14-18Hebdo

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André Cuny (1907-1965)

Portrait proposé par Rose Wolf, sa nièce - 15/12/2014

André Cuny a 7 ans au début de la guerre et 11 ans quand elle se termine. A travers la correspondance de ses parents, Georges et Mimi Cuny, pendant la guerre de 14, son portrait enfant se dessine…

 

1909-Andre Cuny Capture d¹écran 2014-12-16 à 22.44.51.pngAndré Cuny – 2 ou 3 ans (coll. Dorothée Cuny)

 

André Cuny (petit nom : « Dédé »), né le 12 juin 1907 à Cornimont, est le fils de Marie-Valérie Boucher, dite « Mimi », (1884-1960), et de Georges Cuny (1873-1946).

 

Ses parents

 1907 Mimi et sn bebe PlaqueA-028.jpg1907 - Mimi Cuny et son aîné, André

 

1908 photo andre et ses parents.png1908 - Georges et Mimi Cuny et André

 

Ses frère et sœurs

Noëlle (1909-1989), 5 ans en 1914

Robert (1910-1994), 4 ans en 1914

Et… longtemps… après-guerre : Geneviève dite Vivette (1921-1982)

 

1915-1-Enfants Cuny Perron N&B-049 Corrigee.jpgAndré, Robert et Noëlle Cuny (Docelles 1915)

 

1925 A1-10-8 Genevieve Cuny 4 ans 1925-DSC04803.JPGGeneviève Cuny à 4 ans - 1925

 

Son caractère,

tel qu’il est décrit par sa maman, qui nous laisse de lui un portrait incroyablement touchant et attachant.

« Dédé se déshabille tout seul le bon petit, se lave très proprement et maintenant même comme il fait froid il met la boule dans mon lit en la sortant du sien et arrange bien ma chemise de nuit dessus, tu avoueras que c’est gentil. » (oct. 14)

«  J’avais commencé à lui faire lire des articles de journaux sur la guerre, mais il est trop sensible et en rêvait. » (août 14)

« André t’a écrit et il se demande si tu as vu la cathédrale de Soissons et exprime son regret que le soldat de Clovis ait cassé le vase, sans cela tu aurais pu l’admirer. » (oct 14)

«  André travaille parfaitement... Tes chers petits sont toujours si accueillants et si caressants. Le bon Dédé a un cœur excellent. » (de Germaine Molard à Georges Cuny - févr. 15)

« André me pose les questions les plus nombreuses et les plus originales. » (de Marie Krantz – avr. 15)

« Dédé surtout est parfait en tous points. Il devient très raisonnable, et puis il est si bon, cherchant toujours à atténuer ou à pallier les fautes des autres. » (de Maurice Boucher - mai 15)

« Notre petit Dédé, qui semble si souvent avoir l’esprit ailleurs, fait quand même attention à bien des choses. Il aura je crois le jugement sain et il garde le bon cœur que nous lui avons toujours trouvé depuis sa petite enfance. » (mai 15)

« Tu ne les reconnaîtras pas tes enfants quand tu reviendras. Tu les as quittés bébés, et ils deviennent grands garçons et fillette, ils ont leurs petits défauts naturellement mais en parents hiboux ( ???) nous pouvons bien admettre qu’ils ont aussi leur bonne moyenne de qualités. André manque de débrouille et d’audace, il a plutôt une mentalité de fille. C’est dommage que ce soit un garçon, il aurait fait une fille si tendre et bonne. » (juin 15)

« Hier soir, une fois qu’ils ont été endormis, j’ai préparé sur ma cheminée des St Nicolas en pain d’épices… et la pauvre Maman, qui a pourtant tant de choses à faire, a pris encore le temps de se déguiser et de faire St Nicolas pour toute cette smala ce soir à 4 heures. Nos enfants n’ont pas eu peur et même j’ai cru qu’André, qui est si observateur, avait reconnu sa Grand’mère, car après la cérémonie il m’a dit : « Vous ne trouvez pas que St Nicolas a la voix de Grand’mère ». Mais d’autre part il est si naïf et confiant que je n’ai eu qu’à lui dire non pour qu’il n’insiste pas. » (déc. 15)

