14-18Hebdo

14-18Hebdo

197e semaine de guerre - Lundi 6 mai au dimanche 12 mai 1918

LUNDI 6 MAI 1918 - ROGATIONS - SAINT JEAN PORTE LATINE - 1373e jour de la guerre

MARDI 7 MAI 1918 - SAINT STANISLAS - 1374e jour de la guerre

MERCREDI 8 MAI 1918 - APPARITION DE SAINT MICHEL - 1375e jour de la guerre

JEUDI 9 MAI 1918 - ASCENSION - 1376e jour de la guerre

VENDREDI 10 MAI 1918 - SAINT ANTONIN - 1377e jour de la guerre

SAMEDI 11 MAI 1918 - SAINT MAMERT - 1378e jour de la guerre

DIMANCHE 12 MAI 1918 - SAINT NEREE ET ACHILLEE - 1379e jour de la guerre

Revue de presse

-       Disparition d'un grand aviateur : le capitaine Mahieu

-       Le coup d'Etat de Kiev - Le nouveau ministère de l'Ukraine

-       Heureux coups de main sur tout le front

-       La "Canaille" du "Bonnet Rouge" en conseil de guerre

-       Troubles graves dans la flotte austro-hongroise

-       Deux "As" sont tombés - Mort des lieutenants Chaput et Demeuldre

-       Les "manœuvres" de paix de l'Autriche

-       L'échange des prisonniers

-       La coopération des Etats-Unis et du Japon

-       Contre l'alcoolisme

-       A la Chambre des communes - Lloyd George obtient une majorité de 187 voix

-       Les Anglais rétablissent leurs positions au nord-ouest d'Albert

-       Fonck abat en un jour 6 avions allemands

-       Un sous-marin allemand coulé par un croiseur américain

-       L'affaire Malvy - L'enquête est terminée

-       La situation s'aggrave en Autriche-Hongrie

-       Hindenburg et Ludendorff seraient en conflit

-       Les Italiens enlèvent le mont Corno

-       Hertling et Kuhlmann au G.Q.G.

-       L'embouteillage du port d'Ostende

 

Morceaux choisis de la correspondance

Paul L.J. va partir au front du 10 au 15 juin, il est atteint par la loi Mourier.

6 mai - ELLE.- Nous rentrons de Plombières et heureusement que Maurice était avec nous car nous avons eu un éclatement, nous avons remis la roue Stepney de concert, mais demain il faut que je procède avec mon petit jeune homme à la remise d’un pneu neuf. Il faudra que j’y assiste, car pour la première fois, je craindrais qu’il ne sache pas s’y prendre et nous pince la chambre à air, ce qui nous amènerait encore un autre ennui. Ce sera une leçon à notre apprenti-chauffeur, une fois qu’il saura bien, je n’aurai plus à m’en occuper.

 

Chez les Vautrin, nous n’avons rien appris de sensationnel, ces dames parlent toujours avec beaucoup d’âpreté des officiers d’E.M. ou des embusqués.

 

J’ai reçu ce matin les 700 francs que tu m’as envoyés et t’en remercie.

 

J’ai aussi envoyé notre coupon de Demangevelle qui nous annonce un versement de 2 000 et des francs. Il paraît que dernièrement Pierre Mangin voulait réunir le conseil et y parler de l’achat d’une usine dans le département de la Loire ou Hte Loire, j’en parlerai à Paul demain pour te donner d’autres détails.

 

Maurice a voyagé avec Catel de Paris à Epinal, tu sais, Catel, mari d’une demoiselle Conroy, qui a été blessé un des premiers au 152e et a été affecté à la poudrerie d’Angoulême. Et celui-ci lui a raconté que Paul L.J. va partir au front du 10 au 15 juin, il est atteint par la loi Mourier, et il paraît que sa démarche n’est pas du tout une demande, mais qu’il est forcé de partir. Au contraire, depuis 3 mois il cherche par tous les moyens à faire prolonger son séjour et aurait voulu être affecté à la vraie poudrerie, puisqu’il ne pouvait plus rester à son usine. D’après Catel et Maurice, tous deux qui me semblent un peu jaloux de Paul L.J., il serait empoisonné de cette situation, mais il n’y a plus moyen de l’éviter et c’est pour cela qu’il raconte qu’il a fait une demande. Je ne sais pourquoi Maurice n’aime pas Paul L.J. et cherche toujours à le dénigrer.

