14-18Hebdo

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Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch 7-4 - La vie de secteur, les relèves, le repos.

Chapitre 7 – La vie de secteur, les relèves, le repos.

 

Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 01/06/2016

 

 

Paul Boucher 7-4 Image1 St Amarin 1.jpg  

Paul Boucher 7-4 Image2 St Amarin 2.jpgLa Cie de Paul Boucher rend les honneurs aux officiers neutres à Saint Amarin le 8 septembre 1915.

 

Voir l’épisode précédent chapitre 7/3e partie:

« Le 8 septembre, ma Cie étant de jour, je rends les honneurs à une caravane d’officiers neutres (Américains, etc.) ».

 

Le 1er octobre 1915 apporte un peu de neige fondue.

 

Nous recevons le 6 octobre un nouveau sous-lieutenant, Menché, ancien adjudant. Nous le recevons par un festin célèbre qui fit du bruit dans le camp et le 10 octobre, nous relevons en première ligne où je n’ai pas été depuis des mois. J’occupe le sommet même et j’ai pour voisin à gauche Doucet.

 

Il fait beau et clair, ce qui amène quelques obus fusants qui tuent deux hommes. Le lendemain, la cuisine de Doucet est démolie et la 1e Cie vient déjeuner à mon abri qui est en contre-pente nord-ouest, face au Hohneck, à côté de mon bureau, ma fontaine. J’ai un toit sur et suis très bien. J’ai une lampe à pétrole, un tapis de table, c’est juste si on ne se déshabille pas au lit.

 

Le commandant Monnet part le 23 octobre au 67e chasseur.

 

Le 25 octobre au matin, je sursaute, éveillé par des détonations nombreuses mais peu violentes autour de mon gourbi, ce sont des coups longs d’une démolition rapide faite au canon-revolver.

 

Paul Boucher 7-4 Image3 JMO 11 octobre 1915.jpgJournal de campagne du 152e du 4 au 11 octobre 1915

 

Je crains un coup de main car la première ligne a été abimée sur une vingtaine de mètres et fais prendre toutes précautions mais inutilement car il ne se produit rien.

 

Cependant, dans le secteur de la 1e Cie, on perçoit au téléphone toutes les communications allemandes, nous y plaçons un Alsacien nommé Busser qui prend note. J’ai été moi-même les écouter, c’est fort curieux.

 

Le commandant informé prend la direction de ces postes qui deviennent des postes d’écoute. Ce poste est utile et parfois bien désagréable.

 

Un jour que j’écoutais, on entend une voix, celle du commandant de Cie appeler le sous-officier bombardier « Sachs » préparer un tir sur le banc de sable où j’aperçus des travailleurs. Vite nous faisons prévenir des hommes qui travaillaient dans un coin présumé hors de vue.

Le téléphone crie « Sachs, ne tirez plus ».

 Les hommes ont disparu et nos hommes ont échappé à un danger certain.

 

Un autre jour, voici que le téléphone assez brouillé raconte « Avez-vous l’heure »,

« Bon oui, pour ce soir ».

« N’oubliez pas notre instrument de musique ».

 

Notre colonel Segonne, car j’ai oublié de dire que c’était notre chef, venant des chasseurs juge qu’il s’agit d’une attaque pour ce soir et alerte tout le régiment… en vain d’ailleurs. Les jours suivants, nous avons appris qu’il s’agissait chez nos voisins de fêter une promotion.

 

Je reviens à notre nouveau chef Segonne, tout le contraire de Jacquemot, clérical, aimable mais sévère, amateur du conseil de guerre (Cour martiale), visage avec un rictus que l’on pourrait prendre pour un sourire alors que ce n’en était nullement.

 

Quelques torpilles sans dégâts, quelques balles dont certaines ricochent dans la tranchée. Le soir du 5 novembre 1915, l’une d’elles va blesser une sentinelle, Paillet, qu’on a mené dans mon gourbi. A la lueur de la lampe, je vois une horrible blessure, les intestins ouverts dont il semble sortir du riz. Le blessé se retourne complètement sur lui-même et à mes paroles de réconfort dit : « Oh mon capitaine, je suis un homme foutu ».