« Les enfants avaient tous les jouets de St Nicolas. Tante Thérèse leur en a encore apporté ce soir, des fusils et soldats aux garçons et un ménage pour Noëlle. André lui-même déclare qu’ils sont trop gâtés. Paul Cuny leur a encore donné hier un billet de 20 francs et André disait ce soir qu’il ne savait vraiment pas quoi acheter et qu’il ferait mieux de le donner aux pauvres. Il a le caractère bien plus généreux que ses frère et sœur, le bon Dédé, il veut toujours donner tout ce qu’il a. Il faut dire aussi qu’il a le défaut de ses qualités, il ne s’attache à rien. » (déc. 15)

« Dédé fait bien ses devoirs et il commence à raisonner comme un petit homme. Hier j’ai causé seule un moment avec lui, mais je ne crois pas qu’il sera débrouillard. Ce sera un timide, et il serait mieux en curé qu’en industriel ou commerçant, car il est trop naïf, il se fera toujours rouler, pauvre chéri Dédé. » (mars 16)

« J’ai cherché aux enfants un professeur de solfège et piano et ai trouvé une dame qui est ici depuis plus d’un an … Les enfants commenceront demain, elle fera faire à chacun 20 minutes de piano et ensemble 20 minutes de solfège dont ils n’ont pas la moindre idée. Cette perspective ne souriait pas à Mr Dédé. Quand j’ai annoncé mon projet, il a d’abord fait la grimace puis il m’a demandé : « Est-ce que cette dame est jolie ? Est-ce qu’elle sent bon ? Alors cela ira déjà mieux ». Tu sais que Mr ton fils fait très attention au physique des gens, il a tout de suite fait d’en voir les défauts et les qualités et je crains qu’il ne soit plus tard comme son polisson d’oncle Georges Boucher, trop amateur des jolies femmes parfumées, car maintenant déjà il les regarde volontiers. » (mars 16)

 « J’ai un Dédé qui devient de plus en plus flemmard. Il est dans un mauvais moment comme caractère et comme ardeur, il grogne sur tout, devient garnement et traîne sur ses devoirs. C’est le mauvais âge qui commence, j’espère que cela ne durera pas et qu’on lui retrouvera ses qualités d’ici peu. » (Juil. 16)

A Arcachon : « André commence à avoir des petites idées d’aristocrate. Il trouve que nous avons ici une maison de pauvres, qu’il n’y a pas de tapis par terre, pas de rideaux aux fenêtres, pas de parquets cirés. La villa est en effet très simple, genre Chanonyère d’autrefois, mais cela nous suffit amplement. »  (fév. 16)

 

Et pourtant…

« T’ai-je dit qu’André préfère beaucoup Docelles à Cornimont et trouve qu’il y restera après la guerre. « La maison est bien plus modeste, je n’aime pas habiter un château comme à Cornimont, avec des lions qui gardent l’entrée, à quoi cela sert-il des lions ? J’aime bien une maison qu’on ne remarque pas. C’est comme mes habits, les gamins me disent toujours que j’ai des habits de riches, vous feriez bien mieux de me laisser de temps en temps des trous pour que je sois comme eux ». Tu avoueras que c’est du socialisme bien compris. De qui tient-il ses principes d’égalité, c’est de son papa, je pense, qui aime tant la simplicité et redoute de se singulariser et de se faire remarquer. » (août 16)

« Dédé est comme moi, il préfère nos Vosges. » (mars 16)

André et la guerre

« André s’intéresse beaucoup à la guerre. » (août 14)

« Les enfants jouent aux soldats pendant leurs récréations, ce matin ils avaient fait soi-disant des tranchées et avaient des planches qui faisaient des canons. André était le capitaine Cuny et Robert son ordonnance Nicolle. Noëlle était l’unique servant. Tu vois que ce sont des petits guerriers. » (oct. 14)

« Tu ne te douterais pas à quoi tes enfants ont passé leur après-midi de jeudi. André a eu comme grande récompense de suivre les soldats qui font le charroi de houille. Il était assis sur les voitures, conduisait les chevaux. Vers 4 heures ½, ne le voyant pas revenir pour le goûter, nous l’avons fait chercher. Il nous est revenu noir comme un mineur, fier comme Artaban : « J’ai goûté avec les soldats, ils m’ont donné de leur pain, du veau froid et un verre de vin ». Il n’est resté que deux minutes, puis le voilà reparti jusqu’à six heures. Comme sa leçon de piano est à 6 h ¼, il fallait faire avant un bon nettoyage, changement des habits et lessive du jeune homme. Ce soir, il était dans la joie d’avoir travaillé comme un soldat et voulait coucher dehors « comme les soldats qui sont dans les tranchées ». Tu devines ma réponse. » (juin 15)