 

Nous allons tous très bien et t’embrassons, chéri, très tendrement. Ta Mi.

 

On se plaint quelquefois qu’il y a trop de monde dans nos états-majors, mais je t’assure que chez les Anglais c’est encore pis. On m’assurait qu’il y avait à cet état-major au moins soixante-dix officiers.

6 mai - LUI.- J’ai reçu ta lettre du 1er mai avec celle de Mme Baudère. Je suis heureux que ma lettre soit parvenue à ce pauvre camarade, cela doit faire du bien quand on est dans sa situation de recevoir quelques nouvelles de France.

 

Comme je te l’ai écrit avant-hier, nous avons quitté le petit village où nous commencions à nous plaire. Le 1er jour nous avons cantonné à deux kilomètres d’une grande ville toujours bombardée par les boches. Nous avons aperçu pendant presque toute notre route la cathédrale, qui paraît-il n’est pas encore très abîmée, mais quelques-uns de mes camarades qui ont pu passer par là m’ont dit que la ville elle-même avait déjà reçu beaucoup d’obus et que les dégâts étaient considérables. Nous avons vu nous-mêmes la fumée de quelques obus et dans la nuit un incendie s’est déclaré, qui d’ailleurs a été éteint rapidement. Hier nous avons quitté ce petit village pour venir jusqu’ici au nord et sommes tombés sur un très gros bourg, mais malheureusement occupé par l’état-major d’un corps d’armée anglais. On se plaint quelquefois qu’il y a trop de monde dans nos états-majors, mais je t’assure que chez les Anglais c’est encore pis. On m’assurait qu’il y avait à cet état-major au moins soixante-dix officiers. Tu peux bien penser que dans ces conditions, il n’y a pas beaucoup plus de chambres pour les officiers. Moi seul ai une chambre suffisante chez l’instituteur de l’endroit, qui a dû abandonner tout le logement qu’il possédait à la mairie au général anglais, et n’a plus qu’un petit coin avec une chambre pour sa femme et lui et une chambre pour sa fille, qui heureusement est absente et est élève au lycée de Versailles. Ce sont de très braves gens. Les Anglais lui ont construit une école en planches, où il fait la classe tant bien que mal. Mes camarades dorment à deux dans le même lit ou n’ont que des paillasses. Ces Mrs les Anglais ont tous leurs chevaux abrités. Jusqu’à présent j’ai encore des chevaux à la corde. Les gens du pays ne sont pas raisonnables. Il y a encore quelques granges qu’ils se refusent à ouvrir et on doit passer outre à leurs protestations. Je ne sais pas pour combien de temps nous sommes ici mais j’espère que nous nous en irons bientôt.

 

Tu as raison en ce qui concerne la Russie et la France. Les deux situations ne sont pas comparables.

 

Je suis persuadé pour Robert que ce n’est qu’un moment comme cela. N’importe il faut le punir chaque fois qu’il le mérite.

 

6 mai - Jean-Claude Buffin (Poule – Rhône) à Georges Cuny.- Je m’empresse de vous donner de mes nouvelles aussitôt rentré dans ma famille ; je suis en convalescence depuis hier. Je suis complètement rétabli et de jour en jour je songe à retourner à votre groupe. Je vais rejoindre à St Dizier soi-disant au dépôt du corps d’armée et là attendre mon tour de départ ; je n’ai que peur de changer de groupe ou de régiment. Comme je vous avais demandé pour retourner à votre service, seriez-vous assez aimable de me faire une demande que vous m’enverriez le plus tôt possible chez moi pour que je puisse la présenter au commandant de cette unité où je vais rejoindre, car sans papiers je n’aurai pas satisfaction, car je n’ai que dix jours de convalescence.

 

8 mai - ELLE.- Nous sommes tous allés déjeuner chez Paul Cuny hier. Nous avions pris la grosse voiture, pour ne pas être si serrés et pour faire prendre l’air aux pneus, mais Maman a dit en revenant que nous ne recommencerions pas souvent car elle s’y trouve un peu incommodée par le manque d’air et l’odeur d’essence. Il est vrai que le temps était lourd et pluvieux et Noëlle qui était à rebours est devenue pâle aussi, il était temps qu’on arrive et encore une fois nous avons chanté les louanges de notre petite Chenard. Pour revenir, Maurice qui conduisait et moi qui étais près de lui, avons pris Noëlle entre nous.

