14-18Hebdo

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195e semaine de guerre - Lundi 22 avril au dimanche 28 avril 1918

LUNDI 22 AVRIL 1918 - SAINTE OPPORTUNE - 1359e jour de la guerre

MARDI 23 AVRIL 1918 - SAINT GEORGES - 1360e jour de la guerre

MERCREDI 24 AVRIL 1918 - SAINT FIDELE - 1361e jour de la guerre

JEUDI 25 AVRIL 1918 - SAINT MARC - 1362e jour de la guerre

VENDREDI 26 AVRIL 1918 - NOTRE-DAME DU BON CONSEIL - 1363e jour de la guerre

SAMEDI 27 AVRIL 1918 - SAINT ANASTASE - 1364e jour de la guerre

DIMANCHE 28 AVRIL 1918 - SAINT PAUL DE LA CROIX - 1365e jour de la guerre

Revue de presse

-       Grande activité de notre aviation de bombardement

-       Pétain rétablit les perm...

-       Grande activité de combat sur le front de Macédoine

-       L'"as" des "as" boches est tué – Le capitaine von Richthofen abattu par les Anglais

-       Opérations navales - Puissante attaque contre Ostende et Zeebrugge

-       Une puissante offensive ennemie vers Amiens est contenue par les troupes franco-britanniques

-       Ludendorff inaugure une nouvelle tactique

-       Un duel de tanks - Les premiers tanks boches se sont rencontrés avec les tanks anglais

-       Trois jours sans viande - Décision imminente du ministre du ravitaillement

-       Reims revivra malgré 44 mois de bombardement

-       L'indemnité d'usure d'effets pour les combattants

-       Fonck abat son 36e avion, Guérin son 22e, Chaput son 16e

-       Prisonniers de guerre - Clôture de la conférence franco-allemande de Berne

 

Morceaux choisis de la correspondance

22 avril - ELLE.- Nous avons eu hier une journée occupée. Dès le matin, nous n’étions pas encore prêtes, il était 8 heures ½ et on ne se préparait que pour la messe de 9 heures, arrive Georges Garnier qui venait d’Epinal, Thiéfosse, Cornimont. Nous l’avons laissé avec un livre au fumoir près du feu pendant que nous allions à la messe. André est resté avec lui, car je lui avais défendu de sortir étant un peu enrhumé. Quand nous sommes rentrées je lui ai tenu compagnie jusque midi, il m’a raconté ce que Paul lui avait dit. L’oncle Alphonse lui a donné une douche en lui disant qu’il n’était pas fait pour être courtier, qu’on ne gagne pas grand-chose, que les courroies, c’est du « bricolage ». Pierre Mangin, qu’il aurait voulu voir, était à Lyon. Revoilà le pauvre Georges replongé dans l’indécision, il aurait été content de te voir.

 

Thérèse est arrivée à midi avec ses deux petits bouts, et on a fait un excellent dîner. Après, Noëlle est partie à St Jean. André est resté avec ses petits cousins. Robert circulait après avoir fait un verbe comme punition, c’est aussi comme punition qu’il n’est pas allé à St Jean.

 

André avait l’air fatigué tout l’après-midi, il restait dans un fauteuil du fumoir, les petits jouaient près de lui. Vers 3 heures ½, j’entre et je le vois tout pâle, je lui demande ce qu’il a et il me dit qu’il est mal à l’aise, je le couche par terre en attendant qu’on lui chauffe son lit et au bout de cinq minutes le voilà qui tombe en faiblesse, il a fallu le frotter au vinaigre, lui mettre de la chartreuse entre les dents, cela m’a donné de l’émotion de le voir si pâle. Enfin au bout de cinq minutes, il est revenu à lui et on l’a porté au lit. Au bout d’une heure il allait bien à nouveau, il s’est bien reposé toute la soirée. Le docteur Hadot doit venir à Docelles ce matin chez une femme malade et je lui ai fait dire de venir jusqu’ici pour voir André. Je crois que cette faiblesse vient tout simplement d’un malaise d’estomac, mais comme il traînait depuis trois jours, je voudrais savoir si cela ne viendrait pas du cœur. Avec tout cela, il n’a fait ni son dessin, ni son dernier devoir de latin, qu’on laisse toujours pour le dimanche soir. Aussi aujourd’hui, je vais le quitter des devoirs et leçons de Mlle Marchal pour aujourd’hui, cela lui donnera le temps de faire ses devoirs d’Epinal sans se fatiguer.

