14-18Hebdo

14-18Hebdo

4e semaine de guerre - Lundi 24 août au dimanche 30 août 1914

 

LUNDI 24 AOUT 1914 - SAINT BARTHELEMY - 22e jour de la guerre

MARDI 25 AOUT 1914 - SAINT LOUIS, ROI DE FRANCE - 23e jour de la guerre

MERCREDI 26 AOUT 1914 - SAINT ZEPHIRIN - 24e jour de la guerre

JEUDI 27 AOUT 1914 - SAINT JOSEPH CALASANZ - 25e jour de la guerre

VENDREDI 28 AOUT 1914 - SAINT AUGUSTIN - 26e jour de la guerre

SAMEDI 29 AOUT 1914 - DECOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE - 27e jour de la guerre

DIMANCHE 30 AOUT 1914 - SAINTE ROSE DE LIMA - 28e jour de la guerre

Revue de presse

-       La grande bataille est engagée sur le front

-       Le Japon en guerre avec l'Allemagne

-       Notre offensive en Belgique n'a pas atteint son but

-       L'offensive russe : les troupes allemandes sont en pleine déroute

-       Les Serbes continuent à poursuivre les Autrichiens

-       La bataille en Belgique recommence aujourd'hui

-       L'offensive a été reprise en Lorraine

-       En Alsace, nos troupes se sont repliées

-       Le prince Aldebert, oncle du Kaiser, a été tué

-       Entre Nancy et les Vosges trois jours de combat acharnés qui, dans l'ensemble, paraissent tourner à notre avantage

-       Le général Gallieni, gouverneur militaire de Paris

-       Un nouveau ministère Viviani

-       Brillante résistance anglaise dans le Nord

-       En Belgique, le bombardement de Malines

-       La menace turque

-       Les barbares incendient Louvain

Morceaux choisis de la correspondance

Ne t’inquiète pas de nous, dans le cas où on apprendrait que les Prussiens continuent leurs sauvageries tout le long du territoire, nous nous sauverons à temps.

26 août - ELLE.- Tous les villages depuis Lunéville jusque Raon-l’Etape entre la frontière et la Meurthe ont été évacués samedi et dimanche. Nous avons vu passer pas mal d’émigrants par le train, en auto et en chars de toute espèce. On voyait que les pauvres gens s’étaient sauvés précipitamment, il y en avait qui étaient nu-pieds. On prétend que tout ce coin est en feu en ce moment.

 

D’ici, nous avons entendu le canon samedi toute la journée jusque 8 heures du soir et hier mardi tout le temps aussi. Samedi c’était paraît-il Lunéville qu’on bombardait et le fort de Manonviller qui répondait. Nos pauvres soldats reculent. Maurice vient d’envoyer un bicycliste de Granges, qui dit qu’ils viennent d’arriver à trois heures, qu’on vienne le voir si possible. Le bicycliste dit qu’ils sont éreintés et qu’il croit qu’on les a retirés du feu pour qu’ils se reposent un peu. Maman et Thérèse viennent de partir en auto. Il est déjà cinq heures je me demande si on les laissera passer vers Laveline.

 

Ne t’inquiète pas de nous, nous avons fait revenir de Lépanges le jeune Kommer pour l’avoir à notre disposition, dans le cas où on apprendrait que les Prussiens continuent leurs sauvageries tout le long du territoire, nous nous sauverons à temps. Nous commencerons par retourner à Cornimont, où tout est calme et où nous aurons au moins des hommes pour nous défendre et nous conseiller. Puis s’il le faut encore, on irait plus loin, vers chez toi, mais ce serait bien ennuyeux avec nos cinq petits enfants de se sauver ainsi et j’espère que Dieu nous épargnera cette nouvelle peine.

 

Hier je suis allée à Cornimont, je suis partie à 8 heures. Je m’apprêtais à passer la barrière près de chez Mr Flayelle sans encombre comme toutes les autres, montrant mon laissez-passer aux braves territoriaux qui montent la garde, mais cette fois, ils ont refusé de me laisser passer, ils m’ont envoyée au poste de police, l’adjudant m’a renvoyée au bureau de la place. Là, le commandant n’était plus là, le planton gentiment s’est offert de porter mon papier à l’hôtel où le fameux commandant déjeune. Au bout d’un quart d’heure il revient en disant que le commandant ne veut pas signer sans m’avoir causé. Le planton s’offre à m’accompagner chez lui, en route me dit : « il est de mauvaise humeur le commandant ». Tu ne sais pas ce qui l’avait défrisé, le fameux commandant, c’est parce que sur mon sauf-conduit, l’adjoint avait inscrit Mme Cuny, sa bonne et son chauffeur. La bonne c’était Marie Charles que j’emmenais pour qu’elle voie ses parents. Il a fallu que je dise pourquoi j’allais à Cornimont chercher des vêtements pour mes enfants, l’âge du chauffeur, etc. Enfin après beaucoup de parlements inutiles, j’ai pu quitter Remiremont vers midi ½ et arriver à 1 heure ½ à Cornimont sans avoir déjeuné.