 

Aujourd’hui, dernier jour des rogations, la procession n’a pas pu se faire tellement il pleut. Nos enfants sont dans leur semaine de service de messe. Ils se sont levés tous ces jours-ci à 6 heures du matin pour la procession et la messe. Malheureusement le temps est bien laid et il y a un dicton dans le pays qui dit que lorsqu’il pleut aux rogations on a bien du mal de rentrer les foins et regains, pourvu que ce dicton se trompe.

 

Les Gustave ont dîné avec nous chez Paul, sa cuisinière avait fait un bien mauvais dîner et je vais dire comme Mère autrefois : « Le pauvre Paul n’est pas trop bien », et quand on pense qu’il va encore être seul tout l’été, c’est vraiment absurde de la part de sa femme. Il repart jeudi pour une quinzaine à Paris puis reviendra définitivement à Epinal, car sa femme part à Luchon. Comme il s’ennuie beaucoup le soir, il a demandé aux demoiselles Moulins de venir 2 jours par semaine entre 6 et 7 heures lui jouer du piano. Cette solitude est très mauvaise pour Paul.

 

Il ne viendra pas à Gérardmer avec moi puisqu’il repart à Paris, d’ailleurs il n’a pas de permis d’auto pour Gérardmer, et tel que tu le connais… J’ai reçu le pouvoir d’Henry hier et je les ai envoyés tous les 4 au greffier du juge de paix, et nous nous entendrons pour le jour où l’opération pourra se faire.

 

En attendant, je suis contente de rester un peu tranquille car cette semaine nous sommes allés 5 jours en auto et cela me fatigue un peu. Mon régime m’a fait du bien, j’ai bien moins mal à l’estomac sans être pourtant encore complètement quitte. Je vais écrire au docteur pour lui en parler et demander conseil.

 

En traversant la grande ville bombardée par les Allemands, nous sommes passés devant la cathédrale, qui est une pure merveille et qui jusqu’à présent n’a pas souffert. La toiture seule a été traversée par un obus. La façade est indemne.

8 mai - LUI.- Je reçois ta bonne lettre du 2 mai et suis un peu ennuyé des rages de notre petit Robert, surtout parce que, comme tu le reconnais toi-même, tout cela te fatigue. Si, l’an prochain, son état de santé est aussi bon qu’actuellement, tu devrais l’envoyer à l’école chez Mlle Marchal, qui le materait peut-être et en tout cas tu aurais au moins la paix pendant les heures d’école. Il faut éviter ma chérie de te fatiguer.

 

Je suis enchanté de ce que tu m’apprends pour Georges. Quel bonheur pour Maman et pour vous tous s’il pouvait revenir en Suisse et quelle bonne idée vous avez en ce cas d’aller passer les vacances en Suisse auprès de lui. Tu n’oublieras pas de me prévenir aussitôt que vous recevrez la bonne nouvelle.

 

Nous n’avons pas bougé depuis dimanche. Comme nous sommes assez mal installés dans ce petit village où fourmillent les officiers anglais, nous aurions préféré partir de suite et nous installer ailleurs. Mais je crois que nous resterons ici un bon moment. Il paraîtrait qu’on s’attend à une attaque boche sur le front qui est devant nous et qui est tenu par les Anglais et nous serions destinés, dans le cas où les Anglais seraient enfoncés, à venir à la rescousse pour arrêter la ruée boche. Déjà hier, nous sommes allés en reconnaissance à quelques kilomètres du front pour étudier la position que nous occuperions. Le colonel m’y a emmené en auto et nous avons fait un petit détour par le sud pour rentrer ici en passant par la grande ville bombardée par les Allemands. Nous sommes passés devant la cathédrale, qui est une pure merveille et qui jusqu’à présent n’a pas souffert. La toiture seule a été traversée par un obus. La façade est indemne. D’ailleurs les belles statues qui trônent à la partie inférieure sont protégées pas des sacs à terre et ne risquent pas grand chose. La ville est morte. Quelques quartiers sont véritablement abîmés. On ne rencontre que de rares habitants. J’ai remarqué un quartier très ancien de vieilles maisons. Ce doit être le vieil Amiens et toute cette partie de la ville est très pittoresque. Demain nous retournons en reconnaissance mais nous irons à cheval et passerons toute la journée sur le terrain.

