14-18Hebdo

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117e semaine de guerre - Lundi 23 octobre au dimanche 29 octobre 1916

 

LUNDI 23 OCTOBRE 1916 - SAINT HILARION - 813e jour de la guerre

MARDI 24 OCTOBRE 1916 - SAINT MAGLOIRE - 814e jour de la guerre

MERCREDI 25 OCTOBRE 1916 - SAINT CHRYSANTHE - 815e jour de la guerre

JEUDI 26 OCTOBRE 1916 - SAINT EVARISTE - 816e jour de la guerre

VENDREDI 27 OCTOBRE 1916 - SAINT FLORENT - 817e jour de la guerre

SAMEDI 28 OCTOBRE 1916 - SAINTS SIMON ET JUDE - 818e jour de la guerre

DIMANCHE 29 OCTOBRE 1916 - SAINT HYACINTHE - 819e jour de la guerre

Revue de presse

-       Sur le front roumain l'impression est meilleure

-       Les Russes contre-attaquent dans les Carpathes

-       Des bombes sur Lunéville et Nancy

-       Victoire devant Verdun - Le fort et le village de Douaumont repris - Le front allemand sur 7 kilomètres a été crevé partout - Notre avance atteint 3 kilomètres au centre - 3,500 prisonniers dont 100 officiers - Nos pertes sont faibles

-       L'armée russo-roumaine échappe à l'encerclement

-       La demande en nullité du mariage du duc d'Orléans

-       Sur les fronts roumains les progrès de l'ennemi sont lents

-       En Macédoine, les Alliés avancent

-       Sur le front roumain - En Moldavie l'ennemi est repoussé - En Valachie il progresse par endroits - En Dobroudja le contact est rompu

-       Canonnade active sur la Somme

-       Un raid allemand dans la Manche - Deux destroyers allemands coulés - Un destroyer anglais perdu

-       Le Reichstag vote un crédit de 12 milliards de marks

-       Les Italiens chassent les Autrichiens du village de Sano

 

Morceaux choisis de la correspondance

Je ne veux pas faire de projets d’avenir en ce moment, craignant que cela te porte malheur.

24 octobre - ELLE (Paris).- Avant que j’aie reçu ta lettre du 21 octobre arrivée hier soir et me disant que tu insistes auprès de Paul pour qu’il assiste à la réunion, il avait déjà écrit aux H.G.P. qu’il ne pouvait y assister, mais que tu leur avais adressé une lettre dont il avait copie et qu’il s’en référait complètement à ce que tu leur écris. D’ailleurs Paul est maintenant d’avis qu’il faut chercher la dissolution au lieu de l’empêcher, que ce ne sera qu’un bienfait pour la société, qu’on la mettra en vente et que ceux qui le voudront la rachèteront.

 

Je lui ai fait remarquer qu’on ne la mettrait pas en vente mais qu’on la partagerait. « Un partage est impossible, dans ce cas on se réconciliera au dernier moment mais sur des bases meilleures, avec de nouveaux statuts. Cette affaire est arriérée de cinquante ans, elle devrait être bien plus importante et rapporter beaucoup plus. Il faut que Georges se rende maître là-dedans ou qu’il la quitte, il aura toujours des ennuis avec les associés, etc. » J’ai répondu que je ne voulais pas faire de projets d’avenir en ce moment, craignant que cela te porte malheur.

 

En tout cas, Paul et Marie sont tout à fait charmants pour moi et ils ont beaucoup d’affection pour toi. Paul avait encore les larmes aux yeux hier en parlant de votre jeunesse quand vous étiez à Paris ensemble et que vous faisiez le café dans sa petite chambre.

 

Paul a reçu des nouvelles de Dedovo qui le mettent en joie, je te les dirai plus tard. Il m’a raconté hier soir que Monsieur Peters a vendu à Boussac toutes ses usines : Nomexy, le tissage Geistodt à Golbey, la maison de commerce d’Epinal Tissus de Golbey et un autre tissage, je ne sais plus où, tout cela pour huit millions. Paul trouve que ce n’est pas cher car la filature de Nomexy a 80 000 broches et le tissage de Golbey avec sa spécialité de serviettes éponges est une bonne affaire. Nous disions ensemble que c’était triste pour Mr Peters de vendre ainsi au premier venu ses affaires alors qu’il a eu trois fils, il pouvait espérer les voir lui succéder. Il a pensé sans doute qu’il valait mieux profiter d’une offre plutôt que laisser tomber ces usines après sa mort où elles auraient forcément été mises en vente.

