14-18Hebdo

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Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch. 5-8

Chapitre 5 – STEINBACH – La mort de François

Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 26/01/2016

 

Paul Boucher 5-8 Image1 Dessin Francois.jpg

Esquisse du portait de François Boucher réalisé en 1915 par Honoré Umbricht

 

 

Note de Renaud Seynave : Nous sommes le trois janvier 1915, François a été tué la veille et son corps a été transféré à la Waldkapelle non loin de là en attendant d’être descendu à Thann. Paul Boucher est dans l’enfer de Steinbach.

 

 

Cette attaque est menée très hardiment et avec clairon sonnant, notre progression en est facilitée et nous atteignons le carrefour du chemin creux, défendu par un poste de douze boches du 161e RI qui se rendent, d’autres fuient.

 

Paul Boucher 5-8 Image2 JMO 4 au 10 janvier.jpg

 

Journal de marche du régiment du 4 au 10 janvier 1915

  

Ce carrefour est le point stratégique de Steinbach. Il sera quatre ans durant un point célèbre de la tranchée sous le nom de « carrefour du village nègre ». Là une fraction de la section de réserve avec Bourquin, le sergent Tallorey est envoyée vers l’église où quelques boches fuient.

  

Des éléments de la 4e Cie arrivent avec les lieutenants Friquet et Bauer. Nous soufflons une minute. On ne peut pas s’imaginer le calme de chacun en de pareils moments, nous tenons un petit conseil de guerre tout en allumant avec calme nos pipes.

  

Bauer veut tourner, c’est son tempérament, avec la 2e Cie, et il nous dépasse et essaie de contourner le village à la hauteur d’une maison isolée en construction. Nous faisons face au village et progressons comme à la manœuvre. On nous fusille d’on ne sait où ! Quelques blessés.

  

Je m’empare d’une pelle bèche et m’abrite en travaillant à tour de bras ?

  

Qu’y a-t-il à droite ? La 2e Cie se replie et se groupe en rond comme des moutons. Jenoudet et moi accourons.

  

Le lieutenant Bauer qui vient de me prêter une pipe de tabac est tué. De fait, en se rapprochant de la maison en construction, il reçoit une pluie de balles en pleine poitrine.

  

Note de Renaud Seynave : dans la cinquième partie, Paul Boucher écrivait : « Par un cruel hasard, dans le même convoi de cadavres pour Thann, le lieutenant Bauer fut transporté avec François. Le lieutenant Bauer  me disait la veille qu’on suscitait une occasion pour porter François car c’était réglementaire. Seuls les officiers avaient le droit d’être transportés à l’arrière à cause du grand nombre de tués ».

  

Sa Cie sans chef allait faire n’importe quoi. Où est-elle la ferveur du troupier français ?

  

Les seules troupes marchant bien sont les troupes bêtement disciplinées et commandées. C’est un fait que j’ai pu vérifier à maintes occasions au cours de cette interminable campagne.

  

La situation est établie. Le village est vide d’Allemands, la 3e Cie le parcourt de bout en bout et s’installe le long de l’usine Rollin. La côte 425 a été enlevée par le 213e RI.

  

Le succès est total et la nuit tombante, le fantassin connaît enfin la trêve de quelques heures qui suit presque toutes les attaques. Les artilleurs doivent s’arrêter tant que la position respective des infanteries  n’est pas connue. Mes hommes sans abri depuis plusieurs jours et sans nourriture se répandent dans le village et s’emparent de tout de qu’ils trouvent : poulets, petits cochons, eau de vie, vin blanc, piquettes… Nous avons beaucoup de mal à les faire tenir en place d’autant que la nuit arrive très noire.

 

La Cie borde extérieurement le village. Nous sommes au carrefour du chemin creux appelé plus tard « carrefour du village nègre ». Je fais un petit somme dans la baraque servant de poste aux boches, remplie de pailles, douteuse et sentant à plein nez l’odeur caractéristique de soldat boche ! Cette odeur existe et je l’ai trouvée partout tout au long du front. L’odeur est aigrelette et pénétrante et remarquée de tous à une époque où cependant notre odorat n’avait rien de délicat, bien au contraire !

 

Paul Boucher 5-8 Image3 Village negre.jpg

Village nègre appelé ainsi car les constructions ressemblaient à des cases…

 

Je suis réveillé vers cinq heures par un bombardement qui commence assez violent. C’est fini de la trêve, le boche sait qui nous sommes. Les maîtres tirent par représailles. Non, ce n’était pas cela mais une contre-attaque menée par le 25e RI rhénan que nous devions retrouver plus tard à l’Hartmann.

 

La contre-attaque forte de deux bataillons est arrivée déployée de front. Elle est éclatée en partie sur tout le front ouest de notre secteur par la 3e Cie. Il y a toutefois une fusillade assez intense au cours de laquelle est tué Auguste Thuriot de Pétempré, un de nos ouvriers du Kertoff.

 

Après cette fusillade, nous sommes aux aguets, mais nous entendons beaucoup de vacarme derrière nous, du côté de la côte 425, petite croupe, dernier contrefort des Vosges qui sépare Steinbach de la vallée de Thann et de Sandozwiller. Le commandant nous dit de rassembler nos hommes et de veiller à ce qu’ils ne s’égaillent pas dans le village. En voilà encore un qui a bu alors qu’il s’approchait de nous en titubant. Nous nous apercevons avec stupéfaction que c’est un boche, complètement ivre et ramené par un des nôtres, non moins ivre d’ailleurs.

 

En voici d’autres qui se rendent me dit Bourquin, vous qui savez l’allemand, écoutez donc ce qu’ils disent. Je m’avance précédent Bourquin et voyant un groupe assez compact, je m’arrête à quelques mètres d’eux et les interpelle. Bourquin qui s’est un peu plus avancé se trouve saisi tandis qu’ils nous disent « Kommen Sie, venez, venez ». Visiblement c’étaient des hommes décidés à se rendre mais c’est tout le contraire ! Bourquin se dégage vivement et nous revenons au carrefour, rendons compte et nous nous tenons sur nos gardes en faisant déployer les hommes que nous avons.

 

Paul Boucher 5-8 Image4 Carte Steinbach.jpgCi-dessus : carte faite à la main de Steinbach et son église, la côte 425, Sandozwiller (croquis de L.Vogt)

 

A partir de ce moment, il devait être minuit et jusqu’au jour, ce fut une très grande confusion.

 

Nos troupes tenaient le village mais un groupe d’ennemi qui avait pu pénétrer jusqu’à nous fit sur son chemin quelques prisonniers dont Paul Martin qu’ils enfermaient dans l’église.

 

En raison de la nuit extrêmement noire, on ne voyait pas à dix mètres.

 

Le groupe d’Allemands faisait beaucoup de bruit pour se donner du courage et l’un d’entre eux criant à tout instant en mauvais français « venez un par un… ».

 

Paul Boucher 5-5 Image7 Carte Steinbach et environs.jpgCarte de Steinbach où nous pouvons situer la Cote 425 au sud  de Steinbach, le Vieux-Thann, … (Prêt de Christine Agnel)

 

 

 



12/02/2016
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