Journal de la Grande Guerre de quelques ancêtres des familles Farret, Cambon et Broquisse - 41 - Décembre 1917
Olivier Farret – 13-08-2018
Le 4 décembre, le président Wilson fait une communication pour le moins ambigüe : « Nous ne désirons pas affaiblir, ni transformer la monarchie austro-hongroise… Nous souhaitons seulement que les affaires des peuples d’Autriche-Hongrie, grandes ou petites, soient remises entre leurs propres mains ».
À Versailles, se tient la première réunion du Conseil supérieur de guerre interallié (France, Angleterre, Italie, États-Unis) créé au lendemain de la défaite italienne à Caporetto. Il a pour objectif de coordonner leurs opérations civiles et militaires sur les différents fronts.
En Russie, les généraux hostiles aux bolcheviks rejoignent le Don pour organiser l’armée des volontaires hostiles au pouvoir révolutionnaire. C’est l’embryon de la future grande armée blanche. Une bande blanche est cousue sur leurs casquettes en référence aux chouans de Vendée résistants de la Révolution française. À Petrograd, les bolcheviks décident de supprimer les grades militaires et les décorations. Trotski fait une déclaration enflammée : « Dans moins d’un mois, la terreur prendra des formes extrêmes en s’inspirant des révolutionnaires français. ». À la mi-décembre, un armistice est signé entre l’Allemagne et la Russie à Brest-Litovsk. Les troupes allemandes resteront à Riga et se maintiendront dans des îles de la Baltique qui commandent l’entrée du golfe de Finlande au bout duquel se trouve Petrograd. Les négociations de paix d’annoncent difficiles. À l’instar de ses voisins baltes, la Finlande devient indépendante. (Philippe Faverjon)
En France, plus de 3 300 soldats russes restés au camp de La Courtine sont transférés vers Marseille puis l’Algérie sous le nom de « travailleurs forcés ».
Au bord de l’océan Atlantique, Halifax est alors avec Sydney le principal port canadien pour l'acheminement de troupes et de matériels vers l'Europe en guerre. La population de Halifax et de Dartmouth située juste sur l'autre rive est alors d'environ 65 000 personnes. Le port de Halifax est déjà en pleine effervescence, ce matin du 6 décembre 1917, lorsque le Mont-Blanc, un cargo français (41 marins avec à leur tête le capitaine Aimé Le Medec) de la Compagnie Générale Transatlantique entre dans le port. Ce cargo venant de New York fait une dernière escale sur le sol canadien avant de traverser l'Atlantique vers l'Europe. De son côté, l'Imo, un bateau affrété par la Commission du secours belge arrivant de Rotterdam et en route vers New York afin de récupérer du ravitaillement, vient de lever l'ancre.
À la suite d'une série d'incidents mineurs, l'Imo entre en collision avec le Mont-Blanc vers 8 h 45. Par malchance, le cargo français détient une importante cargaison d'explosifs à son bord (2 300 tonnes d’acide picrique sec, 200 tonnes de trinitrotoluène [TNT], 10 tonnes de nitrocellulose (fulmicoton) et 35 tonnes de benzol). Les vapeurs du benzène entreposé sur le pont du Mont-Blanc se répandent sur le côté du navire, et s’enflamment à partir des étincelles provoquées par la collision.
Après l'impact, l'Imo réussit à sortir du port tandis qu'une colonne de feu s'élève du navire français. Le feu, en se propageant, empêche l'équipage d'accéder à l'équipement de lutte contre l'incendie et les marins abandonnent rapidement le navire sur les ordres du capitaine. L'équipage s'enfuit dans deux canots de sauvetage, rejoignant le rivage de Dartmouth, tandis que le navire en feu continue de dériver vers le rivage d'Halifax. Dans leur fuite, ils tentent d'avertir les bateaux proches du danger, mais ne parlant que français, ils ne sont pas compris par les autres équipages. Tous les hommes du navire français arrivent sains et saufs au rivage.
Pendant que le cargo brûle, d'autres navires tentent cependant de lui venir en aide. Des spectateurs médusés s'assemblent sur le rivage. Le vaisseau en feu est déporté, frappe la jetée, et le feu se propage à terre. À 9 heures et 4 minutes, le contenu du Mont-Blanc explose. Le navire est instantanément pulvérisé, la plus grande partie des munitions étant vaporisée en une gigantesque boule de feu qui s'élève à plus de 6 000 m dans les airs. La puissance de la détonation déclenche un véritable raz-de-marée de plus de 18 mètres au-dessus du niveau des hautes eaux. Le raz-de-marée emporte l’Imo jusqu'au rivage.
