Campagne du 106e B.C.P - LE LINGE - (Mars-Septembre 1915) - 6e partie - Quelques correspondances d’officiers blessés et illustrations de l’hôpital militaire de Gérardmer
Dès le début de l'attaque du 22 juillet, nombre d'officiers ont été tués ou blessés ; ces derniers écrivent à leur commandant depuis l'hôpital où ils sont soignés.
Patrick Germain - 20/10/2015
Gérardmer : Dès septembre 1914, le Grand Hôtel du Lac est reconverti en hôpital de 100 lits
(ici : la salle de pansements) (source : club cartophile gérômois)
Dès le 23 juillet 1915, au lendemain du 1er assaut du 106e B.C.P pour la prise de contrôle de la crête du massif, les officiers blessés eurent à cœur de donner de leurs nouvelles à leur commandant. A la lecture de l’épisode des combats (2ème partie), vous avez pu découvrir les noms des officiers tués, disparus et blessés. Ils étaient nombreux à l’image de ce qui se passait dans tous les autres secteurs du front, où les officiers subalternes, les premiers sur le parapet, surexposés, entraînaient leurs hommes à l’assaut.
J’ai eu la chance de pouvoir récupérer ces courriers dans lesquels transparait, au travers de l’ambiance de la violence des combats, le climat de confiance et d’affection inébranlables qui unit officiers, sous-officiers et chasseurs. C’est l’état d’esprit « chasseur », que j’ai déjà évoqué dans un précédent article, empreint de solidarité, d’esprit d’équipe, de respect d’autrui, de bonne humeur, d’amitié, de goût de l’initiative, de rapidité dans l’exécution, et du fait de faire plus que le juste devoir.
A la lecture de ces lignes, on en perçoit les thèmes récurrents : les circonstances des blessures au combat, leur nature et étendue, l’impression sur le combat, suivi du souhait de réintégrer le bataillon le plus vite possible compte tenu des délais de guérison, et parfois des éloges sur le comportement de certains subordonnés dignes d’être récompensés pour leur sang froid et leur bravoure.
Trouvé dans un album familial ; mais identité inconnue…
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L’un des premiers officiers à être blessé fut le lieutenant LAURE Henri, commandant une des 2 sections de mitrailleuses. Il a été blessé au pied dès le début de l’assaut, lui empêchant toute progression ; l’absence de traumatisme majeur lui permit de donner de ses nouvelles dès le lendemain, depuis « Le Chalet de la Poste », à Gérardmer, où il avait été transporté :
Chalet de la Poste, le 23 juillet 1915
Mon Commandant,
C’est avec le plus vif regret que j’ai dû vous quitter, au moment même où j’allais commencer à vous devenir vraiment utile. En bondissant de la parallèle de départ avec ma deuxième section, je me suis tourné le pied gauche dans un trou d’obus. J’ai continué à avancer, en rampant, mais étant dans l’impossibilité de courir, j’ai donné un point de direction à la section. Au moment précis où je donnais l’ordre au sergent (nom illisible), il était frappé d’une balle en plein front ; successivement j’ai perdu plusieurs chasseurs dont un tireur.
J’étais étendu depuis un moment à terre, lorsqu’un gros obus est venu éclater à quelques mètres en avant de moi, me retournant complètement. J’ai eu une chance incomparable, car je n’ai eu qu’une commotion assez forte avec contusion de la cuisse droite. Ce ne sera rien, heureusement. Je commence à aller mieux. J’ai les reins et la tête qui me font mal. J’espère que d’ici une semaine je pourrai rejoindre ce pauvre bataillon dont je suis sans nouvelles.
J’ai assisté à un spectacle inoubliable, dont on en voit peu sur tout le front. L’entrain et le courage de nos jeunes chasseurs ont été uniques. J’ai vu le 114e monter à la charge et pris de flanc sous le feu de trois mitrailleuses. J’ai hâte de connaître le sort du bataillon ; J’ai beaucoup de peine à croire les racontars des derniers blessés, d’après lesquels ce pauvre DEFLANDRE avec sa section serait prisonnier, ainsi que le capitaine CLAUSSE, et les lieutenants STURN, PENNELIER et BARDOUX[1].
