14-18Hebdo

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Journal de la Grande Guerre de quelques ancêtres des familles Farret, Cambon et Broquisse - 39 - Octobre 1917

Olivier Farret – 13-08-2018

 

En ce début d’automne, la guerre s’éternise sur tous les fronts. Les Allemands lancent de nouvelles attaques dans le secteur d’Ypres, de Reims, de Verdun ; les raids aériens sur l’Angleterre se poursuivent avec des dizaines de morts et de blessés ; l’aviation française conduit un important raid de bombardement sur Baden-Baden. Les Britanniques poursuivent leur offensive dans les Flandres. En Italie, l’arrivée de soldats et canons allemands sur le front austro-italien de l’Isonzo est confirmée. Sur le front oriental, les Allemands n’arrivent pas à percer le front russe dans le golfe de Riga…

 

Depuis son exil finlandais, Lénine adresse une lettre au parti bolchevik, exhortant le passage à l’action : « Les bolcheviks doivent prendre le pouvoir immédiatement. Ce faisant, ils sauvent la Révolution mondiale. Temporiser est un crime envers la Révolution, la vague d’anarchie actuelle peut devenir plus forte que nous. L’histoire ne nous pardonnera pas si nous ne prenons pas le pouvoir maintenant. » Échappant à la police de Kerenski, il rentre en secret à Petrograd.

 

Le 15 octobre, à Paris, après un procès sommaire ayant abouti à sa condamnation à mort, Mata Hari est fusillée au polygone de tir de Vincennes, après avoir refusé qu’on lui bande les yeux et envoyé des baisers aux douze soldats chargés de l’exécuter. Juste avant d’être tuée, elle sourit à sa sœur Léonide, agenouillée près d’elle, et s’écrie : « Quelle étrange coutume des Français que d’exécuter les gens à l’aube !» (J. Christophe Buisson).

 

Le troisième emprunt de la Défense nationale est lancé, rapportant 10,2 milliards de francs.

 

Dès l’automne 1914, les réserves de munitions et d’approvisionnement des armées belligérantes sont épuisées. Le passage de la guerre de mouvement à la guerre de position et l’occupation des régions capitales de l’industrie nationale amputent l’économie nationale de plusieurs milliards de francs. L’argent est le nerf de la guerre. Les prêts de la Banque de France ou des alliés britanniques, l’augmentation de la monnaie en circulation, ne suffisent pas. L’État lance ainsi quatre grands emprunts, chaque année, entre 1915 et 1918. Mais les Français sont durement mis à l’épreuve : les hommes en âge de travailler sont au front, les morts et les blessés se multiplient, les privations nuisent au moral de l’arrière. Comment, dans ces conditions, solliciter la solidarité nationale ? La stimulation du patriotisme en est le thème principal.

 

Les affiches de 1917 sont explicites. La première affiche « Pour le drapeau, pour la Victoire » avec La France à la tête des armées, évoque la levée en masse de Valmy en 1792. La deuxième affiche est plus intimiste et moins ouvertement guerrière avec le Poilu barbu médaillé déterminé et serein dans un cadre regardant le spectateur, la poupée alsacienne, jouet d’enfant et emblème de la France perdue et le couple mère-enfant vulnérable et protecteur avec le slogan patriotique « Pour que vos enfants ne connaissent plus les horreurs de la guerre ». La troisième affiche évoque déjà la Victoire avec la libération de Strasbourg du joug allemand.

 

Farret39 Image1 Tableau 3 emprunts.jpg

En France, la distribution de cartes de rationnement pour le pain et le sucre accentue le malaise dans la population. La carte de pain est valable pour une famille. Elle permet d’obtenir chez un même boulanger 500 grammes par jour pour les adultes, 300 pour les enfants au-dessous de six ans, 30 pour les enfants de moins de trois ans. Une portion de 200 grammes est accordée sur demande motivée et peut être encore augmentée de 200 grammes par jour pour toute personne exerçant une profession active. La consommation d’un jour ne peut être reportée sur un autre jour. Dans les hôtels et les restaurants, le pain doit être compté à part et n’être servi que par tranche au prix de 5 centimes chacune. (Philippe Faverjon)

 

 

Aux États-Unis, le lancement du deuxième « emprunt de la liberté », remporte un franc succès à la suite de l’exposition à New-York d’un sous-marin allemand capturé par les Anglais, rappelant les méfaits de la piraterie germanique sur les mers. Près de 5 milliards de dollars (25 milliards de francs) seront collectés.

