Journal de Marcelle Dumont - 1916-1917
Anne Fournié – 04-06-2017
Marcelle Dumont est née à Villotte-Saint-Seine, Côte d'Or, en 1899. Voici la transcription du Journal qu’elle a tenu pendant la Première Guerre mondiale, de février 1916 à novembre 1917. Elle a 17 ans et prépare le concours d’entrée à l’Ecole normale formant les futurs instituteurs. Comme son père, elle deviendra institutrice et épousera un instituteur.
Petit groupe de dix instituteurs de Drancy en 1931
Marcelle Dumont est au premier rang, la seconde sur la photo en partant de la gauche (Coll. Anne Fournié)
1916
12-2-1916 (Internat de l'E.P.S. de Joigny, Yonne[1])
Les Allemands tentent un effort formidable sur Verdun et Belfort. Les combats de Champagne si meurtriers pourtant n'étaient (à ce qu'en disent les journaux) qu'un feu d'artifice auprès de ceux de Verdun.
3 mars
Germaine K. a chanté après le diner "Le rêve passe" et "Le drapeau", chants patriotards qui ont grand succès. On m'a demandé de chanter aussi et j'ai choisi "L'hymne aux morts" de Péguy (Heureux ceux qui sont morts pour une juste guerre), très émouvant. J’ai récolté des applaudissements et des félicitations pour ce choix.
16 mars
Lucien Jubé (un jeune officier natif de Rouilly-Sacey) m'a écrit, il est à l'hôpital, gelures aux chevilles. Il sculpte un porte-plume qu'il m'enverra.
22 mars
Belle promenade en forêt d'Othe, fleurs printanières, doux soleil, chants d'oiseaux. Douceur d'avoir seize ans - mais la guerre fait rage. Hélas.
29 mars
Des blessés sont arrivés ce soir tandis que nous étions au réfectoire (toutes les autres salles de l'E.P.S. sont aménagées hôpital). Les ambulances se succédaient. Madeleine (une de nos surveillantes qui a son diplôme d'infirmière) est partie aussitôt pour recevoir ces pauvres soldats douloureux. Je voudrais être infirmière aussi pour me rendre utile.
2 avril
Crise de larmes de Madeleine dont le fiancé est mort au champ d'honneur il y a quelques semaines.
Spontanément nous avons chanté à mi-voix l'hymne aux morts de V. Hugo :
"Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie
Ont droit qu'à leur cercueil la foule vienne et prie…"
puis "la chanson d'Irlande" Si émouvante :
"Chassés trahis loin du pays, nous versons des pleurs amers que les vertes ondes..."
3 avril
J’ai reçu le porte-plume sculpté par Lucien Jubé, mon filleul, chaque "poilu" a sa marraine. Mon porte-plume est en bois d'Alsace reconquise, il m'est infiniment précieux car l'arbre qui a fourni son bois a vu les combats de nos soldats, leur sang a coulé mais l'ennemi s'est enfui. Dans mon paquet, il y avait aussi deux coupe-papiers de cuivre, quand nos combattants sont au repos ils récupèrent des douilles d'obus en cuivre dont ils font des vases et autres objets.
22 au 25 avril- Pâques à Villotte
Mon père en permission, ces journées heureuses passent trop vite. J'ai cueilli un bouquet d'anémones pulsatilles que mon père emportera à Paris pour Nicolette Hennique.
26 avril
Ciel ensoleillé mais le vent hurle comme un écho de la guerre qui ne finit pas, des hommes qui meurent chaque jour au front. Il n’est plus de vraies joies.
28 avril
A Dijon, revu une jeune actrice, amie de mes grands-parents. Pour elle, comme pour beaucoup de citadins, la guerre semble une distraction. Coquetterie, égoïsme et même débauche, quelle mentalité loin du front "où l'on souffre, où l'on meurt".
30 avril - Retour à Joigny
Rencontré en gare de Dijon, mon parrain Fabien Breton, en permission. Lui aussi est écœuré du spectacle de "l'arrière", de cette mentalité de non combattants, des "embusqués", il dit que le monde est revenu au 5e siècle...
1er mai
La vie reprend, la nature s'épanouit glorieusement indifférente malgré les deuils, les souffrances. Oubli. Refloraison. Force de la vie.
