14-18Hebdo

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Henry Novel – Lettres à ses parents (1914-1918) – 5- Juillet 1917

 

Henry Novel, 17 ans en 1914, est mobilisé en 1916 à Chambéry puis rejoint le front en 1917. Futur étudiant en médecine il est affecté à des services d’ambulance. Il correspond régulièrement avec ses parents qui habitent Grenoble où son père exerce la profession d’avoué.

Document transmis par Michel Novel, son fils - 19/10/2015

 

Ce 13 Mont-Notre-Dame (tampon de la poste 7 1917) (13/07/1917)

Mes chers Parents,

 

Arrivé ici hier soir j'ai passé la nuit ici, mais réellement il n'y a plus moyen de vivre tranquille. Cette nuit les boches ont envoyé sur l’H.O.E. 5 bombes d'aéros ; 4 baraques ont été aplaties, il y a quatre morts et une douzaine de blessés. La baraque voisine de celle où je couchais a été démolie et je me suis réveillé sous une avalanche de planches, sacs, casques, etc. Il parait que ces oiseaux là s'amusent à cette plaisanterie toutes les nuits !!! Je pars ce matin pour Vasseny[1] mais je crois ne pas y rester longtemps, toutes les équipes filent à Dunkerque et Verdun. Je vous tiendrai au courant. Je vous embrasse tous.

 

Ce 15 juillet 1917 (tampon de la poste pour l'année)

Mes chers Parents,

 

Je suis arrivé à Vasseny depuis avant-hier soir après un séjour très mouvementé à Mont-Notre-Dame. J'ai trouvé ici un colis (le précédent ayant été absorbé à Mont-Notre-Dame par un de mes camarades) et une lettre de Papa contenant de l'argent. Je vous remercie de ces deux choses qui me seront très utiles car on a l'air d'être encore plus mal nourri ici qu'à Mont-Notre-Dame. L'H.O.E., encore en construction, est une véritable merveille comme installation mais quand fonctionnera-t-il ? A présent je crois que le plus clair de mon travail va consister à faire de petites promenades aux environs avec mon digne patron le docteur Calvet. Je suis allé hier voir les tranchées de départ de "l'offensive joyeuse" car nous sommes à peu prés au niveau de l'ancienne première ligne du début d'avril. Nous sommes en effet beaucoup plus près que l'H.O.E. 32, mais je crois qu'en somme ce n'est pas plus dangereux car ils ont l'air d'avoir la dent sur Mont-Notre-Dame, probablement à cause de la gare et du ravitaillement. Le seul inconvénient est la présence d'un dépôt de munitions qui cependant est assez loin pour que les boches ne puissent pas se permettre de nous tirer dessus par erreur.

 

Il est fortement question !!!!!!! de notre nomination, la direction de l'armée ayant demandé de ramener à trois mois notre stage du front. J'attends là dessus des tuyaux de Mont-Notre-Dame mais je ne crois pas néanmoins que nous soyons nommés avant octobre.

 

Il part en ce moment pas mal d'équipes chirurgicales du côté de Dunkerque et de Verdun mais le patron étant ici comme chirurgien-chef je ne crois pas que l'on nous déplace de sitôt. En tous cas s'il était question de départ je vous préviendrais tout de suite et vous n'auriez qu'à m'écrire par le B.C.M. avec le N de l'équipe que je vous donnerai dans ma prochaine lettre car pour l'instant je l'ai oublié.

 

Je ne me souviens si je vous ai dit dans ma lettre de Mont-Notre-Dame que ce n'était pas mon camarade qui avait été tué, c'est son frère qui était médecin auxiliaire qui est mort à Verdun d'un éclat d'obus dans la tête. Les boches ont encore eu la politesse de respecter mon ancienne baraque.

 

Je termine ma lettre, pour ne pas manquer le courrier, en vous embrassant tous bien affectueusement.

