Carnets de guerre (Anna Vautrin) – N° 19 - 15 au 21 février 1915
Anna Vautrin, 48 ans en 1914, née Perrin, a épousé Alexis Vautrin professeur à la Faculté de médecine de Nancy. Alexis et Anna Vautrin habitent à Nancy, cours Léopold, et ont une maison au bord du lac de Gérardmer, « les Roseaux ». Ils ont quatre filles : Suzanne épouse de Paul Boucher qui ont deux enfants : Annette et Jean, Madeleine épouse d’Edouard Michaut qui ont une petite Colette, enfin Marguerite et Yvonne.
Document transmis par Renaud Seynave, son arrière-petit-fils - 12/02/2015
Famille Vautrin en 1914 à Nancy
Lundi 15 février 1915
Hier soir à 10 heures, on a téléphoné des Beaux-arts qu’il arrivait des blessés très graves toujours du même point de Atton près de Pont-à-Mousson. Alexis est parti aussitôt. Il n’est revenu qu’à deux heures et demie du matin. Il y avait 25 blessés tous très gravement atteints avec des balles dans le ventre. Alexis a fait quatre opérations urgentes. Il est reparti déjà à 7h30 pour l’hôpital car on avait aussi amené des blessés pendant la nuit. Vers 3 heures du matin, nous avons entendu de nombreuses voitures d’artillerie qui passaient cours Léopold devant nos fenêtres. Il y avait des canons et des caissons. Ils se dirigeaient dans la rue de Metz sans doute vers Pont-à-Mousson. On doit se battre beaucoup là-bas. J’ai vu passer ce matin à peu près 15 voitures avec la Croix Rouge qui allaient chercher des blessés.
Mardi 16 février 1915
L’artillerie est encore passée à 1h du matin. Toujours de nombreux blessés arrivent dans les voitures d’ambulance. Il y a eu une très forte attaque cette nuit à 11h au signal du Xon à 3 km de Pont-à-Mousson. Nos soldats se sont laissés surprendre. Il y a eu 20 prisonniers et beaucoup de blessés. Les Allemands avaient amené leurs canons de Metz. L’attaque a été très vive de part et d’autres. Il y a eu beaucoup de morts. Tous les hôpitaux sont pleins de blessés. A l’ambulance des Beaux-arts, on a refusé ce matin 20 blessés. Tout est plein. Alexis en a pour lui seul 200 aux Beaux-arts et 130 à l’hôpital civil, c’est affreux. On voit passer les voitures de blessés pendant la journée et il en arrive aussi beaucoup la nuit. On dit que les Allemands tenteraient encore d’arriver à Nancy. Comme ils ne peuvent pas passer par Champenoux et Amance, ils essaieraient de venir par Pont-à-Mousson. Ils ne rencontreraient que le fort de Frouard qui ne pourrait pas tenir longtemps avec leurs grosses pièces. S’ils pouvaient passer par ce signal et Pont-à-Mousson la route leur serait ouverte. On les repousse. Nous avons vu passer cet après midi des troupes de chasseurs à cheval avec leurs lances. C’était la première fois que j’en voyais depuis la guerre. Des chasseurs à pied sont passés aussi. Il parait que les blessés sont presque tous des chasseurs à pied. Ils sont hachés. Quelle hécatombe ! Les Allemands voyant qu’ils n’ont pas pu prendre Nancy au mois d’août par Amance à cause du Grand Couronné de Nancy qui nous défendait essaient de passer par Pont-à-Mousson mais on les repoussera certainement. Nous entendons le canon qui vient de Pont-à-Mousson.
Mercredi 17 février 1915
C’était hier le Mardi gras ! Hélas pour cette année, ce jour a été bien triste. Les enfants sont allés en classe comme tous les jours et on ne voyait les gens dans les rues que pour voir passer les voitures de blessés. Alexis rentre ce soir à 8h30 pour diner. Il a 250 blessés à voir. Nous voyons passer dans l’après-midi une quarantaine de grosses voitures automobiles qui transportent des soldats sur le front. Pauvres garçons, ils vont remplacer ceux qui sont tombés hier. Ils passent devant la maison et se dirigent vers Pont-à-Mousson.
Je vois dans le journal qu’un taube est passé encore sur Jarménil près de Docelles. Tout est calme en ce moment en Alsace. Paul est toujours près de Thann. Il est venu deux jours en repos à Bitschwiller.
Jeudi 18 février 1915
Nous allons à l’hôpital et nous voyons dans les salles des blessés une infirmière qui apprend à lire à un soldat. C’est un pauvre garçon orphelin de bonne heure dont personne ne s’était jamais occupé. Il commence déjà à épeler. C’était touchant. Tous les hôpitaux sont pleins de blessés toujours du signal du Xon. Il parait que dans la nuit de lundi à mardi à minuit, nous avons été surpris par les Allemands. Pendant trois heures consécutives, les Allemands sont restés à plat-ventre pour qu’on ne les voie pas. Puis plusieurs d’entre eux en rampant un à un sans faire aucun bruit sont allés couper les fils de fer près des tranchées. Quand il y a eu un espace suffisant, tout un bataillon en rang serré, quatre par quatre selon leurs méthodes sont arrivés en masse. D’autres bataillons et régiments les suivaient. Heureusement que nous avions là un canon d’artillerie lourde. Il parait que cela était affreux. Sur une longueur de 60 mètres environ, on voyait les corps d’Allemands s’élever en l’air puis retomber. Comme ils étaient en rang très serré, cela faisait une véritable boucherie. Après cela, nos canons de 75 ont balayé tout le reste. Il y a eu beaucoup de tués du côté Allemand. Nous avons eu des prisonniers et beaucoup de blessés. On a réussi par les empêcher de faire la trouée. C’était ce que voulaient les Allemands.