 

Dis à Robert que son papa est tout à fait triste d’apprendre qu’il n’est pas sage et qu’il fatigue sa maman Mimi si bonne.

 

8 mai - Ballot (Armées - Gièvres) à Georges Cuny.- Ayant appris que vous aviez rejoint votre groupe ainsi que le Lieut Morize, je m’empresse de vous écrire ; d’abord pour vous remercier de votre bonne lettre envoyée de Bordeaux et pour vous dire que je suis heureux de savoir que vous êtes guéri. Mais réellement depuis mon départ, le groupe a été bien éprouvé ; je n’ai pas de nouvelles du capitaine Grosperrin, mais j’aime à croire qu’il va bien. J’ai su aussi que le docteur Vieille a été décoré de la croix de guerre ainsi que Consigny. Mon Commandant je ne vous dirai rien de ma situation qui n’a du reste rien d’intéressant et surtout rien de comparable à ce que l’on fait sur le front, les Américains s’installent ici comme chez eux, mais je ne vois pas ce qu’ils font pour la guerre, il est vrai que le camp de Gièvres est destiné à recevoir tout le matériel venant d’Amérique ou d’ailleurs, il n’y a guère de soldats, seulement de la main-d’œuvre civile pour le déchargement des wagons ; il y a des Espagnols, des Grecs, des nègres, des chinois, des annamites, enfin je crois bien que toutes les bêtes sauvages de l’univers sont représentées ici, aussi quelle pétaudière, on ne se croit pas en France.

 

9 mai - ELLE.- Je n’ai pas reçu de lettres de toi hier et aujourd’hui, je pense donc que vous avez dû vous déplacer et probablement être amenés en ligne.

 

Pendant ce temps, nous sommes bien tranquilles ici, il n’y a que Monsieur Robert qui a encore fait le méchant hier, j’ai été obligée de l’enfermer dans une armoire en lieu d’un cabinet noir. Dès le matin, il n’a pas voulu faire ses devoirs, et je lui ai dit qu’il n’aurait pas à manger avant. Il avait servi la messe et avait déjeuné, mais comme il faisait sa tête, ce n’est qu’à midi, quand il a vu qu’on se mettait à table sans lui, qu’il s’est mis à travailler et en une heure il avait tout fini. Ce qui prouve bien que lorsque Monsieur veut se dépêcher et comprendre, il en a les moyens. L’après-midi il a recommencé et n’a pas eu à goûter. Le soir, il paraissait maté et soumis et aujourd’hui c’est un ange de douceur. Mlle Renard ne vient plus, car Robert devenait tout à fait grossier avec elle. Quand c’est une étrangère c’est ennuyeux. Moi je ne m’en blesse pas, je le fustige ou le punis et c’est tout, tandis que Mlle Renard faisait du sentiment.

 

Je t’ai dit, n’est-ce pas, que Paul L.J. partira entre le 1er et le 15 juin et il a demandé à Maman et à moi d’aller chez Maguy avant et après ses couches. Malgré toute l’affection que nous avons pour Maguy, cela nous ennuie, car cette absence va nous déranger beaucoup. Si c’est Maman, son usine et ses travaux de culture manquent de direction. Si c’est moi, ce sont nos enfants qui n’ont plus personne pour les appeler au travail, pour régler l’emploi du temps. En tout cas, si j’y vais, j’y emmènerai Robert, ce sera déjà le plus polisson qui a le plus besoin de surveillance, les autres se débrouilleront, car j’espère que tu seras venu en permission d’ici là.

 

Nous venons de recevoir un télégramme de Mr Ferrier, marchand de pâtes à papier en Suisse, qui parle d’affaires et dit à la fin : « Bonnes nouvelles de Georges, lettre suit ». Nous croyons Georges à Constance pour l’examen médical pour l’internement en Suisse et nous espérons recevoir bientôt la nouvelle de son arrivée en pays neutre. On nous disait qu’on n’acceptait plus en Suisse de touristes mais nous allons nous renseigner, car si Georges y est, j’y emmènerais les enfants en août, cela leur ferait du bien de changer d’air et d’aller à une altitude pendant quelques semaines. Mais j’ai tort de faire des projets si longtemps à l’avance, en général il se trouve un empêchement quand on en parle trop tôt.

 

Cela m’ennuie infiniment de te sentir dans une pareille tourmente.

