Souvenirs de guerre 1914-1919 (Paul Boucher) - Ch. 5-5
Chapitre 5 – STEINBACH – La mort de François
Document transmis par Renaud Seynave, son petit-fils - 19/01/2016
A partir de la gauche: Chauffeur d’Henry Boucher, x, François et Paul Boucher, l’ordonnance de Paul Boucher (Photo prise par Henry Boucher en août 1914 au col du Herrenberg)
Paul Boucher est lieutenant de réserve dans la 1re Cie et François sergent dans la 2e Cie du 152e RI.
Ci-dessous : « La gazette du centenaire » N° 13 éditée par la cellule communication du 152e RI à Colmar et transmise par le lieutenant-colonel Bodénès de la direction des Ressources Humaines de l’armée de terre.
La prise de STEINBACH
Après 6 jours de combats meurtriers, le 15-2 a conquis 1/3 de STEINBACH. L’ennemi est toujours solidement retranché et a constitué une deuxième ligne de défense à l'intérieur du village. La côte 425 qui le surplombe au sud est toujours occupée, les Allemands appliquent des feux de flanc d’infanterie et de mitrailleuses et devant la tranchée en V dont le régiment n’est plus qu’à 50 mètres. Du 1er au 3 janvier, le régiment continue de grignoter le terrain mètre après mètre.
Le 3 janvier au matin, le régiment reçoit l’ordre d’enlever STEINBACH et la tranchée en V (qui se trouve entre le village au sud et la côte 425) et simultanément de progresser sur le plateau d’UFFHOLTZ. Au sud, le 213e RI attaquera la côte 425, au nord le 15e bataillon de chasseurs progressera sur le plateau d’UFFHOLTZ et parera à toute attaque de ce côté. Le commandant CASTELLA avec les 1re, 2e et 4e Cies, a pour objectif de s’emparer de la tranchée en V jusqu’à l’église du village, le commandant CAULET avec les 11e et 12e Cies s’emparera du centre du village tandis que les 9e et 10e Cies progresseront sur le plateau d’UFFHOLTZ. La 3e Cie est en réserve du 1er bataillon, la 7e et la 8e sont en réserve du régiment. Après une violente préparation d'artillerie, l'attaque est déclenchée à 12h30.
Progression du 15.2 du 3 au 5 janvier 1915
Les 1re et 2e compagnies, soutenues par la 4e Cie, se lancent à l'attaque et après une brillante charge à la baïonnette, enlèvent la tranchée dite en V au prix de lourdes pertes alors que la côte 425 est conquise par le 213e RI. La 12e compagnie, menée par le capitaine TOUSSAINT, officier dont la bravoure et l'expérience sont réputées au régiment, a pour mission de prendre le centre du village puis le cimetière. La progression est lente, c’est un véritable combat de rue où il faut déloger les Allemands, maison après maison. Dans le village à moitié démoli et qui flambe, fusillades et cris retentissent. Autour du village, les compagnies progressent plus rapidement, il faut attendre minuit pour que la 12e compagnie atteigne les lisières nord-est du village et enfin que les Allemands, pris en tenaille, se replient. STEINBACH est pris !
Le 4 janvier, vers 1 heure, les Allemands déclenchent une violente contre-attaque sur le village et la côte 425. A la faveur de l’obscurité, quelques groupes parviennent à s’infiltrer et atteignent l’église et le cimetière où se trouve la 8e Compagnie en réserve. Surprise d'abord, elle se ressaisit et se jette sur l'ennemi à la baïonnette. Un simple soldat, RACLOT, entraîne par son ascendant une vingtaine de ses camarades, et dans la mêlée, se lance à leur tête sur l'église et le cimetière. L'ennemi chancelle sous le choc et abandonne précipitamment le village, laissant entre nos mains une cinquantaine de prisonniers dont 2 officiers réfugiés dans l’église. Pendant toute la journée, le régiment organise sa position, harcelé par de violents tirs d’artillerie et termine la fouille du village en faisant un assez grand nombre de prisonniers. Au nord, les 7e, 9e, 10e et 11e compagnies consolident la position en menant dans l’après-midi une attaque « d’une extrême vigueur » en s’emparant des tranchées allemandes avancées du plateau UFFHOLTZ qui battent de leurs feux la lisière nord de STEINBACH.
