14-18Hebdo

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107e semaine de guerre - Lundi 14 août au dimanche 20 août 1916

 

LUNDI 14 AOUT 1916 - SAINT EUSEBE - 743e jour de la guerre

MARDI 15 AOUT 1916 - ASSOMPTION - 744e jour de la guerre

MERCREDI 16 AOUT 1916 - SAINT JOACHIM - 745e jour de la guerre

JEUDI 17 AOUT 1916 - SAINTE JULIENNE - 746e jour de la guerre

VENDREDI 18 AOUT 1916 - SAINT AGAPIT - 747e jour de la guerre

SAMEDI 19 AOUT 1916 - SAINT DONAT - 748e jour de la guerre

DIMANCHE 20 AOUT 1916 - SAINT BERNARD - 749e jour de la guerre

Revue de presse

-       L'adjudant Lenoir abat son 7e avion boche

-       L'armée Sakharoff culbute l'ennemi sur la Strypa

-       L'avance italienne sur la Carso - Les hauteurs à l'est de Gorizia en partie conquises

-       L'Etna en éruption

-       Le mauvais temps a entravé les opérations sur la Somme

-       Reims est de nouveau bombardé - Un hôpital et le dispensaire ont été détruits - Plusieurs civils tués

-       Le 5e emprunt allemand

-       L'armée autrichienne reçoit des renforts allemands prélevés sur notre front

-       Brillantes actions offensives françaises sur la Somme

-       Huit semaines d'offensive russe - Nos alliés ont pris 7,757 officiers, 350,845 soldats, 405 canons

-       Hindenburg devant Broussiloff

-       Secousses de tremblement de terre à Ancone, Pesaro et Rimini

-       L'évacuation forcée des villages grecs de la côte de la mer Noire

-       Un remaniement ministériel en Angleterre

-       Le vote des femmes en Angleterre

-       Guynemer abat son 14e avion - Heurtaux son cinquième

-       Le front de Salonique se réveille

-       Sur le Stokhod les Russes progressent après des combats acharnés

 

Morceaux choisis de la correspondance

Espérons que l’an prochain à pareille époque nous serons réunis et cette fois pour toujours.

14 août - ELLE.- Je ne t’ai pas écrit hier, j’aurais dû le faire dès le matin en revenant de la messe, mais je pensais avoir mon après-midi, et au lieu de t’écrire j’ai fait des prix de revient. Mais dans le courrier, il y avait une lettre de Mesdemoiselles Marchal, qui nous invitaient ainsi que les enfants à aller les voir à St Michel près de St Dié, voulant montrer aux enfants de belles tranchées et les positions des Allemands qu’on voit depuis chez elles. Tu devines qu’une semblable invitation avait de grands attraits et qu’il a fallu à midi obtenir de Grand’mère la permission d’y aller sans retard.

 

Le temps de préparer l’auto nous ne sommes partis qu’à 1 h 1/2. Maman a voulu s’arrêter à Bruyères, la pluie nous a pris et nous a forcés à mettre la capote. Tous ces arrêts nous ont retardés et nous ne sommes arrivés qu’à 3 heures ½. Ces demoiselles et leurs parents nous ont fait grand accueil. Elles nous ont emmenés dans les champs visiter les tranchées, qui n’ont jamais été occupées puisqu’elles sont sur la rive gauche de la Meurthe. Elles sont très bien faites, avec des abris très profonds, cloisonnés, avec des couchettes superposées en treillis de fil de fer. Les enfants doivent t’écrire et te raconter leur promenade, tu seras donc au courant de ce qu’ils ont vu. Il y a beaucoup de tombes disséminées dans les bois et les champs. Pour nous qui n’avons rien vu de la guerre, c’est impressionnant.

 

Nous ne sommes rentrés que pour sept heures par une pluie battante. Nous n’avons pas pu laisser les enfants derrière malgré leurs pèlerines en caoutchouc et avons été obligés de les prendre sous la capote avec nous, on était un peu empilés tu le devines : cinq pour deux places, mais nous sommes très bien rentrés.