 

J’ai été voir hier Thérèse Lejeune, qui attend un bébé pour le mois de février, son petit garçon est un bel enfant de trois ans, qui semble très bien portant. Son mari est à l’état-major du général Humbert dans l’Oise. Henri Collin est dans la Somme, mais aussi dans un E.M.

 

Comme ils voient la guerre se prolonger, ils viennent de louer un petit appartement meublé.

Ensuite je suis allée (en taxi, sois tranquille) voir Gabrielle Geny que j’ai trouvée dans une minuscule chambre d’hôtel avec ses deux enfants. Comme ils voient la guerre se prolonger, ils viennent de louer un petit appartement meublé où ils habiteront avec la sœur de Gabrielle pour partager les frais, cette jeune femme étant réfugiée aussi, puisqu’elle habitait en temps de paix à Thionville ou environs.

 

Maman a été émue jusqu’aux larmes samedi dernier, jour de Sainte Céline, par les 2 jolis compliments d’André et de Noëlle qu’on lui a récités dès après le dîner. Marie Krantz était paraît-il venue avant 7 heures leur dire de l’attendre pour lui souhaiter sa fête à 8 heures, mais précisément elle était rentrée tôt et ils n’y tenaient plus. Quand le repas a été fini, ils sont partis à la cuisine, Maman n’avait pas été sans remarquer les télégraphies entre eux pendant le repas. Les bons petits chéris ont récité leurs jolis compliments à merveille. Elle me remercie de lui avoir donné cette douce joie et termine par « tes enfants seront aussi bons que toi-même ». Le major a dit hier à Mr Bigaut que sa femme n’irait plus longtemps. La pauvre ne s’alimente plus tu le sais. Maman tâche d’y aller chaque jour.

 

En relisant ta lettre, je vois que mon Geogi se moque un peu de moi et de mes observations. Mais comme je t’aime et que tu m’aimes, cela m’est bien égal. Je t’embrasse partout comme si tu étais près de moi et je ferme ta bouche par un baiser, comme cela tu ne pourras plus me taquiner.

 

24 octobre - LUI.- J’ai reçu tes deux bonnes lettres de dimanche et de lundi.

 

Je suis absolument de ton avis, on aura bien du mal d’échapper à la dissolution et je ne tiens pas du tout à rester dans cette pétaudière. C’est pourquoi je t’ai conseillé de garder maintenant notre argent. Nous pouvons en avoir besoin.

 

Je regrette bien ma chérie en effet de n’avoir pu passer ne fût-ce qu’une toute petite heure avec toi. Il eut fait si bon revoir tout ce que j’aime tant. Il eut fait si bon couvrir de caresses tout ton petit corps chéri. Que veux-tu, il faut patienter jusqu’au mois de janvier.

 

Euvrard est revenu hier et m’a donné de très bonnes nouvelles de toi. Il paraît que tu as très bonne mine et que tu vas bien. Il m’a remis tout un paquet de gâteries. Je te remercie, ma Mimi.

 

Te voilà à Angoulême bien loin de tous les petits potins de Paris. Tâche de t’y bien reposer. Ne voyage pas le matin. Fais bien mes bonnes amitiés à Paul et à Maguite qui j’espère doit être complètement guérie. Un bon baiser à ton neveu Jean.

 

J’avais fait porter le télégramme à Villers-Cotterêts par mon cycliste. Le voici qui revient en me disant qu’il ne peut le transmettre tel qu’il est libellé. J’avais mis : Prière ne pas envoyer à HGP copie ma lettre à Nancy. Il paraît qu’on n’admet pas HGP. Il y retournera demain, voilà tout.

 

La fameuse victoire qu’on nous dit si certaine, on la voit chaque semaine s’éloigner un peu plus.

25 octobre - ELLE (Paris).- Cela m’amuse de voir dans tes lettres la différence de caractère qui existe entre toi et tes frère et sœur. Tu as le respect des idées d’autrui, tu admets un droit à discuter, tu ne trouves pas qu’un gérant doive s’offenser de la moindre question qu’on lui pose. Tandis qu’eux estiment qu’un associé ne doit rien dire et faire que des félicitations, qu’un gérant a tous les droits et surtout ceux d’envoyer promener les pauvres humains qui ne sont pas de son avis. Paul estime que les H.G.P. ne sont pas aimables pour leurs gérants. Paul dit qu’il n’y serait pas resté une heure et insiste pour que tu en sortes en 1918 à moins que les statuts ne soient changés.