"Il n'y a rien d'héroïque ni même de vraiment méritoire à réparer l’injustice naturelle et sociale. On confond étrangement le devoir de justice et la charité."
"Mon cœur n’est pas de ceux qui changent. Je vais souffrir, je me créerai des devoirs aussi grands que ma douleur."
M. Tinayre
7 mai
"Je mêle mon cœur triste aux sanglots des rafales". Ce vers a beaucoup plu à mon père, dans le poème que j'ai écrit et que je lui ai envoyé.
10 mai
"Quand j'irai m'endormir près de ceux qui sont morts
Quand pour mon triste cœur plein de désespérance
Trop lourds seront les ans, trop grande la souffrance,
Par les sentiers connus on portera mon corps.
Je sais dans mon pays un petit cimetière
Où l'on s'endort très doucement au long de l'an.
Le grand vent frémissant comme une prière,
Consolante et douce sur un rythme lent.
Il y fait bon dormir du grand sommeil des morts,
Ce sommeil si profond que rien ne peut troubler,
Où vont se réfugier les faibles et les forts,
Tous ceux qui ont souffert, tous ceux qui ont tremblé.
Que votre main amie sème sur mon corps las
Le poids des lourdes roses et des gerbes fleuries,
Les grands iris violets que j’aimais ici bas,
Venez pleurer parfois, venez prier aussi.
Quand près de mon tombeau, vous viendrez vous asseoir,
Peut-être m’atteindra la douceur d’une larme,
Comme aux jours anciens, dans la beauté du soir
Et le silence noir ou dormira mon âme.
Marcelle Dumont
19 juillet
Reçue à l'Ecole Normale de Troyes, 12e sur 21 reçues et 40 présentées. Au total 2 points de moins que la 1re.
1er août - Vacances à Rouilly-Sacey, Aube
Hier, anniversaire de la mort de Jaurès, le tribun socialiste assassiné en 1914 parce qu'il voulait empêcher la guerre.
2 août
2e anniversaire de la mobilisation. Je me souviens des adieux de notre grand ami dijonnais : Pierre Colliard, lui si gai que je l'ai vu pleurer ce jour-là, il haïssait la guerre, il était antimilitariste, comme beaucoup d'instituteurs, il est parti comme les autres "pour que les enfants ne voient plus jamais ça". Il a été tué en octobre à la tête de ses hommes. Il laisse une petite fille : Simone.
Cette terrible guerre aura fait bien du mal directement ou indirectement. Elle a déjà brisé tant de vies, fait tant de veuves et d'orphelins.
5 août
Par instants on entend au loin le grondement du canon. Une offensive générale est déclenchée autour de Verdun et dans la Somme. Voici qu'on appelle sous les drapeaux les jeunes de la classe 17, braves gamins de France. Quelle tristesse !
7 août
Voici finie l'année de mes 16 ans dont je me faisais tant de joie. Je n'aurai guère eu de bonheur, mais tant d'épreuves m'ont mûrie, je me suis débarrassée de la superstition religieuse. Je ne crois plus en un dieu égoïstement isolé dans un ciel lointain. Je crois au dieu qui est en moi et qui se révèle lorsqu'on cherche la perfection, au dieu qui habite les profondeurs de mon âme, en cette force mystérieuse, invincible qui me pousse vers la pensée et l'action. Je crois que lentement, progressivement nous marchons sur le chemin de la vérité. Comment expliquer autrement l'évolution morale ? Mais que de chemin à parcourir vers plus de compréhension, plus d'humanité.
"Le véritable sage n’est pas celui qui voit mais celui qui aime le plus profondément les hommes. Le sage n’est jamais désespéré. Il y a une joie divine à faire le bien et à n'espérer rien. Ce qu’il y a de plus sûr, de plus profond, de plus inébranlable dans l'amour est aussi ce qu'il y a de plus sûr, de plus profond, de plus inébranlable dans une noble vie."