 

Madame Puce, elle, est revenue enchantée de sa promenade. Elle est venue au foyer du soldat avec moi de 6 heures à 7 ce qui lui a fait un plaisir énorme. Il y avait séance de cinéma le soir et elle aurait bien voulu y rester, mais je n’ai pas autorisé. Nous avons retrouvé Georges Garnier en rentrant, qui refaisait à Maman le récit de ses projets, désirs et hésitations.

 

Rappelle-toi que Maurice est à l’I.D. 64, si par hasard tu peux le rencontrer, sa division est engagée en ce moment.

 

Bonnes tendresses, mon adoré chéri, je me réjouis d’avoir de tes nouvelles. Ta Mi.

 

Une centaine de mes chevaux avaient été atteints par les gaz. On a dû les remplacer. Tous les chevaux sont un peu fatigués mais enfin ils peuvent encore tenir.

22 avril - LUI.- Nous n’avons pas fait mouvement hier et, comme nous étions assez largement logés, nos hommes ont pu se reposer. J’ai pu reprendre contact et constater que le groupe était en bon état. Les nouveaux éléments qui ont servi à le reconstituer m’ont paru excellents. Je t’ai dit que le capitaine Grosperrin avait été remplacé par un lieutenant de l’active, qui sortait de Polytechnique en 1914. Ce jeune lieutenant est tout à fait intelligent, genre Bareille. Il paraît très robuste, fait toutes les étapes à pied. C’est un Parisien de très bonne famille et c’est certainement une très bonne acquisition pour le groupe. Avec lui on m’a donné un jeune sous-lieutenant de la classe 1918, qui est déjà licencié es lettres et licencié en droit. C’est aussi un officier distingué avec qui l’on peut causer. Enfin un autre jeune sous-lieutenant n’a pas fait de si bonnes études, mais enfin il est bachelier et de bonne famille et pensait préparer l’X si la guerre n’était pas arrivée. Pour remplacer mon secrétaire qui était un employé d’octroi et dont d’ailleurs j’étais tout à fait content, Machiels a choisi un candidat à Normale Supérieure (lettres) qui était en Rhétorique supérieure à Lakanal, jeune homme également très intelligent, de sorte que mon groupe reste le groupe intellectuel du régiment.

 

Les jeunes gens de la classe 1918 qu’on a versés dans mon groupe me paraissent avoir une bonne santé. Ils ne sont peut-être pas tout à fait au courant mais ils paraissent se tenir mieux que les vieux. Tous les sous-officiers qu’on m’a envoyés seront suffisants je crois, de sorte que je n’ai plus maintenant aucune inquiétude. Une centaine de mes chevaux avaient été atteints par les gaz. On a dû les remplacer. Tous les chevaux sont un peu fatigués mais enfin ils peuvent encore tenir.

 

Ce matin nous avons fait une très petite étape de quinze kilomètres vers le nord ouest et l’on nous dit que nous resterons ici demain. Je suis très bien logé chez l’instituteur du village, qui est un vieil instituteur. J’ai une bonne chambre, un bon lit, des draps qui paraissent propres. Tu vois donc que jusqu’ici je ne suis guère fatigué. J’ai fait une dizaine de kilomètres à pied ce matin et cela m’a fait beaucoup de bien. Tous ces pays que nous traversons sont des pays de culture. Il m’a semblé que les champs étaient bien entretenus et qu’on avait beaucoup planté. Un officier que j’ai vu hier m’a d’ailleurs dit que le pays qu’on avait laissé aux boches promettait une très belle récolte. J’espère que les boches ne parviendront pas ici, nous sommes à trente kilomètres des lignes et toujours en réserve.