 

 

Le 150e RI quitte ses cantonnements le 5 octobre et s’installe le 8 au camp de Bois l’Évêque au bord de la Moselle, à l’est de Toul. Par étapes successives, le 150e gagne la Forêt de Facq, à l’est de Pont-à-Mousson où il s’installe le 16 octobre. Durant plusieurs semaines, le secteur et les travaux s’effectuent normalement ; les patrouilles sont les seules activités aux portes de cette Lorraine dont chacun attend la libération. (Historique du 150e RI)

 

 

Le 173e RI d’André Farret quitte l’armée de Verdun le 1er octobre à laquelle il a eu l’honneur d’appartenir depuis le 19 mai 1916 et part pour la Lorraine. Le régiment à la Fourragère aux couleurs de la Croix de guerre, entre dans cette région, voisine de celle de Dieuze où, une première fois en 1914, il fut jeté dans la bataille et où il reçut le baptême du feu. (Historique du 173e RI). Rappelons que ce régiment est composé de soldats provenant de Corse, de Provence et du Languedoc.

 

 

La fourragère est une décoration récompensant une unité militaire, comme un régiment, un navire…, ou civile, comme certains corps de sapeurs-pompiers français, pour faits de guerre ou de bravoure exemplaires. Elle est portée par ses membres en uniforme exclusivement durant leur temps de service en son sein, le caractère collectif de son attribution fait qu’elle est rarement portée à titre individuel.

 

La fourragère tient son nom et son origine du milieu agricole vers la fin du XVIe siècle. Elle n’était alors qu’une simple corde à fourrage en chanvre appelée raquette et portée autour de l’épaule par les dragons autrichiens sans ferrets. C’est Napoléon Ier qui lui donna l’appellation de fourragère, en distinguant les hussards en jaune des artilleurs en rouge. Celle-ci fut supprimée à la fin de la guerre de 1870. La circulaire ministérielle française du 21 avril 1916, relative à la création d'insignes de distinction honorifique, entérina la fourragère telle que nous la connaissons. Le modèle français fut repris par de nombreux pays. Il s’agit d’une cordelette tressée qui se porte à l’épaule gauche de l’uniforme. L’une des extrémités de la tresse a la forme d’un trèfle et l’autre porte un ferret, c’est-à-dire une pièce métallique conique, selon un texte du 21 avril 1916, le ferret de la fourragère est en métal uni, il existe des ferrets ciselés de motifs aux armes ou emblèmes militaires. Au-dessus du ferret se trouvent un nœud à quatre tours et une cordelette. La fourragère peut être de différentes couleurs en fonction du nombre de citations. Il s'agit du nombre de fois où l’unité a été citée pour faits exceptionnels. La couleur varie en fonction de la distinction : rouge aux couleurs de la Légion d’honneur, verte pour la Croix de guerre, jaune rayée de vert pour la Médaille militaire… (wikipedia.org/Fourragère)

 

Farret39 Image2 Fourragère avec croix de guerre.jpg

Fourragère aux couleurs de la Croix de guerre 1914-1918

http://laretraitedejacky.com

 

 

Parmi les soldats du 173e RI, le jeune grenadier Dominique Mufraggi, 27 ans, Médaille militaire, Croix de guerre avec étoile de vermeil reçoit la citation suivante :

  

« Grenadier d’élite, a fait preuve au cours des attaques des 20, 21 et 23 août 1917, d’une intrépidité et d’une audace extraordinaire. Quoique brûlé par un projectile incendiaire, se précipite sur les derniers occupants de la tranchée, les tuant de sa main. Puis partit en patrouille en avant des lignes, et n’en revint qu’après avoir épuisé ses grenades, en ramenant une mitrailleuse. » Signé Pétain. (François Petreto, Jean-Claude Fieschi)

 

 

En ce début d’octobre, Jean Broquisse cantonne à proximité de Montmirail sous un beau soleil d’automne, lui permettant une journée de liberté pour visiter Château-Thierry qui « n’a rien d’affolant par lui-même, mais les goûts du militaire sont très simples, pourvu qu’il trouve des bains, quelques magasins où acheter les objets élémentaires qui lui manquent et un hôtel pour faire un petit extra, il se déclare pleinement satisfait. C’est d’ailleurs ce qui nous arriva.»

