14-18Hebdo

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Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch. 6-3 - Hartmann- Metzeral

Chapitre 6 – Hartmann- Metzeral

Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 11/03/2016

 

Paul Boucher 6-1 Image4 Paul Boucher a Cheval.jpgPaul Boucher à cheval 

 

26 mars 1915 : prise de l’Hartmann

A 6 heures du matin, nous venons occuper nos positions. Des arbres ont été taillés dans la nuit par le 7e alpin. Le réglage du 220 a été court et un obus a tué 19 alpins ce qui a singulièrement refroidi leur ardeur. A cette stupéfiante nouvelle, je vais en rendre compte au commandant des chasseurs, Hellé qui se contente de m’offrir une excellent tasse de chocolat et me tranquillise. A 10h30 commence notre bombardement effrayant de 220, des pierres qui volent et retombent jusqu’à nous. Une capote grise monte à dix mètres en l’air et d’autres débris sans forme se mêlent aux branches et à de la terre.

 

L’attente est terrible, aussi notre caporal-prêtre nous donne l’absolution, tandis que de la main gauche, il tient son fusil, baïonnette au canon. Le Peven est pâle et, pour voir s’il a peur, je l’invite à cracher par terre. Il n’y arrive pas, sa gorge est sèche.

 

Un adjoint-mitrailleur vient se mettre à ma disposition avec deux pièces. Je lui donnerai ordre plus tard. A 2h45, les sections s’élancent, les 1e et 4e sont parties. Je m’élance derrière elles tandis que le commandant Sermet arrive en bouillant pour donner des ordres.

 

 

Paul Boucher 6-3 Image2 JMO 26 mars.jpg

Journal de marche du 152 e RI du 25 au 26 mars 1915

 

Je fais signe aux sections 2 et 4 de se porter en avant. Bourquin disparaît avec une entorse, entorse qu’il aura à chaque attaque. Nos deux hommes porte-panneaux s’avancent. Des détonations terribles sous nos pieds, le sol semble s’ouvrir. Je marche très lentement et à dix mètres, je vois littéralement le sergent Aubry se disloquer et partir en miettes.

 

Des mines, des mines crie-t-on et déjà un petit mouvement de recul s’effectue. C’est le tir du 75 qui va dissoudre la première ligne boche que nous n’avons plus vue.

 

Un clairon arrive : « Cessez le feu » sur ordre de Sermet, ce cessez le feu doit s’adresser à nos artilleurs mais il provoque encore un coup. Je pousse mes mitrailleurs en avant et leur assigne de chercher une position intermédiaire pour recueillir notre ligne d’assaut en cas de malheur. Je vois le commandant mais pas les 2e et 4e sections. J’envoie Sournault, un sergent de liaison, aux nouvelles. Il est fauché par une balle. Je me porte en avant et arrive au sommet en même temps que Martin, lieutenant à la tête de la 11e Cie.

 

Martin, jeune officier d’active énergique, pétulant d’esprit, caustique, plaisante toujours. Il est charmant, jeunot au demeurant et dont j’aurai souvent à reparler.

 

Nous nous arrêtons une seconde. Que faire ! Allons-nous rester sur la crête pour y être marmités. Que non, descendons un peu la pente Est, ce que nous fîmes et cela entre les arbres en cimes et touffus. Nous aperçûmes la riche plaine d’Alsace, les clochers de Wuenheim, Soultz et Hartmannswiller.

 

Quelle joie et quel accueil. Nous aurions pu à ce moment là, semble-t-il, descendre jusqu’en bas avec la 2e. Que faire d’autant que vers la cuisse droite (note de RS : le côté droit) de nombreuses balles sifflaient. La ligne refusait nettement de ce côté. Dans la descente, quelques boches fuyaient et quelques obus français de 120 tombèrent derrière nous !

 

Nous nous installons et creusons immédiatement des tranchées. J’oubliais de noter que, tandis que nous descendions, le commandant ne nous donne aucun ordre, ni avancer, ni reculer de sorte que cette descente fut l’initiative de Martin et de moi-même.

 

Le commandant Sermet, spécialiste topographe, ne rêvait que de faire des topos et envoyer des comptes rendus. Les unités 11e et 1e du 152e RI et les chasseurs étaient comme à chaque action assez mélangées. Il me demanda « Où est votre droite, votre gauche, vos limites ? ». Je lui répondis de mon mieux mais, la question se renouvelant alors que nous étions bien occupés, la colère me prit et je lui répondis : « Mais Sud, Nord et Est, voilà déjà cinq fois que je vous le dis et je crois que vous avez mieux à faire que des topos ».

 

Il s’en alla atterré et cela me coûta ma citation et peut être ma décoration et mon galon.

 

 

« La gazette du centenaire n° 15 suite »

Editée en mars 2015 par la cellule communication du 152e RI à Colmar et transmise par le lieutenant-colonel Bodénès de la direction des Ressources Humaines de l’armée de terre.

