14-18Hebdo

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William Fournié – 1914 - Lettres à Ginette – 2e partie - 2 au 22 août 1914

Anne Fournié, sa petite-fille – 25/02/2018

 

Paris, ce 2 août 1914

Mon Ginou chéri,

 

Je suis bien heureux d’avoir pu t’embrasser et te voir un instant sur le quai de la gare. Je t’ai rendu ta gentille visite à Paris. J’emporte sur moi ta photographie que je regarderai souvent en pensant à toi et aux petits que je regrette bien de n’avoir pu embrasser. Je pense qu’ils feront tout leur possible pour te faciliter la tâche et que Roger[1] te secondera tant qu’il pourra pour alléger tes responsabilités.

 

Sois bien calme, ne t’inquiète pas, n’écoute pas trop les nouvelles qui sont généralement fausses au début ou qui prennent des proportions exagérées. Je ne sais pas du tout où en est la situation. Je sais seulement que l’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie[2].

 

J’aurais bien voulu t’écrire longuement, je ne le peux pas, mais je t’écrirai le plus souvent possible, évidemment pas très régulièrement.

 

Je donne les clés à la concierge, ta petite clé de bureau est sous enveloppe fermée entre les mains de la concierge.

 

Amitiés à Lucy[3]. Pardonne-moi ma hâte, je t’embrasse comme je t’aime. Ton Willie

 

 

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Lyon – Gare de Perrache, le 2 août 1914 - 2 h matin

Ma chérie,

 

Je viens d’arriver à Lyon et d’y manger quelque-chose car je n’avais pas déjeuné depuis samedi. Le voyage s’est très bien passé. Partout calme, entrain et gaîté. Un train militaire bondé. Des Réservistes et Territoriaux en civils, les officiers en tenues.

 

Je dois attendre jusqu’à 6 heures du matin le train qui me mènera à Bourgoin. Dans notre compartiment la conversation était à ce point variée que nous oubliions positivement que nous partions pour la guerre. De nombreux hommes sont étendus à même les cours et trottoirs de la gare ; ils discutent en attendant leur train.

 

On sent que le moral est excellent. Les armées de l’Est et du Centre viennent de s’accrocher aujourd’hui avec l’avant-garde allemande.

 

Il faut bien savoir qu’il est prévu que les premiers combats ne sont que des combats destinés à retarder l’ennemi et à permettre la concentration en arrière. En conséquence et normalement, les premiers combats doivent être suivis d’une retraite sur les pas de l’armée qui livrera plus tard la grande bataille.

 

Mon Ginou chéri, je pense beaucoup à toi et je compte tout faire pour toi. J’espère avoir bientôt et souvent de tes nouvelles. Au revoir ma chérie ; je t’embrasse de tout cœur. Embrasse les enfants pour moi. Ton Willie

  

N° 3 – Bourgoin, ce lundi 3 août 14

Mon Ginou,

 

Dis-moi bien chaque fois les lettres que tu auras reçues de moi. Ma première est d’hier matin à Paris. Ma deuxième est de cette nuit à Lyon. Je voudrais bien avoir un mot de toi.

 

Seuls le colonel, les capitaines et un commandant de mon régiment sont arrivés ce matin. Les hommes attendus ne viendront que dans quelques jours pour permettre au 22e d’Active et au 22e de Réserve de déblayer le terrain.

 

On ne voit pas de gens avec l’air ennuyé de s’être dérangés pour une période. Chacun a l’air satisfait d’être venu pour quelque-chose. État d’esprit excellent, pas d’agitation, pas de bruit. On se croirait en période de manœuvres en cantonnement. Je ne pense pas bouger de Bourgoin avant une huitaine. Nous n’irons sans doute pas loin. Tu n’as donc pas à te tourmenter.

 

As-tu des nouvelles de ma mère ? Donne m’en.

 

J’attends avec impatience de tes nouvelles et de celles des petits ; j’espère qu’il reste un bon médecin à Houlgate et qu’Odile est bien remise. Si le médecin n’était pas venu, il faut le faire appeler une fois pour qu’il connaisse la maison et les enfants. Une fois le contact pris, il n’hésitera pas à se déranger si on le réclame à une heure quelconque.

