En souvenir d’oncle Emile - 4 - Biographie de guerre (suite et fin)
Le lieutenant de réserve Emile Claude est mobilisé en 1914. A la tête de sa compagnie, il combat en Lorraine, en Champagne, en Picardie, et à Verdun, où il tombe héroïquement le 8 juin 1916, en défendant la redoute R.1, à 500m du fort de Vaux. Il était célibataire sans descendance ; les correspondances avec sa famille ont disparu en 1944. Son petit-neveu Patrick Germain, après recherches, a reconstitué sa biographie de guerre ainsi que le déroulement de son dernier combat, et organisé le pèlerinage familial qui a créé, 100 ans plus tard, sa sépulture sur le champ de bataille.
Patrick Germain - 21/06/2016
(Avant lecture, relire la dernière page de l’épisode précédent)
« Je me retrouvai alors, étourdi et éberlué, dressé sur mon lit, les tympans vrillés par la sonnerie de mon réveil. Où suis-je ? Ah, bien sûr, à « La Roche du Rain ». Un livre gisait sur ma table de nuit : « Le Livre d’or des enfants de Gérardmer morts pour la France », de Mgr Gilbert ; ah oui, je me souviens… pendant le dîner, Papy me parla de son frère Emile, mort à Verdun, en ajoutant que le lendemain 8 juin, c’était l’anniversaire de sa mort au champ d’honneur ; il me remit alors ce livre dans lequel était retracé en détail, et ce grâce à un témoignage vivant précis, le récit de sa mort héroïque ; il en vint à me parler ensuite avec précision d’un épisode de la guerre qui avait meurtri son frère, l’affaire des martyrs de Vingré, fusillés pour l’exemple. Cette discussion m’avait poursuivi et hanté pendant mon sommeil, mais je n’avais pas encore ouvert le livre, qui m’attendait… :
8 juin 1916
« Il avait 29 ans. L’avenir lui souriait, quand il tomba glorieusement au fort de Vaux. Ainsi, pour beaucoup, une mort prématurée a brisé de bien beaux espoirs.
Dans les années de service actif, au 15-2, il avait conquis le grade d’officier de réserve… Appelé à la mobilisation, il fut blessé le 13 Septembre 1914, à cette grande bataille de la Marne, qui décida du sort de la France.
Aussitôt après sa guérison, il retourne à son poste, et depuis lors, il occupe successivement plusieurs secteurs importants du front. C’est devant Verdun, en défendant héroïquement le fort de Vaux, qu’il tomba glorieusement, le 8 Juin 1916.
Ce fut une lutte gigantesque, autour du fort de Vaux, du 1er au 8 Juin, et nous avons pu appeler cette période, « la période de crise ».
Nos soldats, accablés sans relâche, dans des tranchées dévastées par une artillerie puissante et remplies de gaz toxiques, étaient mal ravitaillés. Mais ils savaient combien leur résistance était nécessaire. Aussi, ils firent preuve d’une endurance et d’un courage, qui ont fait de cette défense une épopée sublime. C’est dans l’admiration que les générations à venir la reliront… Elles apprendront comment dans cette guerre où notre ennemi avait accumulé tous les trésors d’une Science destructrice, nos soldats ont su, dans leur patriotisme, déployer des forces morales qui, finalement, ont été prépondérantes et victorieuses.
Nous n’avons d’ailleurs qu’à citer la lettre d’un témoin qui nous décrit les souffrances supportées, le courage déployé par les défenseurs du fort de Vaux, et en particulier notre regretté héros, le lieutenant Emile CLAUDE.
