi, 19 septembre.
Quarante heures que nous sommes dans un fossé plein d’eau. Le toit de branches, tressé en hâte sur nos têtes et calfeutré de quelques brins de paille, a été transpercé en un instant par l’ondée furieuse. Depuis, c’est un ruissellement continu autour de nous et sur nous. Immobiles, serrés les uns contre les autres en des attitudes tourmentées et raidies, nous grelottons sans rien nous dire. Nos vêtements glacent notre chair ; nos képis mouillés collent à nos crânes et serrent nos tempes d’une étreinte continue, douloureuse. Nous tenons à hauteur des chevilles nos jambes repliées contre nous ; mais il arrive souvent que nos doigts engourdis se dénouent et que nos pieds glissent au ruisseau fangeux qu’est le fond du fossé. Nos sacs ont roulé là-dedans et les pans de nos capotes y traînent…
… A présent, il fait jour. Nous venons de manger des morceaux de viande froide, mouillée, affadie, aussi quelques pommes de terre vertes trouvées dans un champ et qui ont cuit un peu sous les cendres. On nous a annoncé la relève pour ce soir. Moi je ne l’espère plus. Je ne sais plus. Nous sommes là depuis un très long, très long temps. On nous a mis là ; on nous y a oubliés. Personne ne viendra. Personne ne pourra nous remplacer à la lisière de ce bois, dans ce fossé, sous cette pluie. Nous ne verrons plus de maisons avec les claires flambées dans l’âtre, plus de granges bien closes où le foin s’entasse et ne mouille jamais. Nous ne nous déshabillerons plus pour délasser nos corps et les délivrer de cette étreinte glacée. Et d’ailleurs, à quoi bon ? Mes vêtements englués de boue, les bandes molletières qui broient mes jambes, mes chaussures brûlées et raidies, les courroies de mon équipement, est-ce que tout cela maintenant ne fait pas partie de ma souffrance ? Cela colle à moi. L’eau, qui a pénétré jusqu’à ma peau d’abord, coule maintenant dans mes veines. Maintenant je suis une masse boueuse, et prise par l’eau, et qui a froid jusqu’au plus profond d’elle, froid comme la paille qui nous abritait et dont les brins s’agglutinent et pourrissent, froid comme les bois dont chaque feuille ruisselle et tremble, froid comme la terre des champs qui peu à peu se délaye et fond.
Dimanche, 20 septembre.
Au bord des routes, des baraques de planches surgissaient, dont les portes s’ornaient d’écriteaux cloués : Villa Joyeuse ; Château des Bons Enfants ; Villa Piccolo. Il y avait même des écriteaux en vers comme celui-ci :
La guerre n’est pas toujours moche,
On ne pleure jamais chez nous ;
On y boit souvent un bon coup.
Et l’on battra tous ces sales Boches.
Dans les bois
Mardi, 22 septembre.
« Je ne sais pas comment je vis ; mais à vrai dire, ma résistance m’étonne moi-même. Elle est étrange et merveilleuse la facilité à s’adapter que je constate chaque jour chez les plus simples d’entre nous. Notre rude vie nous a façonnés et pris pour tout le temps qu’elle durera. Il semble, à présent, que nous soyons nés pour faire la guerre, coucher dehors par n’importe quel temps, manger chaque fois qu’on trouve à manger, et tout ce qui se peut manger. Vous avez une nappe sur votre table ? Des cuillères, des fourchettes, toutes sortes de fourchettes, de verres, de tasses, et quoi encore ? Nous avons, nous, notre couteau de poche, notre quart, nos doigts. Et ça suffit... »…
… La nuit tombe. Le froid devient vif. C’est l’heure où, la bataille finie, les blessés qu’on n’a pas encore relevés crient leur souffrance et leur détresse. Et ces appels, ces plaintes, ces gémissements sont un supplice pour tous ceux qui les entendent ; supplice cruel surtout aux combattants qu’une consigne rive à leur poste, qui voudraient courir vers les camarades pantelants, les panser, les réconforter, et qui ne le peuvent, et qui restent là sans bouger, le cœur serré, les nerfs malades, tressaillant aux appels éperdus que la nuit jette vers eux, sans trêve : « A boire ! Est-ce qu’on va me laisser mourir là ? Brancardiers ! A boire ! Ah ! Brancardiers ! … » J’entends de mes soldats qui disent : « Oui, qu’est-ce qu’ils foutent les brancardiers ? Ils ne savent que se planquer ces cochons-là ! C’est comme les flics : on ne les voit jamais quand on a besoin d’eux. » Et devant nous la plaine entière engourdie d’ombre semble gémir de toutes ces plaies, qui saignent et ne sont point pansées.