 

Il s’inquiète aussi de la vie de sa famille : « Où en êtes-vous de vos vendanges ? Bien souvent, je pense à vous et aux difficultés de mille sortes avec lesquelles vous êtes actuellement aux prises. Que fait le temps ? Est-ce bien vrai que la réquisition prendra cette année un tiers des récoltes. Mauvaise chose pour les propriétaires s’il en est ainsi… » Lettre à sa mère du 3 octobre 1917.

 

 

L’armée montre à tous (ceux de l’arrière, parmi lesquels des futurs combattants et les familles de ceux qui sont au front) qu’elle s’occupe bien des soldats qui défendent la France en veillant à les fournir en vin. Les viticulteurs doivent participer à l’effort de guerre, en acceptant la réquisition ou des prix bas. Le vin, produit, vendangé avec sueur, art et amour à l’arrière, allège les souffrances sur le front.

 

Solidarité nationale, ici encore qui réunit de manière égalitaire les gradés et les simples soldats, l’arrière et le front, les départements reconquis et les autres régions de France. (Alban SUMPF). Pour le ravitaillement de l’armée, une commission de réception des bovins, de réception des blés et farines, de pommes de terre et de vins et alcools fonctionnent depuis 1915.

 

 

Les échanges épistolaires évoquent à nouveau les difficultés du quotidien, avec la pénurie de pétrole qui est annoncée. La grand-mère de Jean Broquisse, Alice Roudier écrit :

 

« Aynard, [Aynard Colin, sous-préfet de l’Aveyron et oncle de Jean Broquisse] dit que le pétrole va devenir très rare et va probablement manquer. Car comment le remplacer dans nos campagnes où il n’y a pas d’électricité ; ce ne sera pas gai si cet hiver il faut se passer de lumière dès quatre heures et demi. Dès à présent il faut l’économiser le plus possible en ne veillant pas trop tard et en se servant de lampes à petits becs. »

 

Plus loin, dans une lettre du 9 octobre : « Aynard est bien embarrassé pour nourrir tous ces internés allemands. Ils sont déjà à la portion congrue, une livre de pain par jour et deux fois par semaine de la viande. Cet hiver, il est à craindre de véritables souffrances. Aynard va faire l’essai de pain avec de la pomme de terre… »

 

Sur environ 530 000 Allemands capturés par l’armée française au cours de la guerre, 421 655 seront encore prisonniers à la date de l’armistice du 11 novembre 1918, après décès, rapatriements de malades et invalides, libérations à la suite d’échanges depuis le début de la guerre. Les Allemands constituent la grande majorité des prisonniers de guerre en France, l'armée d'Autriche-Hongrie ayant été très peu engagée sur le front ouest et représentent près de la moitié des 993 109 prisonniers de guerre allemands détenus par les Alliés. À l’automne 1918, 535 000 Français seront retenus prisonniers dans le Reich.

 

Par entente avec la Russie, les Alsaciens-Mosellans et les Polonais capturés sur le front de l’Est sont transférés en France où ils bénéficient de conditions privilégiées. La nationalité française est accordée aux Alsaciens et Lorrains acceptant de s’engager dans l’armée française. 17 650 acceptent et sont engagés dans le front d'Orient ou dans la marine pour leur éviter d'être repris par les Allemands. Les autres sont mis au travail. 1 500 prisonniers tchèques et slovaques de l'armée austro-hongroise s'enrôlent dans la nouvelle armée tchécoslovaque constituée à la fin de la guerre.

 

Environ 50 000 civils, principalement ressortissants allemands, austro-hongrois, présents en France au début du conflit, fonctionnaires allemands d’Alsace-Lorraine capturés lors de l’entrée de l’armée française sur une partie du territoire de l'Alsace en 1914, sont internés. Un service des internés administratifs est créé dès août 1914. Progressivement, les femmes avec enfants et les internés de plus de 50 ans seront libérés. À la fin de la guerre, le nombre d'internés sera réduit à 15 000 dont 6 000 Allemands.

