14-18Hebdo

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41e semaine de guerre - Lundi 10 mai au dimanche 16 mai 1915

 

LUNDI 10 MAI 1915 – ROGATIONS - 281e jour de la guerre

MARDI 11 MAI 1915 - SAINT MAMERT - 282e jour de la guerre

MERCREDI 12 MAI 1915 - SAINT ACHILLE - 283e jour de la guerre

JEUDI 13 MAI 1915 – ASCENSION - 284e jour de la guerre

VENDREDI 14 MAI 1915 - SAINT BONIFACE - 285e jour de la guerre

SAMEDI 15 MAI 1915 - SAINT ISIDORE - 286e jour de la guerre

DIMANCHE 16 MAI 1915 - SAINT HONORE - 287e jour de la guerre

Revue de presse

-       Le torpillage du "Lusitania" - Le monde entier pousse un cri d'horreur

-       Sur les fronts russes - Combats acharnés

-       La démission du ministère Salandra - M. Marcora, président de la Chambre, serait chargé de constituer le Cabinet - Un des derniers actes de M. Salandra a été de dénoncer la Triple-Alliance

-       L'insurrection au Portugal

Morceaux choisis de la correspondance

10 mai - ELLE.- Un petit mot seulement pour te dire que je pense à toi, que je déplore de plus en plus notre éloignement qui m’empêche de te donner de meilleures preuves de mon amour qu’une pauvre petite lettre, en ce moment surtout où tu aurais tant besoin de réconfort et de tendresse pour atténuer ton chagrin.

 

12 mai - Paul Cuny (Epinal) à Georges Cuny, son frère.- J’ai appris la remise de ta décoration si méritée par le Président, quel dommage que notre mère n’ait pas joui de ce spectacle ou du moins du plaisir de t’embrasser décoré après la guerre. Pierre Mangin est parti d’Epinal, où je ne sais ? Il disait Lyon et aujourd’hui il se fait adresser les télégrammes de l’hôtel du Louvre à Chambéry (il va peut-être faire la campagne d’Italie).

 

Tu vas te dire, ma petite femme ne semble pas se douter que nous sommes en guerre et que l’heure de l’élégance n’est pas sonnée.

13 mai - ELLE.- Je viens de recevoir ta lettre du 9 mai et ta photographie. Je voudrais bien, si tu vas parfois à Villers-Cotterêts, que tu te rachètes des molletières un peu mieux que celles que tu as qui sont trop courtes et déjà bien vieilles. Et tu pourrais aussi faire rétrécir les jambes de ton pantalon qui ont l’air bien trop larges. Tu vas te dire, ma petite femme ne semble pas se douter que nous sommes en guerre et que l’heure de l’élégance n’est pas sonnée. Mais je sais aussi que mon mari chéri s’occupe aussi peu que possible de sa toilette et qu’en ce moment où il n’a personne pour le lui dire, il doit forcément se laisser aller à son péché mignon qu’est le je m’en fichisme pour la tenue. Note bien, mon chéri, que malgré mon petit semblant de gronderie, je suis ravie de recevoir de tes photos qui me montrent que tu vas bien quoique un peu maigri et les yeux un peu fatigués.

 

Maurice vient d’arriver à cheval, il va très bien et sa demande d’autos prend bonne tournure. Il ira probablement à Boulogne-sur-Seine passer son examen d’ici huit jours mais il paraît qu’on est extrêmement sévère au point de vue théorie, il a acheté des livres et pioche tout cela. Un officier lui a dit que les examinateurs étaient des ingénieurs de Panhard et qu’ils demandaient beaucoup de théorie pour favoriser tous leurs confrères, constructeurs et ingénieurs d’auto.

 

Je regrette que tu ne voies pas nos enfants en ce moment, ils vont si bien. Robert et Noëlle aiment beaucoup grimper sur le petit mur contre la route du Boulay, il y a une haie de tilleuls tout contre dans laquelle on fait des maisons, c’était déjà notre joie autrefois et cela m’amuse de revivre ces moments de notre enfance. André a moins le temps de jouer et préfère sa bicyclette pour ses récréations.

 

Quand je pense que la guerre pourra ne pas être finie pour les récoltes, cela enlève le courage si on s’y arrêtait.