J’ai eu beaucoup de peine à rester à Gérardmer comme évacué sans plaie. On voulait m’évacuer sur un hôpital de l’intérieur. C’est grâce à l’insistance de Mme REITERHART auprès du médecin- chef, que je dois de ne pas m’éloigner plus loin de vous. Aussitôt arrivé, j’ai vite envoyé une carte pour rassurer Madame et Mesdemoiselles CHENEBLE, ce matin.
En attendant mon prochain retour, veuillez agréer, mon Commandant, l’expression de mes respectueux devoirs et de mon entier dévouement.
H. LAURE
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Le lieutenant LAURE écrit une nouvelle fois le lendemain, pour une proposition de nomination :
Gérardmer, le 24 juillet 1915
Mon Commandant,
Quoique éloigné du reste du bataillon, je me permets de vous rendre compte de la brillante conduite de la section téléphoniste et en particulier du sergent FOUILLOUX[2]. J’ai assisté d’assez près à l’installation de la ligne téléphonique qui devait mettre en liaison les compagnies avancées avec le poste du lieutenant-colonel SEGONNE. Ils ont tous rivalisé de courage ; successivement, j’ai vu tomber plusieurs téléphonistes avec leur énorme rouleau de fil. Immédiatement après, il y avait un remplaçant. Le sergent FOUILLOUX était sur le parapet de la parallèle de départ, dirigeant le déroulement des lignes, avec un calme étonnant. Il a été enseveli par un gros obus avec 2 de ses chasseurs. Aussitôt, il était debout sur le parapet, continuant à diriger son service. Les 2 téléphonistes étaient couchés dans la parallèle, incapables de faire un mouvement. Ceci se passait au moment où je rampais vers la parallèle. Il pouvait être 11h1/2 ou 12h.
Je vous demanderais de bien vouloir faire état de la proposition suivante en faveur du sergent FOUILLOUX :
Proposition pour le grade de sous-lieutenant : « A fait preuve pendant le combat du 22 juillet, de qualités de sang froid et d’initiative au dessus de tout éloge. A dirigé sous un feu violent d’artillerie et d’infanterie l’établissement des lignes téléphoniques devant permettre la liaison entre le bataillon et le commandement ». J’ajoute, mon Commandant, que outre sa brillante conduite au feu, le sergent FOUILLOUX possède les qualités nécessaires d’instruction générale et de bonne éducation permettant de croire qu’il peut être proposé pour le grade de sous-lieutenant. Je m’en rapporte, en tout cas, à votre décision.
Je me hâte de terminer ma lettre car le motocycliste du 106e vient d’arriver. Je vous ai écrit longuement hier mais ma lettre n’arrivera que demain ou après-demain. J’ai vu le capitaine CHALANDRE et le lieutenant LE LANN. Ils vont assez bien, sans fièvre.
Veuillez agréer, mon Commandant, l’expression de mes sentiments les plus respectueux et de mon entier dévouement.
H. LAURE
Salle commune ; à noter la présence du Dr Claudius Regaud, médecin-chef (en blanc avec un képi, le 6ème au fond de g.à dr.[3])
(source : club cartophile gérômois)
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Voici la lettre du lieutenant BALLAND du 23 juillet ; cet officier avait été blessé par un bombardement avant l’attaque du 22 juillet ; il est hospitalisé à l’Hôtel (transformé en hôpital) de la Poste à Gérardmer et il rend compte de l’arrivée, à ses côtés, d’officiers blessés durant l’attaque, entre autres, le lieutenant LAURE, dont j’ai transcrit ci-dessus 2 correspondances :
Le 23 juillet
Mon Commandant,
LAURE est arrivé cette nuit. Il est à côté de moi à La Poste. Il a rassuré tout de suite Madame CHENEBLE par un petit mot. Puis aussitôt que possible, je suis allé dans une voiture rendre visite au capitaine DURAND-MERCIER, aux sous-lieutenants HARMIGNIES et LA BAUME[4] et à l’aspirant POTIER. Ils vont bien. J’ai vu aussi le chasseur SOYE, téléphoniste qui a une balle dans l’épaule. J’ai cherché à savoir si du 106 il y avait d’autres blessés, et nombreux ; quelques uns seulement, une douzaine tout au plus inscrits aux 2 hôpitaux d’évacuation, la gare et l’école maternelle. Nous serions bien heureux d’avoir des nouvelles de notre pauvre 106e, moi qui par fatalité n’étais pas auprès de vous, plus que quiconque. Je me suis levé aujourd’hui pour la 1re fois ; je marche avec des béquilles, ce qui n’empêche pas que dans 15 jours je serai rétabli.