Plus de 2,5 km2 de la ville de Halifax sont rasés et des vitres fracassées jusqu'à 16 kilomètres de distance. Une ancre provenant du Mont-Blanc sera retrouvée à près de quatre kilomètres du port. On a retrouvé, dans les archives de la Bedford Academy de Halifax, une correspondance entre deux instituteurs traitant de l'événement : selon ces lettres, lors d'une sortie scolaire près de la ville, onze enfants ont été balayés par un canot de sauvetage pneumatique en feu provenant du Imo.
Cette catastrophe en partie oubliée est responsable de la mort de 2 000 personnes et de 9 000 blessées, dont 6 000 très gravement. Selon une estimation minimale, environ 35 millions de dollars (en dollars canadiens de 1917) de dommages ont été occasionnés. Quelques 160 hectares d'aire urbaine sont détruits, laissant 6 000 sans-abris. Parmi les victimes, 600 enfants sont morts. Un grand nombre de blessures laissera des séquelles, en particulier au niveau des yeux lésés par les éclats de verre.
Le lendemain, un blizzard frappe la ville, faisant obstacle aux secours. Cependant la ville meurtrie recevra très vite de l’aide du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du-Prince-Édouard et de Terre-Neuve, puis des États-Unis et du monde entier. L'effort le plus célèbre et le plus complet est venu de la Croix-Rouge de Boston et du Comité de sécurité publique du Massachusetts. Depuis ce jour, les citoyens de Halifax font don d'un grand sapin de Noël chaque année à la ville de Boston.
Un siècle après la catastrophe, on trouve encore au fond du port de la cordite (très peu soluble dans l'eau) et des munitions non-explosées qui polluent le milieu avec les oxydes de cuivre. Les munitions contenant par ailleurs du mercure (sous forme de fulminate de mercure) et du plomb risquent de contaminer l'environnement marin. (ecole.nav.traditions.free.fr)
Explosion du cargo Mont-Blanc, ecole.nav.traditions.free.fr
Destruction des bâtiments du port, ecole.nav.traditions.free.fr
Sur le front occidental, la bataille de Cambrai continue avec une violente contre-attaque allemande.
Le 9 décembre, Ernst Jünger décrit les combats :
« Du haut de mon perchoir, nous pûmes parfaitement distinguer les casques d’acier des Anglais, qui trébuchaient de hâte et d’énervement. Je balançai une grenade aux pieds de l’homme de tête, si bien qu’ils s’arrêtèrent, interdits, et furent coincés par leurs poursuivants. Les grenades volèrent alors en l’air comme des boules de neige, enveloppant tout d’une espèce fumée blanche. D’en bas, on nous passait sans cesse de nouveaux projectiles. Les éclairs jaillissaient au milieu des Anglais aux abois, projetant des haillons d’uniformes et de casques. Les cris de fureur et d’angoisse se mêlaient. Les yeux en feu, nous sautâmes sur le rebord de la tranchée. Les fusils de tout le secteur se braquèrent sur nous.
Au milieu de ce tourbillon, je fus jeté à terre par un coup terrible. Dégrisé, je m’arrachai mon casque et j’aperçus, à mon épouvante, deux grands trous dans le métal. L’aspirant Mohrmann, qui accourut à la rescousse, me rassura en me certifiant qu’on ne voyait qu’une estafilade sanglante à mon occiput. La balle d’un tireur éloigné avait perforé mon casque et frôlé mon crâne. À demi assommé, je revins vers l’arrière d’un pas chancelant, la tête hâtivement bandée, pour quitter ce foyer de combat. […] Dans cet état de songe qui suit le choc proprement dit de la blessure, je ne pensais pas que mon pansement se voyait de loin, comme un turban blanc.
Soudain, un nouveau choc au front me projeta au fond de la tranchée, tandis que mes yeux étaient aveuglés par le sang ruisselant. Mon voisin s’écroula au même instant et commença à gémir. Le capitaine m’examina, il ne releva que deux plaies superficielles à la naissance des cheveux. Elles devaient provenir de l’écrasement du projectile ou des éclats du casque en acier de l’autre blessé. […] Affaibli par cette nouvelle saignée, je me joignis au capitaine, qui regagnait son P.C. Nous traversâmes au pas de course le violent barrage et gagnâmes l’abri dans le lit du canal, où je me fis panser et piquer contre le tétanos. »
Ernst Jünger, une nouvelle fois blessé, est évacué vers l’arrière et « au lieu d’encombrer les hôpitaux avec ma cinquième double blessure, je la laissai se refermer lors d’un permission de Noël. » C’est au cours de sa convalescence que Jünger fut décoré de l’Ordre de la Couronne des Hohenzollern.