 

Dès avant la Conventions de la Haye, la réglementation applicable aux prisonniers capturés par l’armée française était fixée par une instruction du 21 mars 1893 relativement libérale. Cette instruction prévoyait la résidence sur parole des officiers. Cette disposition ne fut appliquée qu’au début de la guerre. Par la suite, les officiers, exemptés de travail conformément aux Convention de La Haye, sont enfermés dans des camps qui leur sont réservés. Comme dans les principales autres puissances belligérantes, la plus grande partie des prisonniers est mise au travail, autorisé par les Conventions de la Haye et également prévu par l’instruction de 1893 au profit de l’État, des collectivités, des entrepreneurs et des particuliers. Les prisonniers ont été mis à la disposition d’employeurs tenus par un cahier des charges détaillé par lequel ils s’engageaient à fournir la nourriture, savon, chauffage, l’outillage nécessaire et au paiement minimum de 15 centimes par jour à chaque prisonnier augmenté de primes de rendement. En situation de pénurie de main d’œuvre, une partie des demandes des employeurs n’a pu être satisfaite.

 

En France, les prisonniers sont répartis dans 500 sites de détention très variés, tels qu’anciens couvents, casernes désaffectées. Certains centres étaient importants comme celui de l’Île-Longue dans la rade de Brest, clôturé de barbelés, hébergeant 5 000 internés civils. Le niveau de confort de ces sites est très variable, celui de l’Île longue, relativement salubre, à l'autre extrême, des bateaux-pontons délabrés très inconfortables, où sont logés des travailleurs employés au percement du tunnel-canal maritime du Rove percé sous la chaîne de l’Estaque, faisant communiquer le nord de la rade de Marseille avec l’étang de Berre. 5 056 sont envoyés au Maroc pour des travaux publics et 4 685 en Algérie et Tunisie certains employés comme ouvriers agricoles remplaçant les indigènes mobilisés. À la suite de protestations du gouvernement allemand, motivées par les difficultés climatiques, les maladies et la torture, ces prisonniers seront rapatriés en France. Les prisonniers étaient autorisés à envoyer 4 cartes et 2 lettres par mois et des rations de 600 grammes de pain par jour fin 1917, époque où elles étaient de 250 grammes pour les prisonniers français en Allemagne, suite au Blocus de l'Allemagne.

 

Fin 1917, 48 000 sont employés dans l’agriculture, 36 000 dans les industries d’armements, 40 000 dans le transport (manutentions portuaires), 42 000 dans les mines et les travaux publics. À l’armistice, 400 000 seront au travail dont 10% dans l’industrie d’armement ce qui était interdit par les Conventions de La Haye. Des secteurs variés de l’économie sont concernés. Des prisonniers sont employés au déchargement dans les ports, à l’assainissement du marais de la Salièvre dans le département du Puy-de-Dôme, au percement du tunnel du Rove (cf. supra), à la construction du stade de Lyon (stade Gerland) de l’hôpital de Lyon (actuel hôpital Herriot), à des travaux forestiers. La construction de voies ferrées, travail qui s’est révélé très peu utile, puisque 3 lignes Chorges-Barcelonnette, La Mure-Gap, Albi-Saint-Affrique, ne seront finalement pas exploitées et une quatrième, celle de Carmaux-Vindrac, dont l’ouverture sera différée au 31 mai 1937 et fermée le 1er juillet 1939. (wikipedia.org et François Cochet et Rémy Porte)

 

Entre 22 105 et 25 229 prisonniers allemands sont morts en France au cours de la guerre.

 

 

À la mi-octobre, Jean Broquisse regagne les premières lignes :

  

« Le repos est terminé et hier nous avons repris le sac pour déambuler par étapes jusque… ? Je t’écris d’un grenier du presbytère du patelin qui est représenté sur la carte (Fismes). J’ai dormi au milieu des brancards et draps mortuaires appartenant à l’établissement. Mais comme j’étais assez fatigué, mon sommeil n’en fut pas pour cela agité. »

 

Le 18 octobre, le 319e, commandé par le lieutenant-colonel Vincent, relève le 344e et prend position dans la zone des Grelines, au sud-est de Braye-en-Laonnois au Chemin des Dames.

 

Sur le versant ouest du Chemin des Dames, le général Pétain déclenche le 24 octobre une offensive limitée sur le fort de la Malmaison, situé à l’ouest avec l’emploi en grand nombre d’avions et de chars, une intense préparation d’artillerie, et surtout, avec le souci des hommes, l’arrêt des opérations une fois le résultat atteint. Les Allemands perdent 50 000 hommes dont 15 000 prisonniers, 200 canons et 720 mitrailleuses alors que les pertes françaises font état de 2 241 tués. Les soldats et l’Arrière connaissent de nouveau l’ivresse de la victoire. La méthode Pétain à la Malmaison, couronnée de succès, donne un regain de confiance dans la troupe ébranlée par l’échec sanglant d’avril 1917.