 

Adrien va partir en mission en Suisse, il est allé hier s’acheter des vêtements civils. Il va examiner la question du coton qui file en Allemagne. Il ne sait pas encore en quoi consiste cet examen, mais pense qu’on les fera pénétrer dans les usines pour constater les entrées et sorties de matières premières et fabriqués. Paul dit qu’il n’est pas besoin d’aller là-bas pour en être convaincu, il sait de source certaine qu’il entre en Allemagne plus de 50 000 pièces de tissu par mois, c’est un monsieur de Bâle qui le lui a dit.

 

A mon avis toutes ces histoires sont peu importantes, ce n’est pas le manque de chemises qui fera arrêter la guerre chez les Allemands, on aurait bien mieux fait d’aller au secours des Roumains. Je me demande ce que font les Russes et Sarrail. Ils nous parlent toujours ou de chaleur, ou de froid, ou de boue et de pluie qui les empêchent d’avancer et pendant ce temps les Allemands avancent bien et trouvent moyen de faire marcher troupes et gros canons. C’est un peu désespérant de voir tout cela, de se dire qu’on perd tant de jours de bonheur avec son chéri mari et pour quel avenir. La fameuse victoire qu’on nous dit si certaine, on la voit chaque semaine s’éloigner un peu plus. Tu vas dire que ta petite femme broie du noir, c’est vrai, j’ai plus envie de pleurer que de rire et j’ai tort pourtant, puisque je suis une des plus heureuses femmes de la terre avec un mari comme toi, mon adoré dont je suis si fière, en qui j’ai toute confiance, qui aime sa femme malgré la séparation et lui garde son cœur, mon Geogi si bon et que j’aime tant.

 

J’ai reçu une lettre de Maman qui dit que Mademoiselle et les enfants s’entendent bien, elle les fait obéir et semble se plaire. André fait des devoirs tout seul le soir de 4 h 1/2 à 6 comme je l’ai demandé, pour qu’on voie ce qu’il sait et surtout le travail qu’il donne non surveillé. Pendant ce temps, Noëlle va dans la chambre de Mlle travailler un peu à l’aiguille, lire et causer, et Robert joue en bas ou va au bureau avec Grand-mère. Le matin ils travaillent tous de 8 à 9 h 1/2, les uns à une dictée, devoir français quelconque ou copie pour Bertus, puis 1/4 d’heure de récréation pendant qu’on mange une tartine, puis leçons de piano pour les grands et devoirs jusque 11 h 1/4, ensuite promenade. Rentrée en classe à 2 h. Jusqu’alors tout va bien.

 

Je t’embrasse mon amour.

 

26 octobre - ELLE (Paris).- Ce n’est pas sûr que l’oncle Paul aille à la réunion de HGP, car Zizi est à la mort (bienfait des dieux) d’après ce que nous en savons, ce doit être de la phtisie galopante, elle est à Berck avec sa mère.

 

Je n’ai pas été contente de Marie Molard hier, car elle dit que tu dois te tromper pour l’inventaire. Pour elle, Pierre Mangin est une victime, un vrai martyr, personne ne l’aime, il n’y a qu’elle qui le défend et pourquoi, parce que les Mangin les ont beaucoup invitées Germaine et elle l’année dernière. Je ne veux pas lui faire de la peine, sans cela je lui raconterais ce qu’Alice Kempf a répété, que les Mangin se moquaient d’elle, « de ses époques, ses soins » dont Marie parle toujours. Quand j’ai vu qu’elle était ainsi de parti pris, je n’ai plus rien dit.

 

Maman est arrivée me surprendre à 2 heures de l’après-midi hier, elle était partie à 3 heures du matin de la maison, voulant aller à Rouen aujourd’hui pour voir ses lots de pâtes. On prétend qu’il y a des montagnes sur les quais, hautes comme des maisons de 3 étages et cela sur des kilomètres. Elle voudrait bien sortir ses quelques tonnes. Marie Paul l’a invitée à dîner hier soir. Maman m’a donné de bonnes nouvelles des enfants, qui s’entendent bien avec Mlle qui semble trouver notre régime et notre manière de vivre à son goût. Elle trouve très bien sa chambre, la salle d’études et fait marcher les enfants. Evidemment, c’est tout nouveau, il faudra voir à l’usage. Maman rentre demain à Docelles.

