14-18Hebdo

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Carnets de guerre (Anna Vautrin) – N° 46 - 23 au 29 août 1915

 

Nous prenons une auto et nous partons à Vichy pour voir mon beau-frère Albert qui a été blessé si grièvement qu’il est paralysé…

 

1913 Famille Vautrin 2 NEW.jpgYvonne Vautrin, Madeleine et Edouard Michaut, Marguerite Vautrin, Paul et Suzanne Boucher

Alexis Vautrin et Annette Boucher, Marguerite et Anna Vautrin

Dernière photo avec Grand-mère Vautrin prise en 1914 à Nancy

 

Document transmis par Renaud Seynave, son arrière-petit-fils - 16/07/2015

 

Lundi 23 août 1915

J’ai vu aujourd’hui une vipère qu’un monsieur avait trouvée en se promenant. C’est très rare au Mt Dore. On nous donne souvent à l’hôtel des petites écrevisses qu’on pèche dans les ruisseaux aux environs du Mt Dore.

La monnaie est toujours très rare. Dans tous les magasins on refuse même de nous vendre si nous n’avons pas de monnaie.

Mardi 24 août 1915

Je vais à pied dans la montagne. J’entre dans les fermes, c’est toujours le même intérieur en Auvergne. Une seule grande chambre, d’un côté les lits à wagons, généralement 4 lits. C’est le même genre que les lits bretons, entourés de bois et de rideaux. Devant les lits, il y a des coffres pour ranger les vêtements. On se met debout sur les coffres pour faire les lits. Aux poutres pendent le lard et des paniers. Les enfants sont couchés dans de petits berceaux et liés avec des bandes après le berceau. Les femmes bercent les enfants toute la journée. Les petites maisons sont couvertes de chaume. Cette année, tous les hommes sont partis à la guerre. Les femmes sont seules et s’occupent des vaches et des champs.

Mercredi 25 août 1915

Nous prenons une auto et nous partons à Vichy pour voir mon beau-frère Albert qui a été blessé si grièvement qu’il est paralysé.

Note de RS : Albert, frère cadet d’Alexis né en 1866, il rentre à Saint Cyr, officier d’active pendant la guerre. Il est blessé grièvement à Vauquois par une explosion.

Il est dans un hôpital à Vichy. Nous passons par Clermont, Royat, Riom et Vichy. Nous mettons 3 heures et demie. Albert a eu beaucoup d’émotions en nous voyant. C’est la première fois qu’il revoyait Alexis depuis le début de la guerre et surtout depuis la mort de notre pauvre mère emmenée par les barbares. Ils ont pleuré ensemble. Alexis espère une petite amélioration dans son état. Il pourra peut être se servir de cannes pour marcher mais plus tard. Le pauvre garçon était bien émotionné en nous voyant partir.

Albert nous a raconté tous ses mois depuis le début de la guerre.

Vers le 28 août 1914 il est venu trouver Grand-mère à Gercourt et l’a suppliée de partir car il craignait que les Allemands arrivent dans le pays. Au commencement d’août il avait commencé par aller à Longwy, il avait assisté à la capitulation de Longwy. Ils avaient dû battre en retraite quand les Allemands sont arrivés. A Damvillers qui est à 12 km de Gercourt, Albert a demandé la permission d’aller à cheval pour voir sa mère. C’est à ce moment là qu’il a supplié Grand-mère de partir pour Nancy. Elle lui a promis !

De Damvillers, ils ont passé la Meuse pour se rendre à Montfaucon et à Vauquois mais la retraite commençait dans le désordre. Un seul pont restait debout près de Damvillers. Tous les autres avaient été faits sauter par les Français. Alors commença une retraite épouvantable. Sur ce seul pont voulaient passer l’artillerie, la cavalerie et l’infanterie ! Tout le monde se poussait et s’enfuyait pour échapper aux Allemands qu’on voyait arriver derrière et qui formaient une espèce d’encerclement pour attraper nos soldats. C’était affreux parait-il.

Les Allemands derrière les Français reconstruisaient immédiatement les ponts sur la Meuse pour passer et poursuivre les Français. A Dannevoux près de Gercourt les habitants demandaient ce qu’il fallait faire à Albert. Il leur conseillait de partir au plus tôt mais c’était déjà trop tard. Beaucoup de civils ont été faits prisonniers et envoyés en Allemagne. Parmi les prisonniers, il y avait certains de nos cousins. Les Allemands pendaient aux arbres des civils. On voyait des cadavres dans ce petit village de Dannevoux que nous connaissons si bien.

Les Français sont passés par Montfaucon et Vauquois, là il y a un grand combat. Albert a été blessé d’un éclat d’obus à la jambe. Il n’a pas voulu se faire évacuer et il est resté 3 semaines blessé dans la tranchée. Aussitôt guéri il est allé autour de Paris où on se battait furieusement. Il combattait toujours à côté des Garibaldiens qui se battaient pour la France en Argonne. Albert était avec le colonel Garibaldi lorsque celui-ci a commandé de faire l’attaque. Albert qui est commandant est sorti de la tranchée avec ses hommes et il a été projeté en l’air à plusieurs mètres ainsi que 50 de ses hommes. C’était une mine allemande qui sautait. Les Allemands avaient préparé cette mine et y travaillaient sous la terre depuis longtemps. Beaucoup de ses soldats ont été tués. Son cycliste a couru comme un fou pendant 5 km sans qu’on puisse l’arrêter.

