14-18Hebdo

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Carnets de guerre (Anna Vautrin) – N° 18 - 8 au 14 février 1915

 

Anna Vautrin, 48 ans en 1914, née Perrin, a épousé Alexis Vautrin professeur à la Faculté de médecine de Nancy. Alexis et Anna Vautrin habitent à Nancy, cours Léopold, et ont une maison au bord du lac de Gérardmer, « les Roseaux ». Ils ont quatre filles : Suzanne épouse de Paul Boucher qui ont deux enfants : Annette et Jean, Madeleine épouse d’Edouard Michaut qui ont une petite Colette, enfin Marguerite et Yvonne.

Document transmis par Renaud Seynave, son arrière-petit-fils - 05/02/2015

 

1914 Famille Vautrin Nancy.jpgFamille Vautrin en 1914 à Nancy

 

Lundi 8 février 1915

Edouard écrit du nord : « J’ai diné hier chez le Commandant dans sa petite ferme, à son poste de commandement, et je suis rentré vers 10h par une pluie torrentielle. Le groupe d’artillerie que dirige un commandant se compose de 3 batteries de tir et des caissons de ravitaillement. Ces derniers forment un groupement appelé échelon qui se trouve en général un peu en arrière des batteries. C’est à cet échelon que je dîne et que je couche. Depuis que la ferme a reçu un obus, l’échelon a changé de ferme. On entend faiblement le canon. »

Je reçois une lettre de Docelles dans laquelle ma sœur me dit qu’un taube est passé sur Docelles. Il est resté longtemps sur la forêt de Tannières et sur le fort d’Arches. Il a laissé tomber des bombes sur l’usine de Cheniménil qui n’ont pas fait grand mal. C’est sans doute parce qu’il y a en ce moment un parc d’automobiles de l’armée dans la cour de l’usine. Un taube a lancé aussi plusieurs bombes sur St Dié dont une est tombée près de la gare sur une voiture de maraichers. Il y a eu 4 hommes tués.

Mardi 9 février 1915

Suzanne rentre aujourd’hui à Nancy après presque un mois d’absence. Elle est restée près de Mme Boucher si triste de la mort de François. Elle a pu aller en automobile avec son beau-père en Alsace pour voir Paul qui est toujours près de Thann. Son régiment avait 3 jours de repos à Bitschwiller. Les Allemands bombardent Thann et on entend le canon continuellement en Alsace. Suzanne nous dit combien la lutte a été terrible près de Steinbach. Il a fallu que nos troupes prennent maison par maison. Les Allemands étaient cachés dans les caves. A Thann, on a fait évacuer les civils. Les soldats français marchent sur Cernay qu’ils veulent prendre. Tout le régiment de Paul a été très touché. Sur 250 hommes de sa Cie, il en reste 70. Il dit que les hommes sont admirables. A un moment de l’assaut de Steinbach, il a commandé à un soldat d’aller couper les fils de fer devant la tranchée allemande, il a été tué. Un autre s’est dévoué, il a été également tué. Un troisième s’est présenté. Que de courage pour tous ces hommes. Paul l’a proposé pour la médaille militaire. Cette lutte en Alsace est très meurtrière.

Paul a été cité à l’ordre du jour ainsi que son régiment.

Voici la citation du régiment : « Le 152e RI sous les ordres du chef de bataillon Jacquemot fait preuve d’une vaillance et d’une endurance au dessus de tout éloge en conquérant le village de Steinbach après huit jours de lutte héroïque de jour et de nuit, s’emparant une par une des maisons fortifiées, répétant les assauts au milieu des incendies, se maintenant sous un feu des plus violents dans les tranchées remplies d’eau glacée, infligeant à l’ennemi de lourdes pertes et lui enlevant une mitrailleuse et de nombreux prisonniers ». Signé : Général Putz le 27 janvier 1915. Etat-major

Voici la citation de Paul Boucher : « Lieutenant de réserve Paul Boucher du 152e RI. Une belle conduite au feu pendant l’attaque de Steinbach le 3 janvier. A fait preuve d’une grande énergie morale, ayant eu la veille son frère mortellement blessé à ses côtés. A conduit avec une grande bravoure une charge à la baïonnette qui l’a rendu maitre d’un point d’appui important. » Signé : Général Putz le 27 janvier 1915. Etat-major

Cette citation est très belle et montre le courage et la bravoure de Paul. Ce sera un bel exemple plus tard pour ses enfants.

Quand pourrons-nous avancer en Alsace ? Les Alsaciens sont si heureux de voir arriver nos soldats sur leur sol pour les délivrer du joug allemand qu’ils subissent depuis 1870.

Mercredi 10 février 1915

Nancy est de plus en plus sombre le soir, c’est à peine si on peut se diriger pour rentrer chez soi. Il y a très peu de réverbères allumés, les rues sont très noires à cause des zeppelins. Annette va aux Beaux-arts avec nous pour distribuer des gâteaux aux blessés. On va faire une évacuation de 40 blessés demain.