13 mai - Pauline Ringenbach (Cornimont) à Mimi Cuny, sa patronne.- Quand je pense que la guerre pourra ne pas être finie pour les récoltes, cela enlève le courage si on s’y arrêtait. J’avais déjà sorti les dahlias et je les avais mis dans le bord du massif qui est en dessous des fenêtres de la véranda et je crois que je vais les y laisser. Les fuchsias étaient aussi repiqués tous dans un côté où on les mettait d’habitude. Toutes les autres plantes étaient sorties et à l’ombre des arbres près de la serre. Quant aux musas je viens de les replanter à leurs places et les géraniums au balcon. Le Père Joly vient m’aider pour les allées, il les pèle le matin et moi je ratisse après-midi. Il ne m’a demandé que cinq sous à l’heure et j’avais payé sept à Constant Grimm. Les Joly ont reçu le mortuaire d’Abel les jours derniers, cela fait 4 familles à Cornimont qui en ont deux de tués, Camille a été le 60ème sur la dépêche officielle et depuis il y en a beaucoup des autres.

 

J’ai expédié l’âne vendredi matin par un vilain temps mais je ne pouvais pas attendre car j’avais été trouver le chef de gare qui m’avait répondu que je pouvais l’amener pour le train de midi. Je pense que les enfants vont être heureux de retrouver leur âne pour se promener. J’ai été trouver le greffier pour me renseigner si on devait toucher pour avoir logé des officiers, il m’a répondu qu’on touchait 1 f par jour mais il faut un billet de logement daté du jour de l’entrée et signé au départ et c’est ce que je n’ai pas fait. Il m’est revenu un officier à loger à midi, un capitaine qui vient remplacer Mr Caillaux. Il a la même ordonnance. Je ne croyais pas qu’il y ait des hommes pour valoir si peu, un père de cinq enfants, étant ici je m’étais déjà vue obligée de lui dire ses vérités, cela ne l’a pas corrigé. Il est revenu à la charge dans une lettre, c’était une horreur, je l’ai brûlée tout de suite et le voilà qui va revenir lundi mais je n’ai pas peur de lui s’il me dit encore quelque chose, je saurai bien l’arrêter, je suis vieille assez pour me garder.

 

On espère beaucoup de la neuvaine de J. d’Arc. Si seulement elle nous débarrassait de tous ces monstres.

13 mai - Alice Kempf (Paris) à Mimi Cuny, sa cousine.- On espère beaucoup de la neuvaine de J. d’Arc. Si seulement elle nous débarrassait de tous ces monstres. Je vais de temps en temps à Moyenmoutier, mais les Allemands sont toujours si proches que nous ne pourrons songer à y aller en été, d’ailleurs ma maison est occupée par les officiers et je n’ai guère de place pour m’y installer.

 

Chacun reste autant que possible chez soi, grâce à la réquisition des autos chez les gens qui avaient l’habitude de circuler, et l’ennui des laissez-passer pour ceux qui prennent le train.

14 mai - ELLE.- Rien de bien nouveau à te dire si ce n’est que je vais mieux. La vie actuelle s’y prête, aucune obligation mondaine en raison de mon deuil et des circonstances puisque chacun reste autant que possible chez soi, grâce à la réquisition des autos chez les gens qui avaient l’habitude de circuler, et l’ennui des laissez-passer pour ceux qui prennent le train. Aussi on passe de bonnes journées bien paisibles. Maman a toujours autant à faire, elle est étonnante de force, de résistance à la fatigue et elle se met bien au courant de toute l’usine. Nous avons maintenant 3 régleuses qui marchent avec entrain. On demande énormément de papier réglé, mais pour le papier à plat on a du mal à obtenir 20 francs de hausse qui seuls seraient rémunérateurs.

 

14 mai - Maurice Boucher (Armées - Epinal) à Georges Cuny, son beau-frère.- Je ne sais encore pas ce qu’on va faire de moi. Je suis en ce moment au dépôt où on s’ennuie mortellement. J’attends tous les jours mon affectation à un service automobile. Il paraît que j’aurai à passer un examen à Boulogne s/Seine ou autre lieu. Je m’en effraie un peu. Si je ne reçois pas d’affectation auto, il est probable que je rejoindrai mon régiment le 349e qui se trouve entre chez les Fersal et les Cartier-Bresson.

 

Ce qui te donne l’air triste sur les photos depuis que tu es parti, c’est la forme de ta moustache qui est changée, elle fait comme ceci ^, cache ta jolie bouche que j’aime tant et te donne l’air désabusé et triste. Quand on veut avoir l’air gai, il faut avoir les coins de la bouche relevés.

