Carnets de guerre (Anna Vautrin) – N° 23 - 15 au 21 mars 1915
Anna Vautrin, 48 ans en 1914, née Perrin, a épousé Alexis Vautrin professeur à la Faculté de médecine de Nancy. Alexis et Anna Vautrin habitent à Nancy, cours Léopold, et ont une maison au bord du lac de Gérardmer, « les Roseaux ». Ils ont quatre filles : Suzanne épouse de Paul Boucher qui ont deux enfants : Annette et Jean, Madeleine épouse d’Edouard Michaut qui ont une petite Colette, enfin Marguerite et Yvonne.
Document transmis par Renaud Seynave, son arrière-petit-fils - 11/03/2015
Alexis et Anna Vautrin en 1910
Lundi 15 mars 1915
Edouard écrit du nord « Les tranchées de 1ère ligne se trouvent à 200 mètres des Allemands. C’est là que se trouve le poste d’observation, à 3 km en avant des batteries. Il faut faire vite et bien car cela est très difficile d’observer où tombent les coups. Il faut faire vite quand on a entendu passer l’obus au dessus de sa tête pour regarder où il tombe et rectifier le tir. On ne peut pas retrouver l’artillerie allemande. »
On entend le canon.
Mon mari a demandé au général la médaille militaire pour un blessé de l’ambulance des Beaux-arts qui a eu un bras arraché, un éclat d’obus dans l’autre bras et une jambe cassée par un obus, avec cela un courage extraordinaire. C’est un Vendéen.
Le lieutenant allemand qui était à la clinique est toujours à l’hôpital militaire mais il partira bientôt pour le centre de la France.
Mardi 16 mars 1915
Le canon tonne très fort aujourd’hui. On nous dit que c’est dans la forêt de Parroy près de Lunéville. Le général est venu à l’ambulance aujourd’hui pour décorer plusieurs blessés de la médaille militaire. Un blessé a été presque décapité et mon mari a pu le sauver.
Mercredi 17 mars 1915
On apprend à Suzanne qu’un entrepreneur a évalué les dégâts de la bombe tombée d’un aéroplane sur sa maison de Gérardmer. On les a évalués à 800 francs.
Aujourd’hui à 4 heures, un taube est venu sur Nancy. Nos canons l’ont chassé. Le canon tonne de plus en plus. On voit plusieurs aéroplanes français qui sont tous blindés. Ils sont comme de l’argent au soleil. On nous dit que le canon vient du Bois-Le-Prêtre près de Pont-à-Mousson. On se bat toujours beaucoup. Hier les Allemands nous ont pris 4 tranchées.
Je rencontre le docteur Rohmer et je lui demande des nouvelles de toute sa famille. Son fils Jean qui a 18 ans vient de s’embarquer à Bizerte en Tunisie pour les Dardanelles.
Son gendre, Monsieur Fenal est toujours prisonnier à Ingolstadt depuis la prise du fort de Manonviller. Il ne reçoit pas les paquets et il a écrit à sa femme cette phrase « Si vous ne manquez de rien, envoyez-moi de quoi manger. » Il parait que 6 prisonniers qui étaient avec lui à Ingolstadt ont voulu s’évader, il y a 8 jours. On les a repris à la frontière et pour cela on a changé 140 prisonniers du camp d’Ingolstadt dans un autre camp. C’est un camp en Allemagne réputé pour être très sévère. On avait envoyé à M. Fenal des habits militaires qu’il n’a jamais reçus. M. Rohmer me dit que ces jours derniers, l’usine de M. Fenal de Badonviller vient d’être brûlée par les obus.
Il parait que nous avons à Badonviller les troupes du midi et que les Allemands font des attaques continuelles.