 

Là-bas tout est calme comme en temps ordinaire même plus, puisque chacun doit être rentré chez soi à 7 heures ½, des patrouilles composées d’hommes âgés circulent à partir de cette heure-là.

 

J’ai vu Pierre Mangin[1] à 2 heures ½ quand il arrivait au bureau, il fait travailler 10 heures et des femmes conduisent même des northrops[2]. Cela m’étonne, car à sa place j’aurais préféré ne pas tant marcher et faire durer un peu plus longtemps. De cette façon il n’aura plus de coton vers le 20 septembre. Il aurait bien mieux valu ne pas tant travailler quand il y a encore beaucoup de fermes qui ont de l’ouvrage pour les récoltes et avoir plus longtemps de travail à l’automne, mais je n’ai rien dit naturellement, il était le maître et a agi comme bon lui a semblé. A cause de la fête (qui n’aura pas lieu quand même), il profite de l’habitude qu’on a de chômer pour leur donner 4 jours : samedi, dimanche, lundi et mardi. S’il fait beau, on pourra faire les regains. Tout va très bien, les gens sont heureux qu’on les fasse travailler, jusqu’alors il avait payé en bons, mais il a pu avoir de l’argent à la banque et a échangé tous les bons lundi dernier. La semaine dernière, il avait envoyé des chevaux à Charmes pour rapporter des filés à Rochesson qui manquait du n° 28. Mais hier après-midi pendant que j’y étais, Emile Lemaire[3] est arrivé tout affolé ayant quitté Charmes, en voyant, disait-il, les lueurs d’incendie de Gerbéviller. Il y a une vraie panique dans toutes ces régions, il voyait déjà sa chère filature en flammes. S’il en est ainsi, on n’aura pas la ressource de chercher les provisions qui sont à Charmes. On prétend que le grand pont de Blainville est sauté, est-ce vrai, on répand tant de nouvelles fausses.

 

Cécile Biesse[4] avait reçu samedi des nouvelles de son mari par un exprès qu’il lui avait envoyé. Il était enchanté que le général Dubail soit relevé de ses fonctions et de voir le général Pau revenir vers nous, dans lequel il a toute confiance ainsi que dans le général Foch. Jean Boucher[5] a demandé à revenir dans l’Est et à ne pas rester à Sfax, il dit que mourir pour mourir, il préfère être tué à l’ennemi que mourir de chaud, de faim et de soif. Ne recevant plus de vivres de France, ils n’ont plus rien là-bas et la situation est précaire.

Ils ont subi des pertes épouvantables vers Saales toute cette semaine.

27 août - ELLE.- Les enfants t’ont écrit tout seuls ce matin, cela se voit, pendant que nous rangions tous les bibelots pour le cas où nous serions obligés de prendre la fuite. Jusqu’alors nous ne nous y résignons pas, quoiqu’on voie combien de personnes se sauver ! Ce matin encore les Eugène Kempf sont passés, ils avaient quitté St-Dié hier soir, ayant entendu dire qu’on allait bombarder. Mais tu vois comme les nouvelles qu’on raconte un peu partout sont fausses. Mr Eugène Kempf ce matin à Bruyères a rencontré quelqu’un qui lui annonçait sérieusement que la grande partie de la ville de St-Dié avait brûlé hier matin, ce qui était faux puisque rien ne brûlait encore hier après-midi quand il a quitté.

 

Maman et Thérèse n’ont pu arriver jusque Granges hier soir, on les a arrêtées à Laveline où il y avait une quantité de troupes. Thérèse y est retournée ce matin dès 6 heures moins le quart en passant par Champdray et, juste quand elle débouchait sur le plateau, le régiment de Maurice arrivait, descendant la vallée de Cleurie. Ils ont subi des pertes épouvantables vers Saales toute cette semaine. Thérèse a fait la réflexion à Maurice que tout le régiment n’était pas là : « C’est tout ce qui en reste », a-t-il dit. Il a vu la mort cent fois de près et éprouvait une vraie joie à marcher sans craindre une balle ou un obus. Ils étaient tous exténués et Maurice trouvait que d’après tous les récits de batailles qu’on lit, on n’a qu’une faible idée de cette terrible chose et encore ils n’ont pas fait partie de la vraie grande bataille. Il paraît qu’aux environs de Saales, c’est une odeur épouvantable tellement il y a de cadavres. Il est allé une fois en reconnaissance avec 56 hommes, ils sont revenus 25. Une autre fois dans une tranchée où il se trouvait, il a changé de place à un moment pour donner un ordre, il n’était pas parti depuis ½ minute qu’un obus éclate juste à la place qu’il venait de quitter tuant un homme et coupant les jambes à un autre. Enfin le pauvre Maurice est démoralisé par toutes les horreurs de la guerre.