10 mai - ELLE.- Maman est désolée de voir cette pluie persistante qui empêche les plantations de pommes de terre et j’en suis ennuyée pour un motif moins pratique, trouvant surtout ennuyeux de rester en chambre tout comme en hiver, alors que dans nos pays si peu de mois d’été nous permettent d’être dehors.

 

Comme nous étions trop nombreux hier à Cheniménil pour jouer au bridge, nous avons fait marcher le phonographe et j’ai pensé à toi en entendant « le Bouquet » et autres morceaux du même genre.

 

Je te joins une lettre de l’abbé Hamant, que je viens de recevoir et qui ne me plaît qu’à moitié. Elle est loin d’être rassurante et cela m’ennuie infiniment de te sentir dans une pareille tourmente. Hélas ! comme toujours il faut se résigner et avoir confiance en Dieu, qui ne voudra pas me rendre malheureuse pour toujours.

 

L’usine marche toujours « à la doucette ».

L’usine marche toujours « à la doucette ». C’est décidément Herlicq qui va faire l’appareillage, il doit être fini pour le 31 août, à partir de cette date, il se soumet à des pénalités. C’est Paul L.J. qui a révisé son devis et le lui a fait baisser de plusieurs milliers de francs en lui enlevant des fournitures que Paul déclare inutiles. Comme il a fait pas mal d’installations chez lui depuis la guerre, nous l’avons laissé juge et il a même fait venir Herlicq à Angoulême pour s’entendre avec lui. Maintenant tout est traité, il n’y a plus qu’à monter.

 

6 mai - F. Hamant (Les Ardennes – St Louis par Montivilliers - Seine Inférieure) à Mimi Cuny.- On nous annonce le rapatriement des prisonniers de 1914. Quel soulagement pour votre pauvre frère ! Dût-il même rester encore quelque temps interné en Suisse, quel adoucissement ce sera pour lui ! Au moins pourrez-vous le ravitailler plus sûrement qu’en Bochie. Je crois que la guerre va encore se prolonger féroce pendant tout l’été. L’état-major boche vient d’exiger et d’obtenir l’envoi sur notre front d’une armée d’Autrichiens et de Hongrois, qui encadrée par des Allemands permettra à ceux-ci de tenter un nouveau et violent coup de bélier. C’est peut-être un demi-million de réserves, de très médiocres réserves, qui font tout de même du nombre, qu’on va lancer de nouveau à l’abattoir dans le courant de l’été. Après quoi ce sera fini, Ludendorff donnera sa démission, et son successeur proposera un armistice. J’espère la fin du drame pour le courant de l’automne 1918. On a acquis la preuve que dans les hautes sphères boches on se considérait comme assuré d’être à Paris le lundi de Pâques 1er avril et que le bombardement de Paris par les obusiers de campagne était fixé au dimanche de Pâques. Nous avons échappé à ces Pâques sanglantes dont la prophétie mystérieuse se chuchotait en Allemagne, par une série de combats qui seront un jour célébrés à l’envi de ceux de la Marne. Malheureusement l’armée de von Hutier, à laquelle était réservée la marche foudroyante par l’Oise, est encore intacte, et, derrière elle, se prépare le nouveau choc. Nos pauvres soldats n’ont pas fini de souffrir.

 

Tous ces Anglais sont très bien installés. Ils ont des chevaux superbes, d’ailleurs je me suis renseigné et ils les nourrissent bien plus abondamment que nous et leurs voitures sont moins lourdes et plus nombreuses. Ils ont aussi beaucoup de mulets superbes qui sont paraît-il très résistants.

10 mai - LUI.- J’ai reçu ta bonne lettre du 4. Je crois qu’il ne faut pas te faire trop de soucis au sujet de Robert. C’est peut-être seulement un moment qui passe. Vous avez raison d’essayer de le mater d’autant qu’il est maintenant très bien portant.

 

Je t’ai demandé des nouvelles de ta santé. Tu ne me réponds pas du tout. Tu me dis simplement que je commence à t’en donner des miennes. Mais pour moi est-ce qu’on demande ces choses-là. Tu sais bien que je vais parfaitement. Bien entendu, il ne me reste rien de ces fameux gaz. Le perruquier toutefois trouve que la peau du visage est encore plus sensible qu’avant. Je te dis cela en passant, cela n’a d’ailleurs aucune importance et je crois que c’est simplement une idée du perruquier en question qui veut ainsi s’excuser de me faire un peu mal lorsque son rasoir ne coupe pas. Maintenant que tu es complètement fixée, tu vas me donner des détails sur ta santé. Si je ne me trompe, le régime que t’avait fait suivre le docteur doit être terminé. En as-tu retiré quelque profit ? Que dit le docteur ? Evidemment tu auras un peu maigri. De combien ? Renseigne-moi bien vite.