15 mai - ELLE.- Maman a fait venir de chez les Laroche-Joubert des petits blocs très commodes pour moi qui t’écris de ma chaise longue. J’avais jusqu’alors des installations de fortune plus ou moins précaires et ceci est bien plus pratique. Mais tu m’excuseras de ne pas me servir de papier à lettres ou papier de deuil.

 

Paul avait dit qu’il passerait ici pour me faire signer une lettre à la municipalité de Gérardmer. Mais il n’est pas revenu, peut-être l’a-t-il envoyée directement. Je reçois à l’instant une lettre de Marie Michel[1] à laquelle j’avais écrit pour des notes à payer et des messes à faire dire. Elle m’apprend que le garage a été réquisitionné pour en faire une morgue : triste destination. Elle voudrait bien que je vienne arranger la maison pour le cas où on la réquisitionnerait pour des usages militaires car ils ne sont guère discrets, me dit-elle. J’attends Paul pour décider ce qu’il faut faire. Dans ce cas, il y aurait évidemment bien des choses à mettre à l’abri, car la pauvre Mère eut été trop désolée de penser que sa maison est mise sens dessus dessous.

 

Tu ne sais pas ce que j’ai trouvé ces soirs-ci en regardant ta photographie avant de m’endormir. Ce qui te donne l’air triste sur les photos depuis que tu es parti, c’est la forme de ta moustache qui est changée, elle fait comme ceci ^, cache ta jolie bouche que j’aime tant et te donne l’air désabusé et triste. Quand on veut avoir l’air gai, il faut avoir les coins de la bouche relevés. Regarde-toi dans une glace (j’espère que tu en trouveras une à la ferme) et tu verras que j’ai raison. Aussi je voudrais, la prochaine fois que tu te feras raser, que tu donnes l’ordre de couper la moustache de chaque côté de la bouche, qu’elle ne descende plus et reste seulement au-dessus de la lèvre supérieure. Mon pauvre chéri, je t’ennuie n’est-ce pas avec tous mes conseils. Tu sais, ne les suis pas si cela t’agace, d’ailleurs de loin, je puis me tromper.

 

Maman et Thérèse sont allées ce matin à l’enterrement d’un jeune homme de Cheniménil, mort à l’hôpital de Remiremont de ses blessures. Il avait l’âge de Maurice et laisse 5 petits enfants. Quelle tristesse. Il y a aussi un tout jeune de 20 ans du Grand Meix qui vient d’être tué près d’Arras.

 

Tu sais que Pierre Mangin n’est plus à Epinal. Il avait demandé son changement et a quitté Epinal pour Lyon lundi dernier. Il avait fait beaucoup de projets, pensait louer un appartement pour y faire venir sa femme et ses filles, qui étaient justement arrivées à Epinal lui rendre visite quelques jours avant son départ. Et voilà qu’on a reçu une dépêche à Epinal disant qu’il ne restait pas à Lyon mais était envoyé à Chambéry. Je ne sais si cela lui plaît ou non. En tout cas, à mon avis, il n’avait qu’à rester à Epinal, d’où il pouvait donner un coup d’œil aux usines puisqu’il avait très peu à faire. De Lyon, il prétendait qu’il aurait aussi facile et que les employés pourraient aussi facilement aller le trouver !!! En tout cas, ce sont des frais en plus pour l’usine. Je pense qu’il n’aura pas l’idée baroque de les faire venir à Chambéry. Ce serait de l’argent et du temps perdus en vain.

 

Maurice a dîné avec Pierre Mangin et sa famille à Epinal et Pierre soutenait toujours ses théories pessimistes. Enfin tu vois que la guerre en tout cas ne l’aura pas changé, lui. Pour certains, elle aura été en effet une école de courage et de vaillance, mais ceux-là n’en reviendront guère. Tandis que tous les embusqués, tous les froussards et les traînards comme nous en voyons tant dans tous les services de l’arrière, tous ceux-là resteront vivants. C’est triste à dire mais la vertu est rarement récompensée. Allons voilà que je fais mon petit Pierre Mangin et deviens pessimiste et maussade, changeons de sujet.