Des voix douces lasses d’avoir tant crié : « Qu’est-ce que j’ai fait moi pour qu’on me fasse tuer à la guerre ? Maman ! Oh ! maman ! Jeanne, petite Jeanne… Oh ! dis que tu m’entends, ma Jeanne ? J’ai soif… j’ai soif… j’ai soif… j’ai soif !... Des voix révoltées, qui soufflettent et brûlent : « Je ne veux pourtant pas crever là, bon Dieu ! Les brancardiers, les brancardiers !... Brancardiers ! Ah ! salauds ! Il n’y a donc pas de pitié pour ceux qui clamecent ! »
Un Allemand (il ne doit pas être à plus de vingt mètres) clame le même appel interminablement : « Kamerad Franzose ! Kamerad ! Kamerad Franzose ! » Et plus bas suppliant : « Hilfe ! Hilfe ! » Sa voix fléchit, se brise dans un chevrotement d’enfant qui pleure ; puis ses dents crissent atrocement ; puis il pousse la nuit une plainte bestiale et longue, pareille à l’aboi désespéré d’un chien qui hurle vers la lune.
Mercredi, 23 septembre.
« Pas possible ! Vous v’là déjà ? Et nous qu’on vous croyait salement amochés ! Quoi qu’ vous avez fait ?... D’où qu’ vous v’nez ? »
Les trois hommes se présentent à moi, me rendent compte qu’ils rejoignent à la date du jour. Je suis content, parce que tous les trois sont parmi mes meilleurs soldats, intelligents, dévoués et braves. Mais je m’aperçois soudain qu’ils ont les yeux gonflés, le visage blême et creux, et que Beaurain et Raynaud portent encore à la main un pansement sordide. Qu’est-ce que cela signifie ? « Voyons Vauthier, dis-moi tout ce qui s’est passé. »
Alors à phrases précipitées, haletantes avec des gestes de colère et des sanglots secs qui jaillissent de sa poitrine sans qu’il puisse les réprimer, mon soldat me raconte leur sinistre aventure : « Croyez-vous qu’ c’est malheureux, dites, mon lieutenant ? Treize jours qu’on est blessés et pas guéris et renvoyés au feu comme ça, moi avec mon bras qui rend d’ l’humeur encore, et Beaurain avec son doigt qui pourrit !... C’est à Rembercourt, la nuit, vous vous rappelez ? qu’on a été touchés. On s’est r’trouvés au poste de secours. On nous évacue : bon. On arrive à Bar-le-Duc : bon… Et c’est là mon lieutenant, c’est là… Des majors, voilà qu’ils disent qu’on n’a pas de billet signé de not’e chef de section, comme quoi c’est des balles boches qui nous ont fait ça... Et qu’ils disent encore qu’on l’a fait exprès, qu’on est des mutilés volontaires, et des mauvais soldats, et des lâches. Hein, mon lieutenant ? Dites, mon lieutenant ?... Et ils nous ont fait passer au conseil, avec d’autres en tas, qu’il y avait là d’dans des pas grand-chose, nous avec… C’est des gendarmes qui nous ont conduits. Et ils nous avaient mis les menottes à nos mains qui saignaient ; je l’ jure qu’on nous a mis les menottes !... Moi, j’ voulais causer d’abord, nous défendre. J’ai parlé d’vous, du capitaine ; j’ai dit qu’on d’mande, qu’on n’avait qu’à d’mander et qu’on saurait. Pourquoi qu’on n’a rien d’mandé ?... Et puis j’ai bien vu qu’il vaudrait mieux s’ taire, parce que la colère venait et qu’ j’aurais dit des mots qu’il fallait pas. Est-ce qu’ils y étaient, eux, cette nuit-là, à la pluie, au vent, qu’on n’y voyait pas seulement à la longueur du bras ? Qui c’est qui nous avait dit qu’ fallait un billet signé ? Dites, mon lieutenant, qui c’est ?... Et ils nous ont répondu qu’ nous aurions dû l’ savoir ; et ils nous ont collé un an d’ prison, à tous, les bons et les mauvais… Un an d’ prison ! Est-ce pas, Beaurain, est-ce pas, Raynaud, qu’ nous avons un an d’ prison ? »
L’indignation m’empoigne et me secoue. Je leur parle doucement, à tous les trois, ne voulant pas leur dire jusqu’à quel point leur révolte est mienne désormais, mais souhaitant ardemment qu’ils sentent, mes pauvres braves ulcérés, combien leur confiance m’est précieuse et combien je suis près d’eux.
