14-18Hebdo

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Carnets de guerre (Anna Vautrin) – N° 9 - 1er au 13 déc. 1914

 

Anna Vautrin, 48 ans en 1914, née Perrin, a épousé Alexis Vautrin professeur à la Faculté de médecine de Nancy. Anna est la plus jeune des enfants de Constant et Marie-Virginie Perrin. Elle a un frère Paul et quatre sœurs : Clémentine Cuny, Mathilde Perrin de Thiéfosse, Caroline Garnier et Célina Boucher. Alexis et Anna Vautrin ont quatre filles : Suzanne épouse de Paul Boucher, Madeleine épouse d’Edouard Michaut, Marguerite et Yvonne. Ils habitent à Nancy, cours Léopold, et ont une maison au bord du lac de Gérardmer, « les Roseaux ».

Document transmis par Renaud Seynave, son arrière-petit-fils  01/12/2014

 

1913 Famille Vautrin 2.jpgLes 4 générations de la famille Vautrin en 1913 à Nancy.

Premier plan : Alexis, Mme Vautrin, Anna Vautrin avec leur petite fille Annette Boucher

Second plan, de gauche à droite : Yvonne, Madeleine et Edouard Michaut, Marguerite, Paul et Suzanne Boucher.

 

Mardi 1er décembre 1914

Je pars de Gérardmer pour Docelles car, pour revenir à Nancy, il faut mettre une journée en chemin de fer. Je reste à Docelles jusqu’à 2 heures. Célina vient me conduire à Epinal en auto. Nous sommes arrêtées plusieurs fois par les sentinelles. En approchant d’Epinal, nous voyons tous les fils de fer barbelés qui entourent les forts. A Epinal, je prends le train pour Nancy où j’arrive à 7 heures du soir.

Mercredi 2 décembre 1914 à Nancy

Edouard écrit du Nord « De temps en temps Ypres est bombardé, les habitants se réfugient dans les caves. Hier soir à 9h30 en l’honneur de Ste Barbe patronne des Artilleurs, toutes les artilleries ont ouvert un feu d’enfer de 2 minutes ».

Je vois à un enterrement à Nancy Mr Mangin avocat qui fait office de pompier. Il est en costume de pompier avec la pelle à la ceinture.

Nous apprenons que Georges Cuny vient d’être transporté à Meudon dans une ambulance près de Paris. Mimie a pu aller le voir. Il est très bien et, aussitôt guéri, il retournera au feu. Il est proposé pour la légion d’Honneur.

Je vais voir Mme Carin nièce de Melle Morand. Elle était à Longwy à la tête d’une ambulance pendant qu’on bombardait la ville. Elle est restée jusque la capitulation. Elle a dû quitter Longwy avec d’autres réfugiés pour le Luxembourg à Pétange. Elle était dans l’ambulance des Récollets. Elle est restée un mois au Luxembourg. Elle voyait passer tous les jours le Kaiser ainsi que le Kronprinz en auto. Le Kaiser est resté un mois dans la ville de Luxembourg et il venait très souvent à Longwy. Il s’est même fait photographier sur les ruines de Longwy. Il logeait à l’ambassade d’Allemagne mais n’y couchait pas car il changeait de place tous les soirs. Son auto était blanche. Le Kaiser paraissait très vieilli et fatigué. Le peuple du Luxembourg aime les Français. Mme Carin me dit qu’on a beaucoup exagéré dans les journaux lorsqu’on a dit que la Grande Duchesse avait mis sa voiture en travers de la route pour empêcher les troupes allemandes d’avancer. Elle a simplement fait payer une indemnité aux Allemands mais elle ne les déteste pas. Il parait qu’elle est même fiancée à un prince allemand et qu’elle venait souvent près de Longwy.

Les industriels de Mont-St-Martin et Villerupt ont payé un million aux Allemands pour qu’ils ne détruisent rien. Mr de Saintignon de Longwy et Mr Dreux de Mont-St-Martin étaient du nombre. Les Allemands ont demandé 1 million aussi pour Longwy.

Les Allemands ont emmené en otage Melle Raty, fille d’un industriel de Longwy, jusqu’à ce qu’on ait payé la rançon. Mme Carin l’a vue revenir en automobile avec des officiers allemands quand la rançon a été payée. Mme Carin a voulu se sauver et quitter le Luxembourg. Elle est partie avec des religieuses dominicaines. On leur avait dit qu’elles pouvaient passer mais en arrivant à la frontière, ce fut impossible. On a dit aux religieuses que si elles pouvaient certifier la nationalité suisse, elles pouvaient partir. Mais Mme Carin étant Française a été obligée de retourner en exil à Pétange. Un officier allemand lui disait « Nous aimons les Français, ce sont les Anglais qui sont la cause de ce qui arrive ».