 

Nous avons été très absents toute la journée mais cette fois-ci nous n’étions plus en automobile mais à cheval. Nous avons été du côté du front et avons fait une longue trotte. Nous étions tous un peu fatigués en rentrant le soir à sept heures car il avait fait très chaud. Les pays que nous avons traversés sont occupés depuis deux ans uniquement par les Anglais. Un de mes camarades a entendu une petite fille qui disait en nous voyant arriver : « Maman, voilà les Français ». Nous avons rencontré quelques officiers anglais, entre autres un général, qui s’est arrêté et avec lequel j’ai voulu baragouiner quelques mots d’anglais. Mais il m’a interrompu de suite en me disant : « Je comprends mieux le français que l’anglais ». Il voulait certainement dire : « Je comprends mieux votre français que votre anglais ». Tous ces Anglais sont très bien installés. Ils ont des chevaux superbes, d’ailleurs je me suis renseigné et ils les nourrissent bien plus abondamment que nous et leurs voitures sont moins lourdes et plus nombreuses. Ils ont aussi beaucoup de mulets superbes qui sont paraît-il très résistants.

 

Avez-vous des nouvelles de Georges ? Et de Maurice ? N’est-il pas encore en permission ? Tu diras à Dédé que je le félicite de sa bonne note en latin et à Robert que je suis content d’apprendre qu’il est un peu plus sage. Sais-tu à quel moment tombe la fête d’Henry ? Si tu pouvais m’envoyer à l’occasion quelques petits bonbons, on ne trouve rien ici ?

 

11 mai - ELLE.- Je reçois seulement aujourd’hui ta lettre du 4, tu vois qu’elle a mis du temps à m’arriver, je pense que vous avez dû être engagés depuis lors et que c’est à cela qu’est dû ce retard dans les correspondances.

 

Robert a passé la journée d’hier au lit et il y restera encore aujourd’hui, car il toussait et tousse encore beaucoup. Nous avons eu tort de l’emmener chez Maurice jeudi, il y a pris froid probablement. Mais ne t’inquiète pas, il n’a pas de fièvre, nous tenons à ce que cette toux ne s’éternise pas et c’est pourquoi nous le soignons de suite énergiquement. Il a encore été très méchant hier matin. Noëlle aussi d’ailleurs a eu une très mauvaise journée (paresse et vol). André seul a été parfaitement sage, sans doute parce qu’il voyait que les autres me faisaient de la peine. En effet, j’en étais tellement énervée que j’en ai pleuré. Il y a vraiment des jours où on voudrait les voir au diable, ces petits drôles.

 

Robert surtout est tellement violent et mauvais quand il s’y met. Hier dans sa colère, il a déchiré un dessin de Noëlle qu’elle avait accroché au-dessus de son lit, une aquarelle de Maguy, cassé les lunettes de Grand’Mère, renversé complètement les lits de Noëlle et Gr-Mère qu’on venait de refaire, je suis arrivée à temps pour sauver le réveil et le thermomètre de température qu’on avait laissés sur la table de nuit. Enfin il y a des moments où c’est un vrai petit fou auquel il faudrait un cabanon. Pourvu que nous arrivions à le corriger de ce gros défaut, qui pourrait dans l’avenir amener des ennuis énormes et des choses graves.

 

Je suis toute secouée ce matin car Maman vient de recevoir une lettre de Maguy lui disant qu’elle est très choquée de la façon dont nous avons répondu à la lettre dans laquelle elle nous annonçait le prochain départ de Paul. Je t’assure que je lui avais pourtant écrit une très gentille lettre où je lui parlais de son chagrin de quitter Paul, etc. Mais j’avais eu cette malheureuse phrase de dire que nous le craignions toujours un peu avec toutes ses lois de récupération, lois Mourier et autres. Là-dessus, elle croit voir que nous nous imaginons que Paul ne part pas volontairement, qu’il y est forcé et que nous lui enlevons de son mérite, que nous ne lui reconnaissons pas ses qualités, etc., etc. Elle et lui sont vraiment insupportables de susceptibilité. Je ne lui répondrai rien, car je ne pourrais que lui dire ses vérités et cela n’avancerait à rien.