Les Britanniques perdent plusieurs milliers de tués, blessés et disparus. Au terme d’une semaine de contre-offensives, les Allemands ont repris plus que le terrain perdu dans la région de Cambrai.
Le 150e RI est toujours dans un secteur calme, à l’est de Pont-à-Mousson. Les bataillons tentent quelques embuscades, peu fructueuses. Dans la soirée du 24 décembre, le sous-lieutenant Cornaton franchit la Seille sur la glace et dès la tombée de la nuit tend une embuscade avant que les postes ennemis viennent prendre leurs emplacements. Le poste comprend trois hommes, un Allemand est tué, le deuxième est fait prisonnier et le troisième s’enfuit. C’est la seule activité marquante depuis l’occupation du secteur. (Historique du 150e RI)
Le 173e RI d’André Farret occupe jusqu’en juin 1918 divers secteurs des bords de la Seille, au bas des pentes du nord-est du Grand-Couronné. De ces hauteurs, lorsque les yeux parcourent l’horizon, le soldat voit dans le lointain le clocher de la cathédrale de Metz, ses forts, la plaine de Lorraine, soumis à la botte teutonne, la terre qu’il doit délivrer au cours de sa croisade. (Historique du 173e RI)
Dans ces lieux, c’est le guet, la surveillance active pendant de longues nuits d’hiver, sous la bise froide, ce sont les embuscades tendues en avant de ses lignes, les incursions rapides dans les tranchées d’en face, à la recherche de l’ennemi. Hideuse par nature, la guerre devient ici larvée, vicieuse. Elle s’accapare la nuit pour y glisser ses embuscades. À la tombée du jour, des luttes silencieuses d’ombres rampantes sous les barbelés et chevaux de frise étouffent les râles de sentinelles égorgées et prestement dépouillées de leurs pattes d’épaules. C’est la chasse aux renseignements afin de connaître la troupe d’en face. (Antoine-Toussaint Antona)
Le 22 décembre 1917, le chef de bataillon André Farret reçoit une notation élogieuse :
« Officier d’une très grande valeur, intelligence prompte, jugement sûr. Était aussi calme le 20 août pendant l’attaque de la cote 344 que s’il avait été loin du front. A malheureusement été blessé en arrivant sur la deuxième position ennemie, objectif de la journée. Son bataillon est remarquable ». Signé, Le Lt colonel Primat, Cdt le 173e RI. (Source dossier militaire, SHD, Vincennes)
Jean Broquisse est dans le secteur de Craonne, avec le 319e RI, il écrit à sa sœur Thérèse le 2 décembre 1917 :
« Décembre déjà !! Et les permissions ne vont que très lentement. Je crains bien de ne pouvoir vous arriver que dans le courant de janvier. […] Merci pour les photos fort réussies.
Tu me dis que mon album est à jour. As-tu fait venir la dernière série des tranchées ? Si tu ne l’as pas encore fait je t’en réexpédierai quelques-unes. Réponds-moi à ce sujet. Je suis heureux qu’avec la bonne volonté des Tchèques et sous votre haute et intelligente direction, le Soulat continue à se requinquer petit à petit. Que devient le cours du vin ? Ici, rien de neuf. Le secteur continue à être calme. Espérons que toute notre période de ligne se passera ainsi…. »
À l’arrière, la vie devient difficile et la lassitude gagne les populations qui tiennent seulement pour leurs combattants. Le courrier que Jean Broquisse reçoit montre ce malaise grandissant : « Nous trouvons Paris lugubre ; il nous semble qu’il y a moins de circulation. Les magasins sont démunis. D’ailleurs ce n’est pas étonnant. On peut même dire qu’on tient encore de façon étonnante à l’arrière, après 3 ans de guerre. Seulement c’est grâce à vous, ceux de l’avant que nous tenons. Si ce n’était de ces satanés Russes, on les aurait, les Boches, à l’heure actuelle…» écrit sa mère qui est à Paris.
