Les habitants de Gercourt et leur exode pendant l’occupation allemande 1914 – 6. Sixième et dernière partie - 27 octobre 1914 au 25 mars 1915
Document transmis par Renaud Seynave - 31/05/2018
Ecrit par Marcelle Ravenel, jeune institutrice de 24 ans
petite nièce de Marguerite Jeannesson épouse de Jean Vautrin.
(Ce cahier était avec les journaux de guerre d’Anna Vautrin)
Marguerite Vautrin, âgée de 87 ans fait partie de l’exode…
Rappel de la famille Vautrin
Gercourt est un petit village de la Meuse où vivaient Jean et Marguerite Vautrin, les parents d’Alexis.
Jean Vautrin né à Gercourt (Meuse) le 24 septembre 1798, décédé à Gercourt le 12 avril 1882 épouse Marguerite Jeannesson le 15 avril 1856, née à Brieulles sur Meuse le 24 septembre 1826, décédée le 7 novembre 1914 à Saulnes (Meurthe et Moselle).
Jean Vautrin, participa à différentes campagnes, dont douze en Algérie, il prit part à la prise de la Smalah d’Abdel Kader. Il fut fait chevalier de la Légion d’Honneur le 14 avril 1844. Il prit sa retraite à Gercourt en 1852 avec le grade de capitaine. Il a été maire de son village de 1858 à 1872.
Jean et Marguerite Vautrin ont deux fils :
Alexis Vautrin né à Gercourt le 29 mars 1859, décédé à Nancy le 4 juin 1927, docteur en médecine, professeur de clinique chirurgicale à la Faculté de médecine de Nancy, chevalier de la Légion d’honneur épouse le 29 avril 1889 à Cornimont Anna Perrin, née à la Bresse le 11 janvier 1867, décédée à Nancy le 13 mars 1939.
Albert Vautrin né à Gercourt le 19 mai 1866, sorti de St Cyr, épouse Odette Aubertin en 1896 à Sedan. Il est en 1914 chef de bataillon au 76e RI. Il est blessé à Vauquois en 1915 et meurt à Epernay le 2 novembre 1924 des suites de ses blessures. Il était officier de la Légion d’honneur et titulaire de la Croix de guerre.
Madame Vautrin avec ses quatre petites-filles en 1905
De gauche à droite : Madeleine 1892, Yvonne 1897, Suzanne 1890, Mme Vautrin, Marguerite 1895
"Le 9 novembre, tous les réfugiés de Gercourt et un grand nombre des habitants de Saulnes, après avoir assisté à la cérémonie funèbre, conduisaient au champ de repos la noble et pieuse femme qu’était Mme Vautrin..."
Un train est là sans être éclairé, ni chauffé, nous y sommes entassés, puis c’est le départ. A minuit, nous sommes à Sedan, les enfants demandent à boire, on apporte un peu de café, puis toujours sans descendre, nous voyons Carignan, Montmédy à quatre heures du matin, puis Virton ; nous sommes en Belgique.
La première halte est faite à Mont-St-Martin. La population apporte des provisions de toutes sortes : pain, chocolat, conserves, vin, café qu’elle donne à tout hasard dans les wagons. Ces provisions sont vite partagées puis nous repartons.
Nouvel arrêt à Longwy ; après maints pourparlers entre le maire et les autorités allemandes, nous quittons les compartiments, la foule nous accompagne jusqu’à l’école Thomas où nous passons la journée. On distribue des vêtements, des vivres. Chacun pense à se débarbouiller un peu. On se sent un peu plus libres.
Puis, on songe au départ, le convoi va être réparti entre les communes environnantes. Une partie sera dirigée sur Saulnes, d’autres à Rehon. Sept ou huit villages reçoivent ainsi les réfugiés.
Nous faisons partie du convoi de Saulnes. Les voitures s’arrêtent devant l’église. Le maire aidé du garde-champêtre fait la répartition chez les habitants. Celui qui recueille les réfugiés reçoit 1 franc cinquante par jour pour chaque personne qu’il héberge. Il leur doit chauffage, éclairage et nourriture.
La tante était avec nous. Quand en mairie, la liste des réfugiés fut dressée, en voyant le nom de Mme Vautrin, Mme Raty (femme du maire) est venue demander des renseignements et elle a dit : « Je vais téléphoner à vos enfants que vous êtes en bonne santé ». Elle aurait voulu la conduire avec elle au château, mais étant donné la distance, ce fut Mme Arnould qui la prit chez elle.