Le Kaiser a visité les ambulances et a porté des fleurs à des blessés français. Le Kronprinz venait très souvent. Il commandait cette armée et la prise de Longwy qui a été obligé de capituler. Le Kaiser disait à un blessé « Vous êtes de la Champagne mais, étant prisonnier, vous goûterez notre bon vin du Rhin ». Il demandait aux blessés où ils avaient été blessés. « J’admire les blessés français et leur courage ».

Mme Carin au bout d’un mois a pu enfin partir pour la Suisse. Elle a été échangée avec une prisonnière allemande. Elle est passée par Metz, Strasbourg et Bâle avec défense de descendre du train. Quand on sait l’allemand, on est beaucoup mieux vu et les Allemands sont bien plus convenables.

Mr Chatrian que je connais est prisonnier à Strasbourg. Le régime est très sévère. C’est le fils d’Alexandre Chatrian qui a fait les romans alsaciens avec Mr Emile Erkmann.

Jeudi 3 décembre 1914 à Nancy

Edouard écrit du Nord qu’il n’y a rien de nouveau et Paul est toujours dans les tranchées près de St Dié.

A Sedan, on a payé 800 000 francs de rançon aux Allemands. Madame Sadoul de Sedan me racontait qu’il y avait deux institutrices allemandes de Sedan qui étaient espionnes, car elles sont revenues pendant la guerre avec des officiers allemands et leur ont indiqué les grosses fortunes. Mr Aubertin, père d’Odette a été emmené en otage.

Vendredi 4 décembre 1914 à Nancy

Pendant l’occupation allemande à St Dié, Melle Marcelle Ferry la nièce de Jules Ferry avait trois vaches. Deux vaches ont été réquisitionnées par les Allemands mais elle avait caché la troisième à la cave. Les Allemands ont entendu la vache et ont voulu fusiller Melle Ferry. Elle s’est mise à crier « Vous aurez une grande gloire de fusiller une vieille femme ». Les Allemands ont admiré son courage et Melle Ferry leur a répondu « Nous sommes toutes comme cela dans l’Est ».

Samedi 5 décembre 1914

Nous apprenons une bien triste nouvelle. Notre pauvre mère de 88 ans qui était restée à Gercourt pendant la guerre a été emmenée en otage avec plusieurs personnes de son village par les Allemands à Saulnes près de Longwy. Là elle a été recueillie chez un médecin français Mr Arnoult. Elle a été très bien soignée mais arrivée à Saulnes le 2 novembre, elle est morte le 7 novembre d’une pneumonie.

De son voyage de la Meuse à Saulnes, ville à la frontière du Luxembourg, nous n’avons pas de détails puisqu’on ne peut pas communiquer, le pays étant envahi par les Allemands. Quelle triste fin, elle passait tous les ans trois mois avec nous à Nancy. Il a fallu qu’elle se trouve à Gercourt au moment de l’invasion des Allemands.

Je suis allée voir ici deux religieuses de la doctrine qui était de Montfaucon au mois d’août au moment de la déclaration de guerre. Elles m’ont dit que le 27 août a eu lieu le bombardement de Consenvoye et le 29 août a commencé le bombardement de Gercourt. Le 31 août, les Allemands ont passé la Meuse entre Vilosnes et Dannevoux. Les Allemands sont entrés dans Montfaucon et nos soldats sont partis en retraite vers Varennes. Les sœurs m’ont dit qu’elles ont suivi nos soldats et l’artillerie. Les Allemands ont bombardé Gercourt.

Albert Vautrin (Frère d’Alexis Vautrin, officier de carrière, est chef de bataillon au 76e RI) était allé le 23 août à Gercourt pour envoyer Grand-mère chez nous à Nancy, mais on ne délivrait plus de passeport et toutes les communications étaient coupées avec Nancy.