Et de fait, il n’alla pas plus loin qu’Oberlauchen où je vis sa tombe dans le petit cimetière aujourd’hui disparu, qui était près de la clairière.

 

Le froid arrive et je ne suis pas mécontent de voir le 10 novembre au matin la 12e Cie avec le capitaine Jamelin venir nous relever par un temps affreux. La neige arrive, il me faut aller montrer à Jamelin les constructions commencées et qui disparaissent sous la neige.

 

Ma Cie part à Breitfirst aider au travail du câble qu’on installe de Kruth à Breitfirst.

 

 

« La gazette du centenaire n° 22»

Editée en octobre 2015 par la cellule communication du 152e RI à Colmar et transmise par le lieutenant-colonel Bodénès de la direction des Ressources Humaines de l’armée de terre.

 

Octobre 1915, L’Hilsenfirst :

Le régiment va passer un deuxième mois consécutif sur l’Hilsenfirst sans descendre au repos dans la vallée de la Thur. Le journal de marche répète de façon monotone : « nuit calme, journée calme, échange habituel de grenades et de balles, brouillard, pluie, froid, beau temps, tir d’artillerie, x blessés, x morts, etc. ». L’Hilsenfirst n’est plus un objectif prioritaire pour les deux belligérants, mais n’est pas pour autant une sinécure. Les Diables Rouges assistent à distance aux combats sur le Linge qui monopoliseront les efforts de tous jusqu’à la mi-octobre date à laquelle sera repoussée l’ultime attaque allemande. A compter de cette période, le front, dans la vallée de la Fecht et sur ses hauteurs, va se figer pour quatre années et les combats vont se reporter sur le massif du Hartmann.

 

Le 9 octobre, le fanion du deuxième bataillon est décoré de la croix de guerre ainsi que celui de la 6e compagnie qui avait été citée à l’ordre de l’armée le 3 avril 1915 au Hartmannswillerkopf : « Lancée à l’assaut d’une tranchée précédée d’un profond réseau de fils de fer, a perdu ses trois officiers et son adjudant. Malgré le feu très violent de l’ennemi, est arrivée jusqu’à toucher la tranchée ; est restée sous le commandement du sergent Chenevard sur le terrain conquis, malgré de très fortes pertes, jusqu’à ce qu’elle soit relevée à la nuit, montrant ainsi qu’elle était apte à comprendre et à suivre les beaux exemples que ses chefs lui avaient donnés. »

 

En ce mois d’octobre, l’automne est bien installé, le temps se dégrade sur l’Hilsenfirst, il y a souvent du brouillard, les températures descendent progressivement et le 31 octobre, le journal de marche et des opérations signale que « la neige tombe abondamment et ralentit toute opération ». La neige comble les tranchées, les poilus du 15-2, sans se plaindre ont froid, ils dorment à peine, la vermine les dévore et tous les jours ils voient tomber des camarades. Le terrible hiver des Vosges s’installe et avec le système de relève périodique qui n’est pas encore établi, nos braves soldats n’ont même pas la ressource de compter les jours qui les séparent du repos. Ils n’imaginent pas à cet instant que celui-ci ne viendra qu’en décembre et sera de courte durée car ils devront s’élancer une nouvelle fois vers le sommet du Hartmannswillerkopf.

 

Le Poilu, le Pépère, l’Embusqué :

Le surnom de Poilu est connu pour être celui donné familièrement aux soldats français qui se trouvaient en « première ligne » pendant la Grande Guerre. Mais ses origines sont plus anciennes et ne sont pas dues, contrairement à ce qui est généralement convenu, aux conditions de vie des soldats barbus dans les tranchées car l’utilisation des gaz de combat avait banni assez rapidement la barbe des visages des soldats et des règlements militaires.

