Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch 7-7 - La vie de secteur, les relèves, le repos
Chapitre 7 – La vie de secteur, les relèves, le repos.
Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 23/06/2016
Paul et François Boucher à la cabane forestière du Rudlin le 12 août 1914
Le 16 décembre 1915, nous venons de terminer un grand abri où deux de mes sections logent. Ses occupants viennent de partir en corvée lorsqu’une bougie allumée tombe sur le foin des couchettes, y met le feu et tous les effets et fusils de toute la section sont endommagés. Une fumée formidable de foin humide s’élève en l’air et naturellement une vingtaine de gros obus boches fusants arrivent. Les Allemands bien économes ne persistent pas, heureusement ! Je suis appelé par le commandant en chef de l’Hartmann, le colonel de Poumayrac dit « Poumpoum » qui me passe un savon. Le caporal de jour aurait dû vider la case entièrement. Evidemment, il n’a pas tort le brave colonel mais nous voilà très ennuyés d’avoir une vingtaine de poilus démunis de leurs armes et de leurs petites affaires et souvenirs. J’ai hâte de les rééquiper car je sais que les « temps sont proches ». Une activité fébrile et un grouillement aussi extraordinaire qu’inutile règnent sur toute la montagne sans être presque jamais dérangés par les boches, ce qui est surprenant.
Journal de marche du 152e RI du 16 au 21 décembre 1915
On installe de gros mortiers de tranchées de 340, chose rare et nouvelle à cette époque. On parle depuis de 370, de pompiers de Paris avec des lance-flammes etc. Un des seuls abris du sommet est occupé par un poste TSF. On voit les grands chefs aller et venir puis des Cies du 152e qui viennent les unes après les autres.
Dans le boyau allant du camp Duverney au sommet, je rencontre le lieutenant-colonel remplaçant Segonne qui est parti à 20km à peine à vol d’oiseau près du Hohneck. Notre nouveau colonel vient naturellement de l’état-major, on a dû lui promettre une belle affaire enlevée facilement. C’est un régiment d’élite, bref, c’est une belle citation en perspective avec laquelle il pourra revenir à l’état-major.
C’est un chef sérieux, un peu gendarme mais bon dans le fond quoique peu sûr de lui et paperassier comme tout bon officier d’état-major. Voici que nous allons tenter une opération de dégagement de l’Hartmann, présentée et suivie dans tous les détails par les jeunes du QG, décidée pour octobre. Voici que les jours passent pour exécuter cette affaire en pleine montagne à 950 mètres d’altitude en fin décembre.
Et puis, on nous change de colonel, un nouveau arrive de la Somme, ne connaissant rien de l’endroit, de la situation.
Le 3e bataillon décapité a pour chef un brave mais un peu toqué, le capitaine Jamelin dit « Pouët-Pouët ». On nous aurait blâmés de manquer un combat et voici qu’un chef de corps est changé à quelques jours d’une attaque voulue par nous.
Inconscience, légèreté !
Quelle aberration quand il faut réunir tous les atouts en main. Et que de vies humaines sont en jeu.
Le 1er bataillon est commandé par le brave des braves, le commandant Guey, mais depuis trois semaines, cet homme est surmené alors que le génie de la division est occupé on ne sait où à préparer des abris pour les généraux et l’état-major !
Il a réussi à préparer la tranchée-abri pour le régiment, abri précaire où l’on doit entasser trois bataillons complets pendant le marmitage et qui risque d’être écrabouillés avant de déboucher.
Le 152e connait déjà trop ce coin sinistre de l’Hartmann. On n’aime pas se retrouver là où l’on a déjà trop souffert. Cette crête a bu tant de sang de mars à avril 1915.
Enfin, on espère quand même… Le commandant Guey m’honore de sa confiance et me voyant un peu découragé me dit : « C’est une honte ce que l’on nous demande d’accomplir, mais nous devons tout tenter pour que cette opération réussisse ».
Paroles sinistrement prophétiques, hélas.
Le 18 décembre, je reçois l’ordre et la 6e Cie aussi de nous rendre au camp Depierre que je connais bien pour y avoir déjà séjourné. C’est sur la pente du Molkenrain où le boche ne bombarde presque jamais. On ne sait pas pourquoi.
J’avais déjà séjourné là dans la journée tragique du 26 avril 1915 que je remémore à mes jeunes compagnons, officiers des 5e et 6e Cies, les lieutenants Candau et Morand, membres de la 5e, Ducros de la 6e Cie. Le capitaine Villard est absent, il a réussi à obtenir une permission.
Le 19 décembre 1915, le colonel réunit tous les officiers au sommet et nous donne des ordres assez vagues avec objectifs sur la carte, impossibles à vérifier sur le terrain bouleversé et impossible de passer la tête sous peine d’être fusillé à bout portant.
Pendant ce temps, les grenades à fusil éclatent autour de nous. A-t-on idée de réunir les officiers ainsi exposés inutilement. Le résultat arrive vite. Friquet, commandant de la 8e, est blessé d’un éclat de grenade et voici encore une Cie sans chef !
Concentrés au sommet, il nous faudra dévaler à travers tous les obstacles. Le 2e bataillon à gauche, 8e, 7e, 6e puis le 1er bataillon à droite, le 3e s’incorporera entre les deux pour qu’en descendant le front aille s’agrandissant en éventail.
A gauche, le 5e chasseur attaque depuis Bonnegoutte en montant et il devra se joindre à nous, l’un descendant de 950 mètres, l’autre montant de 750 mètres. Au milieu des rochers, fils de fer, éboulis, arbres renversés, très joli en théorie mais bien dangereux. Le brave commandant Mas, rouquin, trapu et barbu donne les ordres de détail à la 5e Cie, la mienne est provisoirement en réserve et ne débouchera pas immédiatement.
La 8e Cie arrivera pour se lier au 5e bataillon de chasseurs puis la 7e Cie de front et la 8e Cie sera en liaison avec le 3e bataillon. Là s’arrête toute notre science et savoir. Nous reconnaissons l’abri où s’entassent pelles, pioches et munitions pour le bataillon. Des chasseurs du 68e sont désignés pour nous apporter ce matériel sur la position conquise. C’est parfait mais inutile.
Au camp, nos hommes ont ordre d’emporter chacun huit ou dix grenades amorcées puis on nous distribue des révolvers et cartouches pour organiser des nettoyages de tranchées. Ceci du 19 au soir au 20 décembre au matin. Personne ne sait manier ces révolvers hormis un Espagnol.
Le 20 décembre, je conduis sur place mes agents de liaison et tous les sous-officiers. Je fais reconnaitre les abris pour la préparation d’artillerie ainsi que les diversions d’attaque des trois Cies du bataillon pouvant être appelées à renforcer l’une ou l’autre. Les agents de liaison chronomètrent le temps minimum pour aller du camp Depierre à notre coin où est l’état-major qui pense mener ses colonnes comme sur une grande route !!!
Journal de marche du 152e RI de décembre 1915 avec l’ordre d’attaque de l’Hartmannswillerkopf
Journal de marche du 152e RI de décembre 1915 avec l’ordre d’attaque de l’Hartmannswillerkopf
Journal de marche du 152e RI de décembre 1915 avec l’ordre d’attaque de l’Hartmannswillerkopf
Fin de la septième partie des souvenirs de Paul Boucher
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