   

Le 24 mars, les deux bataillons se sont organisés sur les positions conquises. Les hommes dorment sur quelques branches de sapin et se tiennent prêts à repousser d’éventuelles contre-attaques. Mais la journée est assez calme malgré les tirs incessants de l’artillerie et une contre-attaque sur l’aile droite facilement repoussée.

    

Le 25 mars, le régiment, renforcé par le 7e BCA, reçoit l’ordre de terminer la conquête du HWK. Le Lieutenant-colonel Jacquemot donne ses ordres. Demain, pour la première fois, alors que les bataillons d’élite des chasseurs alpins n’ont pu le faire, le HWK sera repris en 1 heure ¼.

    

26 mars 1915 : l’assaut final

Le 26 mars, l’attaque doit être déclenchée à 14h45, mais brûlant d’impatience la 1re compagnie bondit des tranchées une minute en avance, dans un élan irrésistible qui entraîne toute la ligne du 15.2 et du 7e BCA. La première tranchée ennemie est conquise très rapidement par les 1re et 11e compagnies. La progression continue malgré un feu violent des tranchées et de l’artillerie, sur un terrain difficile, en pente raide, bouleversé par les trous d’obus et couvert de réseaux de fils de fer. Les compagnies de soutien suivent au plus près et s’intercalent rapidement dans les rangs dès que le front d’attaque s’étire. Le sommet est conquis avant 16h00 ! Sur le JMO on peut lire : « Les objectifs fixés étaient donc atteints sur tout le front et même dépassés». Enfin, du sommet tant disputé, on aperçoit dans le crépuscule, toute la plaine d’Alsace...

 

Paul Boucher 6-3 Image3 Schema.jpg

 

Attaque du 26 mars 1915

Les troupes s’installent immédiatement pour tenir le terrain, mais subissent un bombardement furieux qui cause de lourdes pertes au 3e bataillon. Lors de cette attaque, le régiment a fait 140 prisonniers dont 3 officiers. Ses pertes sont de 67 tués dont 2 officiers, et 170 blessés dont 1 officier.

 

Le 27 mars, il n’y a pas d'engagement sérieux à cause de la neige qui tombe jusqu’à 50 centimètres et rend l’organisation du terrain très difficile. Tout reste assez calme malgré un violent bombardement le matin. Le général SERRET, dans une émouvante et simple cérémonie, remet la médaille militaire au soldat Auberger qui a atteint le premier le sommet et déployé un fanion pour signaler la position à l’artillerie. Pour ouvrir et fermer le banc, le général fait ouvrir le feu par la section vers les tranchées allemandes.

 

Paul Boucher 6-3 Image4 Soldat Auberger.jpgLe soldat Auberger

 

Paul Boucher 6-3 Image5 General Serret.jpg

Le général Serret

 

Le 28 mars, le 2e bataillon est relevé par le 13e BCA. Quatre compagnies devant rester en permanence en réserve à Altenbach, la relève s’effectue en deux échelons et sur deux jours. Emile Beuraud écrit : « Le temps est très mauvais, il fait froid à un tel point que nous ne pouvons rester couchés pendant la nuit, nous sommes obligés de faire les 100 pas pour ne pas être gelés, la neige tombe abondamment. »

 

A la fin du mois, depuis l’attaque du 26 mars, le régiment est resté jour et nuit dans les tranchées qu’il a organisées avec grande difficulté par une température sibérienne, sans abris, le plus souvent sous le marmitage quotidien de l’artillerie allemande. Un système de relève tournante par bataillon se met en place entre le HWK et Altenbach. Emile Beuraud décrit la position de repos de la réserve : « Altenbach est un petit hameau d'une vingtaine de maisons, dont les habitants ont été évacués et qui est perché sur une colline à droite du Ballon de Guebwiller à 1 heure du village de Weier. Nous sommes assez mal cantonnés, aucune ressource pour acheter quoi que ce soit. Le cantonnement est installé dans des baraques en planches tout récemment construites. »

 

Paul Boucher 6-3 Image6 Soldats du 15-2.jpgSoldats du 15.2 dans les tranchées du HWK mars 1915

 

C’est dans le journal de marche d’un soldat allemand capturé lors de la première conquête de l’HWK que l’on peut voir la crainte et le respect que le 152e régiment d’infanterie inspire à l’ennemi. En effet il est mentionné sous le nom de « Teufel Regiment » ou « Régiment du Diable ». Le surnom de « Diables Rouges » qui suivit fait allusion à la couleur du pantalon et du képi garance des fantassins que le 15.2 ne portait d’ailleurs plus au moment des premiers combats sur l’HWK. Dans l’armée française le nom du 15.2 était déjà respecté comme l’atteste ce commentaire d’un réserviste : « Cette opération fut menée sur l'Hartmannswillerkopf lui-même par le fameux 152e régiment d'infanterie dit 15-2, dont l'armée allemande ne parlait pas sans une certaine terreur. Parmi les vétérans des régiments de réserve comme le nôtre, le seul énoncé du numéro de ce célèbre régiment faisait rentrer les têtes dans les épaules... »

Fin de la 3e partie du chapitre 6

 

 



25/03/2016
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