La contribution de l'Empire français à la guerre
Le supplément illustré du Petit Journal (12ème semaine) apporte un éclairage sur la participation des troupes coloniales au conflit ; en l'occurrence, il s'agit du renfort des troupes de l'Inde à l'armée britannique.
Pour rebondir sur ce sujet, je me propose cette semaine d'évoquer ce qu'a été la contribution de l'Empire français à notre potentiel de guerre humain et matériel.
En introduction, il convient de revenir sur les conséquences de la défaite de 1870, concrétisée par les termes du traité de Francfort du 10/05/1871, selon lequel, en plus des concessions territoriales de l'Alsace, de la Lorraine du nord et d'une partie des Vosges, la France dût verser à la Prusse un énorme tribut de 5 milliards de francs or en 3 ans. Si la France réussit à honorer sa « dette » en un peu plus de 2 ans seulement, c'est grâce en bonne partie aux revenus de son empire colonial, lequel fut mit à contribution dès 1914 pour soutenir l'effort de guerre en moyens humains et matériels.
600 000 combattants issus de l'Empire combattront en 1re ligne tout au long de la guerre et sur tous les principaux fronts, y compris en Orient :
- L'armée d'Afrique était composée de Français vivant en Afrique du Nord, de spahis, de zouaves (kabyles d'Algérie) ; ces engagés volontaires à la bravoure hors du commun, étaient dotés d'un intense esprit de corps, ce qui explique leur ténacité, leur cohésion au service d'un esprit de sacrifice surhumain. Créés (comme les chasseurs) par Louis-Philippe, ils participèrent avec éclat aux campagnes de Crimée, d'Italie et du Mexique sous Napoléon III, puis au Tonkin et au Maroc. Les glorieux faits d'armes des régiments de zouaves sont innombrables ; mais il convient d'observer que ces troupes, et en général toutes les troupes d'Afrique, étaient souvent employées lors d'assauts désespérés et meurtriers, les hommes réduits en « chair à canon » et les régiments maintes fois anéantis, remaniés et reformés.
- L'infanterie coloniale était constituée de recrues d'Afrique noire, d'Indochine et de Madagascar, encadrés d'officiers et de sous-officiers métropolitains. Parmi les plus populaires et les plus redoutés de ces combattants, les tirailleurs sénégalais provenaient de toute l'Afrique noire française. Peu habitués aux rigueurs de l'hiver, ces soldats sont sensibles aux maladies pulmonaires et aux gelures. La violence des combats et les mauvaises conditions climatiques causeront la mort de 78 000 d'entre eux.
Voici un témoignage[1] d’un adjudant de « la coloniale » : « la valeur militaire des tirailleurs sénégalais, dans le corps à corps, n’avait pas son pareil, délaissant le fusil pour « travailler à la baïonnette ou au coupe-choux », vérité qui explique que les Allemands les craignaient par-dessus tout et reprochaient à la France de les mobiliser pour sa défense. L’adjudant précise aussi l’origine et le rôle des amulettes qu’ils portent au cou, contenant des « attributs découpés sur le corps d’ennemis morts », et censées leur apporter « des forces accrues et le paradis des vaillants ». Petite démonstration : leur chef, dans leur langue, se met à les haranguer contre les « alboches », suscitant chez eux des gestes frénétiques et des hurlements « couper cabèche » ou « couper couilles », gestes à l’appui. Leur présence jeta aussi « le trouble chez les dames congréganistes », d’autant que les autorités militaires avaient interdit de leur servir de l’alcool et conseillé aux femmes et jeunes filles « de ne point se promener seules la nuit ». Rien n’arriva. Ce printemps 1915, la neige vint à tomber et, au matin, la famille vit dans le pré voisin « nos sénégalais emmitouflés » ramasser « à pleines mains, pour en remplir leurs gamelles, la poudre miraculeuse », faisant comprendre par gestes qu’ils « voulaient envoyer chez eux un échantillon de cette substance étrange ». Rires des enfants dans le grenier à les voir observer la fonte de leur trésor, tellement dépités qu’ils en pleurèrent « à chaudes larmes ». Les enfants cessent de rire, les consolent et cela finit par une bataille de boules de neige.
Les renforts humains ne se limitèrent point aux troupes combattantes ; l'Empire fut également un pourvoyeur de main d'œuvre. Des travailleurs eurent en charge l'entretien des routes et la surveillance des points stratégiques ; près de 200 000 d'entre eux (dont 120 000 d'Afrique du Nord et 50 000 Indochinois) assurèrent la relève dans les champs et les usines françaises.
Au delà des renforts humains, l'Empire fut un contributeur essentiel en denrées alimentaires et matières premières ; plus de 2 000 000 de tonnes de marchandises furent envoyées en Métropole durant la guerre.
En conclusion, une question naturelle vient à l'esprit : quelles auraient été les incidences sur le déroulement et l'issue de la guerre sans le "réservoir" de la France d'outre-mer ? La même question se posera en 1945.
[1] « La Bresse et ses vallées. Mémoires et histoire de la montagne »
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