 

Ce matin nous sommes allés communier Dédé et moi, et maintenant il est à la menuiserie. Je lui ai donné une petite scie à sa taille et il scie des lattes d’emballage à la dimension que lui indique le charpentier. Il a un mètre, un crayon long de 30 centimètres et il est enchanté de tout son attirail. Si tu lui demandes s’il aime cela, il te répondra non, que cela l’agace, mais c’est une façon de faire, car il y court dès qu’il est prêt, je n’ai pas besoin de l’y envoyer. Pour tout d’ailleurs, il fait la même réponse, le piano, les dessins, soi-disant tout l’ennuie mais il les fait quand même.

 

Je reçois tes deux bonnes lettres du 10 et 11. Moi aussi je regrette ton absence et les baisers qui accompagnaient tes bons vœux autrefois. Espérons que l’an prochain à pareille époque nous serons réunis et cette fois pour toujours.

 

Ci-joint aussi une lettre des Molard, pour que tu félicites bien vite Adrien. Je suis bien contente pour lui qui a fait son devoir merveilleusement depuis deux ans. C’était sûr d’ailleurs car il est si sérieux et consciencieux, on devait forcément l’apprécier dans son entourage. Marie a eu les oreillons. Il paraît que j’aurais souri en la voyant il y a huit jours avec une figure enflée et boursouflée, de la ouate et un bandeau autour des oreilles et une chaleur. Cela devait être d’un chic !

 

Maurice va bien. En allant reconnaître le secteur et les gens dont ils vont prendre la place, il a eu affaire à un chef de bataillon, chef d’état-major de la 151e division qui t’aime beaucoup, il s’appelle Beaujean, c’est le frère d’un abbé de St Sigisbert et il a été ton camarade d’études. Il l’a chargé de ses toutes meilleures amitiés pour toi. Il va prendre sa place dans 3 jours et Maurice passera 48 heures avec lui avant son départ.

 

14 août - JMO 5e RAC/Groupe 95.- Une nouvelle opération a été tentée cette nuit, les 44e et 45e batteries ont exécuté des tirs de destruction sur réseaux de fil de fer. Extrait de la Décision du 62e à la suite de cet exercice : « L’artillerie, sous les ordres du commandant Giraud, a frayé la route aux assaillants par la précision de son tir ; une fois de plus, elle a montré l’intimité de la liaison des deux armes, qui, chaque jour, se connaissent et s’apprécient davantage. Le colonel commandant le 62e régiment d’infanterie. Signé : Courcy ».

 

15 août - ELLE.- J’ai bien pensé à toi pendant toute cette journée où j’aurais tant voulu t’avoir près de moi. Ta tendresse me manque tellement, j’en ressens de plus en plus la privation et déplore ton absence. Nos enfants m’ont dit de beaux petits compliments, on a promis d’être sages, mais naturellement c’est une promesse bien difficile à tenir et au bout de peu de temps elle est oubliée.

 

Georges Garnier nous est arrivé ce matin à 8 heures venant d’Epinal où il a passé la nuit chez sa tante Guyot. Il est venu à la messe avec nous, puis on a un peu causé, mais de rien de saillant ni de bien intéressant. Il avait vu Pierre Mangin l’autre jour à Charmes, mais peu de minutes, il y a juste passé la nuit. Ils ont dîné ensemble, Pierre Mangin lui a beaucoup parlé de politique, il lui a dit qu’il voyait beaucoup Raffin-Dugens, député de Grenoble, belle société dont je ne le félicite pas. Comme ils sont antimilitaristes l’un et l’autre, ils vont bien ensemble. Mais quel drôle de type. Il a dit à Georges qu’il viendrait à Cornimont pour les deux mois de vacances. Il a un congé de trois mois qu’il fera renouveler mais il ne viendra pas à Cornimont en hiver. Il veut tout à fait singer Paul Cuny.

 

J’ai reçu une carte d’Henry, qui me dit qu’il devait partir pour Lyon jeudi dernier comme chauffeur d’auto et qu’au dernier moment son départ a été retardé. Il m’avait dit qu’on l’enverrait peut-être à Corfou. Tant mieux pour lui, à Lyon il fera moins chaud et il est curieux de voir sa résistance au froid, car il y a déjà 16 ans qu’il n’a pas passé d’hiver en France.

 

Je viens d’aller à Gérardmer avec G. Garnier et les enfants. Georges avait le désir d’aller sur la tombe de sa sœur et de revoir Gérardmer, qu’il n’avait pas vu depuis trois ans. Je lui ai procuré ce plaisir bien facilement et sans encombre. Gérardmer est très calme, il n’y a presque plus de troupes.