La pénurie de combustibles commence à se faire sentir dans les campagnes, les bougies sont hors de prix, les allumettes sont rares ; Germaine écrit à son frère :
[…] Voila que l’essence manque tout à fait dans nos campagnes. Nous en avons à peine pour huit jours. Il faut renoncer aux lampes Pigeon pour circuler le soir dans la maison. Alors nous inventons toutes sortes de combinaisons pour nous en passer. Nous circulons dans la maison à tâtons et on finit par être très habile pour se diriger et trouver les choses dans l’obscurité. Aurélie met le couvert à 4h1/2 quand il fait encore jour. Aussitôt le diner fini, elle vient et tous ensemble enlevons en quelques secondes le couvert avant d’emporter la lampe au petit salon. Les hommes veillent à la cuisine pour n’avoir qu’une seule lampe car le pétrole est rare aussi. Heureusement que la cuisine est grande.
Venceslas et François font le métier de cordonnier et ressemellent les chaussures. Aurélie coud, Blanche fait la cuisine. Il n’y a que le Polonais qui est trop paresseux pour rien faire quand il n’y est pas obligé. Au fond ils trouvent cette organisation très amusante. Il va falloir revenir à la vie des hommes primitifs. On dit qu’on va faire des chandelles de résine. Ce sera en parfaite harmonie avec le Soulat. Voilà le moment d’expédier les colis de Noël aux prisonniers, la frontière est de nouveau ouverte. Je vais faire une chemise et un caleçon pour Léonce, une chemise pour Bédu et tâcherai de trouver quelque belle pipe à Castillon, quelques friandises, peut-être des mouchoirs… »
Jean Broquisse ne se plaint pas de son sort mais s’inquiète de la situation sur le front de l’Est depuis la prise de pouvoir par les Bolcheviks. Il s’inquiète de l’éventualité d’une paix séparée avec les Russes pouvant retarder l’issue de la guerre. Il se confie à une de ses sœurs :
« Tu me demandes si ne je manque pas de tabac. J’ai connu quelques jours de disette, mais à force de chercher, j’ai réussi à me procurer plusieurs paquets de la plante à Nicot et maintenant je peux tirer d’excellentes bouffées de ce produit indispensable pour entretenir un moral intact au poilu déshérité. Quand on a les pieds au froid, on aime bien au moins avoir son petit réchaud dans la bouche. […] Dans notre coin, peu de nouveau. Il me semble que les hivers passés m’ont entraîné à supporter le froid, et quoiqu’à certaines heures ça pique fort, je réagis fort gaillardement pour un poilu du Sud-ouest. Que pense-t-on à Paris de la défection des Russes et de ses conséquences possibles sur la durée de la guerre ? J’avoue que j’entrevois de moins en moins une solution prochaine, à moins d’un coup de théâtre que rien ne fait prévoir. T’es-tu renseignée sur le cours de tes valeurs russes ? Je crains bien qu’il ne soit tombé bien bas… »
En 1914, 1,6 millions de porteurs français ont prêté 12 milliards de francs-or à l’empire russe. La révolution d’Octobre brise le rêve et ouvre une attente qui se prolongera longtemps. Le 7 novembre, les derniers coupons sont payés en France. Deux mois plus tard, Lénine décide de ne plus reconnaître les dettes de l’ancien régime.
Le 15 décembre, le régiment quitte le front et part en repos pour cantonner tout entier à Chery-Chartreuve, dans l’Aisne, à 25 km de la ligne de feu. Inès et sa mère retrouvent le Soulat « …passablement gelées. Il fait vraiment très froid maintenant et nous songeons bien souvent à toi, cher petit frère. […] Rèze te fait dire qu’elle t’a envoyé toutes les photos de tranchées. Si tu veux en renvoyer, nous les mettrons dans ton album… » écrit Germaine à son frère.