Jeudi, 24 septembre
Violente, claquante, frénétique, la fusillade a jailli vers nous comme nous arrivions au sommet. Les hommes, d’un seul mouvement impulsif, se sont jetés à terre. « Debout, nom d’un chien ! Regnard, Lauche, tous les gradés, vous n’avez pas honte ? Faites-les lever ! » Nous ne sommes pas encore au feu meurtrier. Quelques balles seulement viennent nous chercher, et coupent des branches au-dessus de nous. Je dis, très haut : « C’est bien compris ? Je veux que les gradés tiennent la main à ce que personne ne perde la ligne. Nous allons peut-être entrer au taillis, où l’on s’égare facilement. Il faut avoir l’œil partout. »
Là-bas dans le layon que nous suivons, deux hommes ont surgi. Ils viennent vers nous, très vite, à une allure de fuite. Et petit à petit, je discerne leur face ensanglantée, que nul pansement ne cache et qu’ils vont montrer aux miens. Ils approchent ; les voici ; et le premier crie vers nous : « Rangez-vous ! Y en a d’autres qui viennent derrière ! » Il n’a plus de nez. A la place, un trou qui saigne, qui saigne… Avec lui, un autre dont la mâchoire inférieure vient de sauter. Est-il possible qu’une seule balle ait fait cela ? La moitié inférieure du visage n’est plus qu’un morceau de chair rouge, molle, pendante, d’où le sang mêlé à la salive coule en filet visqueux. Et ce visage a deux yeux bleus d’enfant, qui arrêtent sur moi un lourd, un intolérable regard de détresse et de stupeur muette. Cela me bouleverse, pitié aux larmes, tristesse, puis colère démesurée contre ceux qui nous font la guerre, ceux par qui tout ce sang coule, ceux qui massacrent et mutilent.
« Rangez-vous ! Rangez-vous ! » Livide, titubant, celui-ci tient à deux mains ses intestins qui glissent de son ventre crevé et ballonnent la chemise rouge. Cet autre serre désespérément son bras, d’où le sang gicle à flots réguliers. Cet autre, qui courait, s’arrête, s’agenouille dos à l’ennemi, face à nous, et le pantalon grand ouvert, sans hâte, retire de ses testicules la balle qui l’a frappé, puis, de ses doigts gluants, la met dans son porte-monnaie. Et il en arrive toujours, avec les mêmes yeux agrandis, la même démarche zigzagante et rapide, tous haletants, demi-fous, hallucinés par la crête qu’ils veulent dépasser vite, plus vite, pour sortir enfin de ce ravin où la mort siffle à travers les feuilles, pour s’affaler au calme, là-bas où l’on est pansé, où l’on est soigné, et, peut-être, sauvé…
… Mes hommes s’agitent, soulevés par la panique dont le souffle irrésistible menace de les rouler soudain. Une fureur me saisit. Je tire une balle de revolver en l’air, et je braille : « J’en ai d’autres pour ceux qui se sauvent ! Restez au fossé tant que je n’aurai pas dit de partir ! Restez au fossé ! Surveillez la route ! » Malheur ! ce qu’ils voient par là, de l’autre côté de la route, ce sont des fuyards, des fuyards, toujours. Ils déboulent comme des lapins et filent d’un galop plié, avec des visages d’épouvante. Un sous-officier, là-bas... « Sergent ! Sergent ! » L’homme se retourne ; ses yeux accrochent le petit trou noir que braque vers lui le canon de mon revolver. Les reins cassés, la face grimaçante, les yeux toujours rivés à ce petit trou noir, il prend son élan, franchit la route en deux bonds énormes, arrive à moi. « Alors ? » lui dis-je. D’une voix saccadée, le sergent m’explique que tout son bataillon se replie, par ordre, parce que les munitions manquent. Vraiment ?... Eh bien ! nous en avons, nous, des munitions ! Et nous leur en donnerons. Et le sergent restera avec nous, et puis ces hommes, et puis ceux-là, et puis ceux-là, tas de… J’arrête tout ce qui passe. Je gueule toujours furieux, jusqu’à l’aphonie complète. Quand la voix manque, je botte des fesses anonymes, direction le fossé. Et ça finit par tenir à peu près avec des frémissements, des à-coups, des ondes nerveuses qui passent vite. J’ai un sergent et deux caporaux qui font preuve d’une poigne solide : debout hors du fossé, ils me regardent, et, l’un après l’autre, me font signe que ça va. Alors, à plat ventre, je me glisse jusqu’à la route. La mitrailleuse ne tire plus de façon continue. De temps en temps elle lâche une bande de cartouches, puis se tait. Quelques balles allemandes ronflent, très bas, et vont faire sauter des cailloux un peu en arrière. La chaussée est déserte à perte de vue. Et je profite de l’accalmie. Je passe derrière mes hommes. Je leur parle, à voix posée, toute ma colère enfin tombée. Maintenant ils se sont ressaisis ; je n’ai point de mal à reprendre possession d’eux tous…
… « Debout ! » On ne dort pas, cette nuit ; cette nuit, on marche. Les jambes ont l’habitude ; on les suit. Voici une côte ; on grimpe ; c’est dur. Voici des champs ; la terre est friable ; il y a des trous ; on trébuche, on tombe rudement, de tout son poids qu’augmente le poids du sac et de l’équipement. Où allons-nous ? Personne ne sait.
A suivre…
Livre I - Sous Verdun (3/4)
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