Carnets de guerre (Anna Vautrin) – N° 24 - 22 au 28 mars 1915
Anna Vautrin, 48 ans en 1914, née Perrin, a épousé Alexis Vautrin professeur à la Faculté de médecine de Nancy. Alexis et Anna Vautrin habitent à Nancy, cours Léopold, et ont une maison au bord du lac de Gérardmer, « les Roseaux ». Ils ont quatre filles : Suzanne épouse de Paul Boucher qui ont deux enfants : Annette et Jean, Madeleine épouse d’Edouard Michaut qui ont une petite Colette, enfin Marguerite et Yvonne.
Document transmis par Renaud Seynave, son arrière-petit-fils - 18/03/2015
Yvonne, Marguerite et leur père Alexis Vautrin
Lundi 22 mars 1915
Edouard écrit du nord « Je descends de la tranchée où j’ai réglé un tir sur un lance-bombe qui lançait des énormes bombes sur la tranchée. A mon premier coup de canon, il s’est tu et n’a pas « reparlé » de la journée. J’ai présumé où il était. »
Nous avons encore eu deux taubes qui sont venus sur Nancy à 8 heures du matin. C’est toujours à cette heure là qu’ils viennent. On les a bombardés et c’était très intéressant de voir tous les flocons de fumée de nos obus autour des taubes. On voit le taube monter ou descendre et enfin s’enfuir vers la frontière. A 9 heures du soir, il y avait 6 de nos avions sur Nancy, plusieurs biplans. Dans la nuit de lundi à mardi, un zeppelin a tenté de venir sur Nancy mais il a été arrêté à Pont-à-Mousson par les batteries. Il y avait eu les deux taubes qui étaient venus ce matin pour repérer les endroits où jeter les bombes.
On a fusillé aujourd’hui à Dombasle une espionne.
Nos vaisseaux avancent lentement dans les Dardanelles. Le journal annonce aujourd’hui la perte de 4 cuirassés, 2 anglais et 2 français, Le Bouvet et Le Gaulois.
Le cuirassé Bouvet pendant la bataille des Dardanelles
Le Bouvet coule aux Dardanelles, le 18 mars 1915
Le Bouvet a coulé en 3 minutes. Il y avait 700 marins. 64 seulement ont été sauvés parmi lesquels se trouvait le cousin du docteur Simon, un jeune homme sortant de l’Ecole navale. Quelle guerre affreuse !
On se bat sur terre, sur mer, dans les airs, sous l’eau et dans ces tranchées qui font presque se battre sous terre.
Quand cette guerre finira-t-elle ?
Voilà déjà 7 mois qu’elle dure. Les journaux disent qu’en Allemagne et à Vienne, ils n’ont plus de pain. On fait du pain avec des pommes de terre. L’Allemagne manque aussi de cuivre.
Le zeppelin qui est venu sur Paris a encore jeté à Mantes trois bombes, à St Ouen une bombe explosible, à Enghien 4 bombes explosibles et à Paris 6 incendiaires.
Mardi 23 mars 1915
Vingt avions blindés sont arrivés à Nancy. Ils sont à Malzéville. Ces avions ne servent qu’à jeter des bombes. Ils restent quinze jours à la même place. Ils viennent de Châlons. Ils vont sans doute aller jeter des bombes vers Metz et Strasbourg. Le journal dit que 4 zeppelins sont venus la nuit dernière sur Paris. Ils ont jeté tant sur Paris que sur la banlieue 22 bombes : 2 à St Germain,8 à Colombes, 3 à Courbevoie, 1 à Gennevilliers,2 à Neuilly, 4 à Asnières, 2 à Levallois-Perret.
Les Allemands ont de l’audace. Ils essaient de venir sur Nancy mais nous sommes bien gardés.
Nous avons eu une alerte à 8 heures du soir. Un zeppelin a été signalé près de Nomeny qui venait sur Nancy. Aussitôt, les becs de gaz ont été éteints. Les agents ont faits fermer tous les cafés et les magasins. Les habitants ne devaient plus avoir de lumière dans leurs maisons.
Le zeppelin a dû être repoussé par nos batteries car il n’est pas arrivé jusqu’à Nancy. On aura certainement souvent des alertes.
Un prisonnier de guerre a écrit qu’on lui permettait des livres mais pas de livres de guerre. Il y a des camps beaucoup plus durs que les autres.
Suzanne qui est à Gérardmer avec Annette m’écrit qu’il est tombé 9 bombes dimanche dernier, envoyées par deux taubes. Il y a eu un Alpin tué. C’est la bombe qui est tombée vis-à-vis la mairie. Les autres n’ont pas fait grand mal.
Mercredi 24 mars 1915
Monsieur Merlin de Bruyères vient d’avoir son fils tué. Les Allemands avaient crié à ce jeune lieutenant de se rendre mais il leur a dit « Un officier français ne se rend jamais. » Il a été aussitôt tué d’une balle !