La veille de Noël, son régiment remonte en ligne au Chemin des Dames, dans le secteur de Braye-en-Laonnois. Il écrit à sa grand-mère :
« Je crois que nous tiendrons les lignes en avant de Court… [Courteçon, sur le front] Je t’avoue que pour le moment, je ne suis pas entièrement absorbé par mes préoccupations militaires. Ma permission, qui n’est pas très éloignée, occupe beaucoup plus mes pensées. Je suis quelque peu vexé car si nous étions restés un ou deux jours de plus au repos, je serais vraisemblablement parti dès maintenant. Enfin, patientons et espérons que janvier sera à peine commencé quand je vous arriverai. […]
Je voudrais que tu voies, ma chère grand’mère, les instruments de chauffage dont nous disposons. Tout est bon, un vieux bidon, une marmite, que l’on perce, une plaque de tôle quelconque. On ajuste tout cela avec des moyens de fortune et l’on obtient ainsi une salamandre du 20e siècle. Quelques boites de conserve (les fameuses boites de « singe » dont tu as certainement entendu parler placées les unes dans les autres constituent le plus hermétique des tuyaux. Inutile de te dire que de pareils appareils installés dans des étroits gourbis fument formidablement. Qu’importe ? Il fait diablement froid dehors et rien ne paraît meilleur entre deux heures de garde que d’aller tousser et cracher autour du « poêle ». Ah, tout cela ne vaut pas le bon feu du petit salon ! Puissé-je le retrouver bientôt. Cette nuit de Noël vous réunira peut-être au temple de Flaujagues ou de Pessac. Je ne serai malheureusement pas des vôtres puisque, sac au dos, nous gagnerons nos nouvelles positions, mais de cœur, je serai avec vous pour fêter le grand jour. Ton petit-fils qui vous aime. »
Le singe est le surnom donné s aux conserves de viande de bœuf en gelée contenues dans les rations lors de déplacements ou durant des engagements trop violents pour faire venir « la popote ».
Jean Broquisse avec son bataillon est en 2e ligne. La journée de Noël a été calme. On note d’ailleurs peu d’activité sur le secteur jusqu’à la fin de l’année. Avec les derniers jours de 1917, les échanges épistolaires sont nombreux et Jean Broquisse espère retrouver les siens lors d’une permission au début de l’année 1918.
Paul Broquisse, oncle de Jean, grand blessé en 1914, avec de graves séquelles physiques, est en convalescence à Sainte-Maxime, petite villégiature de la côte varoise. Il écrit à Adèle Broquisse qu’il reprend des forces « …au pays du soleil où la douceur de vivre est telle que l’on en oublie presque toutes les douleurs du moment… » Et adresse ses vœux les plus affectueux avec l’espoir de la fin de cette épouvantable guerre : « Puisse 1918 voir notre victoire et la paix ! Je crois que ce vœu est celui de toutes les familles françaises ».
En Méditerranée, le service de transport des soldats de l’Armée d’Orient reste toujours confronté à la menace des sous-marins ennemis, malgré la présence navale, en particulier des torpilleurs dont le Janissaire commandé par Pierre Farret.
Pour les transports de troupes, la traversée du canal d’Otrante, la porte de l’Adriatique, est le danger majeur en raison de la présence de sous-marins ennemis. Le 12 décembre, l’U-C 38 à l’affut entre Sainte-Maure et Céphalonie (au nord d’Ithaque), torpille sans succès les navires. À la tête d’un convoi, le croiseur rapide Châteaurenault de 8 200 tonnes, commandé par le capitaine de frégate Jeanson en est à sa trentième traversée Tarente-Itéa. Avec un équipage de 477 hommes, il transporte 984 officiers, sous-officiers et soldats de l’Armée d’Orient.
Le 14 décembre, l’U-C 38 lance une attaque contre le croiseur. Le bâtiment est touché par une torpille sur tribord arrière, tuant 11 hommes et détruisant ses chaufferies 3 et 4. Voyant le bâtiment sans propulsion s’enfoncer par l’arrière, le commandant décide de rappeler au poste d’évacuation. La plupart des hommes sont recueillis par les torpilleurs d’escorte : Lansquenet et Mameluck. Les 984 soldats ont pu être évacués. Alors que les chalutiers Verveine, Balsamine et Shamrock II rallient les lieux et se préparent à remorquer le croiseur, une nouvelle torpille le touche sur l’avant. Le navire s’enfonce (photo). L’équipe de manœuvre restée à bord a néanmoins pu être embarquée à bord de la Balsamine. Le Lansquenet et le Mameluck font route sur le point d’origine de la torpille et effectuent un grenadage, soutenus par un bombardement des hydravions S11 et S10 du centre d’aviation maritime de Platéali (Grèce). Forcé de remonter à la surface, l’UC-38 est coulé au canon et les survivants abandonnent le submersible.
Au bilan, 25 marins allemands sur 34 sont récupérés par les torpilleurs et les 984 soldats et 436 membres de l’équipage du Châteaurenault ont été évacués. (Cols Bleus N°3057, avril 2017 et Paul Chack). Quelques jours plus tard, le Lansquenet et le Mameluk seront cités à l’ordre du jour de l’Armée navale et Georges Leygues signera la promotion des deux commandants de torpilleurs vainqueurs de l’U-Boote.
