14-18Hebdo

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24 Décembre 1914 : Nuit de Noël des « Diables bleus » à La Tête des Faux

 

Patrick Germain - 24/12/2014

 

L'été dernier, en séjour à Gérardmer, j'emmenai des amis faire une marche dans nos montagnes ; l'objectif était la cueillette de champignons, associée à la visite d'un lieu historique que je voulais leur faire découvrir, peu connu mais dont je savais qu'il les marquerait.

Ce n'étaient pas de grands marcheurs ; aussi il m'appartenait de choisir un sentier d'agrément en ligne de crête.

C'est ainsi que nous quittâmes le col du Calvaire plein nord, dans la direction du col du Bonhomme ; une belle cueillette de cèpes nous amena ainsi au cimetière Duchesne, et je pus alors mesurer combien ce lieu insolite, paisible et terrible à la fois, les rendit tout d'un coup silencieux.

Il s'agit d'un cimetière sylvestre ; les tombes y sont disposées parmi d'immenses sapins. Elles sont constituées de parterres bordés de blocs de granit brut et tapissés d'une belle et épaisse mousse verte.

Arrivé sur place, on se laisse guider dans le silence de la méditation, en parcourant ce lieu de sépulture éloigné de toute civilisation proche (aucune habitation ni desserte routière, seulement un chemin forestier), avec l'impression que ces arbres immenses sont autant de sentinelles qui veillent sur tous ces braves.

Ils sont au nombre de 405, tués lors des combats de la Tête des Faux, située à proximité.

Ces combats se déroulèrent en décembre 1914, dont l'opération la plus meurtrière eut lieu la nuit de Noël.

                                                 
C'est donc en parcourant cet espace de guerre, devenu lieu de paix, que je décidai de faire le présent acte de mémoire, au jour précis où 100 ans plus tôt, la nuit de Noël fut un enfer pour tous ces vaillants chasseurs.

 

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Les combats de la Tête des Faux s'inscrivent dans la 1ère phase du plan stratégique français de conquête de l'Alsace par les cols et les sommets ; le Linge et l'Hartmannswillerkopf étant les 2 autres lieux d'attaques choisis en raison de leur position stratégique.

Les combats de la Tête des Faux sont peu connus, en raison de leur brièveté (3 jours), mais ils furent d'une violence inouïe.

Dès le mois d'août 1914, des observateurs allemands s'installent au sommet de la Tête des Faux.

Ils y dirigent les tirs de l'artillerie sur le col du Bonhomme. Fin novembre, un de ces pilonnages détruit le camp du commandement de l'armée française.

Le 2 décembre 1914 (fortuitement anniversaire d'Austerlitz), le 28ème B.C.A donne l'assaut sur la Tête des Faux. Il rejette les hommes du 12ème régiment bavarois dans la pente est de la montagne.

Les Allemands contre-attaquent à 3 reprises ce jour-là, mais ne réussissent pas à reprendre pied au sommet.

Le 18 décembre, le 28ème B.C.A, appelé à engager les opérations à l'Hartmannswillerkopf, est relevé par le 30ème B.C.A, qui s'installe avec 4 compagnies au sommet (soit 20 officiers, 122 sous-officiers, et 900 chasseurs. Son flanc droit est occupé par une compagnie du 229ème R.I et son flanc gauche par une compagnie du 51ème territorial.

Une autre compagnie du 51ème est stationnée au col du Bonhomme et 2 compagnies du 30ème B.C.A gardées en réserve.

A partir du 21 décembre, la neige tombe (40cms) et un froid polaire s'installe sur le massif vosgien.

 

Vient alors le soir du 24.

Au même moment, à 25 kms S.O, le 15-2 (152ème R.I) est en repos à Ventron où il s'apprête à passer la nuit de Noël ; il avait déjà été très éprouvé par les combats du Spitzenberg (près de Saint-Dié) et avait dû être reconstitué d'une perte de 600 hommes et de 8 officiers.

Le lieutenant Paul Boucher et son frère le sergent François Boucher avaient reçu la veille la visite de leur famille venue de Gérardmer (ce devait être la dernière fois pour François).

Pendant la journée, François joua de l'orgue à l'église de Ventron pour préparer la messe de minuit, avant de rejoindre le régiment appelé à partir en hâte cette nuit là pour l'Alsace où quinze jours de terribles combats l'attendaient à Steinbach.

