William Fournié – 1914 - Lettres à Ginette – 6e partie - 27 au 30 sept. 1914
Anne Fournié, sa petite-fille – 25/02/2018
Grenoble, le 27 septembre 1914 - 11 h soir
Ma Ginette chérie
Je t’ai écrit deux fois aujourd’hui.
On me remet à l’instant une dépêche ainsi conçue :
« Raon l’Étape 27 sept 10e Commandant 54e à Capitaine Commandant dépôt 54e bataillon Chasseurs Grenoble. Capitaine Chérel évacué prière mettre en route suite Capitaine Fournié appelé au bataillon »
Je pars donc seul au lieu d’emmener les 200 Chasseurs prêts que je pensais conduire au front. Raon l’Étape est sur la frontière, sur la Meurthe, entre St Dié et Lunéville. Le capitaine Chérel était le dernier capitaine non évacué. Je serai donc seul de mon espèce au bataillon s’il n’a pas été fait une nomination sur place.
Le seul train que je puisse prendre partira demain à 1 h après-midi. Le voyage sera peut-être long, je ne pense pas avoir rejoint avant mercredi soir. Je suis en excellent état et dans de bonnes conditions d’entraînement pour me mettre en route. Tout est donc pour le mieux. Je vais aller au télégraphe pour te prévenir de mon départ. Et moralement ma Ginette, ne sois pas agitée et attends les choses bien tranquillement ; je pense que je ne pourrai pas t’écrire souvent ; tu n’auras donc de mes nouvelles que de loin en loin.
C’est dans la région où je me rends que des Alpins et des Chasseurs de l’Est ont tenu tête jusqu’à présent. Ils doivent commencer à s’y trouver un peu chez eux. Brunet et son bataillon ne doivent pas être loin de là.
Je tâcherai demain matin de t’écrire encore un petit mot. Tu vois que j’ai bien fait de te télégraphier de ne pas venir me retrouver. Au revoir ma Ginette, sois patiente et philosophe puisque tu sais que tu peux rester d’assez longues périodes sans nouvelles. J’espère que pendant que je travaillerai là-bas, les petits s’attacheront à être sages et à ne pas te fatiguer. Embrasse-les de ma part. Je pense que tu t’es arrangée pour rester le plus possible avec ma mère en attendant que tout soit rentré dans l’ordre. J’aimerais savoir que vous êtes ensemble.
Je vais au télégraphe, puis me coucher pour un réveil de très bonne heure. Je t’embrasse de tout mon cœur. À bientôt le retour. Ton Willie
Télégramme portant cachet de la poste « HOULGATE CALVADOS 28-8-14 » Adressé à :
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MME WILLIAM FOURNIE LESCYGNES HOULGATE
GRENOBLE 8251 16 28 1 = ADMIS
JE PARS CINQUANTEQUATRE TOUT VA BIEN LETTRE SUIT TENDRESSES = WILLIE
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Petite lettre, une face écrite (13 cm x 19 cm) avec un crayon à encre violette sur papier jauni
Châlon/Saône, le 29 sept 1914, 6 h matin
Ma chérie
J’attends un train de ravitaillement ou un train militaire pour continuer ma route que je reprendrai dans un moment. Tout va bien. Les capitaines du 14e sont venus très gentiment me dire au revoir à la gare de Grenoble. Castex m’a même embrassé sur les deux joues. Le commandant V. est venu également.
Je suis en route depuis hier 1 h après-midi. Tu vois qu’on ne va pas très vite. J’ai voyagé avec un de mes anciens élèves lieutenant, qui va rejoindre, guéri, son régiment au Bourget, près de Paris et probablement plus loin vers le nord. Le 14e bon doit être à Péronne, je ne pense pas qu’il regrette les Vosges. Le paysage change, j’ai hâte d’arriver.
Au revoir ma chérie. Je t’embrasse de tout mon cœur. Willie. Embrasse ma mère et les enfants.
Petite lettre non datée, le cachet de la poste de Gray indique 29-9-14 - une face ½ écrite (13 cm x 19 cm) avec un crayon gris sur papier jauni
Ma Ginette,
Je viens de déjeuner en gare de Gray avec la commission régulatrice, invité par Manuel Champion. Cette commission fait un travail de la plus haute importance en raison de tous les transports des troupes et des ravitaillements que l’on doit assurer.