Albert a été relevé sans connaissance. Il était recouvert de la terre de la tranchée. C’était horrible ! Pendant deux mois, il n’a pas retrouvé ses facultés. C’était une commotion très forte qui l’avait paralysé d’un côté. Il n’avait aucune blessure mais il ne se rappelait plus de rien. Il a été ensuite transporté dans un hôpital de Vichy où nous l’avons vu. Il avait eu cette commotion et cet affreux accident à la fin de septembre 1914. Il est en traitement depuis ce moment là.

Albert nous a encore raconté que lorsqu’il était à Dannevoux, petit village à 3 km de Gercourt, il n’avait même pas pu aller à Gercourt car les Allemands s’en approchaient. Albert a vu brûler Drillancourt, petit hameau à 1 km de Gercourt. Un commandant de ses amis lui a dit qu’il avait ses batteries dans les champs qui sont au-dessus de la maison de Grand-mère entre Drillancourt et Gercourt. Les batteries allemandes étaient dans le village de Gercourt, il y en avait dans le jardin et devant la maison de Grand-mère. Les Allemands avaient placé des mitrailleuses dans le clocher de Gercourt. Tout doit être détruit dans le village. Si ce n’est pas par les Allemands, cela doit être par les Français. Quelle peine nous allons avoir de retrouver notre village et la maison de notre chère Grand-mère complètement détruite. Puissions-nous retrouver quelques souvenirs lorsque nous pourrons retourner au village lorsque les Allemands n’y seront plus car ils y sont toujours depuis le 1er septembre 1914. Cela fait un an qu’ils occupent le village.

Nous avons quitté Albert à 4 heures. Il pleurait en nous voyant partir, le pauvre garçon avait bien de la peine de se sentir si seul.

Nous avons vu à Vichy les sources. Tous les beaux hôtels sont réquisitionnés pour les blessés. On ne voit que des soldats aux fenêtres. Vichy est une ville très mondaine. Le casino est superbe, le parc très beau, il y a des fleurs partout, les magasins sont aussi beaux qu’à Paris. On ne se croirait pas en guerre s’il n’y avait pas autant de blessés convalescents qu’on rencontre. Nous avons même vu dans le parc un blessé amputé d’un bras qui conduisait la voiture avec un amputé d’une jambe. Cela faisait de la peine !

De Vichy au Mont Dore, nous sommes passés par Châtel-Guyon. Nous avons visité l’établissement d’eau très bien aménagé et très propre. Châtel-Guyon est la station pour les maladies de l’intestin. De Châtel-Guyon à Riom le paysage est absolument comme l’Alsace du côté de Ribeauvillé. On monte à travers les vignes, on croirait qu’on monte au Haut-Koenigsbourg. On voit même une tour qui ressemble à la ruine d’un des châteaux de Ribeauvillé près des Trois-Epis. Nous revenons par la Bourboule en passant par la montagne et voyons de nombreux cratères qui ont encore sur leur pente de la lave en scories. On croirait qu’elle vient de couler il y a seulement quelques années. C’est superbe. Nous revenons le soir au clair de lune car le chauffeur ne peut pas allumer les phares. C’est merveilleux, on passe dans des défilés terribles. On contourne toute la montagne. On voit au clair de lune des ombres fantastiques. Cela est très impressionnant. On passe à côté du lac de Guéry éclairé par la lune, c’est superbe. Nous rentrons au Mont Dore bien tristement impressionnés par la visite à notre pauvre beau-frère.

Jeudi 26 août 1915

Nous faisons aujourd’hui une promenade en voiture avec Monsieur Berweiller et sa fille qui font aussi une saison au Mont Dore. Nous visitons deux petits villages et nous revenons par la Bourboule.

Vendredi 27 août 1915

Nous partons à 9 heures du matin du Mt Dore pour Paris où nous devons arriver le soir à 7h sans changer de train. Nous passons à La Bourboule, Laqueuille. Entre Laqueuille et Montluçon nous apercevons un grand asile d’aliénés. Nous apercevons du train des promenoirs couverts et tout grillagés et nous voyons les pauvres aliénés se promener dans ces cages. Il y en a même qui sont grimpés entre les barreaux. C’est triste au possible. Nous passons à Bourges, Orléans et Paris gare d’Orsay.

Nous descendons à l’hôtel du quai d’Orsay dans la gare même.

Samedi 28 août 1915

Nous prenons le train à Paris de midi qui nous amène à Nancy à 6h du soir. Passons à Meaux où on voit le pont détruit par les Allemands au moment de la bataille de la Marne. Nous apercevons les ruines de Revigny, village détruit au moment de la victoire de la Marne en septembre 1914. A Revigny nous apercevons un cantonnement d’artilleurs. Il y a de gros canons et beaucoup de caissons. En revenant à Nancy, nous apprenons par Madeleine qu’Edouard était à Revigny dans le cantonnement et qu’il était parmi les artilleurs que nous avons vus. Le XXème corps est parti hier de Lunéville et sa 1ère étape était Revigny.

Dimanche 29 août 1915

Nancy est bien calme, beaucoup de personnes sont parties. Rien de nouveau.

A suivre…



21/08/2015
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