 

Bien que nous vivions sans meubles, tout est si calme, si normal en apparence qu’il faut bien y penser pour se rappeler que nous sommes dans une situation qui ne peut se comparer à aucune autre situation historique.

 

Je vais très bien, logé dans une très médiocre chambre de l’Hôtel du Nord. Je ne puis y déballer mes affaires faute de meubles.

 

J’ai retrouvé ce matin deux de mes camarades de promotion, capitaines en activité au 22e de ligne. C’est dur de les voir partir et de rester soi-même.

 

Au revoir mon Ginou chéri. Écris-moi longuement et souvent. L’adresse est toujours : 106e régiment territorial à Bourgoin. Embrasse les enfants pour moi et garde pour toi toute la tendresse de ton Willie. Amitiés à Lucy.

  

N° 4 – Bourgoin, ce 4 août 1914, mardi

Ma Ginette chérie,

 

Je t’ai télégraphié tout à l’heure que tout va bien ici. J’ai envoyé à ma mère une dépêche en double tant à Évian qu’à Paris ; je ne sais rien d’elle. Il me tarde profondément d’avoir des nouvelles de toi et des petits. N’oublie pas de lire et de noter très attentivement les règlements, décrets et articles destinés à faciliter l’existence pendant le temps que durera le conflit.

 

Mes Territoriaux arrivent après-demain. Le 106e sera prêt à partir samedi soir. Je pense qu’il sera envoyé tout simplement à Grenoble dont il occupera des ouvrages fortifiés. Le 22e d’Active et le 22e de Réserve, dans lesquels j’ai des camarades et des élèves, sont mieux partagés. Ils termineront leurs préparatifs et seront dirigés vers l’Est. Nous n’avons pas de nouvelles des mouvements.

 

Embrasse les enfants pour moi, j’espère qu’ils sont bien sages. Amitiés à Lucy. Je t’embrasse de tout mon cœur. Ton Willie

  

6 – Ce 15 août 1914

Ma Ginette chérie,

 

J’ai enfin reçu ce matin tes lettres des 4, 5 et 6 août. La dépêche du 12 m’avait permis de patienter un peu. Il me semble que le meilleur moyen d’être informé consisterait pour toi à t’abonner à un journal. N’attache aucune importance aux racontars écrits ou oraux des gens qui se prétendent bien informés. Il n’y a que les faits importants, précis et confirmés qui aient une valeur.

 

Reste calme et pleine de confiance. Tu serais bien réconfortée si tu pouvais voir le bel entrain qui règne partout où il y a des soldats de toutes catégories. Il n’y a pas un officier du 106e Territorial, même parmi ceux de 58 à 60 ans, qui ne soit désireux d’entrer en ligne. Deux par trop usés ont été laissés malgré eux à Bourgoin.

 

Qu’ils soient notaires, commerçants, rentiers, quelle que puisse être l’importance des intérêts compromis par leur départ, quel que puisse être leur situation de famille, ou leur âge qui les dispense de tout, pas un officier du 106e Territorial n’accepterait l’idée d’abandonner son poste devant l’ennemi.

 

Chacun pense en soi-même à sa femme et à ses enfants, à ses parents, mais personne n’en parle ; chacun a la pudeur de ses sentiments, chacun est prêt.

 

Ces derniers jours, le 106e avait formé un bataillon qui devait partir aujourd’hui pour le Maroc. Le commandant désigné, ancien chef de bataillon de l’Active, voulait me faire passer dans son bataillon à la place d’un capitaine qu’il voulait laisser. J’ai répondu que si j’étais désigné je partirais comme ce serait mon devoir, mais que je ne demanderais certainement pas à aller au Maroc quand la partie sérieuse se jouait dans l’Est où l’on aurait peut-être besoin d’officiers pour combler les vides. Ce n’est vraiment pas le moment d’aller villégiaturer au Maroc et tirer des Marocains.