 

1905 Mme Vautrin et ses petites-filles.jpg

Madame Vautrin avec ses quatre petites filles en 1905

De gauche à droite : Madeleine 1892, Yvonne 1897, Suzanne 1890, Mme Vautrin, Marguerite 1895

Dimanche 6 décembre 1914

Rien de nouveau dans le Nord. C’est la fête de St Nicolas. L’année dernière, on était si heureux et St Nicolas était venu chez Camille Biesse en personne. Annette avait eu des jouets et Camille Biesse qui faisait St Nicolas avait dit à Annette qu’il ne fallait plus sucer son pouce.

Cette année de guerre, on ne pense guère à St Nicolas !

Nous apprenons que Madame Picart de Vigneulles a été brûlée dans sa maison. Elle s’était réfugiée dans la sa cave avec son fils car on bombardait Vigneulles. Son autre fils qui habite Montmédy a vu ses deux filles emmenées en otage en Allemagne. Mr Picart est forestier et il est un bon ami d’Alexis. Quelle peine !

Je vois à la gare un train qui part vers Paris. Il y a des jeunes gens de 18 ans qui chantent et qui nous font au revoir. Pauvres enfants !

Alexis reçoit des blessés de Commercy où ils sont très mal soignés. Un pharmacien de Reims est venu le voir. Il lui disait qu’il y avait de grandes ruines et que sur 120 000 habitants, il ne reste plus que 10 000.

Mme Bolsin que je rencontre me dit que son père qui est à Fresnes-en-Woëvre a été emmené en otage pendant deux jours parce qu’il est maire. Il a 86 ans. Son beau-frère a aussi été emmené en otage en Allemagne comme prisonnier et son fils âgé de 20 ans vient d’être tué dans le Nord. Quelle famille éprouvée !

A l’ambulance des Beaux-arts les blessés ont parait-il mis sur la table leurs képis alignés pour que St Nicolas y dépose quelque chose dans la nuit.

Lundi 7 décembre 1914

Rien de nouveau dans le Nord, l’artillerie est toujours vers la Belgique.

Georges Boucher vient de quitter l’ambulance de Schwerin dans le Mecklembourg pour être envoyé dans le Hanovre comme prisonnier. Nous apprenons par Mme Rullier que son fils vient d’être blessé par une balle française. Il allait comme sentinelle voir ce qui se passait quand nos soldats dans la nuit l’ont pris pour un Allemand mais il s’est couché par terre. Nos soldats croyant toujours avoir affaire à un Allemand l’ont blessé de nouveau de sorte qu’il a été grièvement blessé. C’est terrible d’être blessé d’une balle française.

Mardi 8 décembre 1914

Edouard écrit du Nord. « Hier, j’ai été à Ypres et pendant que je me promenais, quelques sifflements st éclatements d’obus se sont faits entendre. Une minute d’affolement dans la rue et tout le monde a repris tranquillement sa marche et ses occupations.

Rien de nouveau ici.

Mercredi 9, Jeudi 10 et vendredi 11 décembre 1914

Rien de nouveau à Nancy. On entend de temps en temps le canon mais il n’y a pas de blessés.

Samedi 12 décembre 1914

Edouard écrit du Nord qu’il a déjeuné avec Camille Biesse à l’état-major dans un beau château où il y a dix enfants. Il y a un dortoir pour les dix enfants et un dortoir pour les officiers de l’état-major.

Il a déjeuné à la table du général Balfourier qui lui a beaucoup parlé de Baccarat.

(Note de Renaud Seynave : Le Général Balfourier fut chef de la 11e division du 1er novembre 1913 au 29 août 1914, puis à la tête du 20e corps dit le « Corps de fer », du 29 août 1914 au 17 septembre 1916, et enfin chef du 36e corps. Durant la Première Guerre mondiale, il s'est distingué devant Nancy et à la bataille de Verdun.)

Il y avait aussi le Capitaine Sérot et Pierre Gérard.

Dimanche 13 décembre 1914

Paul est toujours près de St Dié dans les tranchées. Il ne se passe rien de nouveau. Les Allemands bombardent de temps en temps la ville de St Dié et envoient des obus sur les tranchées françaises. Edouard écrit du Nord « Il n’est plus question de départ du 20ème corps. Deux corps d’armées viennent de s’embarquer on ne sait pas où ils se rendaient. Près de la position qu’occupent nos batteries se trouve au milieu de la route un trou d’obus fantastique. Le trou a toute la largeur de la route et les gros arbres de chaque côté ont été déracinés. L’artillerie allemande n’est pas partie. Ils ont encore beaucoup tiré hier soir ».

A suivre…



05/12/2014
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