Campagne du 106e B.C.P - LE LINGE - (Mars-Septembre 1915) - 4e partie - « Zoom » sur les combats du 4 Août au centre de résistance N°2
En plein bombardement de la position qu'il a la mission de défendre avec ses hommes sur la crête du Lingekopf, le capitaine adresse son rapport à son commandant.
Patrick Germain - 14/10/2015
Résumé de la situation
On se souvient, dans la 2ème partie du récit de cette campagne, du l’assaut du 106e B.C.P le 22 juillet ; un élan magnifique, les objectifs atteints et dépassés au-delà de la crête du massif (Schrätzmaennlé-la Courtine-Barrenkopf) mais, à la suite d’une contre-attaque allemande sur le front du 114e B.C.P au flanc droit du 106e, les positions avancées du 106 ont été tournées par l’ennemi qui a installé des mitrailleuses sur ses arrières ; la contre attaque allemande a déporté la direction de l’attaque générale sur la gauche, ayant pour effet de provoquer le mélange des unités, donc de grandes difficultés de commandement. Pour éviter l’encerclement et l’isolement, les éléments restants du 106 se sont repliés sur la tranchée de départ. Le bataillon se réorganise au col du Wettstein le 23 juillet, et une nouvelle attaque est décidée ; elle se situe cette fois sur le secteur à gauche du précédent champ de bataille, sur la crête même du Linge (voir croquis). Le commandant CHENÈBLE se voit attribuer le commandement du groupe de combat de ce secteur qui comprend : les éléments restants du 106e B.C.P, le 121e B.C.P, un bataillon du 359e R.I, et la compagnie de mitrailleuses de la 3e brigade de chasseurs. Le front du secteur à défendre s’étend du collet du Linge par les crêtes jusqu’à la lisière ouest de la forêt du Linge, qui représentait les positions conquises le 22 juillet, et figées depuis. Le dispositif se met en place les 27 et 28 juillet, bombardement ennemi violent ; attaque Française le 29 juillet, contre attaque allemande ; journée calme le 30 juillet ; travaux de renforcement des tranchées le 31 juillet ; bombardement français le 1er août ; journée calme le 2 août ; bombardements intermittents de part et d’autre le 3 août. Le 4 août, bombardement allemand d’une violence extrême (voir le récit détaillé dans la 2ème partie de la campagne).
Je reproduis ici le rapport du capitaine LATRABE, du 121e B.C.P, commandant le centre de résistance N°2 du Lingekopf, au commandant CHENÈBLE, commandant le groupe de combat du secteur, sur cette terrible journée du 4 août. Ce rapport a été rédigé le lendemain 5 août 1915 sous le feu :
Le capitaine LATRABE sera nommé peu de temps après commandant,
et prendra la tête du 30e B.C.A jusqu’à la fin de la guerre
1ère page du rapport du capitaine LATRABE au commandant CHENÈBLE sur la journée du 4 août 1915
Croquis du dispositif de défense du centre de résistance N°2 du Lingekopf par son chef, le capitaine LATRABE
La crête du Lingekopf aujourd’hui (photo Patrick Germain)
(le chemin à droite qui continue vers le collet du Linge correspond exactement aux fronts Daquin, Sigisbert et Marteau qui représentaient le centre de résistance N°2, désignés par le croquis ci-dessus du capitaine Latrabe).
La tranchée fortifiée figurant sur cette photo a été construite, après cet épisode, par les Allemands.
Front défensif du Lingekopf - Centre de résistance n°2 Le 5 Août 1915
Le 4 Août 1915, le Centre 2 était gardé par :
Front « Daquin », 4e Cie du 121e B.C.P, 100 fusils
Front « Sigisbert », 3e et 6e Cies du 121e, 100 fusils
Front « Marteau », au Collet, 1re et 2e Cie du 121e, 110 fusils
2 mitrailleuses du 121e (lieutenant Heinzmann) et un canon de 65 au Collet, 2 mitrailleuses de la 3e brigade en (3), battant la route du Hohnack et flanquant le front « Marteau »
Les fronts « Marteau » et « Sigisbert » flanqués par les mitrailleuses du centre 3.
Réserve : 140 fusils des 1re, 5e et 6e Cies du 106e ; sous-lieutenant Poussin, commandant ce groupe ; le sous-lieutenant Poussin et l’adjudant Firmin, malades, sont partis à l’arrière dans la matinée sans en rendre compte au commandement du centre.