 

Paul Boucher 7-4 Image4 Le Poilu.jpg

Le Poilu du 15-2

 

Ce surnom vient plus probablement de l’analogie faite au XIXème siècle entre le fait d’être poilu et celui d’être un homme. On retrouve ainsi de multiples expressions, telles que : « un brave à trois poils, avoir du poil, avoir du poil aux yeux ou du poil au ventre » qui caractérisent l’homme courageux.

 

C’est donc pour qualifier, en langage familier, quelqu’un de courageux, de viril, qui n’a pas froid aux yeux que l’on donnait ce surnom.

 

« Avant d’être le soldat de la Marne, le poilu est le grognard d’Austerlitz, ce n’est pas l’homme à la barbe inculte, qui n’a pas le temps de se raser, ce serait trop pittoresque, c’est beaucoup mieux : c’est l’homme qui a du poil au bon endroit, pas dans la main ! » Albert Dauzat.

 

Aujourd’hui, il caractérise plus généralement l’ensemble des soldats français ayant participé à la Grande Guerre Le surnom de Pépère est donné familièrement aux réservistes qui arment les régiments d’infanterie territoriaux (RIT), composés d’hommes âgés de 34 à 49 ans qui ne doivent pas être engagés en première ligne. Toutefois dès le début de la guerre, les régiments territoriaux des régions du Nord et de l’Est se trouvent engagés d’emblée dans la bataille pour défendre leurs villes et villages, et fin août 1914, les plus jeunes classes des territoriaux sont intégrées dans des régiments d'infanterie d’active et de réserve pour compenser les pertes. Au fil des mois, alors même que la distinction dans l’emploi entre les régiments d’active et les régiments de réserve s’estompe, la spécificité de la territoriale cède la place à une utilisation commune à toutes les formations. De fait, les régiments territoriaux sont « installés » en première ligne. Tout d’abord, les territoriaux ont pour mission la garde dans les tranchées de première ligne dans des secteurs dits « calmes », la neutralisation des lignes allemandes par l’entretien des tirs, l’occupation des tranchées de départ ou en soutien des divisions d’attaque. Les pertes massives des régiments d’active obligent bientôt le haut-commandement à employer les RIT comme les régiments d’active en première ligne où ils s’illustrent, en particulier, lors des grandes offensives allemandes de 1918. La plupart des Pépères des classes les plus jeunes vont devenir de fait des Poilus. Le 352e régiment d’infanterie était le régiment de réserve du 152ème régiment d’infanterie. Il va être engagé dès août 1914 et ce jusqu’en 1917 en Alsace, sur la Marne, dans l’Aisne et dans la Somme. Son glorieux drapeau participera au défilé de la victoire à Paris le 14 juillet 1919.

 

Paul Boucher 7-4 Image5 Garde au drapeau.jpg

Garde au drapeau du 352e RI 1916

 

Enfin, moins glorieux étaient les « Embusqués ». Ce surnom désigne celui qui refuse le devoir des armes en obtenant ou en conservant un poste de tout repos à l'arrière, alors que ses compatriotes bravent le danger et affrontent l'ennemi en première ligne. C’est probablement l'insulte la plus échangée entre les Français au cours de la Grande Guerre. Ce surnom, honni, englobe aussi dans le langage du soldat de première ligne les innombrables militaires de l’arrière-front qui ne connaissent rien du cœur de la guerre. Par extension, y sont catégorisés aussi les fonctionnaires et les ouvriers qui ne connaissent pas l’horreur des combats mais qui participent au fonctionnement de l’Etat et à l’effort de guerre. Un rapport militaire de 1916 rapporte que « la haine de tous ceux que les combattants englobent sous la désignation d’embusqués est au moins aussi répandue que celle des Allemands ». Avec l’allongement du conflit, les pertes énormes, les lois contre les embusqués votées par le gouvernement et l’acceptation populaire de l’engagement du pays dans une guerre totale, la chasse aux embusqués va perdre de son ampleur fin 1916.

 

Paul Boucher 7-4 Image6 Embusque.jpgUne représentation caricaturale de l'embusqué : posture arrogante, apparence efféminée et détournement des décorations.

 

Fin de la quatrième partie du chapitre VII



03/06/2016
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