 

Voici aussi une lettre de Paul, qui cherche à me convaincre. Je n’y répondrai pas non plus, car je n’ai jamais douté de son mérite comme inventeur et homme intelligent, il dit qu’il a inventé et créé de nouvelles fabrications de buvard qui à elles seules auraient parfaitement justifié sa présence, il a travaillé ces temps derniers à des récupérations de paraffine, question d’importance capitale à l’heure actuelle, et il a eu la joie d’obtenir des résultats très heureux. Mais tout de même, entre nous, avoue qu’ils abusent, et en tout cas, je ne comprends pas Paul qui aime et soigne tant sa femme, d’avoir juste demandé à partir au moment de ses couches. S’il n’y était pas obligé, il pouvait attendre deux mois de plus. Il y a là-dedans une contradiction.

 

Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’ils ont un orgueil incommensurable, un caractère détestable, qu’on ne peut leur plaire qu’en leur faisant des compliments et que ce sont des parents dont on se passe et dont on se passera de plus en plus. D’ailleurs, dès les projets de mariage de Maguy, j’ai toujours pensé que ce serait pour moi comme si elle n’existait plus. Je ne m’étais pas trompée. Cela ne sert à rien la famille, et je suis de l’avis de beaucoup qui disent que des amis sont souvent meilleurs et plus agréables à voir.

 

Tu vas te dire que nous nous occupons de bien petites choses. Quand on voit comme toi les grandes batailles de près, on se dit que tous ces à-côtés de la vie sont bien peu de choses et qu’on devrait voir plus haut et plus loin. Pardonne-moi donc de t’occuper de toutes ces questions et de t’en parler comme si tu étais près de moi et que tu puisses m’y répondre.

 

Je t’embrasse de tout mon cœur. Ta Mi.

 

Les boches sont toujours actifs mais aujourd’hui mes batteries n’ont pas encore reçu un obus. Dieu veuille que cela continue.

11 mai - LUI.- J’ai reçu ta bonne lettre du 6. En effet la photo que tu m’envoies est ratée. Je trouve comme toi qu’il est ridicule de laisser en gare de Nancy une rame de wagons remplis d’essence. Mais nous sommes toujours les mêmes, nous ne prenons des précautions que lorsqu’il n’est plus temps.

 

Je serais très heureux que ce que tu sembles désirer pût se réaliser. Je crois que Georges et Germaine auraient tous deux de la chance. Il est visible d’ailleurs que si cela ne dépendait que des Molard ce serait bientôt fait. Marie parle trop souvent en termes élogieux de Georges pour qu’elle n’ait pas une petite arrière-pensée. Quant à ma petite nièce, elle nous aime beaucoup. Elle a entendu souvent vanter les mérites de ta mère par sa maman. Elle sait que Georges est intelligent, travailleur, très gai, d’un commerce très agréable. Elle sait qu’il a toujours été très bon pour sa mère et cela ne m’étonnerait nullement qu’elle ait un petit penchant pour lui. Malheureusement l’autre principal intéressé n’est pas là et il est évident qu’on ne peut pas l’engager sans le consulter et sans qu’il ait revu Germaine, qu’il a laissée encore presque petite fille. C’est évidemment dommage et je le regrette bien car avec Germaine ta mère pourrait se flatter d’avoir les meilleures filles et belles-filles qui existent. Puisque je pense aussi à Maguite en disant cela, je t’engage à ne pas mal interpréter mes sentiments. Je sais bien que c’est entre nous et que c’est plutôt pour m’amuser que tu parles de son machiavélisme. Cette pauvre Maguite qui se dévoue pour vous faire plaisir. Vraiment, ma Mie chérie, tu n’es pas charitable.

 

C’est bien la dernière fois que j’achète du papier à lettres bon marché. Je ne peux pas écrire un mot sans que la plume gratte le papier et en enlève une partie. C’est assommant.

 

Il fait très beau ces jours-ci. Les boches sont toujours actifs mais aujourd’hui mes batteries n’ont pas encore reçu un obus. Dieu veuille que cela continue.

 

Mon groupe commence à se retaper sérieusement, mes chevaux recommencent à grossir et les hommes ont je crois bon moral.