Je vous présente mon Commandant l’assurance de mon respectueux dévouement, en vous priant de dire à ceux qui restent autour de vous que je suis avec vous tous de tout cœur.
BALLAND
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Le capitaine DURAND-MERCIER Lucien (cdt la 4e Cie) écrit de Besançon le 25 juillet :
Mon Commandant,
Aussitôt arrivé dans mon lieu d’évacuation, je m’empresse de vous donner de mes nouvelles. Dirigé d’abord sur l’Hôtel du Lac à Gérardmer, j’ai quitté cet établissement hier soir pour Besançon-Hôtel du Casino. Au point de vue santé, je suis encore plus tordu aux reins qu’à mon départ du Wettstein. Je n’ai pas encore vu mon docteur mais je pense qu’avec du repos j’arriverai facilement à me rétablir.
La brillante conduite du 106e est parvenue jusqu’à moi et j’en ai été bien fier. Mais que c’est bien triste en revanche de penser aux disparus ! Je suis ici avec LA BAUME qui a une aussi forte commotion que moi-même Comptant vous retrouver aussitôt que je pourrai, veuillez agréer mon Commandant, l’expression de mon respectueux dévouement.
Visite officielle à l’hôpital militaire de Gérardmer
(source : album familial)
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Le capitaine CLAUSSE René (cdt la 1re Cie), blessé le 22, écrit le 26 juillet de l’hôpital complémentaire de Montpellier :
Mon Commandant,
Arrivé à l’hôpital d’évacuation de Gérardmer, on m’a embarqué le 24 matin pour l’intérieur et me voici seulement aujourd’hui 26 à Montpellier où je suis affecté sur …..(illisible) de répartition du train. Rien à faire pour tenter de descendre moins loin. Ma blessure suppure un peu, mais je pense qu’elle ne s’aggravera pas, et j’ai le ferme espoir d’être bientôt remis pour rejoindre la 1re Cie que j’ai quittée avec un profond regret, et pour vous rejoindre également mon Commandant, car des sentiments particulièrement affectueux me font un devoir de vous rejoindre aussitôt que je le pourrai.
Veuillez agréer, mon Commandant, l’expression de mes sentiments les plus affectueusement dévoués.
(photo archives familiales)
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Le lieutenant LABRIT Etienne (3e Cie), fut lui aussi dirigé sur un hôpital très éloigné du front ; il donne dans sa lettre un éclairage intéressant sur l’état d’esprit qui règne loin à l’arrière :
Carcassonne, Hôpital des Capucins, le 28 juillet 1915
Mon Commandant,
Après un voyage aussi long que fatigant, j’ai fini par être hospitalisé dans la belle ville de Carcassonne.
Le docteur qui est venu me voir ce matin m’a dit que j’avais simplement besoin d’un peu de repos, mais qu’il fallait que je suive un régime très sévère. J’espère, le beau soleil aidant, être rétabli assez rapidement pour venir reprendre ma place au bataillon. On ne dirait vraiment pas ici qu’on se bat dans l’Est. Il reste des quantités d’individus probablement inaptes à porter les armes. Tout le monde a le sourire, le soir tout ce même monde se presse autour du communiqué et chacun commente à sa façon. Quant aux soldats de la garnison, ils me dévisagent mais ils oublient de me saluer.
Le capitaine CLAUSSE s’est arrêté à Montpellier ; je devais descendre dans cette ville mais j’ai préféré aller un peu plus loin pour permettre à ma famille en ce moment dans la Gironde de venir me voir plus facilement.
Veuillez recevoir, mon Commandant, mes plus respectueuses salutations.