 

Nos enfants vont heureusement très bien et les trois dames aussi, mais nous regrettons de n’avoir personne pour nous dire ce qu’il faut faire, rester ou se sauver, enfin nous conseiller. Nous nous sommes fait vacciner hier toutes les trois ainsi qu’André pour nous garantir, en tout cas, de la petite vérole. Je ne crois pas d’ailleurs que cela puisse reprendre comme en 70 car presque tout le monde est vacciné maintenant mais, avec ces hordes de sauvages et l’infection que vont donner ces monceaux de cadavres, il vaut mieux prendre des précautions.

 

Le train ne va plus que jusque St Léonard. Aujourd’hui on prétend que Rambervillers est bombardé. Si seulement on avait de meilleures nouvelles demain et qu’on puisse surtout en être certain.

 

La fameuse voyante Mme Lenormand avait annoncé une grande victoire française avant la fin du mois, je l’attends avec impatience.

 

29 août - ELLE.- Nous avons vécu hier une journée d’angoisse à entendre le canon tonner très près de chez nous, vers Rambervillers et à voir toutes les populations des environs de St-Dié, Rambervillers, arriver ici affolées. Tout le monde se sauve sans avoir rien vu d’ailleurs.

 

Avant-hier soir vers huit heures, on sonne, chaque coup de sonnette, en dehors des heures ordinaires, est un peu effrayant en ce moment où on s’attend plutôt à de mauvaises nouvelles que de bonnes. Ce n’était que Bigaut qui venait demander de la part du préfet en panne au village qu’on lui prête les phares de notre voiture. Ce qu’on s’est empressé de faire et même comme nos phares n’allaient pas sur la sienne, c’est dans la nôtre qu’il est reparti. Maman, entendant le nom du préfet s’est empressée, ainsi que Thérèse, d’aller le voir et de lui demander s’il avait des détails et s’il nous conseillait de partir. Il nous a conjurées de n’en rien faire, il rentrait d’une tournée dans toutes les communes entre Rambervillers et Epinal pour rétablir le calme, les tranquilliser et les prier de ne pas ainsi se sauver, simplement parce qu’on entend le canon. Les émigrants de la frontière sèment la terreur partout où ils passent, racontant les incendies, répétant partout les meurtres de Badonviller et Blamont et augmentant peut-être encore un peu pour inspirer plus de pitié. Enfin, le préfet a été très aimable, a promis à Maman qu’il lui enverrait un sauf-conduit pour nous tous aussitôt qu’il y aurait danger à rester ici. Il était très reconnaissant qu’on lui donne la voiture pour rentrer car il tenait à être à Epinal pour la nuit.

 

Hier les trains n’allaient plus que jusque Laveline, on s’est furieusement battus entre Rambervillers et St-Dié et d’après ce qu’on dit, on aurait refoulé les Allemands bien au-delà de St-Dié, on dit même que les trains sont retournés à St-Dié ce matin pour prendre les blessés. En tout cas, le canon est bien plus sourd aujourd’hui, ce qui prouve qu’il s’éloigne et bien moins continu surtout.

 

As-tu vu dans les journaux la note relative aux assurances sur la vie et à une surprime qu’on peut payer pour être assuré contre les risques de guerre. J’ai cru bien faire en écrivant à Alfred Stouvenot de t’assurer contre ces risques et de faire le nécessaire. J’espère que tu ne me désavoueras pas, mon chéri.

 

Dernières nouvelles, on prétend qu’on s’est servi hier des bombes ou obus asphyxiants dans les bois de Rambervillers-St-Dié et que les Allemands ont des monceaux de cadavres (mais ce n’est pas officiel, je te le donne tel qu’on vient de me l’apprendre, c’est le train des équipages qui vient d’arriver ici qui répand la nouvelle).

Gravures du Petit Journal - Supplément illustré - 30/08/1914

Rien - Non paru

Thèmes qui pourraient être développés

  • Les mesures économiques
  • Le moratorium - Suspendre la réclamation des dettes
  • Les allocations
  • La Croix-Rouge
  • Les hôpitaux auxiliaires
  • L’arrêt du travail
  • La censure de la presse
  • La surveillance de la circulation - Laissez-passer et sauf-conduit
  • L’évacuation
  • La vaccination de la petite vérole
  • Religion - Fête religieuse - Décollation de Saint Jean-Baptiste - 29 août


[1] Pierre Mangin : cogérant des HGP (entreprise textile à Cornimont) avec Georges Cuny

[2] Northrops, métiers textiles

[3] Emile Lemaire, directeur de l’usine HGP de Charmes

[4] Une cousine

[5] Un cousin



22/08/2014
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 387 autres membres