12 mai - LUI.- Je reçois tes bonnes lettres des 5 et 6 mai. Je suis content de savoir Maurice en permission. Nous n’étions pas loin l’un de l’autre en effet il y a eu vendredi huit jours, mais d’abord je ne pensais pas qu’il fût encore à Conté et puis je ne peux pas m’absenter car nous pouvons partir d’un moment à l’autre. En attendant il est vrai voilà huit jours que nous sommes ici, et en somme nous avons fini par nous y installer de façon suffisamment confortable. Les Anglais nous ont même invités à une représentation théâtrale, où d’ailleurs quelques-uns de nos poilus ont été priés de dire quelques chansons. Je n’ai pas pu y aller car j’étais ce jour-là en reconnaissance. Il est probable que nos poilus n’ont pas compris grand chose mais comme il y avait quelques clowneries, ils ont dû s’amuser cependant.

 

Je ne partage pas du tout l’avis de Maurice sur Paul L.J. Il m’a paru au contraire très sincère lorsqu’il m’exprimait le désir d’aller au front. Je ne vois pas non plus comme toi pourquoi Maurice n’aime pas Paul, qui est un charmant garçon et qui a certainement du cœur. Toi, qui as de l’influence sur lui, et Thérèse aussi peut-être devriez l’engager à voir les choses avec plus de calme et sans tant de parti pris. Tu me dis que les dames Vautrin parlent toujours avec beaucoup d’âpreté des officiers d’EM. Mais Paul Boucher n’est-il plus à l’EM d’une division ? Elles feraient mieux je crois de regarder un peu ce qui se passe chez elles au lieu de tant s’occuper des autres.

 

Tu as dû lire dans les journaux quelques précisions sur l’entente survenue entre les gouvernements allemand et français pour l’échange de prisonniers. Je crois que le retour de Georges en Suisse est certain bien qu’il faille s’attendre, comme le dit d’ailleurs la note communiquée aux journaux par le gouvernement, à ce que l’internement en Suisse de tous les prisonniers ne pourra s’effectuer que progressivement. Je crois que tous ceux qui ne sont pas officiers, par conséquent les adjudants, seront rapatriés. Mais il a peut-être mieux valu pour Georges qu’il soit officier. Je pense que ceux-ci ont dû moins souffrir et j’espère qu’on donnera facilement des passeports aux parents et que Maman pourra aller le voir souvent. En tout cas ce n’est qu’une affaire de temps et j’en suis bien heureux pour vous tous.

 

Nous faisons demain une manœuvre avec l’infanterie et je pense que, si nous restons encore quelque temps ici, ces manœuvres vont continuer. Il y a souvent bien des invraisemblances, mais enfin ce sont des promenades agréables et puis que ferions-nous toute la journée si nous ne sortions pas de temps à autre. Mon groupe commence à se retaper sérieusement, mes chevaux recommencent à grossir et les hommes ont je crois bon moral.

 

N’oublie pas de me parler de ta santé dans ta prochaine lettre. Tu diras à Robert que je suis content d’apprendre qu’il est sage.

 

 

Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 12/05/1918 (N° 1429)

La première pensée du soldat blessé - Vite un mot pour rassurer la famille !

LPJ Illustre 1918-05-12 A.jpg
  

 

Thèmes qui pourraient être développés

  • Aviation - Disparition du capitaine Mahieu - Mort de deux « As » : lieutenants Chaput et Demeuldre
  • Ukraine - Le coup d'Etat de Kiev - Le nouveau ministère de l'Ukraine
  • Autriche - Troubles graves dans la flotte austro-hongroise
  • Autriche - Les "manœuvres" de paix de l'Autriche
  • L'échange des prisonniers
  • Contre l'alcoolisme
  • Marine - Un sous-marin allemand coulé par un croiseur américain
  • Mobilisé - La loi Mourier
  • La cathédrale d'Amiens
  • Armée - Le perruquier (barbier)
  • Les Annamites - Relatif à l’Annam ou à ses habitants (= vietnamien)
  • Bruges et Zeebrugge (LPJ Sup)
  • Religion - Fête religieuse - Rogations (les trois jours qui précèdent l'Ascension)
  • Religion - Fête religieuse - Saint Jean Porte Latine - 6 mai
  • Religion - Fête religieuse - Apparition de Saint Michel - 8 mai
  • Religion - Fête religieuse - Ascension


04/05/2018
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