De 8 heures à 18 heures,, bombardement extrêmement violent des deux lignes de la réserve ; les abris de mitrailleuses sont écrasés, les pièces enterrées ; les pertes sont extrêmement élevées, plus des ¾ de l’effectif, la réserve s’épuise à nourrir la 1re ligne et les postes d’écoute, à arrêter des sorties de l’ennemi qui vient vérifier à diverses reprises si nos tranchées sont toujours occupées ; à midi, toutes les communications téléphoniques sont coupées et irréparables ; au poste de commandement du capitaine commandant le centre, un téléphoniste est grièvement blessé, puis successivement tous les agents de liaison sauf un y sont tués ou blessés ; de nouveaux agents de liaison sont atteints en portant des renseignements ou des ordres ; les communications de toutes sortes sont très difficiles et incertaines.
Vers 6 heures, les tranchées de 1re ligne n’existent presque plus et sont encombrées de cadavres ; les guetteurs n’arrivent plus que très difficilement, et avec les plus grands risques, aux postes d’écoute où ils se font successivement tuer ; les boyaux de communication sont bouchés ; à la 2e ligne, les communications latérales sont impossibles par endroits, la liaison ne peut plus s’établir que par la voix ; la plupart des abris sont détruits ; les lieutenants Sigisbert et Marteau sont blessés.
L’attaque se poursuit à ce moment, enlève les postes d’écoute, la 1re ligne, pénètre dans la 2e ligne sur tout le front « Sigisbert » à la gauche du front « Marteau », continue à progresser sur le front « Marteau » vers le Collet ; les barrages successifs faits avec quelques chasseurs du 106 qui restent, presque sans cadres, sont refoulés ; le capitaine Daquin, coupé à droite et à gauche, tient avec les chasseurs épuisés qui lui restent ; au Collet, une Cie du 5e Bataillon fait une contre-attaque spontanée qui dégage les abords immédiats du Collet ; cinq minutes plus tard, sur le front au sud du poste « Sigisbert »(6), une brillante contre-attaque de la compagnie Lemeu, du 27e bataillon entre dans la 2e ligne, y capture quelques allemands, tuant ceux qui résistent ; puis le sergent Faure, de la 2e Cie du 30e, gagne la même tranchée par le boyau 9, et établit la liaison par contact avec le 27e bataillon à sa droite, à la voix avec le groupe « Daquin » à sa gauche ; le capitaine Berge, du 30e, entre en liaison avec le capitaine Daquin et fait, dans le boyau qu’il aménage, un barrage face au nord.
A la nuit, la compagnie « Garo » ( ?),2e du 14e Bataillon, arrive avec 58 fusils ; un quart est envoyé en renfort au Collet, au lieutenant Heinzmann, un autre quart au sergent Faure ; la réserve est trop faible pour qu’une tentative de reprise de la 1re ligne puisse être entreprise ; la nuit se passe à repousser quelques nouvelles tentatives de l’ennemi, dont une sérieuse à 21 heures, à échanger des coups de feu, des pétards et des grenades, à déblayer les tranchées et les boyaux pour rétablir les communications.
Au cours de cette dure journée, chacun a fait tout son devoir : les jeunes chasseurs, épuisés par de durs, sanglants et récents combats, par un long séjour dans les tranchées, par une journée sans vivres et un bombardement infernal, qui se sont fait tuer à leur poste et ont héroïquement combattu jusqu’à l’aube ; leurs chefs, les sous-lieutenant Marteau et Sigisbert, blessés au cours du bombardement ; le capitaine Daquin et le lieutenant Heinzmann qui ont résisté avec une ténacité admirable ; un lieutenant d’artillerie tué à la 1re ligne ; la compagnie du 5e bataillon dont la contre-attaque non demandée a donné un concours précieux ; la compagnie Lemeu, du 27e bataillon, qui a repris de haute lutte les tranchées perdues, dont le capitaine a été tué et qui, sous le commandement du sous-lieutenant Jacquemin, a réparé pendant la nuit les dégâts commis par le bombardement, en résistant à de nouvelles attaques ; le sergent Faure, du 30e bataillon, qui s’est montré chef énergique et audacieux ; le capitaine Berge, qui a fait un barrage avec une poignée de chasseurs, et a rejeté hors de la tranchée, deux secondes avant qu’elle n’éclate, une grenade qui venait de tomber au milieu de ses hommes ; le chasseur Grandmaison, du 106e bataillon, resté seul agent de liaison valide, qui a assuré seul un service très périlleux ; et tant d’autres, dont l’héroïsme certain mérite d’être recherché et récompensé.
L’ennemi a progressé, dans le centre 2, de 20 à 30 mètres sur un front de 100 mètres ; il a subi, par le fusil, les pétards et les grenades, des pertes sérieuses ; son succès est dû, non à des défaillances, mais à la destruction des défenseurs et des tranchées par le canon.
Signé : LATRABE
Chasseurs au repos dans une tranchée Alsace 1915
(collection J.-C. Fombaron)
A suivre…
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