 

J’irai où on m’appellera et je ferai tout simplement mon devoir comme les camarades. Comme les Alsaciens qui font partie de l’armée de l’Est qui sont impatients de se retrouver chez eux définitivement.

 

Ton oncle Henry a repris du service. Raoul G. est ici à Grenoble et comme trésorier particulier aux armées, uniforme vert et 4 galons. Nous avons fraternisé ces derniers jours à différentes reprises.

 

Le jeune M. de T. est recruté, il est lieutenant de Réserve aux Chasseurs Alpins. Nous avons fait connaissance hier. Un autre gentil garçon plein d’entrain est resté au dépôt pour dresser les recrues qui vont arriver. C’est un gros travail, il y a peu d’officiers pour beaucoup d’hommes qu’il faut former dans un minimum de temps.

 

Ton portrait ne me quitte pas. Je pense beaucoup à toi, ma chérie et aussi à mes petits ; dis-le leur bien. As-tu des nouvelles de ma mère ?

 

Raoul G. vient de venir me dire au revoir. Il part pour Besançon, avec tout son service de trésorerie et postes. Il me charge de bien des choses pour toi.

 

Au revoir ma Ginette aimée. Je t’embrasse de tout mon cœur. Je pense bien à toi. Quel beau jour sera celui où nous nous retrouverons après la victoire définitive. Ton Willie

 

On a commencé à envoyer des prisonniers en France. Il y en a 1 100 aux Sables d’Olonne.

 

Les quelques billets très courts que je t’ai envoyés depuis le 5 ne t’ont peut-être pas atteinte au milieu du chevauchement des services à Bourgoin.

  

N° 7 – Ce 16 août 1914

Ma chérie,

 

Je reçois à l’instant tes lignes des 7 et 8 août.

 

Un proverbe latin dit que Jupiter rend fous d’orgueil ceux qu’il veut perdre. Il me paraît qu’il a touché de sa baguette ces bons Allemands. Je ne pensais pas, jusqu’au dernier moment, que ceux-ci se lanceraient dans une pareille aventure. La lutte sera certainement des plus chaudes mais, le résultat final leur procurera la dure leçon que méritent leur insolence et leurs procédés.

 

Je ne sais si tous les Allemands marchent avec le sentiment qu’ont non seulement tous les Français tant soit peu éduqués et qui savent ce que c’est que l’honneur, mais encore les paysans les plus simples.

 

Un certain nombre des officiers de 106e Territorial ont eu plusieurs fils sur la frontière dans l’Active ou la Réserve, ces vieux hommes sont animés des mêmes pensées que les jeunes de mon âge. Leurs désirs sans doute dépassent leurs forces. Mais leur désintéressement est bien français. Chacun d’eux donnerait la dernière goutte de son sang et tout ce qu’il a pour l’Alsace.

 

Que leur demandera-t-on ? C’est encore un mystère. Il y a encore des régiments d’Active qui n’ont pas encore rejoint les armées et qui restent en retrait.

 

Ma santé est excellente. Nous avons été très occupés. Mettre un régiment en état de partir par ses propres moyens, rien qu’avec des Territoriaux, n’est pas une chose aisée. C’est un gros travail d’organisation et de préparation et de toute façon, je n’ai certes pas perdu mon temps, j’ai fait un effort utile. On aura certainement besoin de nous ou de certains d’entre nous quand les mouvements se dessineront.

 

Ne t’inquiète pas de moi, ma chérie, j’ai ce qu’il me faut. Je me suis procuré ce qui me manquait.

 

Le temps, très beau et chaud ces derniers jours, vient de se remettre à la pluie.

 

Je vois d’après tes longues lettres que les enfants se portent bien et passent agréablement leur temps.

 

Madame Giraud doit être très fière d’avoir ses deux fils sur la frontière. Ils sont privilégiés.

 

Gustave Hervé a fait ce que tout homme bien élevé et qui n’est pas cul de jatte doit faire ; je n’ai d’ailleurs pas lu sa lettre à laquelle tu fais allusion ; je sais seulement qu’il a pris du service.