 

9e section - H.O.E. 18 - S.P.181

 

Ce 25 juillet 1917 (tampon de la poste pour l'année)

Mes chers Parents,

 

Vous verrez sans doute sur le communiqué d'aujourd'hui qu'un avion boche a été descendu par le tir de nos canons spéciaux dans la région de Vailly. Figurez vous que je me trouvais à côté des pièces qui l'ont abattu, c'est la 120e section de 75 contre avions. L'obus, par un véritable coup de hasard, a tapé en plein dans un des trois appareils qui survolaient, l'avion s'est enflammé et est tombé presqu'à pic en laissant une longue tramée de fumée derrière lui. Les aviateurs qui le montaient étaient trois, deux sont tombés sans qu'on ait pu retrouver leur corps jusqu'à présent. Le troisième était à côté de l'appareil tout carbonisé. Je suis allé le voir ici, il se trouve à deux kilomètres des lignes et il n'en reste qu'un tas de ferraille. C'était le premier appareil que je voyais tomber de si près et c'est réellement impressionnant.

 

Cette petite chute a occupé notre après-midi d'hier car j'ai couru toute la soirée pour retrouver les débris de l'appareil. Aujourd'hui malheureusement nous n'avons pas la même distraction et il va encore falloir tuer la journée, Dieu sait comment ! Heureusement que l'on doit fonctionner le 1er août.

 

J'ai reçu hier une carte de Maman qui me dit qu'Odette a envoyé un paquet de cigarettes à mon ancienne adresse. J'espère qu'il arrivera mais je n'ai encore rien reçu depuis mon arrivée, cela m'étonne car il y a déjà quelques jours qu'une lettre de Maman m'annonçait un colis.

 

J'ai appris sans trop d'étonnement, que le régime de la Villette n'avait pas eu de grands résultats sur Jacques ; d'après ce que Maman me dit, il a l'air tout à fait parti pour faire plaisir à sa famille !

 

En terminant cette lettre je demanderai à Maman de m'envoyer la chemise bleue que j'ai laissée à Grenoble et une paire de chaussettes. A propos de linge ici, j'ai l'immense bonheur d'être débarrassé de l'invasion de poux. Cela tient sans doute à ce qu'il n'y a pas encore eu de blessés.

 

Je termine ma lettre car le patron vient de me demander de lui dessiner un plan d'installation d'eau stérilisée et de chauffage central pour le pavillon opératoire. J'aurai toujours la ressource de m'installer fumiste après la guerre.

 

Je vous embrasse tous bien affectueusement.

 

Ce 27 juillet 1917 (tampon de la poste pour l'année)

Mes chers Parents,

 

Mes occupations n'ont toujours pas changé et je ne crois pas qu'il en soit autrement avant le cinq août au moins car l'ambulance sera difficilement finie avant cette date. Depuis hier le canon tape presque sans arrêt, et sur la route c'est un défilé continuel de troupes qui montent : chasseurs, tirailleurs sénégalais, batteries de 75 et canons de tranchées. On s'attend à une attaque pour un de ces jours. Qu'est-ce que cela va donner et surtout qu'est ce que cela va coûter ? Ce qu'il y a de certain c’est que l’H.O.E. ne commencera à servir qu'une fois que ce sera fini !! C'aurait été vraiment étonnant qu’il en soit autrement. Du reste je crois que cette attaque sera locale et loin d'avoir l'importance de la trop fameuse offensive de 16.

 

Et à Murianette quoi de neuf ? Si vous avez la même chaleur que celle que nous subissons ici, toutes vos après midi doivent se passer sous les platanes. Ici heureusement il fait moins chaud qu'à Mont-Notre-Dame, et pendant l'après midi on a la ressource d'aller à 1 km se coucher sous les ombrages de ce qui fût le château de Convielles. Je commence du reste à connaître la région comme ma poche, c'est dommage car, lorsqu'il ne me restera même plus la ressource de me promener, la vie ici n'aura plus rien de bien gai.

 

J'ai appris que Georges était aux environs de Paris dans une petite villa de banlieue ! Je vois qu'on le soigne mais j'espère que ce n'est pas en vue d'offensives futures qu'on leur offre le repos loin des lignes si demandé par les hommes.

 

Je viens de recevoir à l'instant le paquet de cigarettes envoyé par Odette retour de Mont-Notre-Dame. Je crois qu'il faut donc considérer comme perdu celui que Maman m'avait annoncé avant, il y a une bonne dizaine de jours.

 

Je termine vite car j'ai une occasion, une auto qui file à Mont-Notre-Dame et j'en profite pour aller rendre visite à mes camarades.