 

15 août - LUI.- J’ai reçu hier tes deux bonnes lettres du 10 et du 11 et te remercie pour l’adresse de Marie Paul à qui j’ai écrit de suite ainsi qu’à Marie Molard.

 

Notre petit Robert n’a en effet pas beaucoup d’ambition, mais cela me rappelle ma jeunesse et Gérardmer, car nous étions une bande de gamins très fiers également de sonner les cloches et nous éprouvions également le plus grand plaisir à nous laisser enlever par la corde jusqu’au plafond. Les enfants sont tous les mêmes et s’adonnent aux mêmes plaisirs dont ils s’étonnent, devenus plus grands, d’avoir pu éprouver la jouissance. Dédé veut être cultivateur lui. Oh mon Dieu c’est aussi intéressant que d’être industriel et cultiver de grandes propriétés comme il y en a dans le Soissonnais ne doit pas être ennuyeux. Mais notre Dédé n’aimera peut-être pas beaucoup plus tard habiter loin des villes et les goûts campagnards qu’il accuse, me dis-tu, changeront peut-être plus que nous ne voudrons lorsqu’il aura vingt ans.

 

Maman évidemment devrait se reposer mais elle est maintenant comme tous ceux qui deviennent les esclaves de leurs affaires. On ne pense plus qu’à cela, on ne cause pas d’autre chose. Te rappelles-tu comme cela lui semblait bizarre autrefois lorsqu’on causait à table de broches ou de papier. La pauvre Maman est maintenant prise dans l’engrenage et il n’y a que Georges qui puisse l’en sortir, mais quand ?

 

Déon est parti hier. J’espère maintenant qu’il n’y aura plus de retard et que je pourrai revenir vers le milieu de septembre. Je compte les jours, ma petite Mie, car je suis bien en mal de ma bien aimée et je voudrais tant la revoir !

 

J’ai reçu aujourd’hui une carte de Maurice, qui me dit avoir fait la connaissance d’un de mes anciens camarades Beaujean, qui paraît-il est dans son secteur. Il me dit qu’il va très bien.

 

17 août - ELLE.- Je deviens une correspondante bien irrégulière, n’est-ce pas. Hier je ne t’ai pas écrit. Georges Garnier nous est resté et il a fallu l’occuper, ce n’est pas très facile, il est très morne et vraiment je n’envie pas celle qui sera sa femme, ce ne sera pas un cadeau à lui faire, de moins en moins je me sens prête à lui servir d’intermédiaire. Il est très difficile à tous points de vue et ne réfléchit pas qu’il devrait l’être moins. Il nous a parlé de Mlle de Gail qui habite maintenant Nancy. C’est Mme Baradel née Aerts, qui en a parlé à tante Caroline. Nous avons donné d’excellents renseignements, très franchement d’ailleurs, car s’il est agréé, il aurait une belle chance. La jeune fille est charmante en tous points, ce qui nous enchante c’est que c’est une autre personne qui en a eu l’idée, qu’elle habite Nancy et que nous n’aurions pas à nous en occuper, ni la responsabilité.

 

Hier matin, il faisait assez beau, Georges est allé se promener avec André et Noëlle au Château s/Perles, puis nous sommes allés déjeuner chez Thérèse. Pendant le repas, j’ai remarqué que Georges a dit juste deux phrases, tu avoues que c’est peu. Après nous sommes partis en auto à Granges avec Maman, Georges et Thérèse, pour voir, chez notre ancien curé, sa nièce qui est institutrice à Paris et lui demander si elle n’en connaîtrait pas. Toutes ses amies et connaissances ont des situations. Elle m’a dit d’écrire à son ancienne directrice de pension, qui en connaît toujours beaucoup.

 

En revenant, nous nous sommes arrêtés à Beaumesnil, à un tissage de Mr Eugène Kempf, où on fait des tissus de couleur, chemises de soldats, cotonnades, etc. Nous y avons acheté des étoffes et des chemises pour en donner aux ouvriers. Maurice Kempf, qui a été réformé après sa blessure y était et nous a très gentiment reçus et, comme un orage terrible nous a surpris pendant que nous visitions l’usine, il a reconduit jusqu’ici Thérèse et Georges qui, sur le petit banc d’arrière de notre voiture, n’étaient pas à couvert. On a pris le thé puis j’ai reconduit Georges à la gare.