 

Bonnes tendresses mon adoré mari de ta Mi.

 

Ces satanés Allemands ont trouvé encore le moyen d’envahir la Roumanie. Le petit coup que nous avons tenté à Verdun compense un peu tout cela, mais c’est bien ennuyeux car on ne voit pas la fin de cette terrible guerre.

26 octobre - LUI.- Je reçois ta bonne lettre du 24 courant. Je n’ai plus le temps d’écrire aux HGP qui ne recevraient pas ma lettre.

 

D’ailleurs ma pauvre Mie, avant de parler de projets d’avenir, attendons que la guerre soit finie. Ces satanés Allemands ont trouvé encore le moyen d’envahir la Roumanie. Le petit coup que nous avons tenté à Verdun compense un peu tout cela, mais c’est bien ennuyeux car on ne voit pas la fin de cette terrible guerre.

 

Il a fait en effet très froid ces derniers jours. Heureusement que j’ai mon gilet de laine qui est bien chaud. Mon lit est bien trop large et je suis obligé d’utiliser toutes mes couvertures et mes uniformes pour pouvoir me réchauffer. Si seulement tu étais là tout près de moi, ma douce Mi !!! il ferait beaucoup moins froid.

 

Je garde la lettre des enfants et suis content de savoir qu’ils vont bien. Combien de temps restes-tu à Angoulême. Tu m’as dit que tu partais demain vendredi et que tu resterais quatre jours. A tout hasard, je t’enverrai encore une lettre après-demain.

 

27 octobre - ELLE (Paris).- Je prends le train de 8 h 40 et arriverai à Angoulême vers 3 heures. En attendant le départ du train je t’écris vite un petit mot et t’embrasse pour me donner l’illusion que tu es tout près.

 

J’ai encore eu hier soir une fois de plus la preuve que « trop parler nuit ». Sans penser à mal, j’ai dit aux Molard que El Hajeb était vendu. Il paraît qu’Henry devait encore aux Molard 45 000 francs qu’on lui avait avancés pour 10 ans et dont l’échéance arrivait à la fin de décembre 1916. Immédiatement les Molard ont écrit à Henry, qui est en ce moment à Lyon, prêt à partir dans un convoi d’autos, qu’il veuille bien les rembourser de suite. Là-dessus Henry répond qu’il a en effet vendu mais qu’il a pris des bons à un an qui ne seront échus qu’en avril (il faut donc croire qu’il a vendu dès le printemps) et qu’il demande à Paul de verser pour lui sur ce qui lui revient de sa mère.

 

En écrivant à Paul, il n’a pas parlé de ses bons et cette demande d’argent sur la fortune de Mère a eu le don de mettre Paul en fureur. « Henry n’a pas cette somme en argent liquide, il va me demander des comptes, j’ai eu tort de garder toutes les affaires de ma mère, je vais liquider la situation, mettre tout cela entre les mains d’un notaire, déposer ce que je dois à la Caisse des dépôts et consignations, je ne veux pas, au cas où je mourrais qu’on puisse ennuyer ma femme et lui demander des comptes ». Enfin tout à fait fâché. Nous dînions le soir chez les Molard et j’ai fini par le calmer en le flattant un peu, en lui disant qu’il avait été bien aimable de s’occuper de ses affaires jusqu’alors, que ce n’est pas du tout dans l’intention d’Henry de lui demander des comptes, et que ce n’est pas la peine de faire tant d’histoires, qu’il faut seulement écrire à Henry qu’il règle les Molard en bons, mais qu’aussitôt qu’il aura une permission qu’il la prenne en France pour qu’on puisse faire le partage, puisque Paul veut se débarrasser au plus tôt de cette soi-disant grosse responsabilité. Paul m’a dit qu’il me préviendrait pour que je vienne à ta place si, comme il est probable, ta permission ne correspond pas à celle d’Henry.

 

Mais je me suis dit encore une fois que le lanceur de nouvelles a toujours tort. Il faudra que je me décide à imiter ta réserve et ta sage prudence mais franchement je ne croyais pas faire une révolution en racontant ce que tante Mathilde nous avait dit. Mais il y a souvent des conflits entre Marie Molard surtout et Paul. Avec Adrien cela va toujours, c’est Marie qui parle souvent trop.