Le 5 janvier, après dix jours et dix nuits de combats, STEINBACH tombe définitivement aux mains du 152e régiment d’infanterie, mais les pertes sont énormes. Pour ce résultat, il a fallu détruire le village, maison par maison, à coups d'obus et mener un combat de rue d’une sauvagerie extrême tout en s’emparant des hauteurs nord et sud qui battaient de leurs feux le village et ses lisières. Les rues et les abords du village sont semés de cadavres.
Les combats du cimetière de STEINBACH
Mi-janvier, les Allemands se résignent enfin à la perte de STEINBACH et cessent les contre-attaques. Cependant ils ne restent pas inactifs et l’artillerie « marmite » quotidiennement le régiment avec plus ou moins de violence et lui cause des pertes sensibles. Le 15.2 s’installe comme il peut pour tenir le village, les deux lignes de défense se font face à quelques mètres l’une de l’autre.
Vue de STEINBACH après les combats
A compter du 18 janvier, le régiment n’a plus que deux secteurs en première ligne et peut enfin mettre un bataillon au repos par relève tournante tous les 4 jours à BISCHWILLER. Par secteur, chaque bataillon est composé de deux compagnies en première ligne, une compagnie en réserve de bataillon et une compagnie en réserve régimentaire. La vie s’installe à nouveau dans une guerre de tranchée, rythmée par les relèves et dont le régiment a déjà fait la rude expérience peu de temps avant au SPITZEMBERG.
Le 21 janvier 1915, il est noté dans le journal des marches et opérations qu’à compter de ce jour « le régiment est en entier équipé avec le nouvel uniforme. »
Dans les carnets de campagne d’Emile BEURAUD, celui-ci note à la date du 19 janvier alors qu’il est installé dans une tranchée aux lisières du village : « Sur la gauche une violente fusillade se déclenche à l'Hartmannswillerkopf où une Cie de chasseurs alpins est cernée par l'ennemi ». Ce sont les premiers combats qui commencent sur ce sommet dont les Allemands viennent de comprendre l’importance stratégique et d’où ils essayent de déloger les chasseurs. A ce moment, Emile BEURAUD ignore encore que son régiment va bientôt s’y couvrir de gloire.
L’enfer du froid
L'enfer de STEINBACH, ce n'est pas seulement les bombardements, les fusillades, les corps à corps à travers les incendies, mais c’est aussi l’hiver avec les tranchées à demi effondrées où les soldats restent stoïques dans l’eau jusqu’aux genoux, au milieu des glaçons, les longues nuits glacées où la neige ensevelit les guetteurs aux créneaux, les corvées et les relèves à travers les fondrières des boyaux, la lutte contre le froid qui les terrasse lentement, le calvaire des camarades qui, les pieds et les mains gelés, se traînent encore jusqu’au jour avant de se faire porter hors de la tranchée.
Il est noté en marge du JMO du régiment que : « par suite de la fatigue extrême et de l’état des tranchées où les hommes sont dans l’eau et la boue jusqu’aux genoux, les évacuations pour pieds gelés sont très nombreuses. L’effectif tombe à 1 800 hommes. » Il ne reste donc plus que 1 400 hommes valides. Les rangs sont complétés à mesure par des renforts. Pour lutter contre le froid, le 15 janvier, le régiment est doté de 1 500 peaux de mouton !