 

Nos enfants vont très bien ils ont tous excellente mine. Le régime des vacances convient à Monsieur Dédé, qui heureusement commence à oublier les « bougres de buse » dont il nous assassinait pendant son séjour chez Mr Defer.

 

Tendresses, mon bon chéri. Ta Mi.

 

17 août - LUI.- Je reçois seulement aujourd’hui ta bonne lettre du 12. Il y a encore du retard dans les correspondances et je n’avais rien reçu ni hier ni avant-hier et en général tes lettres ne mettent que trois jours pour me parvenir.

 

Je t’ai dit que les permissions avaient été rétablies. Elles ne sont d’ailleurs supprimées que pendant quelques jours pour les officiers et reprennent de suite lorsque les petites opérations que nous faisons ici sont terminées. Ne crois pas que je sois fatigué, car ces opérations ne durent qu’une journée et sont assez espacées pour qu’on ait grandement le temps de se reposer. D’ailleurs pour nous artilleurs ce n’est pas fatigant, simplement un peu plus de vigilance et de plus longs séjours à l’observatoire que d’habitude, voilà tout.

 

Au sujet de l’institutrice, réfléchis bien à tout ce que tu veux lui demander et pose bien tes conditions avant de l’engager. Je pense bien que nos chéris ne seront sous sa coupe que pendant le moment des classes et qu’elle ne les suivra pas partout où ils iront. Ils pourront se promener seuls, avoir des petits camarades, que Robert puisse continuer à aller avec Mr Bailly sonner les cloches, enfin qu’en dehors des heures de classe et de travail ils auront la plus grande liberté. Dis bien aussi que nous voulons avant tout que nos enfants fassent dans les études un effort personnel. Il ne faut pas leur apprendre des choses trop compliquées. Enfin méfie-toi des jeunesses qui n’auraient jamais enseigné. Les meilleures institutrices sont celles qui ont enseigné dans les écoles et qui savent comment il faut prendre les enfants. Je sais bien ma pauvre mie que, là comme partout ailleurs, tu ne trouveras pas la perfection et que, si tu voulais la chercher, tu serais forcée de te passer d’institutrice, mais n’hésite pas surtout à payer très cher pour avoir quelqu’un de bien.

 

Je t’écris de mon observatoire et, comme il a fait un orage épouvantable, j’ai dû fermer la porte d’entrée, de sorte que le créneau seul m’éclaire et mon écriture déjà pas si fameuse, n’est-ce pas mie, va s’en ressentir.

 

Je songe avec bonheur que dans un mois, si rien ne survient d’ici là, je serai avec toi. J’en suis presque à souhaiter que nous n’allions pas trop vite du côté de la Somme (hélas ces souhaits je crois sont bien superflus) pour que nous n’avancions pas de notre côté avant d’avoir été en permission. Tu comprends bien que j’ai hâte de revoir ma Mie que j’embrasse de tout cœur avec nos chéris.

 

Je trouve les jours bien longs qui nous séparent encore du moment de ta permission et je suis fâchée de tous ces retards qui reportent toujours ton arrivée plus loin.

18 août - ELLE.- Je trouve les jours bien longs qui nous séparent encore du moment de ta permission et je suis fâchée de tous ces retards qui reportent toujours ton arrivée plus loin, tâche de venir soit avant le 15, soit vers le 22, car cette semaine intercalaire sera ma semaine de fatigue.

 

Nous sommes allés tous à Epinal hier. Maman avait à aller à Giraucourt recevoir une péniche de houille. On en a profité pour faire des achats de souliers pour les enfants et je les ai conduits chez le dentiste. André a hérité de la mauvaise nature de mes dents, elles sont d’un émail très délicat et il en a déjà plusieurs à arranger. Mr Gercet part en permission ces jours-ci et ne nous a donné de rendez-vous que pour le 30. Nous allons tous très bien en ce moment et je regrette que tu ne sois pas avec nous.

 

Robert fait encore bien souvent des colères, pendant lesquelles il hurle tous les plus vilains mots de son répertoire, mais Noëlle est sage en général et André le devient, il oublie ses mauvaises manières de l’école des garçons. Il va régulièrement à la menuiserie une heure chaque jour et il scie déjà bien. Théaude lui donne sa tâche. Quand elle est remplie, il est quitte. Il y va d’ailleurs très volontiers.