 

À l’est, les Français vont repousser les Allemands au nord de la vallée de l’Ailette, petit affluent de l’Aisne sur le versant nord du Chemin des Dames. Le 319e est chargé d’investir le secteur de Courteçon, le bataillon de Jean Broquisse monte en première ligne. D’âpres combats s’y déroulent afin de garder les passages sur le cours d’eau.

 

À la suite des violents affrontements, le régiment aura à déplorer pour les bataillons engagés 4 tués, 33 blessés et 4 disparus (JMO du 319e RI). Le 25 octobre marque le début du mouvement de repli de l’armée allemande.

 

Jean Broquisse relate les évènements dans une lettre adressée à sa mère :

 

« Je parie que vous avez tressailli en lisant le communiqué d’hier. Rassurez-vous tout de suite, je n’étais pas dans cette fournaise et le régiment n’a reçu que des éclaboussures. Mais quelle pétarade ! C’était effrayant depuis trois ou quatre jours. La nuit qui a précédé l’attaque, le ciel tout entier semblait en feu. Ah ! Ils ne devaient pas en mener large, les Boches, blottis dans leurs gourbis, en admettant qu’il leur en restât quelques-uns. Le succès que nous avons remporté est absolument splendide, si l’on considère les positions qui devaient être prises, le temps déplorable qu’il faisait et l’état du terrain. Oui, quel terrain ! Je voudrais que tous ces braves civils puissent assister à une relève du secteur autre part qu’au cinéma. Ils goûteraient vraiment les douceurs de vivre à l’arrière.

 

Aujourd’hui, ce n’est pas des péniches que je t’écris. Après avoir eu le plaisir d’une nouvelle visite d’Elie, nous avons repris hier le vieux sac des familles et dans la nuit, avons relevé un de nos bataillons qui était en ligne. C’est donc d’un immense gourbi que je t’écris, au milieu d’hommes passablement éreintés, couchés pêle-mêle. Dehors, il fait froid. Ici, l’atmosphère jamais renouvelée, enfumée, n’a rien de très respirable, mais qu’importe ! »

 

Et à ses sœurs : « Je vous écris d’un vulgaire trou qui constitue toute ma demeure présente et que je partage avec un brave poilu de mon escouade. Nous avons d’ailleurs un service formidable à fournir et les heures de repos sont passablement rares. Sale coin, en vérité, que celui-là. Jamais, je crois, je ne m’étais mis dans un pareil état de saleté. Consolation bien égoïste, sur notre gauche, le secteur est paraît-il encore plus mauvais. […] Ne vous inquiétez pas sur mon sort, car j’ai l’intention de tenir bon encore. Le frère qui dans sa solitude songe souvent à tous ses êtres chers. » Jean. 

 

Le J.M.O relate l’avancée des régiments français, face à une artillerie au tir très nourri. Le 27 octobre, une attaque des compagnies du régiment inflige à l’ennemi des pertes sévères ; les Français se heurtent aux Allemands massés en 3e ligne. Nos pertes sont sensibles avec 21 tués, 52 blessés et 44 disparus. Le 28 octobre, les 4e et 6e bataillons reçoivent des félicitations du général commandant la 53e DI. Le JMO retranscrit les félicitations du Général Guillemin, commandant la 53e DI qui résument la violence des combats auxquels a participé le régiment de Jean Broquisse :

 

« J’ai reçu les rapports détaillés de l’opération du 27 octobre 1917 exécutée par le 319e RI. Le coup de main a dû être exécuté pour des raisons d’ordre supérieur dans un délai excessivement court. Je dois saluer la rapidité avec laquelle les dispositions ont été prises à tous les échelons du commandement. Quant à la troupe : Infanterie, Artillerie, Génie, tout le monde a fait preuve d’un cran admirable malgré les difficultés matérielles rencontrées sur le chemin par suite d’une préparation forcément très hâtive de l’artillerie, malgré surtout la résistance vigoureuse de l’ennemi et les contre-attaques supportées ; chacun a poussé de l’avant avec le plus grand courage. Le Commandement a été ainsi pleinement renseigné sur l’attitude qu’entendait garder l’ennemi sur cette partie du front.