Une fois la trouée faite, ils prenaient pied sur le signal du Xon qui est un point très important à 3 km de Pont-à-Mousson. De là leurs gros canons qu’ils avaient apportés de Metz bombardaient toute la côte de Ste Geneviève et ils pouvaient très bien entrer à Pont-à-Mousson et de là à Nancy car le fort de Frouard n’aurait pas tenu longtemps.
Le signal de Xon est très disputé par les Allemands et par les Français. Cette hauteur doit rester neutre car aucun ne pourrait s’y maintenir. Si les Allemands y arrivent, nous les bombardons et si ce sont les Français, les Allemands aussi les canonnent. De ce signal nous pourrions bombarder Metz. Aujourd’hui nos soldats ont pu reprendre presque tout le signal à part quelques tranchées mais au prix de combien de morts !
J’ai vu passer aujourd’hui rue St Dizier des camions automobiles portant des canons et des caissons. Il y en avait 5. Ils étaient peints de toutes les couleurs dans les tons très effacés comme une carte géographique. Il parait que c’est pour que les taubes ne les aperçoivent pas en campagne. Cela fait un singulier effet mais cela représentait des arbres et des feuilles et ils avaient été peints parait-il par nos peintres célèbres tels que Friant et Boyer. Ces canons et ces voitures se confondent ainsi avec les arbres en pleine campagne et les taubes ne peuvent pas les apercevoir. On cherche des ruses de toutes sortes pour tromper son ennemi.
Les soldats ne peuvent plus dire dans leurs lettres à quel endroit ils sont. Un officier qui est dans le nord et qui avait écrit à sa famille le lieu de sa résidence a eu dix jours d’arrêt. Le fils de ma femme de ménage en écrivant à ses parents a mis des points sous différentes lettres dans sa lettre et en réunissant ces lettres, ses parents sont arrivés à savoir le village de Belgique où il est en ce moment.
Toute la soirée le canon tonne assez fort. C’est toujours du côté de Pont-à-Mousson.
Vendredi 19 février 1915
Mon mari a eu aujourd’hui des blessés venant toujours du signal de Xon près de Pont-à-Mousson. Il est repris par nos troupes presque au complet. Il n’y a plus que quelques tranchées. Malheureusement mon mari dit qu’il a constaté sur quelques blessés des balles françaises. Ils ont été blessés par nos balles de shrapnels. C’est bien pénible. Comme c’était la nuit, notre artillerie en a blessé quelques-uns par nos obus.
Un taube est arrivé sur Nancy à 9h du matin et a lancé deux bombes rue Vayringe près de l’usine que les Allemands visent toujours. Hier soir à 10h, nous avons entendu le canon très fort. Il n’y a eu que quelques coups. Il parait que c’était un zeppelin qui tentait d’arriver sur Nancy. C’était le fort de Frouard qui le canonnait. C’était ce canon que nous entendions. Les ambulances sont complètes. On amène tous les jours de nombreux blessés. L’ambulance des Beaux-arts est pleine ainsi que le service d’Alexis à l’hôpital. Il revient tous les soirs à 8h pour dîner. Je ne sais comment il peut résister à ces fatigues.
Samedi 20 février 1915
Suzanne reçoit une lettre de Paul d’Alsace. Il va bien et tout est calme pour le moment. Le docteur Louis Spilmann et Mademoiselle … infirmière à l’hôpital militaire viennent d’être atteints de la diphtérie. Ils ont pris cela des soldats qu’ils soignaient. J’ai vu passer des chasseurs à cheval avec leurs lances.
A l’ambulance des Beaux-arts, on amène un blessé qui est resté 4 jours sur le champ de bataille près de Pont-à-Mousson avant qu’on le relève. Les plaies sont infectées. On ne pourra pas le sauver. C’est affreux. Un autre blessé est arrivé avec une horrible blessure. Il avait été blessé très légèrement sur le champ de bataille et, pendant qu’on le relevait et que les brancardiers le mettaient dans la voiture d’ambulance, les Allemands ont tiré sur la voiture. Un brancardier a été tué, un autre blessé et deux blessés qui étaient dans la voiture ont été de nouveau blessés. Ce blessé des Beaux-arts a reçu une balle qui l’a blessé grièvement. Quels sauvages que ces Allemands qui tirent sur les voitures d’ambulances. Ils ne respectent aucune loi de la guerre. Il y a deux jours, les Allemands ont envoyé 1 000 obus sur Pont-à-Mousson. Une femme a été tuée. Ils ont tiré sur l’hôpital. Le Docteur Riboulot est resté à Pont-à-Mousson avec sa femme et sa fille. Ils ne descendent plus dans leur cave mais lorsqu’ils entendent le premier obus, ils se cachent derrière de grosses armoires.
Dimanche 21 février 1915
Edouard écrit du nord qu’il n’y a rien de nouveau. Ils ont été au repos pendant qu’on les vaccinait. Un prêtre a reçu un éclat d’obus à la tête pendant qu’il disait la messe. Il est très grièvement blessé.
A suivre…
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