14-18Hebdo

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Carnets de guerre (Anna Vautrin) – N° 25 - 29 mars au 4 avril 1915

 

Anna Vautrin, 48 ans en 1914, née Perrin, a épousé Alexis Vautrin professeur à la Faculté de médecine de Nancy. Alexis et Anna Vautrin habitent à Nancy, cours Léopold, et ont une maison au bord du lac de Gérardmer, « les Roseaux ». Ils ont quatre filles : Suzanne épouse de Paul Boucher qui ont deux enfants : Annette et Jean, Madeleine épouse d’Edouard Michaut qui ont une petite Colette, enfin Marguerite et Yvonne.

 

Samedi 3 avril 1915 : Anna Vautrin et sa fille Yvonne vont à Gerbéviller, village en ruine. Elles rencontrent Sœur Julie, une héroïne...

Document transmis par Renaud Seynave, son arrière-petit-fils - 25/03/2015

 

1915 Alexis Vautrin avec Yvonne et Marguerite.jpgYvonne, Marguerite et leur père Alexis Vautrin

Lundi 29 mars 1915

Nos aviateurs ont jeté des bombes sur le hangar d’aviation de Metz à Frescaty où se trouvent les zeppelins. Ils ont jeté aussi des bombes sur la gare de Conflans-en-Jarnisy et à Strasbourg. Un avion est encore venu sur Nancy ce matin et a jeté une bombe près de Malzéville.

J’ai rencontré Madame Lambert de Colmar. Elle me dit qu’à Colmar, les habitants n’ont que 100 grammes de pain par jour. C’est bien peu. Madame Lanique qui vient de Lausanne pour passer quelques jours à Nancy me dit qu’à la frontière française, on lui a pris tous les journaux allemands qu’elle me rapportait ainsi que les lettres pour des amis. On est très sévère. Une dame de Nancy a été forcée de se déshabiller complètement. On serait très puni si on essayait de passer des lettres.

Les avions ont encore bombardé Pont-à-Mousson et fait tomber de nombreuses fléchettes.

Suzanne est toujours à Gérardmer. Elle m’écrit que dimanche des avions ont jeté 14 bombes sur Gérardmer. Une d’elles a tué un alpin. Vendredi, un avion est venu et a jeté deux bombes, une devant l’hôtel de la Poste. Elle a blessé 4 soldats et tué deux soldats. Il ne reste plus une vitre à l’hôtel de la Poste. L’autre bombe est tombée sur un hangar de chez Pickler qui a été tout à fait démoli.

Mardi 30 mars 1915

Suzanne m’écrit de Gérardmer que Paul est à l’endroit où l’on se bat le plus en Alsace. C’est son régiment qui a pris l’Hartmannswillerkopf. Ils ont fait 150 prisonniers. Il y a eu plusieurs officiers tués dans son bataillon. On se bat beaucoup en Alsace en ce moment. Ici, c’est assez calme, on n’entend pas le canon aujourd’hui mais dimanche dans la nuit, on l’entendait très fortement.

(Note de Renaud Seynave : le 26 mars 1915, il y eut pour le 152e RI, 67 tués dont 2 officiers et 170 blessés dont 1 officier.)

Mercredi 31 mars 1915

Alexis a reçu aujourd’hui deux blessés du Bois Le Prêtre où l’on se bat toujours furieusement. L’un avait la moitié de la figure emportée par une grenade car les tranchées étaient si près l’une de l’autre qu’on se battait à coups de grenade. Rien de nouveau à Nancy. Nous avons beaucoup de passage de troupes.

 

1914 Hopital de guerre Nancy Episode 25.jpgHôpital de guerre à Nancy en août 1914

Jeudi 1er avril 1915

Nous voyons sur le journal que nos soldats viennent de prendre en Alsace, près de Thann, l’Hartmannswillerkopf. C’est le régiment de Paul qui l’a pris et par conséquent le 152ème de Gérardmer. Ils en sont très fiers car les alpins n’avaient pas pu le prendre.

Note de Renaud Seynave : le 7e bataillon de chasseurs alpins était présent ainsi que l’artillerie.

Les tranchées étaient si près l’une de l’autre que nos soldats entendaient parler les Allemands. Le 152e a fait 140 blessés. Il y a eu 700 morts du côté allemand. C’est un beau fait d’armes car les Allemands ne pensaient jamais qu’on pourrait prendre cette position !

Suzanne reste toujours à Gérardmer avec Annette. On a entendu un peu le canon aujourd’hui.

 

1915 Sommet Hartmannswillerkopf Episode 25.jpgSommet de l’Hartmannswillerkopf en juin 1915             

Vendredi 2 avril 1915

Je vais à l’hôpital et à l’ambulance des Beaux-arts pour donner à chacun 100 francs pour acheter quelque chose aux blessés le jour de Pâques.

Nous voyons sur l’Officiel que notre neveu Biesse est nommé lieutenant-colonel.

Gogo rencontre un officier anglais qui demandait la route. Elle lui a répondu en anglais de sorte qu’ils ont fait une petite conversation en anglais.