Torpillage du croiseur Châteaurenault, BDIC
Sur le front des Balkans, Clemenceau avait toujours été hostile à cette expédition d’Orient. Quand la question du remplacement de Sarrail était venue devant le Conseil des ministres du jeudi 6 décembre, le problème du maintien du corps interallié fut donc de nouveau posé. Puisque les Anglais retiraient leurs divisions pour les affecter au front de Palestine, pourquoi rester ? « Salonique, dit Clemenceau, Salonique est sacrifiée. On ne peut rien y faire. Je ne suis pas d’avis d’y envoyer un de nos meilleurs généraux ». Ses objections furent levées par les interventions successives de Poincaré, de Leygues, et de Foch : « Le péril imminent, dit le général, c’est Salonique, et non pas ici ».
Les poilus d’Orient devraient donc se battre encore contre les Bulgares et le paludisme. Ainsi en avait décidé, au nom des intérêts français en Orient, et contre toute attente, le gouvernement du Tigre, alors qu’il n’avait jamais cessé de vilipender les « jardiniers de Salonique ». Pour Poincaré, la seule justification de la présence de l’armée française en Macédoine est d’occuper le terrain dans l’attente de l’écroulement de l’Empire austro-hongrois. (Pierre Miquel). Le général Sarrail est démis de ses fonctions et remplacé à la tête du corps expéditionnaire d’Orient par le général Guillaumat qui a participé aux batailles de la Marne, de Champagne, de Verdun et de la Somme.
Avec la défection des armées russes, la Roumanie ne peut continuer à s’opposer aux Allemands et aux Autrichiens et signe, la main forcée, un armistice le 9 décembre 1917 à la suite de la capitulation des 480 000 hommes de l’armée roumaine. Complètement isolée, la Roumanie sera occupée par les Empires centraux au printemps 1918. La paix avec les Russes concerne tout l’Orient. Avec la guerre qui se prolonge à l’ouest, deux enjeux majeurs se profilent pour les belligérants en 1918 : s’emparer du blé ukrainien et roumain et s’accaparer les ressources pétrolières de la Roumanie et de l’Ukraine qui a déclaré son indépendance vis-à-vis de la Russie.
Quelque part sur le front occidental, un instituteur écrit à sa famille le 28 décembre 1917 :
« Le jour de Noël, les Allemands nous ont fait signe et nous ont fait savoir qu’ils voulaient nous parler. C’est moi qui ne suis rendu à trois ou quatre mètres de leur tranchée. […] C’était le jour de Noël, jour de fête, et ils demandaient qu’on ne tire aucun coup de fusil pendant le jour et la nuit. Ils étaient fatigués de la guerre, disaient-ils, étaient mariés comme moi (ils avaient vu ma bague), n’en voulaient pas aux Français. Ils me passèrent un paquet de cigares et une boîte de cigarettes, je leur glissai Le Petit Parisien en échange d’un journal allemand et je rentrai dans la tranchée française où je fus dévalisé de mon tabac. Le lendemain, ils purent s’apercevoir que ce n’était plus Noël, l’artillerie leur envoya quelques obus bien sentis en plein dans leur tranchée. » (in Philippe Faverjon)
Hormis les chocs militaires, les deux grands évènements de 1917 ont été l’arrivée des Américains au côté de l’Entente et la dislocation de la Russie. Les Alliés misent sur les premiers pour triompher ; l’Allemagne espère ne plus se battre que sur un seul front, à l’ouest. Entre avril et décembre 1917, l’estimation des pertes sur le front occidental est la suivante : 480 000 (France) ; 818 000 (Allemagne) ; 749 000 (Grande-Bretagne).
Le 31 décembre, Henri Matisse rend visite à Cagnes-sur-Mer au dernier peintre impressionniste vivant avec Claude Monet : Pierre Auguste Renoir. Perclus de douleurs causées par sa polyarthrite rhumatoïde, éprouvé par la disparition de sa femme en 1915 et les graves blessures au front de ses deux fils Jean et Pierre, l’artiste âgé de 76 ans travaille néanmoins toujours avec ardeur. Il vient d’achever son ultime grand portrait Vollard en toréador, dont le modèle n’est autre que le marchand d’art Ambroise Vollard.
Auguste Renoir, Vollard en toréador, 1917
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