 

Comment t’es-tu arrangée pour les divers paiements, car la pension doit être épuisée ?

 

Je t’ai télégraphié hier pour avoir des nouvelles. J’ai également télégraphié à ma mère, en double, à Évian et Paris pour savoir où elle est et où lui écrire. Embrasse les enfants pour moi, j’ai peur qu’Odile soit en train de m’oublier. Au revoir ma Ginette chérie. Tranquillise-toi sur mon sort. Je t’embrasse de tout mon cœur. Ton Willie

  

N° 8 – Ce 16 août 1914

Ma chérie,

 

Je ne sais si tu as maintenant décidé de partir d’Houlgate fin août, ou si tu as l’intention d’avancer ou de retarder cette date. Je comprends que ta mère cherche à se rendre utile dans les ambulances à Paris et n’aille pas à Houlgate. Tu la verras à Bellevue puisqu’elle a loué là pour pouvoir t’y recevoir avec les enfants. Fais-moi part de tes projets.

 

Il pleut toujours. Je pense que nous sommes encore à Grenoble pour un bout de temps que j’utiliserai à mettre ma compagnie en forme. J’ai déjà renvoyé quelques hommes à Bourgoin ; ceux qui ont quelque tare physique les rendant impropres à une campagne.

 

Je vais commencer à m’ennuyer si je reste ici. Je me suis laissé dire que les lettres, dans un sac ou dans l’autre, sont retenues quelques jours, de façon à ce que les nouvelles ne soient pas fraîches et que des indications concernant les mouvements ne puissent être données en temps utile. Tous les télégrammes sont visés par le commissaire de police qui y met son visa.

 

Au revoir ma chérie. Je pense bien à toi et il me tarde de pouvoir t’embrasser quand nous aurons administré la frottée à laquelle j’espère bien pouvoir prendre une part plus active. Pardonne-moi, mais il me semble que je ne sais plus écrire. Je t’aime, Willie

  

N° 9 – Ce 17 août 1914

Ma Ginette chérie,

 

Hier l’on m’a remis ta dépêche répondant à mon télégramme d’avant-hier. Ce matin j’ai reçu tes lettres du 9, tes deux lettres du 10 et deux lettres d’Évian ainsi qu’une dépêche de ma mère m’annonçant son retour.

 

Je te remercie de ta dépêche confirmée par une des lettres que j’ai reçues de toi ce matin. Je l’ai montrée à mon capitaine du 106e qui a joint les talons et adressé de loin son salut militaire le plus respectueux à la Française que tu es.

 

Il est malheureusement trop tard pour être de la première bataille d’armée ; son issue déterminera peut-être mon sort pour la suite de la campagne.

 

Au revoir ma Ginette chérie, je vais m’occuper de mes hommes. Je suis très fier de toi et je t’embrasse comme je t’aime. Ton Willie

  

17 août 1914

________________________________________________________________________

Télégramme portant cachet de la poste « HOULGATE CALVADOS 17 août 14 » adressé à :

MME WILLIAM FOURNIE LESCYGNES HOULGATE

GRENOBLE 090 19 15 15 9 46 = VISE

PASSE CAPITAINE AU QUATORZIEME BATAILLONS CHASSEURS GRENOBLE PEUX PARTIR TRES PROCHAINEMENT TENDRESSES WILLIE

________________________________________________________________________

   

Ce 19 août 1914

Ma Ginette chérie,

 

Je t’ai écrit tout à l’heure. Encore un mot avant de me coucher.

 

Je crois t’avoir dit qu’au lieu de t’envoyer ma seconde cantine, je la laisse au quartier du 14e où je la retrouverai à mon retour. C’est plus simple que de te l’envoyer. Aucun de mes anciens uniformes ne peut me servir. Tout est bleu dans la tenue de campagne des Chasseurs Alpins.