 

Je serais très heureux si nous nous rapprochions de la ville où se trouve Maurice. Nous semblons aller de ce côté. J’ai oublié de te dire que j’avais rencontré à Mantes le Lt Maillé, le mari de Mlle Febvel, qui est à la gare régulatrice. Il m’a dit que ces dames étaient dans le midi.

 

Que devient Maman et l’usine ? Les enfants travaillent-ils tous bien et sont-ils bien sages ? On ne parle pas encore de rétablir les permissions. Je me réjouis déjà de te revoir et de passer de bons moments avec ma chérie que j’aime tant. Je t’embrasse ma Mie de tout cœur avec nos enfants chéris. Je t’ai dit que j’avais retrouvé le Lt Morize mais il a encore les yeux très rouges.

 

J’ai rencontré le Lt Elliesram, pas celui du midi bien sûr, qui m’a chargé de ses respects pour toi. Je suis très raisonnable pour les cigarettes, beaucoup plus que Morize.

 

23 avril - ELLE.- Bonne fête ! tous mes vœux et toute ma tendresse vont vers toi plus spécialement en ce jour où je voudrais tant être près de toi et te les dire de vive voix en me pressant contre toi. Je voudrais savoir où tu es, ce que tu deviens, et les courriers ne m’apportent rien de ce que j’y voudrais trouver.

 

André va bien, le docteur qui est venu le voir hier en passant a dit que cette petite faiblesse venait certainement d’un malaise d’estomac, qu’il fallait lui donner peu à manger pendant quelque temps et le mettre beaucoup à l’air.

 

Nous allons partir à Epinal pour notre course hebdomadaire et y emmenons Thérèse, cela fera encore une bonne voiture, comme par hasard.

 

Je te serre, mon aimé, bien tendrement. Ta Mi.

 

Hier soir nous avons entendu le canon comme nous ne l’avions plus entendu depuis 1914 au mois d’août.

24 avril - ELLE.- Figure-toi qu’hier soir nous avons entendu le canon comme nous ne l’avions plus entendu depuis 1914 au mois d’août. Cela a commencé vers 8 heures ½ jusque 10 heures ½. Pour te donner une idée du roulement, je puis te dire que nous étions au fumoir, Maman et moi, les deux petits étaient couchés et André se déshabillait et nous entendions du bruit comme si les enfants couraient pieds nus dans leurs chambres l’un après l’autre. J’attends cinq minutes, puis je dis à Maman : « Voilà encore ces diables qui m’obligent à monter pour les gronder et les arrêter dans leur course ». Je monte, les deux petits dormaient, André se lavait tranquillement et les bonnes qui montaient me disent : « Madame entend le canon ? » Pour toi qui es dans la bataille, ce roulement continu mais sourd te semblera bien anodin, mais il nous a un peu émues tout de même. Maman qui voulait partir ce matin à Paris disait : « Je ne veux plus te laisser, si c’était une attaque allemande qui se déclenche par ici ». Je lui ai fait remarquer que s’il fallait fuir, elle partie, ce serait déjà une place de plus dans l’auto pour y mettre autre chose, et en riant je lui ai donné rendez-vous à Angoulême. D’ailleurs le bruit a cessé quand nous nous couchions et c’est dans le calme que Maman est partie ce matin.

 

Hier André a eu pour ses trois devoirs de latin 15, 13 et 6. Il y a donc des hauts et des bas. Robert est dans une mauvaise veine, toujours des colères et des grossièretés, il y a des moments où on a envie de le rouer de coups tellement il est exaspérant.

 

Bonnes tendresses, mon amour chéri, soigne-toi bien et écris-moi longuement comment tu vas, comment tu es installé. Pourvu que tu n’aies pas froid, je regrette que tu n’aies pas pris ton tricot. Ta Mi.

 

Nous avons fait aujourd’hui une très dure étape, je parle pour nos hommes et nos chevaux, non pas tant à cause du nombre de kilomètres (35) qu’à cause de l’itinéraire qu’on nous force à suivre. Voilà bientôt un mois que notre régiment se promène sur toutes les routes.