 

Je félicite hautement tous les exécutants et j’appuie vivement les propositions de récompenses qui sont toutes motivées par des actes de courage individuel. Je vous prie de transmettre ce qui précède aux officiers et aux hommes de troupes qui auront pris part à cette opération. »

 

Le 31 octobre 1917, Jean Broquisse écrit à sa mère :

 

« […] Peu de nouveau dans ma situation assez boueuse. C’est le royaume de la mouscaille. Il est vraiment peu carrossable ce chemin. Nous attendons tous la relève qui nous sortira pour un temps de ce coin peu civilisé. Mais nous en avons vraisemblablement pour quelques jours encore. La patience est une des grandes qualités du poilu. […] Ton fils est encore dans une situation peu confortable. Il est entassé avec tout un peloton dans un abri boche que nous occupons depuis hier soir. Comme le succès de nos armes est assuré, tout est donc pour le mieux. »

 

 

Pierre Farret est à Toulon, commandant le torpilleur Janissaire, 3e escadrille de la IIe flottille de l’Armée Navale.

 

Lors de l’automne 1917, le fait essentiel tant sur l’océan Atlantique qu’en Méditerranée est la diminution très nette de l’action funeste des U-boote. La mesure prise par le Commandement supérieur des patrouilles est l’abandon de la surveillance des routes maritimes au profit de la protection des bateaux :

 

« Il faut avant tout réduire les chances d’attaque et pour cela grouper les bâtiments en gros convois. Il devient dès lors possible de les escorter ce qui supprime toute attaque au canon et, si l’escorte est nombreuse, réduit le nombre d’attaque à la torpille. Enfin, en cas d’attaques l’offensive tactique contre le sous-marin peut-être entreprise avec succès ». (Lieutenant de vaisseau Schwerer).

 

« La deuxième mesure importante est l’interdiction, plus difficile à appliquer, de la navigation de bâtiments isolés ; une dernière mesure exigeait les heures de départ et d’arrivée dans les ports français soient toujours situées en plein jour… Hélas, au cours des « nuits des 14 et 15 octobre 1917, trois navires sont coulés dans les convois Brest Cherbourg sans que les escorteurs les aperçoivent !»

 

La substitution des convois aux « patrouillages » portera rapidement ses fruits puisque, dès le mois d’octobre 1917, les pertes ne sont plus que de 455 096 tonneaux. (Paul Chack, Jean-Jacques Antier)

 

La flottille de torpilleurs basée à Toulon est absorbée par la protection des convois et la chasse aux sous-marins, comme les flottilles de Bizerte et de Corfou. Ainsi ces bâtiments ne sont pas disponibles pour les flottes de combat comme le fait observer le Commandant en chef de l’Armée navale. Un programme de construction au Japon de douze torpilleurs permet d’améliorer un peu cette situation, avec livraison des unités entre octobre 1917 et janvier 1918.

 

Face à l’échec de la guerre sous-marine, les réactions de certains marins allemands sont d’une violence inhumaine. Tel commandant d’un U-boot (U-66), ayant coulé le cargo Mauriston, regardait au périscope les 29 hommes d’équipage qui surnageaient, puis se noyaient. Le sinistre Wagenführ, commandant l’U-44, après avoir coulé le Belgian Prince, embarqua son équipage sur le pont du submersible, dépouilla les marins de leurs biens et de leur gilet de sauvetage et plongea en gardant seulement à l’intérieur le capitaine. À la haine des uns répondait celle des autres. Le 2 septembre au Cap Nord, l’U-28 fut désemparé par l’explosion du transport de munitions Olive Branch, qu’il venait de couler au canon. (Un camion de quatre tonnes, projeté en l’air, écrasa littéralement le sous-marin) Les Allemands se retrouvèrent à la mer sans canot et supplièrent en vain les Anglais, dont l’embarcation était très chargée, de les prendre. Tous les sous-mariniers périront. La haine est une maladie contagieuse. Cependant, de part et d’autre, des hommes d’élite continuent à maintenir intacte la grande tradition maritime de secourir l’homme à la mer. Malgré le péril, de nombreux commandants d’U-boote remorquent ou recueillent les naufragés et alertent par radio la côte britannique. (Paul Chack)

 

En ce mois d’octobre, on enregistre les premières rebellions dans les équipages de la Flotte de haute mer allemande, avec des officiers jetés à la mer et la constitution de soviets d’inspiration russe. Dans l’arme sous-marine, quelques cas de folies survenus à bord de U-boote avariés qui se rendaient, geste impensable en 1914.