 

Les dames de la Croix-Rouge et celles qui s’occupent des blessés ont été l’objet d’un rappel à l’ordre du général de la place. Il leur a été défendu de porter leurs uniformes à l’extérieur. Un grand nombre d’entre elles ne servent à rien, font du volume, sont agitées et font du tort à celles qui sont bien et que le camp cite comme de vraies sœurs de charité ne reculant devant aucune besogne.

 

Les recrues du 14e font des progrès, dans quelques semaines on pourra les envoyer contre les retranchements allemands. Il y aura à faire pour elles ; « elles entreront dans la carrière… » comme dit la Marseillaise.

 

Le détachement de renfort que j’emmènerai sera d’environ 200 fusils, des anciens Réservistes ou Territoriaux alpins. Il en a déjà été envoyé 1 600 avant mon arrivée au corps.

 

Je viens de causer avec un avocat de Paris que je connais de vue. N’ayant plus rien à faire avec l’armée, rayé des cadres en raison de son âge, 51 ans, il a demandé d’aller au front. Son lieutenant, Territorial d’artillerie à Grenoble, a 13 enfants dont 4 fils sous les drapeaux dont un de 17 ans.

 

Et pendant ce temps, ma chérie, tu occupes, toi aussi, vaillamment ton poste de stabilisation. Mes lettres vont devenir rares et il faudra t’exercer à la patience. Je sais, comme tu me l’as télégraphié, que tu es avec moi. De mon côté, ma chérie, je pense bien à toi et aux petits. Aide ma mère à prendre patience et à ne pas s’inquiéter inutilement.

 

Nous tenons le succès, c’est aussi certain qu’avant ; il ne suffit pas de chasser les Allemands de France, il faudra aller les battre chez eux et les avoir complètement. La bataille de la Marne a arrêté l’offensive allemande, mais n’a pas détruit l’armée allemande qui malgré son recul reste formidable derrière les retranchements dont elle a hérissé la position de repli et qu’elle a préparés partout en arrière.

 

Il faut arriver à la débâcle de ce peuple gluant et répugnant et nous y arriverons sans aucun doute. L’armée allemande a engagé d’un seul coup toutes ses forces, elle n’a pas les réserves que nous avons et préparons et qui se dresseront à la place de ceux qui ont dû abandonner la bataille. Toute journée, même d’inaction apparente, est un élément positif de plus.

 

Tout va bien et plus tôt nous en aurons fini, plus tôt je te retrouverai ma chérie, toujours fidèle au poste avec les quatre marmots en bonne santé.

 

Embrasse ma mère pour moi. Elle doit recevoir comme moi de bonnes nouvelles de Samy[4].

 

Je vais m’étendre dans un lit qui est bien grand pour moi tout seul et penserai à toi. Je t’embrasse de tout cœur. Willie

   

N° 10 – Ce 20 août 1914

Mon Ginou chéri,

 

J’ai reçu ce matin tes lignes du 12. J’ai également sous les yeux tes lettres du 14 et les lettres des enfants auxquels j’ai déjà écrit.

 

Je me morfonds ici ; ma place est ailleurs. Je ne sais si j’obtiendrai d’aller de l’avant. Dis à ta mère de le demander pour moi au gal de Lacroix, en faisant valoir que je parle anglais[5] et qu’il peut être utile pour les chefs de corps coopérant avec les Anglais d’avoir un grand nombre d’officiers combattants parlant l’anglais. Il faudrait que ta mère voie le gal de Lacroix s’il est à Paris.

 

Édouard Vaucher[6] a de la chance d’être au premier rang. Du côté des Alpes, il se pourrait que nous n’aurons rien à faire. Ce qu’il y a de sûr, c’est que ma place n’est pas ici dans la garde nationale.

 

Si j’avais reçu ta lettre et ton télégramme 14 jours plus tôt, j’aurais trouvé moyen de faire naître l’occasion, avant de quitter Bourgoin et avant de rejoindre des régiments actifs et de réserve. Mais à ce moment-là je pensais qu’il y avait au moins quelque-chose à faire de ce côté de l’Italie. J’aurais trop honte de rentrer chez nous en ayant fait vendre les journaux et dresser pour rien des hommes qui ne sont pas appelés à faire campagne.