24 avril - LUI.- Je reçois ta bonne lettre du 19 et te remercie de tes bons souhaits. Cette date du 23 avril m’en rappelle une autre toute rapprochée, celle de notre mariage ma Mie, qui nous a apporté tant de bonheur. Demandons à Dieu que ce bonheur continue et qu’il fasse terminer bien vite cette vilaine guerre qui nous sépare depuis si longtemps. J’ai reçu également des lettres de Paul et des Molard et je te remercie d’avoir joint la lettre d’Henry.

 

Nous avons fait aujourd’hui une très dure étape, je parle pour nos hommes et nos chevaux, non pas tant à cause du nombre de kilomètres (35) qu’à cause de l’itinéraire qu’on nous force à suivre. Il y a malheureusement dans ce pays-ci des routes gardées, comme on les appelle, que les convois de voitures ne peuvent prendre et qui ne servent qu’aux autos et aux camions. Ce sont toujours les grandes routes nationales ou départementales, c’est-à-dire les meilleures et les plus directes. Nos colonnes sont forcées de prendre des chemins très détournés, en général très mauvais et surtout qui sont de véritables montagnes russes. Comme on nous a enlevé quelques voitures et une assez grande quantité de chevaux et qu’il faut quand bien même transporter toutes nos affaires y compris nos munitions, nos servants sont en majorité obligés de faire à pied toutes les étapes et sont fatigués. Je ne parle pas de nos chevaux, qui ont beaucoup maigri depuis Verdun. Ces derniers jours les étapes avaient été très courtes et j’espérais que cela continuerait. Enfin je suppose qu’on ne va pas nous emmener de cette façon jusqu’en Belgique. Voilà bientôt un mois que notre régiment se promène sur toutes les routes.

 

Aujourd’hui nous sommes à l’ouest d’une grande ville où habitent les beaux-parents de Alfred Geny, mais assez loin à une trentaine de kilomètres. Mon groupe est réparti dans deux petits villages de culture, qui ont l’un 60 habitants et l’autre 20. Le maire de l’endroit est un vicomte déjà âgé, qui possède à peu près je crois tout le pays et qui est mon hôte. J’habite un superbe château, dans lequel j’ai une excellente chambre. Je comptais aller lui présenter mes devoirs mais comme nous sommes arrivés assez tard et que je suis un peu resté au bureau après le dîner, c’est lui qui est venu me voir pour me faire signer soi-disant des laissez-passer. Cinq de mes camarades logent avec moi au château, qui d’ailleurs est plein, des parents de notre hôte ayant dû évacuer Amiens et lui ayant demandé de les héberger en attendant. Je ne sais pas s’il existe une Madame la vicomtesse, je vais me renseigner car j’irais la remercier de son hospitalité. J’espère qu’on nous laissera tranquilles demain et que nous pourrons un peu nous reposer. Je ne parle évidemment pas pour moi qui reviens de congé et qui fais une dizaine de kilomètres à pied, je ne suis évidemment pas fatigué.

 

J’ai envoyé directement à l’hôtel Français à l’adresse de Maman les tickets qui me restaient, trois. Partout j’ai pu m’en tirer sans donner le ticket sauf au buffet de Mantes où on n’a pas voulu me donner de pain. J’ai dû m’exécuter.

 

Tu diras à André que je suis bien content qu’il travaille bien.

 

25 avril - ELLE.- Cette semaine est pour nous une série d’anniversaires et de fêtes. Après ta fête, l’anniversaire de mariage de Maguy, puis le nôtre aujourd’hui, voilà justement le même beau temps qu’il y a douze ans et, en regardant le chemin parcouru je vois toujours ton amour, mon doux chéri, me protégeant, me suivant même de loin, et je remercie Dieu d’avoir permis notre mariage et d’avoir protégé notre amour. En ce moment, où tu es pourtant éloigné, je ne me sens pas seule car je pense à toi, si bon, si brave et je sais que ta pensée revient souvent aussi vers nous.

