Henry Novel – Lettres à ses parents (1914-1918) – 14- Mai 1918
Henry Novel, 17 ans en 1914, est mobilisé en 1916 à Chambéry puis rejoint le front en 1917. Futur étudiant en médecine il est affecté à des services d’ambulance. Il correspond régulièrement avec ses parents qui habitent Grenoble où son père exerce la profession d’avoué.
Document transmis par Michel Novel, son fils - 19/10/2015
Georges et Henry Novel
Ce 4 mai (04/05/1918 ?)
Mes chers Parents,
Excusez-moi si je vous ai laissés quelques jours sans nouvelles mais depuis trois jours je n'arrête pas, pour comble de bonheur nous avons relevé quand même hier soir. Mon nouvel aide-major a l'air très chic mais c'est dommage qu'il soit tombé ici en ce moment car il n'est pas au courant et c'est moi qui hérite de tout le travail, et il y en a. J'espère néanmoins que cette épidémie bizarre va se terminer et que d'ici quelques jours j'aurai le temps de répondre à la longue lettre d'Odette reçue il y a quelques jours.
Je vous embrasse tous.
Ce dimanche 6 h. matin (05/05/1918 ?)
Je vous envoie ce mot rapide avant de boucler mon sac car nous partons dans une heure. Vous avez su que cela chauffe sérieusement chez les Anglais et la violente (?) commande dont je vous parlais dans ma dernière lettre n'était en somme que pour faire diversion. Toujours assez calme dans ce coin ci et je crois que nous allons passer une quinzaine assez tranquille car nous partons pour quinze jours.
Je termine vite car je n'ai que le temps de finir mes préparatifs avant l'heure du départ.
A bientôt de vos nouvelles, je vous embrasse tous.
Ce 7 mai (07/05/1918 ?)
Mes chers Parents,
Me revoilà depuis deux jours en ligne ou plus exactement en 2e ligne. Nous allons relever dans quelques jours en 1re ligne. Le boche est assez nerveux, nous aussi. On semble craindre que, son offensive de l'Aisne arrêtée, il ne se retourne brusquement sur un autre front. La rive droite a toujours été assez agitée... le sera-t-elle un peu plus encore dans quelques jours ???
Il y a aujourd'hui quatre mois que je suis parti en permission et je crois que j'ai bien fait de tirer sur la corde alors qu'elle était encore extensible car je ne suis pas prêt à repartir. J'avais acheté pour Odette un petit souvenir que je comptais lui porter mais il faut que je me décide à le lui envoyer... c'est plus sûr.
Je vais demander à Maman de m'envoyer quelques recettes... notamment celle des pommes de terre à la provençale, des croquettes, etc., etc. ? Je suis passé en effet popotier et ma plus grande occupation de la journée est certes l'élaboration du menu...
Je vous embrasse tous.
Ce 8 mai (?) (08/05/1918 ?)
Mes chers Parents,
Il y a une nouvelle aujourd'hui : nous partirions dans deux jours je ne sais ni où ni pour où - peut-être même changerions nous de secteur postal… Mais mystère et discrétion. Je vous écrirai tout cela dés que j'en serai sûr. Ce qu'il y a de plus clair c'est que mon uniforme reste en plan. Heureusement que je ne l'ai pas encore commandé. Mais dés que je serai pour quelques temps dans un endroit quelconque je trouverai bien une coopérative divisionnaire pour m'en faire faire un. A part cela rien de neuf ; il pleut, les boyaux sont pleins de boue et je suis heureux de quitter ce pays que j'ai déjà trop vu.
Je vous embrasse tous.
Ce 11 mai (11/05/1918 ?)
Mes chers Parents,
Ereinté par la longue relève qui m'a fait promener toute la nuit, je vous envoie juste un petit mot pour vous donner de mes nouvelles. Nous allons je ne sais où... mystère complet... Pour l'instant nous sommes dans un petit pays que nous allons quitter dans trois jours. J'ai reçu un colis que je n'ai pas encore eu le temps d'ouvrir je vous en remercie.
Bons baisers.
Ce 18 mai (18/05/1918 ?)
Mes chers Parents,
Encore cinq jours de cette vie réellement terrible... Cela n'a rien de gai !! Je crois que pendant les quelques jours qui ont précédé j’ai vu le spectacle de désolation le plus terrible que l'on puisse voir. Cela dépasse tout ce que l’on peut imaginer, et les luttes terribles qui se sont déroulées ici sont certes au-dessus de tout ce que l'on peut concevoir.
On se croirait dans un paysage lunaire. Le terrain crevé, bouleversé où tous les trous d'obus s'enchevêtrent s'étend sur des kms et des kms semé de débris de toutes sortes : casques, sacs, obus, douilles, cartouches, tôles, caissons démolis, cadavres de chevaux, etc., le tout percé, crevé, retourné. Les obus n'ont pas épargné un millimètre de terrain. C'est atroce et il faut le voir pour le croire...
Je ne sais pas si je vous ai dit que le camarade qui devait partir avant moi a été avancé... je suis donc le 1er à partir pour le tour de juin et vous me verrez arriver pour les premiers jours du mois prochain. Heureusement, je vous jure que je n'ai jamais attendu avec autant d'impatience le moment de quitter ce bled de désolation…
Je termine car je suis trop abruti pour pouvoir écrire plus longuement, en vous embrassant tous bien affectueusement.
Ce 20 mai (20/05/1918 ?)
Mes chers Parents,
Vos dernières lettres me parlent beaucoup de repos... vous avez du être édifiés sur la façon dont s'est passé ce soi-disant repos qui se résume en trois étapes au moins aussi pénibles qu'un séjour en ligne ! J'ai aussi reçu de l'argent de Papa pour me faire faire un uniforme que je serai malheureusement obligé, je crois, de me faire faire en permission.
Je pense être avec vous dans quinze jours, nous redescendons enfin ! dans cinq jours pour rester dix jours au repos et remonter. J’espère donc que ma permission me fera éviter un de ces pénibles séjours.
J'ai reçu une lettre d'un camarade qui m'annonce la mort de ce pauvre Mazet, tué je ne sais où. C'est celui dont Papa connaissait le père et qui habite aux environs du Monestier. Ce même camarade m'écrit également qu'il a rencontré Georges dans la Somme et a passé une journée avec lui.
Ici rien de neuf, il fait chaud et toutes les charognes de la région émettent avec cette chaleur une puanteur terrible. On se croirait au coucher du soleil sur le chemin de Murianette à Domène lorsque le chanvre "rouit". Actuellement il est deux heures de l’après-midi et je viens de me réveiller car on ne se couche guère ici avant le lever du soleil. La nuit se passe à attendre les lettres, les journaux, la soupe, les corvées d'eau, etc., etc.
Je vous embrasse tous bien affectueusement.
A suivre…
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