14-18Hebdo

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Carnets de guerre (Anna Vautrin) – N° 106 –28 octobre au 3 novembre 1918

Document transmis par Renaud Seynave, son arrière-petit-fils - 23/10/2018

 

1916 Famille Vautrin Saulxures 2.jpg

La famille Vautrin réunie à Saulxures le 23 janvier 1916. (Photo prise par Anna Vautrin)

Suzanne Boucher, Alexis Vautrin, une amie, Madeleine Michaut, Paul Boucher, Annette Boucher tenant Edouard Michaut par le cou, Marguerite et Yvonne Vautrin.

 

 

Lundi 28 octobre 1918

 

Journée calme. J’apprends la mort de Monsieur Leitame dans une ambulance à St Omer, mort de la grippe. Pauvre femme laissée avec un enfant.

 

Mardi 29 octobre 1918

 

A 2 h, nous voyons cinq avions qui lancent sur Nancy des proclamations pour l’emprunt car c’est aujourd’hui que commence la souscription pour l’emprunt de la libération. Un ballon en papier blanc est tombé sur le Cours Léopold, accroché à un arbre. Il contenait des manifestations des aviateurs. Je ramasse dans notre jardin 52 de ces petits cartons. Ce sont des invitations pour souscrire à l’emprunt.

 

A 5 heures, je vois revenir devant les Beaux-Arts au moins deux cents Américains qui marchent au pas en chantant. Ils viennent de la piscine où ils ont pris un bain. Un Américain avait un casque boche au bras.

 

Le soir, à 10 heures, très forts coups de canon.

 

Mercredi 30 octobre 1918

 

Le gros canon passe sur le Cours Léopold tiré par 8 chevaux. Un train d’Américains arrive en gare, il est bondé.

 

Les Autrichiens écrivent à Wilson pour demander un armistice.

 

A midi, pendant qu’Alexis opère à la clinique, il voit de la salle d’opération un taube qui jette des quantités de papiers. Ce sont des appels à la paix. Il y en a surtout dans la rue Jeanne d’Arc et la rue Mont-Désert.

 

A 6 heures, tocsin, sirène, c’est un taube qui passe. Coups de canon, nous ne descendons pas à la cave. On sonne, c’est Monsieur Weillon, industriel à Val-et-Chatillon qui veut se mettre à l’abri.

 

Il nous raconte sa captivité chez les Allemands pendant 6 mois à Rastatt et Holzminden.

 

Jeudi 31 octobre 1918

 

Nous voyons un train bondé de soldats français. Madame Grandjean vient me voir pour avoir des nouvelles d’Alfred de Briey à qui j’ai envoyé un long récit de son évasion. Elle me dit qu’hier soir, le taube qui est venu sur Nancy est passé à Blainville où il a jeté des bombes ainsi que sur Damelevières. Il y a eu 4 tués à Blainville et 13 à Damelevières. La filature de Blainville a pris feu mais on a éteint le feu ainsi que deux wagons qui ont pris feu et ont brûlé.

 

Les Allemands visent la gare et la rivière. Un capitaine du génie disait à Madame Grandjean qu’il y avait près du pont de Blainville trois voitures chargées d’explosifs et que si une bombe tombait dessus, cela pouvait faire sauter le village ! Un soldat a été tué par une bombe à 20 mètres des voitures d’explosifs !

 

Le taube a été abattu en flammes à Champenoux par l’escadrille de Pierre Weiss. Les deux aviateurs du taube ont été tués.

 

L’Autriche a encore envoyé une note à Wilson. Elle demande la paix sans conditions le plus tôt possible. Ils ont peur d’une révolution et sont affamés. Ils abandonnent les Allemands.

 

La Bulgarie les a déjà lâchés de sorte que les Allemands restent seuls à combattre. Le général Ludendorff s’est retiré. L’Allemagne est aux abois.

 

La générale Tausen (Anglaise) infirmière sur le front de Lorraine est venue aujourd’hui avec Sœur Louise, supérieure de l’hôpital pour conseiller Alexis. Elle nous a dit que son mari général qui avait été fait prisonnier par les Turcs au commencement de la guerre vient d’être renvoyé par eux et il est arrivé à Paris.

