Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch 7-6 - La vie de secteur, les relèves, le repos.
Chapitre 7 – La vie de secteur, les relèves, le repos.
Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 15/06/2016
Paul Boucher et son cheval Goéland
Décembre 1915
Notre Cie allait s’installer lorsque je reçus l’ordre de monter avec ma Cie à l’Hartmann, ordre donné par Bron, commandant du 3e bataillon et commandant provisoire du régiment et contresigné par Mas. Fureur générale de la Cie. Mais nous obtempérons. Cet ordre me sauva la vie ainsi que nous le verrons par la suite dans la triste affaire de l’Hartmannswillerkopf.
Le 9 décembre, 24 heures à peine de repos à Saint-Amarin, nous voici partis pour Willer, Thanenplatz puis l’Hartmann sous une pluie battante. Une fois de plus. Beaucoup de ceux qui firent cette montée ne revinrent jamais… mais n’anticipons pas. J’ai déjà écrit que le commandant Guey du 1er bataillon avait été désigné par la division pour organiser le terrain d’attaque du 152e sur le petit triangle fermant le sommet de l’Hartmann. Il fallait au jour dit pouvoir masser le régiment entier au sommet et le mettre à l’abri des petits éclats. Pour cela aménager des abris couverts de rondins, à raison de huit abris par Cie, soit une centaine de tranchées de dix mètres de long, plus des dépôts d’outils et de munitions.
Déjà le commandant Guey avait obtenu une quarantaine de bûcherons, commandés par Rivat, neveu de Mathieu, pour débiter des rondins. Il y avait là comme travailleurs les chasseurs du 68e, des territoriaux. Le Père Guey n’arrivant pas avait demandé du renfort au régiment et c’est ainsi que ma Cie fut désignée.
Les hommes montaient en grognant, la plupart avait quelques peu biberonné à Saint-Amarin et la montée fut pénible. A Thanenplatz, je détachais Candau sous-lieutenant de la 1re section qui avec mon cheval Goéland prit de l’avance pour aller au camp Duverney se présenter au commandant Dupont du 68e B.C.A qui devait nous loger.
Peu après nous arrivâmes et ce ne fut qu’avec l’obligeance des chasseurs que nous eûmes ce soir là de la soupe. Je retrouvais Bertin avec qui je partageais l’abri et je fis connaissance de Ducaurouge, Renully et autres camarades qui devaient par la suite être mes compagnons d’armes au 68e chasseur.
J’apercevais toute la familiarité de ce petit bataillon et la vie large des chasseurs grâce à leurs mulets et à leur esprit de débrouille. Bertin, grand seigneur, avec Chabert nous firent une cuisine merveilleuse. A peine arrivé, le commandant Guey me réclame et je dois dès le 10 lui fournir des hommes de corvée tandis que je construis une grande baraque.
En haut de l’Hartmann, du lever du soleil au coucher du jour, le père Guey est là, activant les travailleurs avec un bon accent courtois.
« Allons les amis ».
L’Hartmann grouille comme une vraie fourmilière, il faut que le boche soit bien aveugle pour ne pas nous empêcher et nous bombarder. Le génie divisionnaire installe et renforce des abris aux postes de secours pour le général brigadier Goybet et le général divisionnaire Serret au camp Rénie.
Voilà que le 12 décembre j’ai la surprise de voir arriver Papa jusqu’aux douches et à la grande stupéfaction des chasseurs de voir ici un civil. Papa arrive tout guilleret, le médecin divisionnaire l’interpelle, réclamant ses pièces d’identité et fait un rapport au général Serret puis à l’armée. Finalement, le général Villard écrit à Papa pour lui rappeler l’interdiction d’aller vers les lignes.
Papa arrive donc et déjeune avec Dupont et Bertin et repart sur sa route.
Il y a quelques obus fusants et même deux blessés, ce qui faillit le frapper fort. Je suis très heureux de le voir mais j’ai hâte qu’il reparte avant la nuit et suis un peu gêné de le voir ainsi parmi nous. Il était content de son escapade qui valut trente jours de prison au poste de douaniers en surveillance à Thanenplatz et 500 francs de gratification paternelle.
Tous les jours suivants, c’est le travail qui continue, le père Guey exige ma présence avec lui sur cette crête de l’Hartmann.
« La gazette du centenaire n° 24»
Editée en décembre 2015 par la cellule communication du 152e RI à Colmar et transmise par le lieutenant-colonel Bodénès de la direction des Ressources Humaines de l’armée de terre.