 

Je vous embrasse tous bien affectueusement.

 

Ce 29 juillet 1917 (tampon de la poste pour l'année)

Mes chers Parents,

 

Toujours sans travail ! J'ai peur de me voir condamné à une inaction perpétuelle, de plus il fait une chaleur abrutissante au point qu'il fait même trop chaud pour dormir ! La nuit au contraire il fait très frais et c'est probablement à ça que je dois le bon mal de gorge que j'ai en ce moment. J'ai reçu hier, en même temps qu'une lettre de Maman qui m'expliquait la cause de son retard le paquet de bonbons que je croyais perdu. Je vous en remercie et les bonbons à la menthe qu'il contient sont vraiment très appréciables avec cette température exceptionnelle.

 

Dans ma dernière lettre je vous parlais d'une offensive probable dans la région ; je ne sais si elle se fera car les gros mouvements de troupe qui se faisaient depuis quatre ou cinq jours ont l'air de cesser et d'un autre côté la canonnade n'est qu'intermittente et sans grande violence.

 

Je m'étonne que les boches ne bombardent pas davantage la région où nous sommes et qui est bien à leur portée. C'est tout au plus si tous les trois ou quatre jours on entend siffler une demi-douzaine de grosses marmites qui s'en vont tomber du côté de Ciry-Cermoise, à 1000 ou 1500 mètres, à la recherche du dépôt de munitions. Ce serait parfait sans les avions et surtout les tirs contre avions la nuit, heureusement que toutes ces histoires-là font plus de bruit que de mal ! Ils n'ont du reste nullement l'intention d'atteindre l'ambulance et sont beaucoup moins dangereux que nos artilleurs qui nous balancent des séries de culots d'obus sans aucun respect de notre neutralité.

 

Je termine ma carte car c'est l'heure de l'éternel "bœuf et patates" en vous embrassant tous bien affectueusement.

 

Ce 31 juillet (1917 ?)

Mes chers Parents,

 

Il y a du neuf aujourd'hui : cette nuit on vient me réveiller à 2 heures du matin. C'était le patron qui venait me chercher « Dépêchez vous à vous préparer on file à Mont-Notre-Dame ». Je m'attendais un peu à cette histoire là car depuis hier soir c'était de tous les côtés un grondement incessant d'artillerie. Néanmoins un quart d'heure après, le contrordre est arrivé : on va, parait-il, essayer de travailler ici, c'est de la folie dans des baraques en construction et presque sans matériel. Le patron est furieux et il est en train de rouspéter pour que l'on aille à Mont-Notre-Dame. Il est huit heures du matin et j'attendais pour fermer ma lettre que j'ai la solution finale. Et tout cela parce que le médecin-chef, cet espèce de crétin, veut fonctionner pour son propre compte et pense qu'on lui donnera un bout de galon quelconque pour avoir été prêt (?) en 24 heures ! Quand on pense que tout cela se passe sur le dos des blessés, on est forcé de trouver qu'il y a des obus qui manquent vraiment de belles occasions. Enfin mon sac est prêt et j'attends. Il n'est pas douteux que pendant ce temps on manque de chirurgiens à l'H.O.E. 32 et que, lorsque ces messieurs auront fini par s'entendre, on n'aura plus besoin d'eux !

 

L'attaque a dû être déclenchée ce matin, pour prendre dit-on la Malmaison, actuellement le vacarme a tout à fait cessé et l'on entend plus aucun coup de canon. Je pense que l'on saura ce soir ou demain la tournure que prend cette affaire.

 

Si dans un post-scriptum je vous mets que je pars écrivez-moi à Mont-Notre-Dame avec l'ancienne adresse car je ne sais pas combien de temps nous allons y rester. Peut-être deux jours, peut-être quinze, je n'en sais rien. Enfin on va travailler ! Il n'y a vraiment rien de tel que l'inaction forcée et complète pour vous donner envie de travailler.

 

Je vous embrasse tous bien affectueusement.

 

P.S. Finalement on ne part pas à moins de contre contrordre encore possible. On va fonctionner ici. Ça va être du propre !!!!

A suivre…



[1] Vasseny dans l’Aisne

 



 



22/01/2016
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