 

Adrien part ce soir pour la Suisse. S’il y reste longtemps, Marie et Germaine iront le rejoindre, elles s’occupent de leurs passeports, mais Adrien croit qu’il ne restera qu’une quinzaine. Il part seul, il croyait primitivement qu’il serait accompagné par d’autres messieurs, mais non. Il est allé hier chez Mr Denys Cochin qui s’occupe comme ministre d’Etat de ces sortes de choses, commission des dérogations d’exportation, et prendre ses ordres.

 

Maman est allée hier à Rouen, elle doit rentrer aujourd’hui à Docelles, les enfants seront contents de la revoir. Il paraît qu’André surtout, qui est le plus sensible, était ennuyé de la voir partir, la nuit de son départ, il n’a pas dormi. Quand elle s’est couchée vers 10 heures il ne dormait pas encore et lui a demandé quand elle reviendrait, et à 3 heures quand elle s’est levée, de suite il lui a dit qu’elle ne reste plus longtemps absente, c’est lui qui est le plus sensible chez nos enfants.

 

Le résultat de Roville est de 5 millions passés, c’est vraiment extraordinaire, mais n’en dis rien à l’intéressé, il ne veut pas qu’on en parle.

 

Maguy et Paul sont étonnants, ils trouvent que la guerre marche très bien, que nos gouvernements ne pouvaient faire mieux, etc.

28 octobre - ELLE (Angoulême).- J’ai fait très bon voyage hier et suis arrivée ici à quatre heures. J’avais grand faim car je n’avais pas déjeuné. J’aurais dû penser en arrivant à Orsay une heure avant le départ du train (tu vois que je prends de bonnes habitudes) à retenir ma place au wagon-restaurant, mais cela ne m’est pas venu à l’idée et lorsque le maître d’hôtel a passé dans mon compartiment il n’avait plus que la 3ème série à m’offrir, soit à 1 h 1/2. Il s’est trouvé que les Messieurs qui occupaient mon compartiment ont tellement dit au moment du déjeuner que la nourriture était immangeable, que le poisson n’était pas frais, la viande mauvaise, etc., que cela m’a ôté l’envie d’y goûter, et surtout quand j’ai entendu appeler le 3ème déjeuner à 2 heures passées. Tu sais c’est surtout à l’heure habituelle du repas que l’appétit se fait sentir. J’avais mangé, pour éviter les tiraillements d’estomac, quelques tablettes de chocolat achetées pour donner au petit Jean quand il viendra me dire bonjour dans ma chambre, et j’ai pris en arrivant un cacao reconstituant accompagné de nombreuses tartines, qui m’a fait un bien exquis.

 

Maguy était sur sa chaise longue, seulement rentrée de clinique la veille. Elle a bonne mine mais naturellement manque encore de forces. Elle ne se lève que vers trois heures de l’après-midi pour ne pas se fatiguer. Paul part à Paris mercredi prochain soit le 1er novembre pour deux jours et me demande de rester avec sa femme en son absence. Je ne peux guère lui refuser, quoique cela éloigne plus mon retour et, tu me connais, j’ai vite le mal du pays et le désir de revoir mes trois chéris. Etant privée du meilleur, il faut bien que je me console avec les petits. De sorte que je ne quitterai ici que vendredi 3, j’ai encore quelques courses à faire à Paris, je les ferai le samedi et repartirai le dimanche à Docelles.

 

Maguy et Paul sont étonnants, ils trouvent que la guerre marche très bien, que nos gouvernements ne pouvaient faire mieux, etc. C’est amusant, tu vas me trouver contradictoire, chez Pierre Mangin, où c’est l’inverse et où il trouve tout mal, je soutiens la thèse que la situation pourrait être plus mauvaise et ici où ils sont exagérés dans l’optimisme, je cherche au contraire les choses qui pourraient leur en enlever un peu. Comme quoi, les femmes ont l’esprit critique et aiment la discussion. Mme L.J. est de mon avis d’ailleurs, elle m’a dit hier soir : « Les Paul sont tellement autoritaires, faites comme moi, ne dites plus rien. Quand on n’est pas de l’avis de Maguy, Paul vous dévore, et quand on veut discuter avec Paul, Maguy fait des yeux furibonds, alors je m’abstiens ». Inutile de te dire que nous ne nous sommes pas battus d’ailleurs, simple discussion fort courtoise.

 

28 octobre - LUI.- J’ai reçu tes deux bonnes lettres du 24 et du 26.