 

Demain sera un jour moins gai car il y aura trois ans que notre pauvre Mère nous a quittés et figure-toi que je vais justement avoir l’occasion d’aller cet après-midi prier non pas sur sa tombe, mais sur celle qu’elle entretenait avec tant de soin à Gérardmer, et j’y emmènerai ses petits-enfants. Si elle les y voit, cela lui fera plaisir. J’avais reçu hier matin un télégramme de Valentin disant : « Vitre du hall brisée préviens Mme Paul ». Je pensais ce matin, allant à Epinal pour conduire Dédé, aller m’entendre avec Paul ou Gustave et emmener un de ces deux à Gérardmer cet après-midi, car je ne voulais pas y aller seule.

 

Au foyer, vers 4 heures ½, m’arrive Gustave, tout boueux, le pauvre garçon venu à bicyclette m’apportant un long télégramme de Paul, qui est encore à Paris. Je te le joins d’ailleurs, tu en sauras autant que moi. J’aurais voulu que Gustave vînt avec moi, mais il n’a rien voulu entendre disant qu’il n’a pas de laissez-passer. De sorte que je suis obligée d’y aller seule. Nous reviendrons d’Epinal vers midi ½, nous déjeunerons puis repartirons à Gérardmer. Heureusement que j’ai un laissez-passer. Gustave m’a dit que ce sont les gendarmes qui doivent s’occuper de cela. Il faut que je fasse venir le juge de paix à la maison avec l’inventaire qu’on a dû lui confier en posant les scellés et voir avec lui ce qui manque. Les enfants se réjouissent énormément de cette promenade. Noëlle prétend qu’elle se rappelle où Bonne Maman rentrait les jouets, moi au contraire j’ai un serrement de cœur à l’idée de toucher à tous les objets rangés par Mère, de revoir ce qu’elle aimait tant et rentrer seule dans cette maison. J’ai peur aussi que Paul ne trouve pas bien ce que je fais, enfin je ferai pour le mieux.

 

On dit que nos soldats vont partir aujourd’hui, tant mieux. C’est un groupe paresseux, qui ne travaille pas du tout, les hommes ne veulent même pas enlever le fumier de leurs chevaux. Avant-hier je suis allée à l’écurie leur dire de le faire, ils ont répondu, payez-nous 3 litres, nous le ferons. Je n’ai pas insisté, nous le ferons faire par un de nos ouvriers après leur départ. Mais il faut croire que les officiers ne s’en occupent pas, car nous en avions déjà parlé à un officier et un s/officier. Il y a 16 chevaux dans ce hangar, cela finit par faire une accumulation.

 

A Arches, visiblement tout marche, papeterie, tissage et féculerie.

 

Toujours pas de nouvelles de mon chéri. Je trouve le temps long et voudrais en recevoir, savoir comment tu vas, comment tu te trouves, si tu n’as plus eu de malaise à l’estomac.

 

Nous allons tous bien ici, je t’embrasse, mon adoré, de tout mon cœur. Mimi.

 

L’usine continue à tourner tout doucettement comme on l’a institué quand tu étais encore ici, ce n’est évidemment pas une marche industrielle, mais on n’en est plus là.

26 avril - ELLE.- J’ai enfin reçu une bonne lettre de toi hier. Tu ne m’y parles pas de ta santé, ce qui m’aurait fait plaisir, as-tu retrouvé ton appétit ? Penses-tu à mettre encore tes lunettes pour le grand jour et le soleil. Je suis contente de savoir que tu as rencontré notre ami Beauvais. Chaque fois que tu rencontres quelqu’un de connaissance, ne manque pas de me le dire.

 

Hier, nous sommes donc allés le matin à Epinal, et l’après-midi à Gérardmer. Heureusement, mon permis d’auto de ce mois-ci portait l’arrondissement de St Dié, cet hiver je n’aurais pas pu y aller. D’ailleurs on n’est pas arrêté, il n’y a aucun poste.

 

Nous avons cueilli des marteaux[1]. Mais ce qu’il y a d’amusant, c’est que j’allais me rendre compte d’un cambriolage et comme on avait rebouché l’endroit par lequel le ou les voleurs ont pénétré (une fenêtre du hall dont on a soulevé le store et cassé la vitre à la hauteur de l’espagnolette), et comme les scellés n’ont pas été brisés aux portes où ils ont été posés, je n’ai pas eu le droit de pénétrer. Il faut que chacun de vous me donne un pouvoir avec lequel on pourra lever les scellés.