 

Au revoir mon chéri, ton courage, tout ce que tu fais est bien fait. Je tâcherai de t’écrire plus longuement demain. Je t’embrasse de tout cœur. Willie

   

N° 11 – Ce 22 août 1914

Ma Ginette chérie,

 

Après l’entretien que j’ai eu hier avec le gal gouverneur de Grenoble, et qui ne me connaît pas, j’ai remis ce matin à mon colonel qui l’appuiera de son appréciation sur mon compte, une demande régulière de mutation pour un corps faisant campagne et prêt à partir. Cette demande sera transmise au ministre en passant par le gouverneur de Grenoble. Quelle sera la réponse et quand viendra-t-elle ? Je n’en sais rien. J’espère qu’elle ne tardera pas.

 

J’irai dans n’importe quel corps pourvu que je marche. J’ai indiqué comme préférence le 14e bataillon de Chasseurs à pied pour le cas où il s’y trouverait une place. Il y a ici, en effet, la valeur d’un bataillon du 14e, prêt à marcher, composé d’Active et de jeunes réservistes ayant fait campagne au Maroc. C’est une troupe en plein acharnement et de premier ordre. Ce sont les officiers eux-mêmes de ce bataillon qui m’ont soufflé l’idée de demander à venir avec eux.

 

Le petit Monnier, de Tourcoing, le fils du pasteur, est l’un des benjamins parmi les sous-lieutenants de Réserve du bataillon.

 

J’ai soumis ma compagnie du 106e à une petite épreuve d’endurance qui n’a pas été brillante. J’ai été stupéfait de constater que 70 % environ des Territoriaux de 25 à 40 ans ont une tare physique quelconque.

 

La double poussée en avant des Allemands, tant en Belgique qu’en Lorraine, qui était prévue puisqu’on les a laissés passer, devient captivante.

 

Cette fois au moins, les pensées du grand état-major sont bien gardées et nul ne peut se vanter de préjuger des plans du généralissime.

 

Je pense que tu tiens ma mère au courant des peu intéressantes nouvelles que je t’envoie. Dis-lui que je pense beaucoup à elle et à Samy.

 

Je mettrai demain dimanche ma correspondance à jour. Rien reçu de toi depuis ta lettre n° 14 dont je t’ai accusé réception. Embrasse les enfants. Mon bon souvenir à Lucie.

 

Je t’embrasse de tout mon cœur, ma femme chérie. Je sais que dans les circonstances sérieuses tu es brave et patiente. Je t’écrirai plus longuement demain, puisqu’il m’apparaît que je suis devenu tout à fait incapable d’exprimer mes sentiments : je t’aime. Willie

    

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1914 - William Fournié, capitaine au 54e bataillon de Chasseurs alpins (BCA)

 

A suivre…


[1] Roger, l’aîné des quatre enfants, est né à Saint-Cyr-l’École en 1904. Il a donc dix ans en 1914, ses trois sœurs ont neuf ans, sept ans et un an.

[2] L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie le 1er août 1914.

[3] Lucy Westercamp est la sœur de Ginette. Elle a trente-deux ans en 1914. Ginette en a trente.

[4] Samuel Fournié, dit Samy (1881-1930), est le frère de William. Il a 34 ans en 1914. À sa sortie de Polytechnique, il opte pour la Marine. En avril 1913, il est officier aviateur sur le croiseur "Foudre", Service de l'Aviation maritime (Cdt Paul Roque). Le 19 avril 1915, cet officier aviateur affecté à la Brigade des Fusiliers Marins est grièvement blessé, cité à l'ordre de l'Armée navale : "Aviateur. A effectué de nombreux vols et reconnaissances. Sérieusement brûlé au cours d'une mission de bombardement."

[5] Mary-Ann Williams (veuve de Victor Fournié), mère de William et de Samy, était anglaise de naissance.

[6] Édouard Vaucher (1882-1914) est le mari de Simone, sœur cadette de Ginette.



09/03/2018
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