Décembre 1915, la relève sur l’Hilsenfirst :
Le 4 décembre, le lieutenant-colonel Segonne, nommé au commandement de la 4e brigade de chasseurs, quitte le 15-2 où il n’est resté que 3 mois. Dans la nuit du 7 au 8, après avoir passé 82 jours sur l’Hilsenfirst, le régiment descend à Saint-Amarin relevé par les 22e et 62e bataillons de chasseurs. Enfin le repos ! Nettoyage des effets et du personnel, remise en condition du matériel, exercices, quartier libre, les Diables Rouges soufflent un peu. Le caporal Chapatte écrit dans ses souvenirs : « Nous avions été privés de repos si longtemps (près de trois mois) que nous apprécions mieux celui dont nous jouissons ; notre séjour dans la vallée nous est encore plus agréable que de coutume. Quelle douce chose que de pouvoir – dans du foin bien sec, dans une grange bien abritée – dormir tranquille, sans avoir de garde à prendre, d’attaques à craindre, d’intempéries à supporter ; que de pouvoir se tenir en état de propreté, se débarrasser des totos, circuler et vivre parmi la gent civile. Qu’il est doux de se sentir à l’abri de la mitraille […]. »
Le 13 décembre se dresse à nouveau le spectre du HWK. Le commandant Bron qui commande le régiment par suppléance y monte avec les commandants de bataillon et de compagnie pour reconnaître le secteur qui vient de lui être attribué dans l’attaque de la 66e division. Le commandement français a en effet décidé de conquérir l’ensemble de la ligne de crête de l’Hartmannswillerkopf. L’attaque doit se faire sur un front de 3,5 kilomètres en engageant deux brigades. Le 14 décembre, le lieutenant-colonel Semaire prend le commandement du régiment et monte dès le lendemain au HWK. Il y retourne le 17 avec les commandants de bataillon et de compagnie pour reconnaître le dispositif d’attaque du sommet qui est l’objectif que lui a donné le général Serret commandant la division. La 81e brigade attaquera au nord et sur le sommet du HWK, la 6e brigade de chasseurs au sud. L’objectif principal de la division est ainsi confié au 15-2 qui a été renforcé par la compagnie de mitrailleuses de la brigade, deux compagnies du 63e BCP chargées de l’approvisionnement pendant l’attaque et deux sections du génie avec lance-flammes.
Le 18 décembre, le régiment quitte Saint-Amarin pour rejoindre les pentes du HWK. Le 20 décembre, le lieutenant-colonel Semaire donne ses ordres. Dans la nuit du 20 au 21, le régiment se déploie sur ses positions de départ, sur un front très étroit, 300 mètres, en arrière des tranchées de première ligne par mesure de précaution pendant la préparation d’artillerie. Ses objectifs sont à plus de 500 mètres sur la cuisse gauche et à presque 1 kilomètre sur la cuisse droite sur un front final de plus de 1 500 mètres dans un secteur de la contre-pente où l’on retrouve la forêt. L’attaque doit se faire en éventail car la ligne de départ est trop étroite et il faut aligner les trois bataillons pour couvrir la ligne finale d’objectifs.
Dès la fin des tirs d’artillerie, le 1er bataillon s’élancera vers la côte 742 sur l’arête de la cuisse droite. Le 2e bataillon attaquera simultanément sur l’arête de la cuisse gauche. Au centre le 3e bataillon, s’intercalera et se déploiera à mesure en s’alignant sur les deux autres. Les deux compagnies du 3e bataillon en réserve régimentaire occuperont les tranchées de départ dès qu’elles seront libres.
Du côté allemand, depuis le mois d’avril, le terrain avait bien changé. La voie serpentine venant de la vallée avait été aménagée et un téléphérique électrifié permettait de transporter de la plaine au sommet les matériaux pour creuser et bétonner les positions. Toute la ligne de crête avait été fortifiée par des blockhaus échelonnés en profondeur. A la tranchée unique dont s’était emparé le 15-2 en avril, succédait ainsi un puissant dispositif fortifié, balayé par les mitrailleuses, protégé par des réseaux de fil de fer, relié par un lacis de boyaux et bien desservi vers l’arrière.
La préparation d’artillerie française était destinée à démanteler ce dispositif. Pour cela il avait été nécessaire d’aménager des positions de tir et d’acheminer dans des conditions très difficiles, une énorme quantité de munitions mais qui ne permettrait toutefois pas de renouveler les tirs de façon conséquente.
Fin de la sixième partie du chapitre VII
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