 

Veuille donc bien écrire de ta main ce qui est écrit au crayon, dater en toutes lettres et signer. Le greffier écrira le reste et le nom du mandataire. Il ne faut pas mettre mon nom, car si j’étais empêchée d’aller à Gérardmer le jour où le juge de paix m’y conviera, ce serait un clerc de Mr Mathieu qui vous remplacerait.

 

Mais nous avons été d’avis avec le greffier qu’il fallait entrer dans la maison avant de déposer une plainte pour voir ce qu’on y a pris. Les Valentin semblent en prendre grand soin, les pauvres gens s’en font même du souci, Marie disait n’en pas avoir dormi pendant 2 nuits après s’être aperçue de l’effraction. Elle a absolument voulu nous offrir le thé aux enfants et à moi et, pendant que j’allais au cimetière, nous a préparé une vraie table. Elle a 2 vaches, vend du lait et fait du beurre. Les pauvres sont toujours bien tristes de la mort de leurs fils. Robert et Noëlle qui se réjouissaient d’entrer dans la Chanonyère ont été bien déçus. Ils se sont consolés avec le thé et les tartines de beurre de Marie Michel.

 

Tu sais, la vue de la Chanonyère m’a encore prouvé une fois de plus combien c’est peu intéressant d’avoir une maison de campagne à soi. Le jardin est devenu une friche, la terrasse est toute gondolée, les carrelages se détachent et les enfants des environs viennent les prendre pour s’amuser. Aux endroits où il n’y a plus de carrelages, l’herbe et des petits arbres poussent. Il faudrait vraiment, quand on a une belle maison comme celle-là, faire les frais d’une ou d’un gardien qui ne fasse que soigner la propriété. Je sais bien que l’état de guerre est anormal et qu’après on retrouvera peut-être des gens qui entretiendront mais le dévouement et l’intérêt du bien du patron deviendront toujours plus rares.

 

L’usine continue à tourner tout doucettement comme on l’a institué quand tu étais encore ici, ce n’est évidemment pas une marche industrielle, mais on n’en est plus là.

 

Tu as vu sur les journaux que les permissions étaient rétablies au taux de 3%. C’est peu et cela nous repousse bien loin.

26 avril - LUI.- Je n’ai pas eu de lettres de toi hier et me réjouis d’avoir des nouvelles aujourd’hui. Je t’ai écrit avant-hier et t’ai dit que nous étions arrivés après une rude étape dans deux petits villages voisins où mon groupe est cantonné. Nous n’avons pas bougé depuis. Voilà donc deux bons jours passés. Mes hommes et mes chevaux pourront se reposer.

 

J’ai une très bonne chambre et en t’écrivant j’aperçois tout le fond de la vallée. Les appartements ici sont très élevés, les fenêtres également sont très hautes, on a donc beaucoup d’air et de lumière. Le maître de céans n’est pas marié. D’ailleurs il m’a tout de suite fait l’effet d’être un peu original. Il possède comme je te l’ai dit tout le pays, mais il doit être pour ses fermiers un propriétaire pas très commode bien qu’il soit maire du pays et que tout le monde l’appelle Mr le vicomte. Il m’a de suite demandé que mes hommes n’aillent pas dans tel ou tel terrain, a attiré mon attention sur des bois coupés craignant que mes hommes ne les enlèvent. Enfin on voit bien qu’il n’y a pas longtemps que les soldats cantonnent dans ces pays-ci. On dirait que les gens en ont un peu peur. Cependant dans tous les villages où nous sommes passés ce n’a été qu’une impression et bien vite les gens se sont apprivoisés. Si nous devons rester ici quelque temps, nous allons recommencer l’instruction. J’ai déjà fait d’ailleurs un exercice hier et aujourd’hui avec tous les officiers. Le Lt Cassan qui remplace Grosperrin est tout à fait remarquable. Sans doute je regrette ce brave Grosperrin (qui vient d’être promu chevalier de la Légion d’honneur) mais j’aimerais mieux conserver son successeur, qui me rendra beaucoup de services.

