Causeries et souvenirs (Gabriel Bon) - 6. Les permissionnaires
En 1914, le général Gabriel Bon, 61 ans, commande à La Fère (Aisne) l'artillerie du 2ème corps d'armée. Blessé en 1915, il ne participera pas à la suite de la guerre et publiera en 1916 "Causeries et souvenirs, 1914-1915", d'où est extrait ce témoignage.
Document transmis par Bernadette Grandcolas, son arrière-petite-fille· 17/11/2014
Un rédacteur de La France de demain[1] a raconté, avec humour, les sentiments qui animent les permissionnaires qu’il a rencontrés à Paris.
En Bretagne, il m’a été donné de voir aussi un certain nombre de permissionnaires. Naturellement j’ai causé avec eux.
C’est ainsi que j’ai appris les hauts faits du Xe corps. Aussi les gars bretons étaient fiers de porter les numéros de leur corps : 2ème, 25ème, 47ème, 202ème, et surtout 71ème. L’esprit de corps s’est développé.
Il n’y a pas chez ces braves garçons la verve du Parisien. Ils sont plus calmes. Ils embrassent leurs parents et, dès le lendemain de leur arrivée, ils donnent un coup de main pour rentrer les foins. Le jour du marché au chef-lieu de canton, ils vont boire un coup avec des camarades. Puis ils reprennent tranquillement le train.
Mais, sous ce calme, il y a la confiance dans le succès. De plus, j’ai découvert chez eux un sentiment nouveau, qui s’est superposé à ceux de dévouement et de résignation qui sont les caractéristiques du Breton de race. Ce nouveau sentiment, c’est la haine du Boche.
Au début, officiers et soldats étaient tous animés du vieil esprit chevaleresque français.
Je n’oserais même pas affirmer que certains soldats touchés par les doctrines internationalistes ne se soient point dit : « Les soldats allemands sont des pauvres bougres comme nous, qui marchent parce qu’on les y oblige.»
Aussi, au commencement de la guerre, l’ennemi blessé ou prisonnier était un camarade, avec lequel volontiers on plaisantait, à qui on donnait une cigarette.
Cet hiver, pour exciter nos soldats à ne jamais se rendre et à lutter jusqu’à la mort, on leur avait lu l’ordre, donné par un général ennemi, de ne pas faire de prisonniers.
Je puis affirmer que je n’ai jamais vu, que je n’ai jamais entendu dire que nos troupiers aient usé de représailles.
Aujourd’hui, j’ai trouvé les esprits changés. C’est avec indignation que nos soldats parlent des procédés de combat employés par l’ennemi.
La prolongation de la lutte, les souffrances éprouvées, la mort de leurs chefs, de leurs camarades, de leurs parents a éveillé chez eux la haine de l’Allemand. Ce n’est plus un ennemi, c’est un être malfaisant dont il faut débarrasser le monde.
[1] Ce chapitre me donne l’occasion de préciser dans quelles conditions ces billets ont été publiés. Le général, atteint par la limite d’âge au début de l’année 1915, a dû arrêter sa carrière militaire. Il a écrit chaque semaine, dans un journal de Marseille, La France de Demain, un article sous la rubrique « Billet d’un mutilé ». Ces billets ont été regroupés sous le titre Causeries & Souvenirs, 1914-1915, et publiés à Paris en 1916. Le livre est précédé d’une préface de Gabriel Bonvalot, ancien explorateur en Asie centrale, en Chine et au Tibet (1889-1890), qui, pendant la période qui nous intéresse, est maire de Brienne-le-Château.
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