Samedi 3 avril 1915

Hier à 9h30, un agent est venu sonner à la maison pour nous avertir qu’il faut fermer nos lumières à cause des zeppelins. Nous n’allumons que très peu.

Je pars aujourd’hui avec Yvonne à 10h pour aller à Gerbéviller voir les ruines de ce pauvre village. Nous passons à Blainville où il faut montrer nos laissez-passer. Puis à Mont, il faut faire 1km pour aller retrouver le train de Gerbéviller car les Français ont fait sauté le grand pont de la Meurthe quand les Allemands sont venus à Blainville. On traverse Mont, il y a beaucoup de maisons abimées par les obus. Nous voyons de grands trous dans les murs, le clocher de l’église est complètement percé, tous les vitraux brisés. On monte dans le petit train de Gerbéviller où l’on arrive à 1h30. En arrivant, on ne se doute pas de toutes les ruines que nous allons voir. La gare n’a rien, les maisons autour de la gare ont peu souffert.

Nous allons tout de suite à l’hôpital où est Sœur Julie de la congrégation des sœurs de St Charles qui a tenu tête à l’officier allemand quand celui-ci a voulu tuer un blessé. Elle est très contente de nous voir parce que mon mari a opéré sa sœur, il y a 10 ans, et il l’a sauvée. Elle nous fait voir tout l’hôpital, la salle et le lit où l’officier allemand s’est approché du blessé voulant l’achever avec un couteau. Sœur Julie s’est mise devant lui en disant à l’officier allemand : « Les blessés sont sacrés, on ne doit pas y toucher, vous ne leur ferez pas de mal. ». L’officier allemand lui a répondu « Nous ne sommes pas des barbares. »

 

1915 Soeur Julie Episode 25.jpg

  

Note de Renaud Seynave à propos de Sœur Julie : le 24 août 1914, elle a accueilli mille villageois, soigné et nourri les soldats de passage et tenu l'hospice qui fut l'un des rares bâtiments à résister à la destruction de la ville. Elle reçut de nombreux hommages avec entre autres une citation à l'ordre de l'Armée]et la Légion d’honneur. Le 29 novembre 1914, Raymond Poincaré prit la croix de la Légion d'honneur d'un de ses suivants pour l'agrafer sur la poitrine de Sœur Julie, alors la supérieure du couvent abritant un hospice.

 

Voyez dit Sœur Julie ce que font vos soldats, ils incendient notre village. L’officier allemand a levé les couvertures de plusieurs soldats pour voir s’il n’y avait pas d’armes cachées puis il est parti en ordonnant à ses soldats d’épargner l’hôpital et les maisons autour.

Nous visitons Gerbéviller. C’est affreux, c’est un second Pompéi. Toute une rue est complètement détruite, on ne voit que des ruines. Le château Lambertye qui contenait des œuvres d’art n’est plus qu’une ruine. La chapelle vis-à-vis est détruite. La place centrale est aussi complètement brûlée. La maison de Monsieur Noël est sans toit. C’est affreux !

 

1915 Gerbeviller Episode 25.jpg

Gerbéviller : La poste et la rue de la Poste après les destructions de la 1ère guerre mondiale

  

Nous allons voir le champ de bataille tout près de Gerbéviller, le Falanzé. Il y a là une tombe où sont enterrés 500 soldats. Il y a quelques Allemands enterrés dans les prés. A Gerbéviller, dans une maison en ruine, le propriétaire et sa femme ont été ensevelis sous les décombres. Le curé de Gerbéviller a été emmené en Allemagne avec plusieurs otages.

Nous allons à pied de Gerbéviller à Moyen. C’est là qu’a eu lieu la grande bataille. D’un côté les Allemands et de l’autre côté de la route les Français. Nous retrouvons une douzaine d’obus français et quelques tranchées. Il parait qu’on a ramené à Gerbéviller deux voitures de balles allemandes. Sœur Julie me donne plusieurs balles qu’on a trouvées dans son jardin.

Le prince de Galles est venu la voir et il n’y a pas longtemps le roi d’Angleterre est venu à Gerbéviller tout à fait incognito. On l’a reconnu parce que les officiers qui l’accompagnaient avaient beaucoup de déférence pour lui. Il a serré la main de Sœur Julie et lui a donné une bonne somme pour ses pauvres.

Entre Gerbéviller et Moyen, nous voyons beaucoup de croix dans les champs. Il y a deux grandes tombes et plus loin une très grande tombe assez loin dans les champs. C’est là que Maurice Barrés a assisté à la messe. Nous arrivons à Moyen, petit village à 4 km. Moyen n’a eu aucune maison brûlée et cependant les Allemands y sont restés 20 jours. Mais ils ont détruit Gerbéviller parce que les chasseurs ont tiré sur eux quand ils arrivaient.

Nous rentrons à Nancy à 7 heures du soir bien tristes de ce que nous avons vu.

Dimanche 4 avril 1915

Rien de nouveau, on se bat toujours beaucoup dans le Bois Le Prêtre et nous entendons de temps en temps le canon.

A suivre…



27/03/2015
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