14-18Hebdo

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Causeries et souvenirs (Gabriel Bon) - 9. Le Service de santé

 

En 1914, le général Gabriel Bon, 61 ans, commande à La Fère (Aisne) l'artillerie du 2ème corps d'armée. Blessé en 1915, il ne participera pas à la suite de la guerre et publiera en 1916 "Causeries et souvenirs, 1914-1915", d'où est extrait ce témoignage.

Document transmis par Bernadette Grandcolas, son arrière-petite-fille 28/11/2014

L’organisation du Service de santé aux armées a soulevé des discussions passionnées. Les lecteurs de La France de Demain seront peut-être intéressés par le récit de ce que j’ai vu. Mon témoignage est formel. J’ai une admiration profonde pour la manière dont a fonctionné le Service de santé au corps d’armée où j’ai servi.

D’abord je rends hommage aux deux directeurs qui se sont succédé à la tête du service. Ils ont toujours prodigué leurs soins et leurs peines. Ils furent, en même temps que des savants, d’excellents administrateurs.

Auprès d’eux, comme adjoint, se trouvait le docteur J…, camarade sympathique, esprit charmant, écrivain distingué, joignant à ces qualités celles d’un organisateur plein d’initiatives et de modestie. Le soir, dans des discussions sans fin, il nous faisait oublier l’ennui des longues journées d’hiver.

C’est par miracle qu’il échappa à la mort pendant la bataille de la Marne. Il se trouvait dans une chambre où éclata un obus de 15[1] qui tua un colonel et deux officiers et blessa un général et deux officiers. Le sang-froid qu’il montra en cette circonstance, et avec lequel il soigna les blessés, fut au-dessus de tout éloge.

Toutes nos ambulances, dirigées par les plus célèbres chirurgiens de France, étaient des modèles à tous les points de vue. Partout, conduits par deux médecins majors, que je suis fier d’appeler mes amis, nos brancardiers ont déployé un véritable héroïsme. Les aumôniers étaient avec eux, sous le feu, à relever et consoler les blessés.

Nos voitures automobiles d’ambulance ont fonctionné de façon irréprochable. Le lieutenant qui dirigeait ce service a fait l’admiration de tous. A toute heure de jour et de nuit, sur les routes les plus exposées, on voyait filer ses voitures à toute allure.

Bref, je ne crois pas que sous mes yeux le Service de santé ait été l’objet d’aucune critique.

Je dois reconnaître que le corps d’armée en question était doté du matériel nouveau modèle. Il n’y manquait rien, même le fourgon automobile de pharmacie, sur le derrière duquel trônait le caporal B…, jésuite, professeur à l’Université de Beyrouth[2], qui, avec sa longue barbe et sa bonne figure ascétique, aurait représenté le plus beau des apothicaires si on eût complété son uniforme par un bonnet pointu.

En revanche, j’ai eu l’occasion de voir trois ambulances allemandes. Il n’est pas possible de rêver vision plus atroce. Dans l’église de Charmont[3] notamment, les blessés étaient couchés sur la paille, au milieu de la saleté la plus révoltante. Une odeur de gangrène vous saisissait lorsque vous vous approchiez des malheureux, qui vous suppliaient de ne pas les mettre à mort.

Messieurs les députés peuvent facilement se rendre compte de la vérité de ce que je dis. L’un d’eux, le Docteur Thierry[4], maire de Saint-Mihiel, dirigeait une des ambulances dont j’ai fait l’éloge. Il peut attester que je n’ai rien exagéré.

 

[1] Il existe de nombreux modèles de ce type d’obus, fabriqué depuis 1883. Au moment de la bataille de la Marne, les plus récents datent de 1912.

[2] L’Université Saint-Joseph de Beyrouth a été fondée par les Jésuites en 1875. D’abord spécialisée en théologie et philosophie, elle accueille en 1888 une faculté de médecine et de pharmacie, en 1913 une Ecole de Droit et une Ecole d’ingénieurs.

[3] Petit village de la Marne, en partie détruit pendant la bataille

[4] Une rue de Saint-Mihiel porte aujourd’hui son nom.



12/12/2014
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