 

Vendredi 1er novembre 1918 Toussaint

 

Hier soir à 6 heures, sirène et tocsin.

 

Tir de barrage très violent, tous les canons tonnent, du Haut du Lièvre et les gros canons sur Nancy. Nous descendons à la cave. Les bombes se succèdent avec un vacarme épouvantable en même temps que les canons de défense. Au moment où une bombe tombe, nous sentons dans la cave les murs s’ébranler. Nous avons une secousse. Elle n’est pas tombée loin.

 

Alexis est encore à la clinique. Je profite d’une accalmie pour le faire chercher avec l’auto. L’auto est passée sur des débris de bois, des pierres au Faubourg Stanislas. Il y a donc eu une bombe à cet endroit. A peine arrivé, à sept heures, on téléphone de l’hôpital qu’il y a des blessés. Alexis veut partir de suite mais comme ça canonne encore, nous le supplions d’attendre que l’alerte soit passée. Il refuse et veut aller où le devoir l’appelle.

 

Alexis revient le lendemain à 9h, il y a 12 tués et 24 blessés dont des soldats, un capitaine et un soldat américains. Le capitaine américain est blessé très grièvement. Alexis opère continuellement. On lui amène les blessés l’un après l’autre. Alexis nous dit qu’il y aura des blessés qui mourront. Le maire, le préfet et Monseigneur Ruch viennent voir les blessés. Ils vont voir Alexis dans la salle d’opération et causent avec lui.

 

Alexis n’avait pas mangé aussi il dîne en rentrant le matin à 9h. Il est bien fatigué d’avoir opéré toute la nuit.

 

Nous voyons de notre maison un incendie énorme, les étincelles et les flammes s’élèvent à une grande hauteur. Nous voyons des gens qui reviennent du Cours Léopold. Il est 9h du soir. Ils nous disent que c’est la Faculté de médecine qui flambe et qu’il y a une bombe à St Sigisbert à quelques maisons de chez nous sur le Cours Léopold. Nous allons nous coucher bien émus.

 

Samedi 2 novembre 1918

 

4 prisonniers allemands traversent le Cours Léopold, je me demande si ce ne sont pas des aviateurs. Ils sont très jeunes et ont l’air satisfait d’être pris. Je vais voir les dégâts des bombes.

 

On dit qu’il y en a eu bien une centaine. Je vois l’incendie de la Faculté de Médecine, le bâtiment est démoli jusqu’au rez-de-chaussée et fume encore. Les pompiers pendant toute la journée font marcher les lances mais il y a toujours une épaisse fumée.

 

Une autre bombe Faubourg Stanislas a démoli une maison.

 

1ère bombe : l’abri de la gare. Elle a fait un trou sans le démolir. Il a été très bien fait.

2ème bombe : Dans la cour de la gare, toutes les vitres sont brisées et 2 wagons bien abimés.

3ème bombe : Aux Magasins réunis. Elle a traversé le 2e étage et elle est restée suspendue après une poutre sans éclater. J’ai vu le trou. Elle mesurait 1.60m et pesait 200 Kg.

4ème bombe : Dans le terrain vague où étaient les Magasins réunis.

5ème bombe : 10 Rue Clodion, dans une cour, elle a blessé deux enfants.

6ème bombe : 16 Rue Clodion, elle a traversé toute la maison et elle a éclaté dans la cave. Il n’y avait personne.

7ème et 8ème bombe : 20 Rue Clodion, il y en a eu 2 sur la maison qui est complètement détruite. C’était un restaurant. Il y avait beaucoup de monde qui mangeaient. Plusieurs blessés et morts.

9ème bombe : Rue Cyfflé, maison démolie

10ème bombe : Rue St Nicolas, sur le trottoir, vitres cassées

11ème bombe : Sur les marches de l’escalier de la cathédrale, pas beaucoup de dégâts, vitres cassées.