Maeterlinck (La sagesse et la destinée)
13 août
The day is cold and dark and dreary
It rains and the wind is never weary
The vine still clings to the mountain wall
But at every gust the dead leaves fall
And the day is dark and dreary
My life is cold and dark and dreary
It rains and the wind is never weary
My thoughts still cling to the wondering past
But the hopes of youth fall thick in the blast
And the days are dark and dreary
Be still, sad heart! and cease repining
Behind the clouds is the sun still shining
Thy fate is the common fate of all
Into each life some rain must fall
Some days must be dark and dreary
Longfellow
15 août
On voit des veuves de guerre avec des aunes de crêpe noir sur la tête et des vêtements noirs mais bien peu de deuil au cœur. Elles cherchent à se remarier alors que des fiancées ont juré en secret de rester toujours fidèle à l'aimé disparu. Celles-ci n’ont pas besoin de crêpe de deuil.
19 août
Lucien Jubé a été blessé, il a reçu 15 éclats d'obus dans le corps mais Il espère s'en tirer. C'est presqu'une chance car il est loin du front maintenant. Les soldats rêvent tous de la "bonne" blessure qui les éloignera de cet enfer, beaucoup sacrifieraient bien un bras ou une jambe.
Mon père a une place de confiance au ministère de la guerre. Sa jambe cassée et mal remise l'a sauvé du départ au front.
30 août
On pavoise pour l'entrée en guerre à nos cotés de la Roumanie. C'est effroyable, partout la tuerie.
2 septembre
Arrivée de mon père en permission. Il nous apporte de jolis cadeaux. A moi, un collier d'argent (monnaie du pape), à maman, un collier doré (feuillages), un coupe-papier de bronze doré et plusieurs jolies choses mais il repart demain.
14 septembre
Lu Paroles d’un homme libre de Tolstoï et Germinal de Zola.
26 septembre
Mon père est arrivé en sursis (erreur : ce n'était qu'une permission exceptionnelle) pour reprendre son poste d'instituteur à la rentrée d'octobre. Mme Bois (de la revue La Plume) lui a fait don d'une statuette et d'une belle photo (Maternité d'Eugène Carrière).
6 octobre - (École Normale de Troyes)
Nous dressons de longues listes d'orphelins de guerre qu'il faut aider.
9 octobre
Cours de psycho par la directrice, Mme Chaudron, d'esprit foncièrement laïque. Noté : "Ce n’est pas un métier qu'être institutrice, c'est un apostolat, nous avons une mission à remplir". "Notre credo : Je crois fermement que la nature humaine est susceptible d'amélioration. Il faut opposer cette croyance à une doctrine infiniment triste : celle de la prédestination : beaucoup d'appelés, peu d'élus. Si vous croyez la nature humaine capable de s'améliorer vous êtes foncièrement laïque. Sinon, faites vous bouchère ou épicière mais pas éducatrice… Nous ne récolterons pas la semence que nous avons jetée mais nous travaillons pour les générations futures."
25 octobre
Déception. Les journaux écrivent que la guerre sera encore longue et dure. Il est loin ce mois d'août 14 où maman et moi nous calculions sur une carte de géographie le temps que mettrait le "rouleau compresseur russe" pour arriver à Berlin ! Tous les hommes finiront par être appelés à l'armée : vieux et très jeunes, et les plus ou moins valides.
27 octobre
La directrice est venue nous donner ses instructions en cas d'alerte de zeppelins. Durant la promenade nous avons vu les jeunes soldats de la classe 17 faire l'exercice : fusils en faisceaux, hommes rampant. Quelle tristesse. La fleur de la jeunesse sera fauchée. On rappelle des soldats dans la Somme.
Vacances de Toussaint : Mon père en permission à Rouilly-Sacey et moi en vacances. Il y a de fortes chances pour que mon père soit reversé dans le service actif - Angoisse de ma mère.
6 novembre
Encore une de mes comparses qui vient de perdre son père. Quand nous voyons arriver la directrice au milieu d'un cours, nous nous demandons qui elle va appeler pour lui annoncer la terrible nouvelle.
8 novembre
Je suis désignée avec trois autres élèves pour assister à la commémoration des morts pour la France. Devant une très nombreuse assistance discours du préfet, du gouverneur, du maire. Une fanfare joue la Marche Lorraine, puis Sambre et Meuse. On distribue des diplômes aux veuves, aux parents de disparus. Les "Bleuets" de 1917 chantent la Marseillaise.
28 novembre
On parle de supprimer notre 3e année d'Ecole Normale et nous placer comme institutrices à la fin de l'année pour remplacer les instituteurs tués ou gravement mutilés. On parle aussi de levée de masse de tous les hommes. Je suis comme perdue dans tant de détresses.