Yvonne a reçu aujourd’hui une carte de Georges Boucher, prisonnier en Allemagne, à Osnabrück dans le Hanovre depuis fin octobre. La carte a mis 33 jours pour arriver. Il dit qu’on lui permet d’écrire une carte par semaine et une lettre de deux pages à sa mère par mois. Il ne souffre pas de la faim car il lui est permis d’acheter à la cantine du pain K et des saucisses. Il fait de la gymnastique pour remplacer l’exercice physique qu’il ne peut pas faire. Ils doivent tourner autour du camp ½ heure par jour. Les pauvres prisonniers doivent être bien privés surtout ceux qui étaient habitués à marcher beaucoup.
Jeudi 18 mars 1915
Mme Michaut qui est venue nous voir nous dit que la maison de campagne d’Adrien Michaut vient d’être brûlée et qu’on se bat beaucoup à Thiaville, à quelques kilomètres de Baccarat.
Edouard a envoyé aujourd’hui un morceau d’obus qui est tombé à côté de lui. C’est un morceau de fonte très déchiqueté de la grandeur d’une pièce de 10 centimes.
Il y a en ce moment à l’hôpital civil un jeune Saint-Cyrien blessé qui a 18 ans et qui est décoré de la Légion d’honneur. Il est si timide qu’il n’ose pas porter sa décoration parce qu’il dit que tout le monde le regarderait !
Ce matin, il y a eu deux taubes qui sont venus sur Nancy à 8 heures du matin. Nos canons de 75 les ont faits fuir. Ils n’ont pas pu jeter de bombes.
Alexis nous dit qu’il a reçu du Bois-Le-Prêtre, près de Pont-à-Mousson où l’on se bat furieusement, 7 blessés dont un avait les deux jambes coupées. C’est affreux !
Vendredi 19 mars 1915
Hier soir à 11 heures, le canon a tonné très fort. Il y a eu surtout quatre coups qui ont été si forts que l’on croyait que c’était tout près. C’était parait-il un zeppelin qui tentait de venir sur Nancy. On l’a arrêté près de Pont-à-Mousson. Il y a encore un taube qui est venu sur Nancy mais on l’a canonné et il a dû fuir.
Samedi 20 mars 1915
Nous avons eu à 8h du matin un taube qui a jeté deux bombes sur la gare St Georges. On lui a fait la chasse. Décidemment les taubes viennent tous les jours. On commence par s’y habituer. Edouard écrit du nord « Je suis à mon poste d’observation. Tout est calme, des coups de fusil de temps en temps. Il ne faudrait pas sortir la tête plusieurs minutes pour examiner les tranchées des Boches à la jumelle. On recevrait vite une balle. Les tranchées sont à peu près à 150 mètres mais juste devant, ils ont construit un boyau qui arrive à peine à 60 mètres de nos lignes. On a même tiré dessus pendant qu’ils y travaillaient car nos canons sont pointés sur leurs tranchées. La nuit, on ne peut rien observer. Il suffit d’un coup de téléphone de l’infanterie et le tir se déclenche. Les tranchées sont assez confortables mais il faut y marcher plié en deux et cette marche est fatigante. Ces tranchées sont un vrai labyrinthe. Il y a des boyaux de communication dans tous les sens. On s’y perdrait. »
Dimanche 21 mars 1915
Nous avons eu aujourd’hui des nouvelles d’Alfred Grandjean (mari de Marie- Louise Perrin, nièce d’Anna Vautrin) qui est à Briey depuis le commencement de la guerre et retenu par les Allemands. Sa femme a eu des nouvelles de Briey indirectement par une rapatriée. On mange à Briey du pain K (le pain des Allemands). On a de la viande une fois par semaine. Le vin a été bu par les Allemands au mois d’août. On ne trouve plus aujourd’hui une bouteille de vin à Briey. Toutes les maisons vides ont été tout à fait pillées. Les Allemands sont à Briey depuis 7 mois. Ils ont eu le temps de vider les maisons. Ma nièce ne peut pas écrire à son mari à Briey car tout habitant qui reçoit une lettre doit payer une amende.
Mademoiselle Chenut qui revient de Suisse nous raconte qu’elle a vu à Lausanne un échange de grands blessés d’Allemagne. Il y en avait un qui avait les deux jambes et un bras coupés, c’est épouvantable.
A suivre…
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