Une commission de Paris est arrivée à Nancy pour visiter les hôpitaux et les ambulances. Il y a parmi ses membres Monsieur Barthou et le docteur Landouzy. Depuis deux jours l’église St Epvre est ouverte au public. On ne va plus à la messe à la chapelle ronde dont tous les tombeaux et les monuments sont recouverts de sacs de plâtre par peur des zeppelins. Tous les vitraux de St Epvre sont brisés. On a mis du papier à l’intérieur et des volets en bois à l’extérieur. Le vitrail du milieu, donné il y a 30 ans par François-Joseph, empereur d’Autriche, est complètement brisé tandis que le vitrail qui lui fait vis-à-vis et qui représente Napoléon, empereur des Français, n’a eu aucun éclat. C’est triste de voir cette belle église abimée comme cela par les zeppelins.

A Lunéville les habitants sont prévenus qu’ils doivent faire de fortes provisions car il va y avoir des mouvements de troupes considérables. On dit qu’il n’y aura plus qu’un train par jour pour Paris car les trains seront remplis de troupes et d’artillerie. Il y a de gros canons qui sont passés à Nancy. Ce sont de très grosses pièces, ils étaient peints de toutes les couleurs comme des cartes géographiques. Il parait qu’ainsi on ne les aperçoit pas des taubes ni de l’artillerie ennemie.

Jeudi 11 février 1915

C’est aujourd’hui que Colette Michaut a 6 mois. Elle est délicieuse, toute rose et très blonde. C’est bien gentil de voir groupés nos
trois petits-enfants, Annette qui a trois ans et demi, Jeannot a 14 mois et petite Colette. Ils sont bien faciles. Annette apprend ses lettres. Elle est bien contente car j’invite souvent pour jouer avec elle les enfants de Cécile Biesse. Françoise a 5 ans et joue avec Annette.

Suzanne a reçu une lettre de Paul d’Alsace. Ils sont toujours près de Cernay mais on ne bouge pas à cause de la neige. Pont-à-Mousson a encore été bombardé. C’est son 72ème bombardement. Reims aussi est bombardé de temps en temps. Quand donc pourra-t-on mettre les boches dehors. Suzanne nous raconte qu’à Gérardmer la fille de Vincent Viry, marchand de légumes, a été prévenue par la mairie que son mari avait été tué. Elle fait dire un service. Toute la famille y assiste ainsi que toutes leurs connaissances de Gérardmer. En revenant de l’enterrement la pauvre femme reçoit une lettre de son mari lui annonçant qu’il est prisonnier en Allemagne. Il parait qu’il y avait trois soldats portant le même nom dans le régiment. C’était un autre qui avait été tué. Ces choses-là arrivent souvent.

Vendredi 12 février 1915

On n’entend plus le canon ! La générale Foch et la générale Lyautey sont venues à Nancy et ont visité les ambulances. Le général Foch a eu son fils et son gendre tués le 22 août dans une des batailles près de Nancy.

Madame Droit, la femme du notaire, me dit que ses parents qui habitent Kaysersberg en Alsace voulaient partir ces jours-ci par la Suisse mais les Allemands ne permettent plus aux Alsaciens de partir directement en Suisse. Il faut qu’ils restent un mois dans le grand duché de Bade. Les Français sont à 6 km de Kaysersberg. Mme Droit ne reçoit plus de lettres de ses parents. Les Allemands sont beaucoup plus sévères.

Samedi 13 février 1915

Badonviller a encore été bombardé. Un soldat de Nancy qui habite rue de Metz et qui est prisonnier en Allemagne écrivait à ses parents : « J’envie le sort de Bop ». Bop est le chien de son voisin !

Dimanche 14 février 1915

Nous allons à l’ambulance des Beaux-arts l’après midi. On vient d’amener 9 blessés d’Atton près de Pont-à-Mousson. On se bat très fort car les Allemands veulent s’emparer d’une hauteur. Presque tous les blessés sont blessés aux bras. Alexis enlève des balles de shrapnels à 4 blessés. On prévient encore qu’il arrivera d’autres blessés pendant la nuit Quelle chose terrible de la guerre. Pour reprendre cette hauteur, combien y-aura-t-il de tués et de blessés ! Ils vont se battre toute la nuit et il pleut. Les Allemands ont attaqué à minuit.

Le Président de la République et le ministre de la Guerre sont allés à Gérardmer mercredi. Ils ont diné à l’hôtel de la Providence où il y avait 20 couverts. De Gérardmer ils sont allés à la Schlucht puis en Alsace à St Amarin, Masevaux et Thann. A Thann, ils ont décoré Monsieur Scheurer grand industriel qui s’occupe beaucoup de nos soldats. Le Président de la République a traversé 20 villages qui étaient tous pavoisés. Les enfants lui offraient des fleurs et chantaient la Marseillaise. D’Alsace, le Président est revenu par Bussang, Remiremont, Belfort. En Alsace, il a visité les tranchées et à Epinal et Belfort les ouvrages fortifiés.

A suivre…



06/02/2015
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