 

L’âne est arrivé ce matin et les enfants, amoureux du changement, sont dans la joie à l’idée d’aller se promener à quatre heures, Lili lui-même dit : « est belle Jacquot ». André a promis de très bien travailler cet après-midi pour avoir le droit d’aller sur la voiture et Robert et Noëlle ont eu leurs trois bons points ce matin.

 

Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 16/05/1915 (N° 1273)

 

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Comme à Valmy - La charge à la baïonnette au chant de la « Marseillaise »

C’est au cours des combats qui se sont déroulés autour d’Ypres que l’on vit cette charge superbe de nos soldats marchant à l’ennemi comme les « poilus » de 1792, en chantant la ‘Marseillaise’. Une fois de plus, « Rosalie », la baïonnette, dont nous faisons plus loin l’histoire dans notre « Variété », s’est montrée l’arme française par excellence. Les Allemands, à la faveur de leurs abominables procédés de combats, et grâce aux gaz asphyxiants employés par eux, avaient gagné quelque terrain ; il leur fut repris par cette charge héroïque. Ils laissèrent un minimum de 10 000 hommes tués et blessés sur le champ de bataille. « Rosalie » avait joliment travaillé.

 

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Vive la France ! - Comment savent mourir les marins français

C’est une page glorieuse et tragique et qui rappelle l’histoire du ‘Vengeur’ d’héroïque mémoire. Le croiseur-cuirassé ‘Léon-Gambetta’ fut attaqué au milieu de la nuit par un sous-marin autrichien. Il fut frappé au flanc gauche deux fois par les torpilles du sous-marin. La première torpille ne produisit que des dégâts sans gravité, mais la seconde atteignit le compartiment des machines et l’explosion qui s’en suivit causa la destruction des dynamos, mettant le navire dans l’impossibilité de demander du secours par la télégraphie sans fil. L’équipage dormait quand se produisit le torpillage. En moins de cinq minutes, tous les hommes furent rassemblés sur le pont. On lança les chaloupes à la mer, mais l’obscurité était complète ; plusieurs embarcations chavirèrent. Le croiseur s’inclinait rapidement et, au bout de dix minutes, il s’engloutissait dans les flots. Au moment où le croiseur allait disparaître, les officiers refusant de chercher à sauver leur vie, se réunirent sur la passerelle et se laissèrent engloutir au cri de « Vive la France ! »

 

Les instantanés de la guerre (photos)

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Arrestation d'un espion dans les lignes françaises

Amené devant le capitaine l'espion subit un interrogatoire

Abri ingénieusement construit pour les hommes et les chevaux

Poste d'observation en Alsace

Le ravitaillement - On apporte la viande fraîche

Déchargement d'un convoi de munitions d'artillerie lourde

En Argonne - A la lisière du bois, le matin au réveil, le "poilu" fait sa toilette

Retour des tranchées - Le bain de pieds des soldats anglais

Tranchée allemande sur le front oriental

Patrouille allemande en Argonne

 

 

Les instantanés de la guerre (photos)

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Le prince Léopold, duc de Brabant, avec ses camarades du 12ème de ligne

Biplan "Aviatik" abattu dans les lignes françaises par Garros, et exposé actuellement dans la cour d'honneur du palais des Invalides

Une tranchée bien défendue

Eglise près d'Ypres, bombardée par les Allemands

Le "Léon Gambetta" coulé par une torpille autrichienne

Colonne autrichienne campée dans la région du col d'Uszok

Un symbole de victoire - Un régiment de zouaves partant pour le front passe place de l'Etoile, devant "La Marseillaise" de Rude

Une rue de Gallipoli dans le détroit des Dardanelles

En Prusse orientale - Le roi Louis de Bavière s'entretient avec un officier

Soldats bosniaques blessés et prisonniers des Russes

 

Thèmes qui pourraient être développés

  • Le torpillage du Lusitania
  • Italie - Démission du ministère Salandra
  • La Neuvaine de Jeanne d'Arc
  • Le mortuaire d'Abel
  • Mouvement insurrectionnel au Portugal
  • La Rosalie - La Baïonnette (LPJ Sup)
  • Les instantanés de la guerre (Photos dans LPJ Sup)
  • Conseils pratiques - La fabrication des postiches (LPJ Sup)
  • Religion - Fête religieuse - Les Rogations (les trois jours qui précèdent l’Ascension)
  • Religion - Fête religieuse - L’Ascension


[1] Marie Michel-Valentin : gardienne de la Chanonyère, maison de Clémentine Cuny à Gérardmer



08/05/2015
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