 

J’ai reçu un mot de Maurice me disant qu’ils viennent d’être engagés et qu’ils ont eu les honneurs du communiqué. La lettre est datée du 20. J’espère que sa brigade sera bientôt relevée et qu’il pourra partir en permission. Tu as vu sur les journaux que les permissions étaient rétablies au taux de 3%. Comme nous sommes 60 officiers dans le régiment, le colonel a décidé qu’un officier pour tout le régiment partirait par semaine. Il y aura donc seulement deux officiers à la fois en permission ce qui est la juste proportion, mais c’est peu et cela nous repousse bien loin. Enfin il faut bien espérer que lorsque nous aurons été engagés, on augmentera fortement le taux et que je pourrai bientôt te revoir, ma Mie, avec quel plaisir !

 

27 avril - ELLE.- Je voudrais bien recevoir plus de nouvelles de toi, les journées sont longues quand le courrier est nul et on est un peu désemparé.

 

Nos soldats sont partis cette nuit. Le colonel est venu me saluer hier à onze heures, toujours très raide et sec. Il partait en auto avec tout l’E.M. et devait faire ses 400 kilomètres en deux jours. Il me semble détester nos alliés les Anglais et m’en a dit tout le mal qu’il en pensait. Tout comme Mme L.J., il a dû avoir des démêlés ou des rancunes personnelles, les officiers d’artillerie anglaise lui déplaisent particulièrement. Il est arrivé ce matin une section d’autos sanitaires pour remplacer les artilleurs au village mais, pour 20 chauffeurs, nous n’ouvrons pas le foyer et nous donnons congé de quelques jours.

 

Robert est toujours dans une mauvaise veine, il est privé de bicyclette pour huit jours et ne doit pas sortir du jardin pendant ce même laps de temps, et n’aller au village qu’accompagné par une bonne ou moi. Il jette des cailloux, tire les cheveux aux petites filles, arrache les nœuds des autres, enfin on reçoit des plaintes et il faut sévir. Quel diable de gosse ! malin comme un singe, mais aussi insupportable qu’on peut l’être.

 

Pendant que vous n’êtes pas encore engagés, tu devrais bien en profiter pour faire rétrécir par le cordonnier de ton groupe tes houseaux qui sont bien trop larges. Cela te rend vraiment pas élégant ces espèces de tuyaux de fourneau que tu as aux jambes. Tu as maigri et ils ne vont plus, il faut refaire une couture plus large par derrière et enlever un centimètre au moins de chaque côté.

 

Je te fais toutes mes excuses. Dans ton paquet fait pour la nuit de ton voyage, j’ai oublié de te mettre du savon, je l’ai retrouvé le soir de ton départ, tu as dû être bien ennuyé. Bonnes tendresses, mon chéri Geogi que j’aime. Ta Mi.

 

L’usine ici bat toujours d’une aile en attendant mieux.

28 avril - ELLE.- J’ai reçu hier ta bonne grande lettre du 22, qui m’a fait bien plaisir, tu semblais tout entrain, content de tes jeunes officiers, et je suis contente aussi de te sentir satisfait.

 

Maman rentre ce soir de Paris, elle m’a envoyé tous les matins un télégramme pour me dire si rien ne s’était passé la nuit et je crois que son voyage s’est bien passé.

 

L’usine ici bat toujours d’une aile en attendant mieux. Heureusement l’eau continue à venir et cela permet de faire 2 à 3 000 kilos par jour suivant les qualités, donc cela paiera les frais de main-d’œuvre. Les quantités de tonnes de bois que Maman a achetées ne viennent toujours pas, car le trafic est presque perpétuellement arrêté. Mais ce qu’on va chercher dans nos forêts environnantes suffit à entretenir le feu nécessaire. La coupeuse est montée et le monteur la fera marcher demain pour mettre les ouvriers au courant. Je t’ai dit qu’on a eu de l’ennui au premier moment quand on s’est aperçu qu’elle avait sa commande de poulies du mauvais côté, mais on s’est arrangé.

 

A Paris ils reçoivent deux obus par jour mais ils s’y habituent.