Henri Brunet est passé ici blessé au bras et allant se faire soigner. Sa femme n’avait pas voulu quitter X au moment de la guerre.
Les troupes qui viennent de passer et combien il en passe ! sont en superbe état moral. Elles se battent depuis le premier jour.
Nous rejoignons l’aile gauche française par le grand contournement de Paris et filerons je pense vers le nord.
Je t’embrasse de tout cœur. Willie
Petite lettre, une face écrite (13 cm x 19 cm) - avec un crayon à encre violette sur papier jauni
30 sept 1914 - 6 h matin
Ma chérie,
La grande bataille ne se terminera pas sans moi. Nous allons arriver sur notre aile gauche. Je ne pourrai peut-être pas t’écrire avant quelque temps.
Tout va bien. J’ai dit qu’on t’envoie de Grenoble mes photographies recommandées à Houlgate. Je t’ai écrit de Lyon et de Gray, rue du Vieux Colombier, ne sachant pas tes projets.
Embrasse ma mère et les petits. Je t’embrasse de tout mon cœur. Ton Willie
Tout le monde est en bon état malgré les fatigues de ces derniers temps.
1938 – Ginette et ses petites-filles Anne et Monique Fournié
Page 8 du livret : « Bataillon d’Élite » - Historique du 54e bataillon de Chasseurs à pied - 1914-1918
Le 29 [septembre 1914], le 54e bataillon arrive à Arras.
Jeté en enfant perdu à l’est d’Arras, avec la mission de couvrir les débarquements des troupes amenées en ce point pour s’opposer à la marche foudroyante de l’aile droite allemande vers la mer, le bataillon tient quatre jours dans Hénin-sur-Cojeul, sans artillerie, au milieu des ruines d’un village dévoré par l’incendie en face d’une brigade ennemie pourvue d’une artillerie nombreuse, presque complètement cerné, après quatre jours de lutte incessante le 54e reçoit l’ordre d’évacuer le village.
Le capitaine William FOURNIÉ qui commande le bataillon est tué ; le capitaine Berger prend alors le commandement et fait exécuter au bataillon l’ordre de retraite. Le mouvement, extrêmement pénible, s’exécute en bon ordre sur Mercatel, où le bataillon arrive après avoir perdu 5 officiers et 330 hommes sur 800.
La légion d’honneur de William, remise à titre posthume.
La plaque militaire de William, intitulée :
Au recto : OFFICIER Mr FOURNIÉ William
Au verso : St Benoist de Carmaux, 8 juin 1873
Historique du 54e Bataillon - Extrait du carnet de route
Mobilisé le 6 août, le 54e Bataillon, sous le commandement du Capitaine Mazoyer, nommé Commandant par la suite, se rend tout d’abord à Saint-Michel de Maurienne où il séjourne jusqu’au 22 août.
[…]
Le 29, il arrive à Arras. Le 1er octobre, il occupe Hénin-sur-Cojeul où il a l’ordre de tenir.
À peine installé, il y est violemment bombardé, puis, une attaque d’infanterie que l’on sut par la suite être forte d’une brigade, se produit simultanément sur trois faces du village.
Le Bataillon résiste le 2 octobre, la nuit du 2 au 3 ; le 3, les Allemands mettent le feu aux premières maisons du village et le Bataillon est à peu près entouré complètement. Dans la nuit du 3 au 4, le combat devient de plus en plus violent et l’incendie gagne.
Vers quatre heures, le Capitaine Fournié, qui a pris le commandement du Bataillon depuis quelques heures, est tué.
Le Capitaine de réserve Berger prend le commandement et reçoit l’ordre d’évacuer le village. La retraite, extrêmement pénible, s’effectue sur Mercatel, où le Bataillon se rassemble.
Le Bataillon est proposé pour une citation à l’Ordre de l’Armée.
William Fournié a été inhumé le 10 juin 1922 dans la tombe familiale à côté de son père Victor (1900), de son frère Samuel (1930), de son fils Roger (1972), de sa fille Christiane (1982).
Tombe de la famille FOURNIÉ au cimetière Montparnasse à Paris, ouverte en 1875.
Le corps de William Fournié, venant d’Arras, a été rendu à sa famille en juin 1922.
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