Nous arrivons à Saulnes le 29 et elle mourait le 7 novembre dans la nuit.
Notes de Mr Cochenet, ancien instituteur de Gercourt
Pendant le peu de temps que nous avons passé à Saulnes, notre petite colonie de Gercourt a malheureusement été réduite par la mort, le 2 novembre 1914, d’une jeune enfant Paulette Guillaume et quelques jours après le 7 novembre, de Mme Veuve Vautrin, décédées toutes deux à Saulnes (Meurthe-et-Moselle).
Une dame Noiset, notre voisine à Saulnes, conversant avec ma femme, lui demande si une dame Vautrin, réfugiée, ne serait pas la mère du docteur Vautrin de Nancy, natif de Gercourt. Sur réponse affirmative, faite en présence de Mme Mercier, Mme Noiset reprend : « Cette dame Vautrin est mal logée, il faut qu’elle ait un logis meilleur, je vais faire des démarches à la mairie pour cela ».
Un monsieur répond : « Il n’est pas nécessaire de faire des démarches, il n’y qu’à la conduire chez Mme Arnould »
Nous apprîmes que son mari était docteur à Saulnes, absent comme mobilisé, il avait fait ses études à Nancy et connaissait particulièrement le docteur Vautrin.
Inutile de dire comment Mme Vautrin fut reçue dans sa nouvelle demeure et les soins dont elle fut l’objet jusqu’à ses derniers moments de la part des dames Arnould et Raty et de sa nièce Mlle Héloïse Jeannesson de Gercourt.
Le 9 novembre, tous les réfugiés de Gercourt et un grand nombre des habitants de Saulnes, après avoir assisté à la cérémonie funèbre, conduisaient au champ de repos la noble et pieuse femme qu’était Mme Vautrin. Son corps repose à l’entrée du cimetière. Une croix avec inscription est élevée sur sa tombe, elle porte une belle couronne de fleurs artificielles confectionnées par des dames de la ville.
Durant notre séjour à Saulnes, on se rendait fréquemment en Belgique où les vivres étaient moins chers, puis à Luxembourg.
Pour aller à Longwy, il fallait un laissez-passer qu’on délivrait à la gare. Il fallait souvent attendre plusieurs heures que le tour arrive et en cours de route on devait montrer souvent ce laissez-passer. Pour aller même chercher du bois dans les forêts avoisinantes, ce laissez-passer était indispensable.
Puis on arrive au régime des restrictions, le pain est rationné, la coopérative pourtant est encore assez bien approvisionnée, si bien que nous n’avons pas en trop à souffrir des privations.
Le 20 mars, il est décidé que ceux qui n’ont pas de ressources devront se préparer à partir en France. Le départ est fixé pour le matin à sept heures ; réunion auprès de la gare. On ne peut prendre qu’un bagage à la main. Ces bagages seront chargés sur les voitures où prendront place ceux qui ne peuvent faire le trajet à pied.
Nous retournons à Longwy, à l’école St Thomas où nous passons la journée et la nuit sur la paille. Les listes sont dressées pendant la nuit et au matin chacun est muni d’une étiquette attachée au vêtement portant un numéro et une lettre. Le numéro et la lettre sont inscrits sur le bagage individuel.
Le 21 mars, à une heure, nous embarquons, mêmes compartiments non éclairés, non chauffés, nous passons par Longuyon, Pierrepont, Audun-le-Roman, Sarreguemines, Rastadt (cinq heures du matin). Arrêt, descente du train, nous traversons la ville et nous allons vers la forteresse où nous sommes enfermés tout le jour.
Les abris sont humides, la terre est couverte de copeaux grouillants de vermine sur lesquels nous devons nous reposer. On sert du café, une soupe d’orge et de betteraves dans de petits plats de terre jaune. Nous attendons anxieusement l’heure du départ. Bon nombre de prisonniers civils sont dans le camp, attendant eux aussi d’être rapatriés mais le convoi ne se forme pas.
A 9h50 du soir, nous retournons à la gare et c’est un soupir de soulagement quand nous sentons le train s’ébranler.
Nous passons devant Schaffhouse, Zurich et arrivons à 7h30 du matin, déjeuner, passage au vestiaire, départ à 10h50. Nous filons sur Berne, Annemasse, Thonon et, le 25 mars, nous arrivons à Marseille.
Signé : Marcelle
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