 

Au même moment, sur la position de la Tête des Faux, les positions françaises sont pilonnées par les mortiers allemands, installés dans les pentes est, où ils avaient été rejetés le 2 décembre par le 28ème B.C.A.

   

T030 Image2.jpgPlan du champ de bataille de la Tête des Faux

                                                                                                               Source : (« lieux insolites »)

 

L'assaut Allemand, d'une violence inouïe, est déclenché à 22h30 par le 14ème régiment du Mecklembourg, et dirigé au centre de la tranchée que la 6ème Cie du 30ème B.C.A occupe au sommet. Le terrain à cet endroit est peu propice au creusement de tranchées. Celle-ci est donc peu aménagée avec des postes de défense. Devant ce fait, le capitaine Touchon, commandant le secteur, avait fait aménager une seconde ligne à 50m en arrière.

Les Allemands atteignent la 1ère ligne d'un bond malgré le feu nourri des Français. Les cadavres s'accumulent devant les créneaux, empêchant les tirs des défenseurs français.

Les combats se poursuivent à la baïonnette ; les Français submergés sont obligés de se replier sur la 2ème ligne. Le capitaine Touchon avise téléphoniquement les autres compagnies des faits. Celles-ci dépêchent immédiatement des renforts vers le sommet.

Les Allemands ont percé le front sur une largeur de 50m et s'avancent sous les feux croisés des Français vers la 2ème ligne, malgré des pertes énormes.

Vers 1h du matin, les Allemands tentent une percée sur la gauche. Ils passent entre la 1ère et la 2ème ligne en contournant la section du sergent Lespect coincé dans la 1ère ligne. Les hommes de cette section se retournent pour tirer sur les Allemands qui les prennent à revers.

Les renforts français arrivent peu à peu pour porter main forte aux sections assaillies.

Les assauts allemands sont contenus vers 3h45. Vers 4h, les Allemands se retranchent dans la partie de la 1ère ligne française qu'ils ont conquise. A 4h45, ils déclenchent une nouvelle attaque qui vient se briser sur le feu nourri des chasseurs français, qui rend finalement les positions conquises par les allemands intenables.

Ces derniers se replient sur leurs positions avant le lever du jour.

Les caporaux Martin et Crampe et leurs hommes réoccupent la 1ère ligne française où les Allemands ont abandonné un important matériel. Les combats se poursuivent toute la journée par un pilonnage d'artillerie et une pluie de grenades.

Ce combat de la nuit de Noël aura coûté la vie à 137 Français et à plus de 500 Allemands, soit plus de la moitié des morts tombés à la Tête des Faux. Les Allemands lanceront une nouvelle attaque le 21 Février 1915, qui se soldera également par un échec retentissant. Les Français resteront maîtres du sommet tandis que les Allemands s'enterrent dans le flanc Est où ils construisent de formidables fortifications dont il reste de nombreux vestiges aujourd'hui.

Ce front, malgré quelques escarmouches, sera figé jusqu'à la fin de la guerre.

L'historien alsacien Armand Durlewanger a ainsi résumé l'affaire de la Tête des Faux :

« Ce champ de bataille extraordinaire pourrait être aisément celui des superlatifs :

         - le plus élevé (1 220 m)

         - le plus petit en surface et le plus bref en durée (3 jours de combat)

         - le plus prodigieux sur le plan technique des installations et fortifications ».

C'est lors de ces premiers combats de la guerre en zone de montagne que les chasseurs du 28ème et du 30ème B.C.A furent appelés « diables bleus » par leurs adversaires allemands (à cause de l'uniforme bleu foncé des chasseurs par opposition au pantalon garance des fantassins).

Le cimetière Duchesne

A l'emplacement du cimetière Duchesne était établi le camp arrière français.

Ce cimetière regroupe les 408 tombes des soldats français tués à la Tête des Faux.

Il porte le nom du commandant J. Duchesne, chef de bataillon au 215ème R.I, mort pour la France lors du 1er assaut sur la Tête des Faux le 02/12/14 (le 215ème R.I était en appui du 28ème B.C.A et il subit des pertes énormes, les pantalons rouges formant de magnifiques cibles sur un sol enneigé...)

Depuis cet assaut, les chasseurs français sont restés maîtres du sommet pour le restant de la guerre.

Le cimetière, tout comme le sommet de la Tête des Faux, est classé monument historique depuis 1921.

 

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Le cimetière Duchesne (photos Patrick Germain Août 2014)

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26/12/2014
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