Dans les Dardanelles, le commandant du Bouvet est mort avec les officiers de son navire très courageusement. Quand le navire s’enfonçait, il a crié « Vive la France. » Tout cela est très beau !
Jeudi 25 mars 1915
Un autre zeppelin a tenté encore de venir sur Paris. Nous n’entendons plus le canon. Cela est très calme et on n’amène plus de blessés.
Je rencontre Madame Droit (épouse du notaire) qui me dit que ses parents qui sont restés à Kaysersberg en Alsace lui écrivent assez régulièrement mais par la Suisse. Sa mère lui écrit que son père supporte assez bien le pain noir. C’est dire qu’ils n’ont plus que celui-là. C’est du pain K. Ils n’ont plus de pommes de terre. Les Alsaciens souffrent de l’approvisionnement.
Vendredi 26 mars 1915
Nos avions sont allés bombarder la gare de Metz et le hangar près de Metz qui abrite les zeppelins.
Deux taubes ont tenté de venir sur Nancy mais on les a repoussés.
Les Russes se sont emparés de la forteresse de Przemyśl. Ils vont marcher maintenant sur Cracovie Nous nous battons toujours beaucoup en Argonne.
Nos avions blindés qui sont à Malzéville sont dans l’air presque toute la journée. Ce soir, il y en avait deux. Lorsqu’ils passaient à travers le soleil, ils étaient si transparents qu’on aurait dit du verre.
Samedi 27 mars 1915
Il y a des avions en l’air toute la matinée.
La guerre fait tourner la tête à bien des petits jeunes gens. Le neveu du docteur Spilmann est parti mercredi avec un de ses camarades de lycée. Ils s’étaient habillés en boy-scout. Ils sont allés à pied jusqu’à Laneuveville puis toujours à pied, ils ont trouvé des soldats qui allaient partir pour les tranchées. Ils ont mangé avec eux puis les ont suivis dans une tranchée. Là ils ont couché dans la tranchée sur la paille. Le lendemain, ils sont partis avec les soldats jusqu’à la deuxième tranchée. Ils ont vu tomber des obus autour d’eux. Puis se disant qu’on devait être inquiet à la maison, ils ont quitté les soldats. Arrivés dans un village en ruine, ils aperçoivent deux gendarmes. Ils se cachent vite dans une cave et lorsque les gendarmes sont passés, ils reviennent à pied jusqu’à Nancy. Ils étaient allés près de Courbesseaux (20 km de Nancy). Pendant ce temps, les parents affolés avaient demandé à la préfecture qu’on fasse des recherches. Mercredi matin, les deux gamins qui ont 12 ans étaient partis au lycée à 8 h. Ce n’est qu’à midi que les parents ne les voyant pas revenir se sont inquiétés. A 4 heures du soir, les deux familles recevaient une carte de leurs enfants disant : « nous suivons les soldats. » Ils étaient heureux de leur escapade disant que le jus (café) qu’on leur avait servi le matin dans la tranchée était excellent. Ils avaient bien dormi dans la paille. Un soldat leur avait prêté sa capote pour dormir. Ils avaient trouvé la soupe très bonne. En revenant, les soldats leur avaient donné à chacun un casque et une baïonnette. Tout le monde ne pourra pas dire après la guerre qu’on a couché dans une tranchée. Voilà l’enthousiasme des enfants. Ils veulent jouer au soldat. Le petit camarade du neveu du docteur Spilmann couchait parait-il depuis trois semaines chez lui sans se déshabiller et la tête sur son sac. La veille de leur départ, le petit Bailly avait demandé à son père l’argent de sa semaine.
Nous avons vu passer aujourd’hui devant la maison 50 à 60 voitures avec des bâches, toutes ayant la même forme. Je ne sais pas ce qu’il y avait dedans. Elles allaient vers la rue de Metz.
Dimanche 28 mars 1915
C’est aujourd’hui le jour des Rameaux, il neige. A 8 heures, un taube a jeté 2 bombes. Je suis allée les voir. Il y en a une qui est tombée rue Henner près de la clinique (la clinique Vautrin-St Joseph est rue Victor Prouvé). Elle a fait un trou énorme dans le toit, le mur a été très abimé. Une femme travaillait près de la fenêtre, le plafond est tombé près d’elle. Elle n’a pas été blessée. Toutes les vitres des maisons de la rue ont été brisées. La rue est remplie de verres cassés.
L’autre bombe est tombée dans le jardin de la biscuiterie Lorraine rue du Montet.
A suivre…
A découvrir aussi
- Carnets de guerre (Anna Vautrin) – N° 12 - 28 déc. 1914 au 3 jan. 1915
- Carnets de guerre (Anna Vautrin) – N° 20 - 22 au 28 février 1915
- Carnets de guerre (Anna Vautrin) – N° 21 - 1er au 7 mars 1915
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 389 autres membres