 

Quant à moi, je commence à être un peu las de toutes ces histoires et je me dis quelquefois qu’il ferait rudement bon d’avoir avec sa Mie un bon petit tissage comme Albin Germain et être débarrassé de toutes ces discussions, parce qu’à la fin, à force de me mettre toujours entre l’enclume et le marteau, c’est encore moi qui recevrai tous les coups.

 

Que tout cela me semble mesquin quand je vois ce qui se passe ici sur le front. Mon pauvre maréchal des logis chef vient d’avoir la douleur de perdre sa femme, qui s’est tuée dans un accès de neurasthénie due à la séparation. Je l’ai envoyé en permission de 4 jours. Il vient de revenir à son poste et a encore beaucoup de courage.

 

J’espère que tu auras fait bon retour à Docelles et que tu auras trouvé les enfants bien portants. Donne-moi ton impression sur Mademoiselle.

 

29 octobre - ELLE (Angoulême).- Je pense à toi que j’aurais tant voulu revoir à Paris, étant si près, cela me faisait gros cœur de m’éloigner sans avoir pu t’embrasser.

 

J’ai reçu ta lettre du 26 ce matin et j’y vois que tu t’occupes encore bien de la question H.G.P. Cela m’ennuie quoique au fond je sois un peu comme toi, je n’aime pas la discorde et préférerais voir les choses s’arranger. Cela m’amusait à Paris d’entendre Paul, il a été très très gentil pour moi, pour nous, mais il change trop souvent d’avis, c’est ce qui empêche d’avoir en lui toute la confiance qu’on pourrait avoir. Un jour, il disait que les H.G.P. étaient une mauvaise affaire, que cela ne gagnait pas comme cela devrait, qu’il gagnerait toujours dans ses affaires plus que dans celle-là, etc. Puis le lendemain, il me disait qu’il fallait attendre la dissolution et que ce jour-là il ferait mettre l’affaire en vente et se porterait acquéreur du tout, « Et tu verrais, ma petite Marie, ce que cela deviendrait entre mes mains et celles de Georges, cela serait épatant ». Je lui ai fait remarquer que les associés ne seraient pas si enchantés de sortir de cette affaire. « Aucun d’eux ne voudra ou ne pourra en donner ce que j’en donnerai, moi ». Tu reconnais là ton cher frère qui n’est content que lorsqu’il peut faire des projets. En tout cas, j’aurai évidemment des tuyaux sur la réunion par Marie Molard, ce sera le son de cloche Mangin.

 

Ici je suis prise comme confidente par Madame Edgard, qui est très amusante. Heureusement elle a pris Maguy en affection, mais elle est très mal avec sa belle-fille Charlotte. Dès mon arrivée, elle m’a dit que celle-ci, par avarice, ne nourrit plus assez ses enfants. Elle les prive de dîner à chaque instant pour économiser leur portion. Tout cela d’après la belle-mère. Comme je te l’ai dit elle rentre à Paris mercredi, Paul part avec elle et y restera deux jours, il m’a demandé de rester près de sa femme pendant ce temps, je ne partirai d’ici que vendredi 3.

 

Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 29/10/1916 (N° 1349)

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M. Venizélos - Le grand patriote grec

A l’heure où se précisent les destinées de la Grèce, où ce pays commence à se soustraire aux influences néfastes d’un souverain qui fait passer ses sympathies personnelles et ses attaches de famille avant les intérêts de la nation, il nous semble opportun de donner à nos lecteurs le portrait du grand homme d’Etat, de l’admirable patriote qui a suscité le réveil de la Grèce et lui a dicté son devoir.

 

Nous ne saurions résumer ici l’œuvre de M. Venizélos : tout le monde en France la connaît, d’ailleurs ; tout le monde sait avec quelle énergie, quelle force d’âme et aussi quelle maîtrise diplomatique il a lutté contre les influences allemandes, contre la volonté royale pour éclairer son pays. Contentons-nous, auprès du beau portrait en couleurs que nous donnons ci-contre, de reproduire cet autre portrait qu’a tracé du grand patriote grec, cet autre patriote : M. Take Jonesco.

 

« Cette tête de saint byzantin qu’on dirait descendue d’une fresque d’église, ce regard à la fois si pénétrant et si tendre, ce sourire si fin, cette sympathie irrésistible qui se dégage de toute sa personne, cette modestie presque de jeune fille et qui est d’autant plus charmante qu’elle est alliée à une volonté de fer, tout cela vous prend à la première rencontre. Je lui demandai le secret de son succès, et il me répondit ces paroles si simples et si profondes : « J’ai toujours dit à mes concitoyens toute la vérité. » Et c’est par la seule force de la vérité que M. Venizélos a réveillé l’âme de la Grèce et ranimé chez ses compatriotes le sentiment national.