« Mon petit Dédé est resté encore au lit aujourd’hui. Il est très gentil, dessine dans son lit ou lit des images de Pellerin. L’Illustration l’intéresse aussi beaucoup avec ses photographies de la guerre. » (juin 15)

« Nous voici à nouveau avec nos chéris dans la forêt de pins, ils creusent des tranchées et sont très en train. Ils étaient bien contents de me revoir hier soir. Les deux petits étaient au lit mais ne dormaient pas, il a fallu aller les embrasser et André était ravi de veiller pour entendre ce que je racontais à Thérèse. Nous ne nous sommes couchés qu’à 10 heures, ensemble, c’était la joie. Je viens d’entendre Noëlle dire à Dédé : « Creusons vite pendant qu’il n’y a pas d’attaque, parce qu’une fois que les obus pleuvront, il faudra nous enfoncer ». Ils parlent de repérer, de boyaux, comme s’ils savaient ce que c’est. » (mars 16)

« Dédé a été très sage, il s’est intéressé aux éclopés, en a questionné plusieurs, paraît-il, très gentiment et a été ravi d’entendre le gramophone que les Schwindenhammer ont acheté et qu’ils prêtent aux éclopés le dimanche. » (mai 16)

« Dédé trouvait ce matin qu’on n’avait jamais une journée de repos complet, qu’il fallait aller au catéchisme, mais depuis 9 heures il trotte derrière les soldats et semble avoir oublié son ennui. » (juin 16)

«  André voudrait expédier ses devoirs en grande vitesse et il déplore de n’être pas un enfant d’ouvriers parce que je ne le laisse pas manger hors de la maison. L’autre jour, je l’ai grondé en effet parce qu’il ne rentrait pas pour le dîner sous prétexte qu’il avait mangé dans la gamelle des soldats. Et d’autre part on lui prend une ½ heure de jeu en lui faisant apprendre le piano. Tu vois que son sort est très triste. Que sera-ce le pauvre Dédé quand il lui faudra apprendre le latin, les langues vivantes, etc. »  (juin 16)

« Maman n’y a pas fait attention mais voilà que vers 9 heures Mademoiselle a fait dire que Dédé n’était pas à l’école, qu’il avait suivi les soldats. Maman est de suite allée jusque la barrière avec les petits à sa recherche et elle a rencontré d’autres gamins qui revenaient. « Où est André ? » - « Il est bien plus loin, il a dit qu’il irait jusque Pouxeux avec les soldats ». Maman était ennuyée mais elle ne pouvait courir jusque là. Mais vers neuf heures ½, Dédé est revenu, il s’était arrêté devant chez Thérèse au moment de la halte. Tu penses qu’on l’a grondé. » (juin 16)

« André est enragé en ce moment, il court après tous les soldats qui logent à l’usine, monte sur les chevaux. Hier à 7 heures ½ du soir, il n’était pas encore rentré. J’ai envoyé Elise le chercher. Il m’a fait répondre qu’il avait mangé la soupe avec les soldats et qu’il n’avait plus faim. Elise retourne lui dire qu’il faut revenir, même réponse. Noëlle y va à son tour, elle revient en disant : « Il a mangé des pommes de terre, de la soupe et a bu un grand verre de vin », et toujours pas de Dédé. Enfin Maman est allée à sa recherche et quand il est arrivé, je l’ai envoyé se coucher de suite pour sa punition. Il avait mangé, donc n’avait plus besoin de rien. » (juin 16)

 

Le papa comprend bien cet intérêt :

« Notre petit Dédé à ce que je vois n’est pas très obéissant, mais que veux-tu à son âge on aime les soldats et les chevaux. » (juin 16)

« André est parti chez Monsieur le Curé. Quand il est revenu, pour qu’il ne se dissipe pas trop, je les ai emmenés tous les trois dans un coin du jardin où nous avions enterré en août 1914 un fusil boche à répétition, que Georges Boucher nous avait confié. Si les Allemands étaient venus, il n’eut pas fallu qu’ils le trouvent, mais comme maintenant il n’y a plus à craindre qu’ils viennent, on peut le déterrer. Nous nous y sommes donc employés, mais nous n’avons pas pu le mettre à jour. Nous l’avions introduit bien graissé dans un grand tuyau de fonte pour le garantir de l’humidité. Le tuyau est dégagé mais il faut qu’un homme vienne nous le sortir. Les enfants étaient très contents d’être au courant de la cachette. »