 

 

Sur le front de l’Armée d’Orient, c’est l’inaction au grand dam de Clemenceau. Le général Sarrail assure la relève des unités fatiguées, devant garantir la sécurité de son armée en Grèce et faire face au retrait, sur la Struma, de la 60e division britannique expédiée en Palestine. Les seuls renforts utiles à une offensive sont les pièces lourdes expédiées de France et les avions modernes, plus de 260 appareils sillonnant le ciel de Salonique. Faute de parvenir à percer dans la direction de Vienne, les Alliés organisent des opérations en fonction de leurs intérêts nationaux afin de prendre position en vue du partage des Empires ottoman et autrichien. Ce qu’on vient de refuser aux Italiens (la maîtrise de l’Albanie) peut-il l’être aux Britanniques ? Nul n’ignore à Paris et à Rome que ces derniers convoitent la domination de l’Orient arabe, de l’Égypte à l’Iran, et bientôt du Caucase musulman. (Pierre Miquel).

 

 

La dernière semaine d’octobre aurait pu faire basculer l’issue de la guerre. Dans la nuit du 24 octobre, sur le front de l’Isonzo, en Italie, après un gigantesque barrage d’artillerie, les troupes austro-hongroises, appuyées par neuf divisions allemandes (parmi lesquelles le capitaine Rommel) enfoncent les défenses de l’armée italienne commandée par le général Luigi Cadorna, rompant le front à Tolmino et surtout Caporetto (village slovène conquis en 1915 par les Italiens).

 

Écrasée par la puissance numérique ennemie (15 divisions), dépassée par sa nouvelle tactique (barrage roulant d’artillerie, obus chimiques, progression de sections d’assaut à la grenade et au lance-flammes), la 2e armée italienne recule dans le plus grand désordre. Des divisions complètes, avec leur artillerie et tout le train d’équipement tombent aux mains de l’ennemi. Le général Cadorna évoquera la déroute en ces termes : « ça n’a pas été une bataille, cela a été une grève militaire. L’armée a été vaincue non par l’ennemi extérieur mais par l’ennemi intérieur. »

 

La bataille de Caporetto dure une dizaine de jours et tourne au désastre pour l’Italie : le front est enfoncé de 140 km en direction de Venise, près de 40 000 soldats sont tués, 350 000 autres faits prisonniers, tandis que 3 000 canons ont été abandonnés à l’ennemi ; 400 000 soldats sont déclarés déserteurs et il faudra le renfort de sept divisions alliées (françaises et britanniques) pour stabiliser une ligne de front sur la Piave.

 

La guerre prend pour l’Italie un sens patriotique et défensif aux yeux du peuple italien. Il faudra attendre octobre 1918 pour que ce nouvel élan trouve à s’incarner victorieusement sur le terrain.

 

Farret39 Image3 Bataille de Caporetto.jpg

Bataille de Caporetto 24 octobre – 12 novembre 1917,

www.bergamonews.it

 

 

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Retraite de l’armée italienne, www.lindro.it

 

 

Un témoin de la débâcle de Caporetto raconte :

 

« Il n’y a plus qu’un chaotique flot d’hommes, de voitures, de canons, le long des routes inondées de boue. Avec les régiments qui se retirent en ordre, silencieux, lourds d’amertume et d’humiliation, font un triste contraste les bandes en déroute qui ont perdu toute discipline et qui chantent la paix en criant à la trahison. À la vision lamentable de l’armée qui s’effondre s’ajoute le spectacle poignant des populations qui fuient devant l’envahisseur […] La plaine du Frioul rougeoie d’incendies, retentit du tonnerre des mines : les ponts, les dépôts, les magasins, les poudrières, tout est livré aux flammes ». (in Philippe Faverjon)

 

Les jours ayant suivi la déroute de Caporetto, serviront de cadre aux œuvres de romanciers américains, Ernest Hemingway et John Dos Passos, tous deux engagés au sein de la Croix-Rouge en Italie. (J. Christophe Buisson).

 

La déroute de l’armée italienne de Caporetto conduit le roi Victor-Emmanuel III à nommer Victor Orlando, 57 ans, comme Premier ministre. Le mot d’ordre du nouveau chef du gouvernement : « Résister, résister, résister ! »

 

 

Le contingent américain engagé sur le sol français atteint le chiffre de 41 700 soldats…

 

Sources

Alban SUMPF, « Le vin et l'armée », http://www.histoire-image.org/fr/etudes/vin-armee.



07/09/2018
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