 

Maman vient de me dire qu’il faut vite me lever et la conduire à Laval ou Gérardmer emprunter de la pâte de sapin. Nous n’en avons plus que jusqu’à demain et il y en a 50 tonnes qui attendent sur les quais de Rouen depuis deux mois, c’est assommant.

 

19 août - ELLE.- Je t’ai quitté hier brusquement pour conduire Maman à Laval où elle voulait demander de la pâte. Course inutile car nous n’en avons pas trouvé. L’après-midi, Maman est allée à Gérardmer, mais je ne l’ai pas accompagnée, préférant rester avec les enfants, qui font trop de gamineries quand ils sont seuls. C’est le gamin qui l’a conduite. Elle n’a trouvé que tante Marthe, toujours très triste. Elle ne se console pas de la mort de son François, c’est comme une veuve qui pleure son mari. Elle était particulièrement attristée hier après avoir écrit à Mme Vallery-Radot dont le fils, meilleur ami de François, se marie aujourd’hui avec une jeune fille que François connaissait aussi et appréciait.

 

Elle a aussi parlé des Vautrin, Maman s’est aperçue qu’elle connaît les caractères. Elle a dit que Paul Boucher s’effraie beaucoup de voir disparaître son beau-père. « J’aurai toutes ces femmes-là sur le dos », aurait-il dit à sa mère. Ce n’est pas très élégant mais indique qu’il aimerait mieux la paix. Tante Caroline nous a écrit que l’oncle Vautrin est revenu encore maigri de Luchon, avec une bronchite et très mauvaise mine et que, à ce sujet, l’avenir lui paraît sombre. Moi je le crois aussi. Un homme ne change pas comme il l’a fait depuis deux ans sans être sérieusement atteint.

 

Paul L.J. a écrit à Maman que Maguy commence une grossesse dont ils sont tous deux bien heureux. Nous aurions préféré Maman et moi qu’ils attendent encore un peu que Maguy soit plus forte, mais comme je l’ai dit à Maman, Paul est un garçon assez sérieux et il aime trop sa femme pour vouloir la fatiguer, c’est donc qu’il la considère en très bon état. C’est très nouveau d’ailleurs, mais elle commence à avoir des nausées, ce qui est symptomatique. Alice Trivier fait un séjour chez eux en ce moment, elle aime toujours beaucoup Maguy qui a aussi beaucoup d’amitié pour elle.

 

Notre Dédé scie toujours avec ardeur. Il met quatre lattes l’une sur l’autre et cela t’amuserait de voir avec quelle ardeur il frappe sur le maillet, sur la chose en fer qui les tient serrées sur l’établi. Il prétend que cela ne l’amuse pas, mais il y va sans que je le lui rappelle et il obéit à Théaude sans broncher et en se dépêchant, donc c’est que cela ne l’ennuie pas tellement. Je regrette tant que tu ne sois pas là pour les diriger, juger de leurs caractères, de leurs progrès. Hélas, il n’y faut pas songer et accepter ce sacrifice avec résignation puisque nous n’y pouvons rien.

 

Je t’aime mon chéri de toutes mes forces. Ta Mi.

 

Pourvu qu’on augmente un peu le nombre des permissions car, malgré tout le courage qu’on peut avoir, on est un peu las de cette vie monotone qui vous sépare de ceux qu’on aime.

19 août - LUI.- J’ai reçu hier à la fois tes trois bonnes lettres du 14, du 15 et du 16 août. Tu remercieras Noëlle qui m’a intéressé en me racontant tout ce qu’elle avait vu à St Michel, je lui écrirai un de ces jours.

 

Marie Molard m’écrit un mot en réponse à mes souhaits et m’annonce la promotion d’Adrien. J’en suis enchanté car Adrien est un homme consciencieux et travailleur en qui on peut avoir toute confiance.

 

Evidemment comme tu le dis, PM est un drôle de type de prendre comme confident de ses pensées un homme taré comme Raffin-Dugens. Où veut-il en venir ? Si c’est de ce côté qu’il tourne ses ambitions politiques, cela pourra prendre un moment mais cela ne durera pas. PM socialiste anarchiste !!!, cela ne prendra pas.