12ème bombe : Torpille incendiaire sur la Faculté de Médecine, complètement incendiée.

13ème bombe : Rue des Fabriques, détruit complètement la crèche d’enfants. Je vois encore du sang au milieu de la rue. Un tirailleur a été tué là.

14, 15, 16 et 17èmes bombes : Les 4 torpilles ont détruit rue des Fabriques près de la rue Jeannet. Plusieurs maisons très abimées. On voit dans l’une un trou énorme et on aperçoit au rez-de-chaussée un lit, un berceau et deux lits de fer. Là étaient quatre enfants. Le bébé a été tué et les autres blessés très grièvement. Ils ont été transportés à l’hôpital.

18ème bombe : Boulevard Lobau

19 et 20éme bombes : Dans le jardin de Monsieur Elie à côté de chez nous. On voit un trou et la terre est très remuée. La torpille est entrée sous terre. C’est cette torpille qui nous donné cette impression énorme dans la cave.

21, 22 et 23èmes bombes : dans le jardin des sœurs de St Charles.

24 et 25èmes bombes : tombées dans le magasin Majorelle, sur l’ascenseur. (Sans éclater).

26ème bombe : Rue St Georges (sans éclater)

27ème bombe : Chez Monsieur de Roche, Cours Léopold (éclatée)

 

L’escadrille qui est près de Nancy en ce moment est l’escadrille de la mort. C’est déjà celle qui est venue nous bombarder le 26 février.

 

Marguerite et Yvonne sont allées à l’hôpital pour voir les blessés. Marguerite a pu parler anglais au soldat américain qui est très blessé. Elles ont été présentées à Monseigneur Ruch qui était justement à l’hôpital.

 

Il est passé ce matin devant chez nous 4 gros canons traînés par 10 chevaux et des camions remplis d’Américains.

 

Les Turcs ont demandé l’armistice, on l’a signé. Nous avons maintenant le passage dans les Dardanelles et en Orient. L’Autriche demande à grands cris l’armistice et la paix. La révolution a éclaté en Hongrie et le premier ministre Tisza a été assassiné le 31 octobre à Budapest. L’empereur d’Autriche s’est sauvé. On parle de République !

 

Le Kaiser ne se décide pas à abdiquer comme l’empereur d’Autriche et le sultan de Turquie.

 

Les Italiens ont fait 80 000 prisonniers. Les Serbes et les Français sont entrés à Belgrade.

 

Dimanche 3 novembre 1918

 

J’apprends que le docteur Wilhem de Nancy a changé de nom. Il s’appelle maintenant Mr Coret du nom de sa grand-mère. Je ne veux plus porter le même nom que le Kaiser. Mon beau-frère Albert a fait une demande aux Américains pour pouvoir aller à Gercourt délivré des boches depuis le 27 septembre. Il avait demandé aussi pour Alexis et moi mais les Américains ont refusé disant que Gercourt est encore en 1ère ligne de combat. Nous attendrons mais nous ne retrouverons que des ruines. Pauvre maison de Grand-mère.

 

Aujourd’hui, à midi tocsin. En sortant de la messe, nous voyons très bien le taube au-dessus de nous. Le canon tire, on voit les fumées.

 

A trois heures, il y a à l’Hôtel de ville une grande manifestation américaine, en souvenir des premiers Américains tués en Lorraine en 1914. Les généraux français et américains sont présents, on joue la Marseillaise et l’hymne américain. Un peloton de soldats est place Stanislas avec une foule de personnes : l’ambassadeur d’Amérique, Mr Sharp fait un discours. Je vois André Michaut qui est en permission et qui nous dit qu’il était à 5km de Gercourt avec sa batterie dans la Meuse et qu’il tirait sur le village. Pauvre village détruit par les Français et les Allemands.

 

Monsieur Henry Boucher que nous avons vu nous a dit qu’il avait vu Georges Clemenceau à Paris qui lui avait dit « Il y aura une décision pour le mois de mai, si ce n’est pas avant ! ».



26/10/2018
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