(C’est grâce au livre de Mgr Gilbert que j’ai eu connaissance du contenu de cette très précieuse lettre, dont l’original lui avait été remis par mon arrière grand-père Alphonse pour transcription, et dont je ne sais ce qu’il est devenu…)
Carte d’époque : la redoute R.1 (en forme d’arc de cercle) par rapport au fort de Vaux (cheminement : par la tranchée de Besançon à l’ouest du fort). En avant de la redoute R.1, le réseau de tranchées et de boyaux s’étendant en profondeur jusqu’au village de Vaux-Devant-Damloup. DV4 (Douaumont-Vaux N°4) désigne l’abri fortifié à côté (source : fumin16.canalblog.com)
Soldats français à la redoute R.1 (source : fumin16.canalblog.com)
En arrière-plan, on distingue la forme de R.1 en arc de cercle (source : fumin16.canalblog.com)
Vue depuis R.1 sur le ravin du bois Fumin
Après les combats, photo allemande de l’aval de R.1, et à droite l’abri D.V 4 qui y est accolé, surplombant le ravin du bois Fumin, on distingue la levée de terre (remaniée par les bombardements) devant R.1. (Source : fumin16.canalblog.com)
Le fond du ravin du bois Fumin, DV4, et à l’ext. g., l’extrémité de ce qu’il reste de R.1
Extrait du J.M.O du 298e R.I : « La 18e compagnie commandée par le lieutenant CLAUDE, avec un sang-froid remarquable, presque complètement entourée, a repoussé par des feux intenses une attaque allemande, précédée d’obus suffocants et de flammenwerfer (lance-flammes). Elle a repris deux fois, à la grenade, la partie de sa tranchée que les allemands avaient envahie ».
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Témoignage d’un rare rescapé : « Ce que je vois est affreux. Les cadavres sont légion ; ils ne se comptent plus ; on marche sur les morts. Des mains, des jambes, des têtes et des cuisses coupées émergent de la boue et on est contraints de patauger là-dedans. »
Henry BORDEAUX, de l’Académie Française (capitaine pendant la guerre) a écrit après celle-ci « La Chanson de Vaux-Douaumont », ouvrage dans lequel j’ai relevé cette phrase :
« Le retranchement R.1 (à l’ouest du fort de Vaux) a été défendu jusqu’au 5 Juin 1916 par la 8e Cie du 101e R.I, qui a été relevée par des éléments du 298e et du 238e R.I. Ces 2 régiments n’ont pas rendu la redoute : ils ont lutté jusqu’à l’épuisement. 200 survivants valides environ ont été capturés le 8 juin au soir, c’est-à-dire après la chute du fort, se trouvant sans soutien, sans vivres, sans eau et sans munitions ».
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Emile, lui, avec ses hommes, avait refusé d’être fait prisonnier…
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Suite et fin du texte de Mgr Gilbert :
Le lieutenant Emile CLAUDE fut au nombre de ces héros qui dorment, dans un coin inconnu, leur dernier sommeil, dans un suaire de gloire.
La France reconnaissante a reconnu sa bravoure, en le citant à l’ordre de la division :
« Le lieutenant CLAUDE, commandant la 18e compagnie du 298e régiment d’infanterie, a fait preuve, dans la période du 4 au 9 juin, des plus belles qualités de courage et d’énergie, montrant la plus grande activité, et cherchant à maintenir à un haut degré le moral de sa troupe épuisée par 4 jours d’alertes continuelles, et un bombardement intense ».
Depuis, nous avons appris avec une légitime fierté, que la croix de la Légion d’honneur est venue orner sa tombe inconnue et sa mémoire. « Par arrêté ministériel du 3 Juillet 1920, la croix de la Légion d’honneur a été attribuée à la mémoire d’Emile CLAUDE, mort pour la France le 8 juin 1916… ».
Avec la France, nous déposons sur sa mémoire nos sentiments d’admiration et de reconnaissance !! »
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Je reposai le livre et demeurai un moment silencieux… Le Destin m’avait choisi pour perpétuer sa mémoire ; je devais, pour les miens, m’acquitter de la mission qu’il m’avait confiée. Bien de ses clins d’œil, et des circonstances troublantes, plus tard, me montrèrent la voie…
Et inconsciemment, peut-être ai-je ressenti dès ce jour là le besoin de donner une sépulture à oncle Emile…
A SUIVRE…
Le fameux « parchemin » que je trouvai dans le livre « Verdun » qui me fut attribué par hasard (voir 1/5)
Sources :
« Le Livre d’or des enfants de Gérardmer morts pour la France » Mgr Alphonse GILBERT, curé de Gérardmer (1926) dédicacé par l’auteur à mes arrières grands parents :
L’historique du 298e R.I
fumin16.canalblog.com (photos du champ de bataille)
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