 

Le petit père m’avait dit qu’on l’enverrait peut-être à Corfou. Tu me dis qu’il allait venir à Lyon comme automobiliste. Tant mieux pour lui, il fera moins chaud. Nous avons quelques camarades qui sont à Salonique et qui se plaignent énormément. Il paraît que l’état sanitaire est très mauvais et, qu’en tout cas pour le moment, on ne pourrait songer à faire une offensive sérieuse. Nos offensives à nous, comme d’ailleurs celles des Russes, semblent s’arrêter pour le moment. Ma pauvre Mie, il ne faut plus compter que la guerre sera finie cette année. Pourvu qu’on augmente un peu le nombre des permissions car, malgré tout le courage qu’on peut avoir, on est un peu las de cette vie monotone qui vous sépare de ceux qu’on aime. Heureusement que dans quatre semaines je serai avec toi.

 

Quand me reviendras-tu et quand reprendrons-nous notre chère vie d’autrefois ?

20 août - ELLE.- Je t’écris ce matin en rentrant de la messe, car nous aurons tout à l’heure Thérèse et ses petits à déjeuner comme de fondation chaque dimanche et peut-être n’aurais-je plus le loisir et la facilité de m’isoler un peu avec toi. Et il fait si bon causer comme si tu étais tout près de moi, comme si j’étais sur tes genoux et que tu me regardes tendrement comme tu sais si bien le faire. Mon Geogi chéri que j’aime tant, quand me reviendras-tu et quand reprendrons-nous notre chère vie d’autrefois.

 

Pour le moment je reçois des offres d’institutrices et corresponds pour obtenir des références et renseignements sur celles qui me semblent réunir déjà les qualités que je désire particulièrement. A certaines, je réponds de suite non. On voit de suite par l’écriture celles qui sont débrouillardes et vives ou celles qui ont l’air « chères sœurs ». C’est très vilain ce que je dis là et il semblerait que je sois anticléricale mais tu comprends ce que je veux dire.

 

Dédé a très peur que je le mette au collège, car il m’a entendu dire à Maman quand il était en juillet à l’école que cela ne pouvait durer et qu’il faudrait trouver une solution, et sous son air rêveur il entend et réfléchit. L’autre jour il m’a demandé si j’étais décidée à le mettre au collège et où, et il a eu l’air enchanté quand je lui ai dit que je le jugeais trop petit encore pour me séparer de lui. Mais je ne dis rien de mes recherches actuelles avant d’être fixée, il est inutile que le bruit s’en répande dans le village à l’avance.

 

Je te joins quelques photos qui datent encore d’Arcachon et que j’avais toujours oublié de t’envoyer. Tu y reconnaîtras tes enfants, c’était le jour du départ, il faisait un temps sombre et du grand vent de sorte que c’est plus ou moins net. Noëlle était si maigre qu’on lui a fait tourner le dos à l’appareil pour qu’on ne perpétue pas ses traits squelettiques.

 

Je pense à toi, mon Geogi. Es-tu encore obligé de passer souvent tes nuits à l’observatoire, es-tu content du successeur du lieutenant Zemb, et êtes-vous encore nombreux en popote ? Raconte-moi un peu ce que tu fais.

 

Je t’embrasse mon chéri, mille et mille fois. Ta Mi.

 

Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 20/08/1916 (N° 1339)

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Nos « as » - Le sous-lieutenant aviateur Navarre

Nos « as », ainsi désigne-t-on dans le langage conventionnel de l’aviation militaire les grands abatteurs d’aéroplanes ennemis, nos « as » sont justement populaires. Les noms des Navarre, des Guynemer, des Nungesser, des Chaput sont parmi ceux qui ont eu le plus souvent l’honneur du communiqué. Il nous a paru que nos lecteurs nous approuvaient de leur offrir de temps à autre le portrait de l’un de ces surhommes de l’air. Nous donnons aujourd’hui celui du sous-lieutenant Navarre qui compte, à l’heure présente, au tableau d’honneur des chasseurs de boches, pour douze appareils abattus. Douze appareils, chiffre officiel, c’est-à-dire douze appareils abattus dans nos lignes. Mais combien d’autres reçurent de Navarre le coup fatal et allèrent s’écraser dans les lignes allemandes.

