14-18Hebdo

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Causeries et souvenirs (Gabriel Bon) - 8. Le 2 septembre

 

En 1914, le général Gabriel Bon, 61 ans, commande à La Fère (Aisne) l'artillerie du 2ème corps d'armée. Blessé en 1915, il ne participera pas à la suite de la guerre et publiera en 1916 "Causeries et souvenirs, 1914-1915", d'où est extrait ce témoignage.

  

Document transmis par Bernadette Grandcolas, son arrière-petite-fille· 30/11/2014

 

Cet extrait (qui n’est pas lié directement à la chronologie du blog) est intéressant, parce que le Général traite habituellement assez peu dans ses chroniques de sa mission de commandement. Il le fait cependant à plusieurs reprises dans son récit de la bataille de la Marne, publié plusieurs pages auparavant, où de nombreux passages sont censurés. Là, il semble particulièrement content de passer à l’action. Il raconte ici une journée en Argonne après cette bataille, ce qui nous donne l’occasion de voir se déployer les moyens techniques modernes : il est question d’automobiles, de motocyclettes et de téléphone (mais aussi de cavaliers !).

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Le 1er septembre, nous sommes en Argonne. Je passe une journée délicieuse dans un vieux château. Une terrasse domine la vallée. Dans les prés est établi un parc d’artillerie. Les hommes astiquent le matériel et soignent les chevaux. Les grands arbres de la forêt ferment l’horizon. Les troupes de l’infanterie défilent en ordre et belle tenue. On respire dans une atmosphère de confiance.

A 3 heures, je suis appelé chez le commandant de corps d’armée. Je sors ravi. Enfin mon rêve va se réaliser. Quel homme peut se vanter d’avoir, fût-ce une seule fois dans sa vie, réalisé un rêve !

Je suis chargé de protéger la retraite de l’armée. Les trente batteries du corps d’armée sont sous mon commandement. J’ai des avions, un observateur formé à mes méthodes.

Nous allons voir si l’expérience donnera raison à mes théories. La concentration des feux serait-elle un songe creux ? Jamais plus superbe occasion de le contrôler ne s’est offerte.

La situation est des plus critiques. Les corps d’armée voisins sont tous deux fort en arrière de nous et quelques bataillons seulement doivent protéger les batteries.

A dix heures du matin, les batteries sont installées. Mon poste de commandement, est placé sous un épicéa, à l’abri des vues indiscrètes des taubes[1].

Malheureusement, je ne peux être relié téléphoniquement à chacun de mes colonels. Nous n’avons que 300 mètres de fil par batterie. Mes réclamations depuis deux ans en vue d’en obtenir davantage sont restées vaines. Mais des relations rapides par motocyclettes et cavaliers sont établies entre les régiments et moi.

A peine installé, je reçois d’un de mes colonels l’avis qu’il trouve sa position très dangereuse et en l’air. Le général de division qui le transmet partage cette opinion. J’envoie ce compte rendu au général commandant le corps d’armée, qui me répond d’agir sous ma responsabilité.

Je ne puis, sans respecter l’équilibre, modifier les dispositions prises. Je reste.

Le résultat fut merveilleux. Aussitôt les avions nous ont-ils signalé une colonne, qu’elle est mitraillée. Aucune batterie ne peut nous atteindre.

Vers 3 heures, un groupe d’artillerie lourde ouvre le feu, notre route principale de communication est son objectif. Mes deux autos passent dans le feu. L’une d’elles reçoit de glorieuses cicatrices.

La position des batteries ennemies est repérée. Aussitôt deux groupes ouvrent sur elles un feu d’efficacité à 6 000 et 6 500 mètres. En quelques minutes elles sont éteintes, et nous n’entendons plus leur voix de la journée.

Des batteries légères qui s’installent sur notre gauche sont canonnées de même.

Bref, nous atteignons ainsi le soir. A la tombée de la nuit, je donne l’ordre de la retraite, en laissant quelques batteries pour continuer le feu jusqu‘à la fin du mouvement, tout s’effectue dans le plus grand ordre.

Il était grand temps !

Allons ! L’expérience a donné raison à la théorie. Je crois qu’on commence à croire à la concentration des feux. A la prochaine guerre ce sera devenu la règle.



[1] Type d’avion allemand très utilisé au début de la guerre.



05/12/2014
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