8 décembre
On mobilise tous ceux qui ne l'étaient pas encore, on recense les femmes, celles qui possèdent une machine à coudre travailleront pour l'armée, d'autres iront dans les usines d'armement. On parle aussi de renvoyer collégiens et lycéens chez leurs parents et de ne garder les élèves en classe que Jusqu'à 13 ans. On nous exerce en hâte à la pédagogie appliquée, même les 1re année sont en stage à tour de rôle à l'école annexe. La directrice nous lit des discours sur l'Union sacrée.
20 décembre
Séance de gala au profit des Serbes, nos alliés.
30 décembre
On annonce que près de 40 régiments décimés n’ont pu être reconstitués. On parle d'1 million de tués, on craint la révolution, les comptes seront durs à régler. On parle même de retour à la monarchie mais nous nous souviendrons que nous sommes des républicaines et des libres penseuses. Je crois que nous irions jusqu'à l'échafaud pour défendre nos convictions.
1917
6 janvier
Nous avons été désignées à quelques unes pour aller expédier des colis aux prisonniers. Nous avons comme filleul un brave paysan du Nord, il nous a envoyé une photo prise au camp allemand où il est interné.
9 février
Grands froids -20°. On parle de nous licencier à cause du manque de charbon. Toutes les heures nous descendons dans la cour pour faire plusieurs tours au pas de course, ce qui ne nous réchauffe guère. Plusieurs élèves ayant été emportées par la tuberculose, la directrice surveille de près notre santé. Comme je tousse et que le docteur m'a trouvé un point de congestion, elle m'a envoyée à l'infirmerie qui est chauffée. Elle me rend visite tous les jours et le prof de maths vient me badigeonner de teinture d'iode et me poser des ventouses. Je ne me lève qu'à 10 heures au lieu des 6 h 30 habituelles. Une autre élève a une pleurésie, 2 autres sont isolées pour angine.
17 février
On nous envoie dans nos familles à cause du froid.
16 mars (De retour à l'école)
Nous défrichons un champ rue des Noës, un terrain qui a été piétiné depuis des années par les chevaux. Une circulaire du ministre ordonne à toutes les écoles de faire de la culture, à cause des difficultés du ravitaillement. Le jardin botanique de l'Ecole Normale est devenu potager par nos soins. Nous partons vers notre champ à défricher, en blouses bleues et sabots, la bêche sur l'épaule. Les passants se retournent stupéfaits, sur notre passage.
17 mars
Coup de clairon dans le morne silence de cette guerre qui n’en finit pas : c'est la révolution en Russie. L'émotion m'étreint en écrivant ces lignes. Le tsar a abdiqué, on se bat à Petrograd.
"Et l'on se bat au bout du monde", ce vers prophétique du poète Stuart Merrill tourne dans mon cerveau.
Ma pensée est près de nos frères lointains qui ont enfin redressé l'échine. Ah, comme ils sont beaux dans la liberté naissante. Depuis si longtemps ils vivaient courbés, avec des siècles de retard sur nous. Une élite intellectuelle, des étudiants courageux tentaient d'éduquer la masse grossière ignare, malgré les terribles persécutions, les déportations en Sibérie. Et voici que cette masse s'ébranle d'un pas terrible, écrasant tout sur son passage. C'est un nouveau 89. Quelle émotion !
Lu dans les journaux :
"Une grande et libre Russie se dresse comme une redoutable menace pour l'ennemi extérieur. C’est la liquidation générale des injustices et des erreurs accumulées depuis des siècles.
Amis russes que nous voudrions serrer fraternellement dans nos bras permettez à vos aînés de France, du haut de leur vielle expérience des révolutions, de vous rappeler en ce jour de fête que votre jeune Russie mûre pour 89 n’est pas mûre encore pour 93.
La cause de la Liberté et des Alliés a triomphé : d'un seul bond la Russie a avancé de 2 siècles."
Appel du gouvernement provisoire aux citoyens russes :
"1. Amnistie générale et immédiate de tous les délits politiques et religieux, y compris les actes terroristes, les révoltes militaires, les crimes agraires.
2. Liberté de la parole, de la presse, des alliances, des unions, des grèves.
3. Abolition de toutes les restrictions sociales, religieuses et nationales.
4. Procéder à des préparatifs pour la convocation d'une assemblée constituante qui, en s'appuyant sur le suffrage universel, établira le régime gouvernemental et la Constitution du pays.