Deuxième citation
Le 27 janvier, à la suite des combats livrés du 25 décembre 1914 au 10 janvier 1915 pour la prise de STEINBACH et par Ordre Général n° 4, le 152e régiment d'infanterie est cité à l'ordre de l'Armée :
« A, sous les ordres du chef de bataillon JACQUEMOT, fait preuve d'une vaillance et d'une endurance au-dessus de tout éloge en conquérant le village de STEINBACH après 8 jours de lutte héroïque, de jour et de nuit, s'emparant une par une des maisons fortifiées, répétant les assauts au milieu des incendies, se maintenant sous un feu des plus violents dans les tranchées remplies d'eau glacée, infligeant à l'ennemi de lourdes pertes et lui enlevant une mitrailleuse et de nombreux prisonniers ». Signé PUTZ
STEINBACH décorée et citée
En novembre 1921, STEINBACH reçoit la croix de guerre 1914-1918 avec palme et est citée :
« Située dans la zone de bataille, a été en grande partie détruite. Par ses deuils et par la belle attitude qu'elle a montrée dans les plus cruelles épreuves, a bien mérité du pays. »
Suite des souvenirs de guerre de Paul Boucher
Les Cies continuent d’avancer, mais nos effectifs diminuent par suite de nombreux cas de pieds gelés. Un vieux lieutenant marseillais de la territoriale venu à la 2e Cie veut se faire porter malade, non reconnu, il proteste et est mis sous arrêt par Castella et relevé de son commandement. On ne badine pas pour donner l’exemple.
Historique de l’armée territoriale (source Wikipédia).
Pendant la Grande Guerre, le régiment d’infanterie territorial, ou RIT, était une formation militaire composée des hommes âgés de 34 à 49 ans, considérés comme trop âgés et plus assez entraînés pour intégrer un régiment de première ligne d’active ou de réserve.
Les Territoriaux ou Pépères, initialement chargés de différents services de gardes, ont joué un grand rôle pendant la Première Guerre mondiale.
Journal de marche du 152e RI du 2 au 4 janvier1915
Depuis le chemin creux, une tranchée est creusée, peu profonde dans la vigne face au village de Steinbach qui est entièrement occupé. La tranchée est gardée partiellement par la demi-section de François et nous sommes dans le chemin creux avec Jenoudet et Bauer, lieutenant qui commande la 2e depuis la mort du capitaine Vincens. Un vague boyau relie notre chemin creux à la tranchée. Ce boyau est à peine ébauché, les hommes qui ont à circuler passent rapidement à côté. Leur passage est sans doute repéré car juste au-dessus de nos têtes des balles sifflent et un homme de la 2e Cie est blessé au mollet. Nous recommandons d’arrêter les allers et venues.
Le 2 janvier, Cade notre sergent major vient me dire qu’un homme de la 2e Cie est étendu dans le boyau. Je lui réponds : « Dites le à Bauer », il le sait déjà mais il m’a dit de vous informer car on craint que ce ne soit le sergent Boucher.
Je veux me rendre sur place, on m’en empêche car un tireur boche est certainement à l’affût. Toutefois, notre caporal infirmier s’y rend à quatre pattes et revient en me disant que c’est bien François et qu’il n’y a rien à faire car une balle l’a atteint à la tête. Le choc que je reçus fut terrible et ma pensée alla de suite vers les miens et la manière dont je pourrais les prévenir, puis la réaction venant, je fondis en larme.
Mes hommes et mes camarades furent très bons, le commandant Castella me fit parvenir un mot de condoléances et, le voyant peu après, je lui demandais l’autorisation d’accompagner jusqu’à Thann le corps de mon frère.
Après avoir acquiescé, il préféra en référer au colonel Jacquemot qui se trouvait au diable à Schletzenberg, colline dominant Steinbach au nord-ouest.
(Note de Renaud Seynave : Le Schletzenberg dont parle Paul Boucher s’appelle maintenant Le Schletzenbourg, nous le voyons sur la carte ci-dessous au nord de Steinbach)
Carte de Steinbach où nous pouvons situer la Cote 425, le Vieux-Thann, Schletzenbourg…
(Prêt de Christine Agnel)
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