 

 

 

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Un raid des autos blindées belges en Galicie

Ce raid fantastique, d’une audace inouïe, a été effectué sur le front sud-ouest des armées du général Broussilof, par un groupe d’automobiles blindées belges, dont le personnel se compose de jeunes gens appartenant aux meilleures familles belges.

 

Le détachement comprenait plusieurs autos blindées. A la date fixée, les machines partirent, traversèrent, comme une trombe, les lignes ennemies et disparurent. Elles pénétrèrent dans la Galicie sur une profondeur de 150 kilomètres et y effectuèrent un parcours de 600 kilomètres. L’équipée dura plus de deux semaines. Et le détachement rentra, par une autre brèche qu’il ouvrit dans les lignes austro-allemandes un peu plus au nord, et rejoignit l’armée russe sans avoir perdu un homme, sans la moindre avarie à ses machines.

 

Dans un tourbillon foudroyant, les redoutables autos avaient parcouru le pays, semant derrière elles l’épouvante, la panique, la mort, désorganisant dans chaque secteur les services de l’arrière, renversant tout sur leur passage, bousculant, massacrant les gens et les choses. La cavalerie, en apercevant de loin les autos, se dispersait dans toutes les directions ; les colonnes d’infanterie, prises de panique, se disloquaient et s’enfuyaient, ou bien, comme des troupeaux affolés, se tassaient sur elles-mêmes et se laissaient passivement exterminer. L’artillerie elle-même devait s’avouer impuissante devant ces fantastiques monstres d’acier qui se déplaçaient avec une vitesse vertigineuse.

 

 

Les instantanés de la guerre (photos)

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Départ d'un biplan Gaudron en mission de bombardement

Un poste d'observation dans les montagnes du Trentin

Dans la région de Combles - Rimailho en batterie

Dans la Somme - Un poste téléphonique pour l'artillerie

Environs de Noyon - Campement sous bois

Entre deux combats nos poilus font une partie de quilles

Le prince de Serbie regardant une mitrailleuse prise sur un avion allemand

Le village d'E… - Le billard seul subsiste au milieu des ruines

Dans la forêt de l'A… - Un abri de cavalerie

Dans la Somme - Casemate aux munitions

 

Les instantanés de la guerre (photos)

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Faux canon de bois

65 de montagne en action sur le Vardar

Télégraphistes construisant des lignes souterraines

Sur le front italien - Le duc d'Aoste, le vainqueur de Gorizia, au milieu de ses soldats

Sur le front belge - Le lieutenant général de Coninck passe une revue

Ravitaillement par Decauville des pièces lourdes sur voie ferrée

Essad-Pacha débarquant à Salonique

Fête au régiment à Salonique

Le Kaiser à la tranchée de Calonne - (Photo trouvée sur un prisonnier allemand)

Eglise de Frise

 

 

Thèmes qui pourraient être développés

  • Bombardements - Des bombes sur Lunéville et Nancy
  • Verdun - Victoire devant Verdun - Le fort et le village de Douaumont repris - Le front allemand sur 7 kilomètres a été crevé partout - Notre avance atteint 3 kilomètres au centre - 3,500 prisonniers dont 100 officiers - Nos pertes sont faibles
  • Roumanie - L'armée russo-roumaine échappe à l'encerclement
  • Politique - La demande en nullité du mariage du duc d'Orléans
  • Marine - Un raid allemand dans la Manche - Deux destroyers allemands coulés - Un destroyer anglais perdu
  • Allemagne - Le Reichstag vote un crédit de 12 milliards de marks
  • Industrie - Boussac
  • Suisse - Contrôle du coton qui file en Allemagne - Commission de dérogation des exportations
  • Roumanie - Les Allemands ont trouvé le moyen d'envahir la Roumanie
  • Transport en train - Wagon-restaurant 3ème série
  • Grèce - Eleuthère Venizélos, le grand patriote grec (Portrait dans LPJ Sup)
  • L'automobile et la guerre - Les autos blindées (LPJ Sup)
  • Les instantanés de la guerre (Photos dans LPJ Sup)


21/10/2016
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