Tableau général des armées françaises en août 1914
Gabriel Hanotaux – Histoire illustrée de la guerre de 1914 – Tome 3 – Ch. 2
Voici donc la France virile, la France armée, portée toute entière sur sa frontière. Rien de pareil ne s'était vu depuis les temps anciens, depuis que Vercingétorix convoquait toutes les tribus de la Gaule à défendre, contre la conquête romaine, le territoire national. Du sol de la France et du sol des colonies, les légions se sont levées et elles accourent unies les unes aux autres dans un sentiment de solidarité et de dévouement sans pareil, à l'énoncé de ce seul mot : « France ! »
Sur la frontière lorraine, c'est la 2e armée, l'armée du général de Castelnau : elle comprend le fameux 20e corps, celui qui s'attend depuis quarante-cinq ans à la guerre, et qui, recruté pour la grande partie en Lorraine, défendra la province dont il connaît les moindres replis : ce sont les bandes toujours prêtes, toujours sur pied, le 146e d'infanterie, le 153e dont le drapeau porte Bautzen, le 160e de ligne, le 69e d’infanterie dont le nom est : « régiment de fer », les bataillons de chasseurs, ces chasse-bis, vêtus de bleu sombre, qui ouvriront la danse ; puis le 15e corps qui vient de Marseille, de la Corse et des Alpes ; le 16e corps formé des vignerons de l'Hérault et des montagnards des Cévennes. Le 2e groupe de divisions de réserve, la cavalerie de corps et les divisions de cavalerie indépendantes.
A droite de la 2e armée, la 1re armée est commandée par le général Dubail : c'est le 8e corps (Bourges) avec les Berrichons, les Bourguignons, les Nivernais, les fils des plaines de l’Auvergne, qui compte, dans ses effectifs, le 1er régiment d'artillerie, ancien régiment des Fusiliers du Roi, qui s'illustra à la défense d'Huningue en 1815 et dont il est écrit : « Les canonniers du 1er régiment ont fait des prodiges de valeur qui ont excité l'admiration de l'ennemi même » ; c'est le 13e corps, les Auvergnats ; le 14e corps, les Dauphinois et Savoyards, ces Allobroges dont Charles-Emmanuel de Savoie disait : « Redoutables Allobroges qui furent la gloire des Celtes et la terreur de Rome » ; le 21e corps, (Epinal) Haute-Saône, Haute-Marne, avec les Lorrains, les Vosgiens encore, ceux qui ont tant souffert et qui vont tant souffrir.
A Belfort, menaçant la Haute-Alsace, une armée détachée de la première, est composée du 7e corps (Besançon), d'un groupe de divisions de réserve, d'une division de cavalerie. On attend, sur cette extrême pointe de l'armée, le 19e corps transporté d'Algérie qui figurera partout où l'on a besoin d'ardeur, d'élan et de dévouement. Placé sous le commandement du général Bonneau, ce détachement d'armée passera bientôt sous les ordres du glorieux général Pau.
Revenons vers l'ouest : A gauche de la 2e armée, la 3e armée est commandée par le général Ruffey ; elle occupe la Woëvre septentrionale. Elle est composée du 2e corps : les Picards d'Amiens et de Beauvais, peuple de la frontière dont le nom veut dire, d'après les anciennes étymologies, cœurs de feu (picra cardia) ; le corps colonial, illustre par les campagnes récentes qui viennent d'assurer un immense empire à la France ; le 2e colonial est fier de la croix de la légion d'honneur que le président de la République, six mois avant la guerre, a attaché à son drapeau ; la 7e division de cavalerie qui compte notamment le 13e dragons (Hohenlinden, Austerlitz, Iéna, la Moskova), fameux par la poursuite menée à la bataille d'Iéna et qui contraignit le prince de Hohenlohe à se rendre avec 16 000 hommes ; et puis ce sont les Normands et les gars de la Sarthe (4e corps), puis les Parisiens et les Français de France (Loiret, Seine-et-Marne) du 5e corps, dont fait partie le 46e d'infanterie qui, à l'appel du nom de la Tour d'Auvergne répond « Mort au champ d'honneur » ; puis les Champenois avec ce qu'il reste de Picards et de « Français » avec les « sangliers des Ardennes », avec les gens du Barrois, de Pont-à-Mousson, les Meusiens, tous ces soldats du 6e corps qui, au temps de l'autre invasion, se fussent ralliés à la bannière de Jeanne d'Arc.
A gauche encore, entre la Meuse et la Semoy, la 4e armée, commandée par le général de Langle, comprend le 9e corps (Tours), Angevins, Vendéens ; le 17e corps (Toulouse), Tourangeaux, Languedociens et Gascons ; le 12e corps (Limoges), Limousins et Périgourdins ; le 11e corps (Nantes), Vendéens et Bretons bretonnants, avec le 65e d'infanterie, qui, par sa ténacité, décida du sort de la bataille de Magenta.
Enfin, à l'ouest des formations françaises, couvrant les Ardennes et prête à s’étendre vers le Nord, la 5e armée, général Lanrezac, avec le 18e corps (Bordeaux) les Girondins, les Landais, les Basques et les montagnards des Basses-Pyrénées ; au 18e corps appartient le 18e régiment d'infanterie (Royal-Auvergne), c'est à lui que Bonaparte adressa, le jour de la bataille de Rivoli, les paroles célèbres : « Brave 18e, je vous connais, l'ennemi ne tiendra pas devant vous ! » Le 3e corps (Rouen) les gars de Normandie, ceux dont les pères, au temps des fils de Tancrède de Hauteville, ont conquis la Sicile, et, du temps de Guillaume, ont conquis l'Angleterre ; le 10e corps (Rennes) avec l'autre famille des Bretons, venus de la mer septentrionale ; le 1er corps (Lille) avec les Atrébates d'Arras et les graves Flamands dont la métropole Lille est fière d'avoir été, si souvent, le boulevard de la France. Bientôt, ces mêmes formations picardes et flamandes donneront la main aux armées anglaises et couvriront provisoirement, par leurs réserves improvisées, la frontière belge jusqu’à la mer.
Ainsi, les vieilles légions françaises, depuis les « 4 vieux » qui présidèrent à la naissance de l'infanterie jusqu'aux plus récentes des formations modernes se réunissent et ne sont qu'un seul corps et une seule âme. Dans les plis des drapeaux, les plus beaux noms de l’histoire militaire claquent au vent ; et ceux qui sont vierges encore vont prendre rang à leur tour : cyclistes, téléphonistes et télégraphistes, automobilistes, aviateurs, l’armée s'accompagne de leur appoint imprévu : les réservistes gonflent les cadres de l'armée active jusqu'à les faire éclater, en plus les régiments de réserve, les divisions de réserve arrivent pour soutenir l'armée active ; les formations coloniales passent les mers, traversent l'admirable France et viennent défendre une mère qu'ils ne connaissent pas ; plus tard enfin, les formations territoriales offriront leurs gerbes nombreuses et denses à l'ardente moisson que fauchera la mort.
C'est le peuple français, avec tout ce que sa prévoyance et sa volonté tenace a su amasser de force, d'instruction et de ressources que le roulement sourd des trains déverse dans les lignes qui vont de Belfort à la mer : c'est la nation armée, car l'effort d'une élaboration séculaire aboutit à ce résultat : l'armée française, c'est la France !
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