5. Elections communales devant se faire sur la base du suffrage universel.
Salut à la Russie nouvelle.
Salut au peuple russe conscient de son rôle et de ses devoirs, maître de sa destinée."
L'époque que nous vivons est extraordinaire.
Tous les problèmes qui intéressent le sort de l'Humanité s'y seront posés à la fois. Aucune question n'y sera demeurée sans solution, aucun legs d'incertitude, d'angoisse de tourments nouveaux n'aura été transmis aux générations futures.
C'est une jeune et ardente démocratie qui prend place dans la lutte mondiale aux côtés de ses aînées.
25 mai
Des soldats se sont mutinés sur le front français au chant de l'Internationale.
Grèves à Paris. Mon père commence à s'inquiéter.
Les combattants sont les premiers à pousser leurs femmes à l'action, en leur disant : "Nous ne voulons pas marcher, nous serons fusillés, vous, vous pouvez faire cesser la guerre".
29 mai
Incendies à Troyes. On les dit criminels.
30 mai
Les incendies se succèdent, deux usines ont brûlé cette nuit. Il y a 1 million de dégâts. Ce matin, débuts d'incendie à l'hôtel St Laurent et dans plusieurs maisons. Des bruits courent, alarmants : on a trouvé des papiers imbibés d'essence, des pastilles incendiaires.
31 mai
Les Troyens bouchent les soupiraux des caves. On entend crier dans la rue. Il paraît que des patrons d'usine ont reçu des lettres anonymes les avertissant que leurs bâtiments brûleraient. La Préfecture est menacée, on y a reçu avis que tout Troyes devait brûler. Nous y passerons aussi. Ça sera gal avec tous les acides et produits chimiques de la salle de chimie.
La directrice vient nous dire que le drapeau rouge flotte dans les rues de Paris, que nous sommes menacées aussi de l'incendie de l'Ecole Normale. Le soir nous montons au dortoir nos papiers, nos photos, nos carnets. L'heure est grave.
1er juin (13 prairial)
Pas d'alerte ici mais nous apprenons que le feu a pris aux quatre coins d'une ferme à St Julien.
La directrice nous annonce qu'à Paris, les ministères sont menacés et que les incendies sont sûrement volontaires.
2 juin (14 prairial)
Le feu cette nuit près de l'école dans un atelier de menuiserie. Nous avons été réveillées par le tocsin et le bruit de détonations. L'électricité a été coupée, le feu ayant été mis à des poteaux.
Les externes nous apprennent que 70 tombes ont été profanées à St Julien, les monuments détériorés, des corps d'enfants déterrés.
Plus cinq nouvelles tentatives d'incendie.
Ma mère m'écrit qu’à Paris des Annamites gardent les ministères.
4 juin
Le très jeune René Lavoué s'est engagé comme volontaire pour partir avec les vieux qu'on a rappelés.
Il a dit : "Je ne sais pas si je serai brave, je le pense, mais si j'ai peur, personne ne le saura". Il est persuadé qu'il va vers la mort mais il est sans illusions : "Mon père aura du chagrin, dit-il, mais il se dira : sur mes 4 fils, il faut bien qu'il y en ait un qui trinque." Quant à ma mère elle pleurera puis elle se dira : "Voyons quel deuil m'ira le mieux ?"
30 octobre
Rentrée en 2e année. Lu "Le Feu" d'Henri Barbusse, profondément émouvant.
La classe 18 va partir sous les drapeaux et bientôt sur le front. La préparation ne dure pas longtemps.
4 octobre
Un ami parisien écrit à sa famille : "Cette fois, c'est la révolte, nous sommes 55 000 grévistes à Paris".
25 octobre (brumaire)
"On ne vit pleinement qu'en vivant pour beaucoup d'autres."
Loyau
30 novembre
Mon filleul est tué, la tête déchiquetée par une grenade.
(Ici s'arrêtait mon journal de 1917)
[1] Ecole Primaire Supérieure. Elle faisait suite à l’école primaire. Les meilleurs élèves y préparaient le brevet supérieur et le concours d'entrée à l’Ecole Normale, celle-ci formant les futurs instituteurs.
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