 

Le sous-lieutenant Navarre est né à Jouy-sur-Morin. Ils sont, lui et son frère Pierre (deux jumeaux), les aînés d’une superbe famille de dix enfants. Jean Navarre montra de bonne heure un goût très vif pour l’aviation. Après un stage à l’école d’athlètes de Reims, il entra à l’école d’aéronautique de Paris. Deux mois avant qu’éclatât la guerre, il était élève pilote au Crotoy. Au moment de l’invasion allemande, le champ d’aviation de l’embouchure de la Somme dut être évacué. Jean Navarre n’avait pas encore obtenu son brevet. Pourtant il voulut entrer dans l’aviation. Partout on le trouvait trop jeune. Enfin, le 2 septembre, il réussit à se faire engager et fut versé au centre d’aviation de Saint-Cyr. De là il fut envoyé à Bron, et enfin au front. Aux environs de la Noël de 1914, il abattait près de Château-Thierry, son premier avion allemand. Depuis lors, combien d’aviatiks et combien d’albatros ont été ses victimes !

 

Pour dépeindre le caractère de Jean Navarre, citons en terminant cette simple réponse que sa mère rapportait l’autre jour à un de nos confrères. Un colonel qui le connaissait lui disait récemment : « Eh bien Navarre, on ne peut plus rien vous donner, vous avez la croix de guerre avec plus de palmes qu’on n’en peut mettre sur le ruban, la médaille militaire, la Légion d’honneur… Non, on ne peut plus rien vous donner. Vous allez vivre en peinard ! » « Non, mon colonel, répondit Jean Navarre. C’est vrai, on ne peut plus rien me donner, mais ce qu’on m’a donné, je dois le mériter davantage. » Quelle noblesse et quelle modestie, ces jeunes gens mettent dans l’héroïsme !

 

 

 

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La bataille sur le front Arras-La Bassée

Nous poursuivons aujourd’hui la série de nos grands plans panoramiques en couleurs que le public a accueillis avec une si vive faveur. Après les grandes vues panoramiques de Verdun, de Salonique, de la bataille de la Somme, nous offrons aujourd’hui à nos lecteurs le plan du front de bataille où se poursuit l’offensive anglaise, depuis le sud d’Arras jusqu’à La Bassée. Sur ce terrain déjà historique se sont naguère accomplies de grandes choses. Au mois de mai 1915, Carency, Souchez, Neuville-Saint-Vaast virent les succès de l’offensive franco-anglaise. Des événements non moins considérables s’y passeront encore. Le plan si net et si précis que nous offrons à nos lecteurs leur permettra de suivre la marche et le développement des opérations militaires sur cette partie du front.

 

 

Les instantanés de la guerre (photos)

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Le drapeau quittant Verdun pour accompagner son régiment aux tranchées

Dans la Somme - Tourelle blindée pour mitrailleuse prise aux Allemands

Le roi de Monténégro regardant les avions sur le front

Colonne de prisonniers capturés dans les environs de Pozières

Les Allemands faits prisonniers dans la Somme font "Kamerade"

Le sous-marin allemand U.C.-5 exposé à Londres

Tommy donne du feu à son prisonnier

305 autrichien sur le front italien

Un poilu redescendant de Thiaumont

Une sotnia de cosaques

Soldats écossais dans un confortable abri pris aux Allemands

A Salonique - Soldat annamite à sa toilette

 

Thèmes qui pourraient être développés

  • Italie - L'Etna en éruption
  • Allemagne - Le 5e emprunt allemand
  • Russie - Huit semaines d'offensive russe - Nos alliés ont pris 7,757 officiers, 350,845 soldats, 405 canons
  • Russie - Hindenburg devant Broussiloff
  • Italie - Secousses de tremblement de terre à Ancone, Pesaro et Rimini
  • Grèce - L'évacuation forcée des villages grecs de la côte de la mer Noire
  • Angleterre - Le vote des femmes en Angleterre
  • Tranchées - Visite des tranchées
  • Armée - Popote d'officiers
  • Aviation - Nos "As" - Le sous-lieutenant aviateur Navarre (Portrait dans LPJ Sup)
  • Aviation - Les chevaliers de l'air (LPJ Sup)
  • Les instantanés de la guerre (Photos dans LPJ Sup)
  • Raffin-Dugens - Jean-Pierre Raffin-Dugens : député socialiste de l’Isère
  • Religion - Fête religieuse - Assomption - 15 août


12/08/2016
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