LABRIT Etienne
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Le capitaine CHALANDRE Léon (cdt la 5e Cie), blessé à l’épaule près de la 1re tranchée allemande, écrit de Nantes le 29 juillet :
Mon Commandant,
Après quelques difficultés, j’ai pu arriver à Nantes et me voilà hospitalisé dans le même établissement que l’an dernier où j’ai rencontré ce bon docteur ALGLAVE qui m’a promis de me réparer dans le plus bref délai possible ; bien que j’aie actuellement l’articulation de l’épaule complètement immobilisée, il ne croit pas à des complications ; je suis un veinard parait-il car la balle aurait pu faire plus de dégâts et même provoquer la paralysie en traversant un faisceau de nerfs dont j’ignore le nom. Que sont devenus tous les camarades ? Que fait le bataillon actuellement ? Je termine mon Commandant en me rappelant au bon souvenir de tous les camarades qui restent et je me joins à ma femme pour vous envoyer mes respectueux sentiments.
(photo archives familiales)
Hôpital de Gérardmer : reconnaissance aux infirmières
(source : album familial)
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Note à propos du sergent FOUILLOUX
J’ai trouvé par hasard sur le site du 106e B.C.P une correspondance de l’épouse du sergent FOUILLOUX au maire d’Epinal, en date du 2 juillet 1918 ; cette correspondance m’a appris que ce héros est mort le 29 juillet 1915 à l’hôpital Saint Maurice de la même ville… ; il n’a pas eu le temps de recevoir l’épaulette d’officier…
Monsieur le Maire, Je vous serais infiniment reconnaissante de vouloir bien me faire parvenir une pièce légalisée qui me permettrait de pouvoir me rendre à Epinal sur la tombe de mon mari, Mr FOUILLOUX Paul, sergent au 106ème Bataillon de Chasseurs, décédé à l’hôpital Saint Maurice de votre ville le 29 juillet 1915 et enterré au cimetière militaire. L’acte que je vous prie de me faire parvenir m’est indispensable pour me rendre dans votre ville à la date du 29 juillet prochain.
Source : Site du 106ème B.C.P (contribution Eric MANSUY)
Je suis allé sur le site « Mémoire des Hommes », sur lequel il n’est pas répertorié… Alors je me suis dit que je ferais œuvre utile en évoquant ici sa mémoire, avec la lettre de son épouse. Ce qu’il y a d’émouvant dans cette lettre, c’est que Mme FOUILLOUX projette de se rendre depuis Paris sur la tombe de son mari le 29 juillet 1918, soit 3 ans jour pour jour après sa mort au combat…
A suivre…
[1] en réalité : BARDOUX, DEFLANDRE, BARDOUX et PENNELIER prisonniers, CLAUSSE et STURM blessés.
[2] Vous avez pu, dans le récit des combats (2ème partie), relever que le J.M.O du bataillon cite en ces termes le comportement admirable de l’équipe des téléphonistes : « Le sergent FOUILLOUX, monté le premier sur le parapet, déroule le fil du poste B partant avec la 1re ligne, crie sans s’arrêter : « Hardi les enfants, en avant ! » Le fil est coupé 4 fois par les obus ; le caporal HUSSON le raccommode 4 fois de suite ; coupé une 5ème fois et le répare, puis tombe mortellement frappé. Le caporal GERSPACH déroule un 2ème poste A ; un obus renverse l’équipe toute entière ; elle se relève et recommence à dérouler ; un téléphoniste est blessé grièvement, le fil est coupé à 4 endroits et la situation est intenable. »
A propos du sergent FOUILLOUX voir également la note à la fin de cet article.
[3] Le professeur Claudius Regaud, l’ un des premiers radiothérapeutes français, fut l’homologue de Marie Curie qui dirigea le Pavillon Curie de l’Institut du Radium. En 1914, il est chargé d’organiser l’hôpital d’évacuation de Gérardmer. Récalcitrant à envoyer ses blessés sans traitement dans des trains de la mort, il développe une approche des traumatismes et des pathologies en s’efforçant de soigner les soldats blessés avec les moyens du bord. Pendant les terribles hécatombes de la Bataille des Vosges ( de août à novembre 1914), son hôpital d’évacuation se signale par les statistiques de mortalité les plus faibles, en fonction du nombre d’entrées. En reconnaissance, le Président de la République Raymond Poincaré vient lui remettre la Légion d’honneur (source : Wikipédia).
[4] Ces officiers ont été renversés et blessés par le bombardement immédiatement avant l’attaque.
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