J’ai reçu une bonne lettre de Marie Paul ce matin. A Paris ils reçoivent deux obus par jour mais ils s’y habituent. Le commandant Blavier, oncle de Madeleine Michaut, vient d’être grièvement blessé. Il a un œil de perdu et deux éclats dans le crâne qu’on ne pourra extraire. Il était à Montdidier et fut blessé le 1er avril au moment très grave où on a craint que le front franco-britannique ne fut séparé. Il était dans les chasseurs. Paul rentre à Epinal demain, je tâcherai de le joindre mardi.

 

Tendresses, nous nous sauvons à Cheniménil. Ta Mi.

 

Ayons toujours confiance et espérons que cette année verra la fin de la guerre.

28 avril - LUI.- J’ai reçu tes bonnes lettres du 21, 22 et 23 avril avec les lettres des enfants à qui j’ai répondu hier. Merci à tous de vos bons souhaits. Ayons toujours confiance et espérons que cette année verra la fin de la guerre. Ta lettre relative à notre petit Dédé m’a un peu inquiété. Mais me dis-tu le Dr Hadot croit qu’il ne faut attribuer cette faiblesse qu’à un dérangement d’estomac. Néanmoins tâche de ne pas trop le fatiguer. Si je suis content qu’il ait maintenant trois leçons de latin par semaine, je ne voudrais pas que ce fût au détriment de sa santé. Arrange-toi donc avec Mlle Marchal pour qu’il ait un peu moins à faire avec elle et que cette nouvelle leçon de latin ne constitue pas pour lui un surcroît de travail.

 

Comme je l’ai écrit hier aux enfants, nous avons quitté le petit village où nous étions pour faire quelque quinze kilomètres vers le nord ouest, de façon à nous rapprocher du front. Nous avons démarré subitement. Je crois que l’on craignait un peu que les Allemands qui avaient repris Villers-Bretonneux et Hangard ne continuent leur avance sur Amiens, qu’on veut je crois ne pas laisser aux mains des Allemands. Et puis tout cela s’est modifié. Les Anglais ont repris Villers-Bretonneux et on nous laisse ici où d’ailleurs nous sommes tous très bien. La seule chose un peu ennuyeuse, c’est que nous sommes au sommet d’un plateau, qu’il n’y a pas d’eau et que pour aller boire nos chevaux sont forcés de faire cinq kilomètres. Au lieu de nous mettre dans la vallée, on y met les fantassins qui ont beaucoup moins besoin d’eau que nous et on nous met sur les hauteurs. Enfin il est probable que l’EM a ses raisons pour opérer ainsi. Je suis moi dans un ancien château. Ma chambre a 8 mètres de long sur autant de large et quelque chose comme 6 mètres de haut, de grandes fenêtres avec de petits carreaux comme nous en avons à notre fumoir, une belle cheminée, de belles boiseries mais pas un meuble à part le lit bien entendu. Tout cela a été transporté à l’arrière dès le commencement de l’offensive car on redoutait l’arrivée des Allemands. Cependant les propriétaires n’ont pas fait enlever tous les tableaux qui ornent les murs et qui représentent je suppose d’anciennes dames du château. Une entre autres, habillée d’après les modes de l’Empire, devait être bien jolie. J’ignore le nom des propriétaires, qui sont partis depuis le 21 mars et qui n’ont laissé ici que le concierge. Nous sommes cinq dans la maison mais moi seul ai des draps, ce qui d’ailleurs n’a pas grande importance. Enfin à part cette question d’abreuvoir qui a son importance nous nous plaisons bien ici et nos hommes également parce qu’ils ont des greniers confortables, fermés et remplis de paille où l’on doit bien dormir.

 

Tu ne me parles pas de ta santé ma Mie, t’es-tu pesée et quand finit ton régime. N’oublie pas que ce sont des choses qui m’intéressent fort.

 

Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 28/04/1918 (N° 1427)

Le sous-lieutenant Fonck - Nouvel as des as

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Thèmes qui pourraient être développés

  • Permissions - Pétain rétablit les perm…
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  • Arme - Un duel de tanks - Les premiers tanks boches se sont rencontrés avec les tanks anglais
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[1] Marteaux : appellation vosgienne pour jonquilles



20/04/2018
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