Son rapport avec le temps

« André a été enchanté de sa montre, il la porte et regarde l’heure à chaque instant. Il aurait bien voulu savoir combien elle coûtait et il trouve que Papa a eu une bien bonne idée de lui en acheter une pour qu’il ne soit plus en retard pour le dîner. » (oct. 14)

« André aime toujours beaucoup sa montre. Il la remonte soigneusement tous les soirs. » (oct 14)

« Ce matin, ils avaient rendez-vous [avec ses copains] pour 9 h 10, je ne sais pourquoi André avait ajouté les 10 minutes » (déc. 15)

« André a trouvé qu’il ne serait peut-être pas rentré pour l’heure exacte. Pour cela il est très régulier et ne manque pas lorsque le dîner semble traîner un peu d’aller voir l’heure de l’horloge pour être sûr. » (oct. 16)

De santé délicate

Souvent malade, coqueluche, opération des végétations (« est-ce que je me réveillerai ? »), problème de dentition :« on a dû aussi lui arracher ses 7 dents gâtées »

« André a souvent de la difficulté de respirer surtout les jours orageux. Cela vient de ses végétations, paraît-il. » (sept. 14)

« Pour Dédé, date est prise pour le 1er juin pour lui enlever ses végétations et en même temps lui arracher six dents très mauvaises qui lui empoisonnent la bouche et sont paraît-il de mauvaises compagnes pour l’estomac. En même temps cela permettra peut-être à sa dent de devant de pousser plus droite quoique le dentiste ait dit à Maman qu’il croyait qu’il était trop tard, qu’il faudrait sans doute plus tard la repousser artificiellement. » (mai 15)

« André va de nouveau très bien, il a encore une ou deux quintes par jour, mais ce n’est rien… Il est aussi très caressant. » (déc. 15)

« Dédé n’a pas de chance, il se remettait bien au travail et le voilà de nouveau au lit aujourd’hui avec de la fièvre. Depuis quelques jours, je lui trouvais les yeux abattus et il avait du mal de respirer. Le soir je prenais sa température, il avait une petite fiévrotte mais je le laissais continuer sa classe ne voulant pas l’interrompre pour si peu. Hier cette fois il s’est plaint d’avoir du mal d’avaler et je lui ai trouvé 39 de fièvre. Cette fois je l’ai couché et l’ai laissé toute la journée au lit. Ce matin 38.6. Je vais voir à cinq heures. C’est toujours cette maudite gorge, il doit avoir de l’angine car il est même gonflé extérieurement. Je l’ai fait gargariser, laver le nez, fumiger, etc., pour le remettre vite d’aplomb. » (juin 16)

« André a un gros rhume de cerveau et je ne le laisserai pas sortir aujourd’hui pour que ce rhume ne tombe pas sur la gorge. On va le faire remplacer pour servir la messe » (avr. 18)

« André est resté avec ses petits cousins… Vers 3 heures ½, j’entre et je le vois tout pâle, je lui demande ce qu’il a et il me dit qu’il est mal à l’aise, je le couche par terre en attendant qu’on lui chauffe son lit et au bout de cinq minutes le voilà qui tombe en faiblesse, il a fallu le frotter au vinaigre, lui mettre de la chartreuse entre les dents, cela m’a donné de l’émotion de le voir si pâle. Enfin au bout de cinq minutes, il est revenu à lui et on l’a porté au lit. Au bout d’une heure il allait bien à nouveau, il s’est bien reposé toute la soirée… Je crois que cette faiblesse vient tout simplement d’un malaise d’estomac, mais comme il traînait depuis trois jours, je voudrais savoir si cela ne viendrait pas du cœur. Avec tout cela, il n’a fait ni son dessin, ni son dernier devoir de latin... » (avr. 18)

On ne peut pas dire qu’il adore l’école :

« J’aurais voulu que tu voies la joie d’André hier soir au retour de l’école en nous annonçant qu’il avait congé dimanche, lundi et mardi. Encore cet après-midi chez Thérèse, il est venu près de moi et m’a dit : « Qu’il fait bon avoir congé, Maman. J’ai encore tout demain et mardi pour m’amuser ». Il avait l’air si heureux. » (oct. 15)

Le père compatissant :

« Notre Dédé travaille-t-il bien ? Lui donne-t-on toujours des problèmes aussi compliqués ? Pauvre Dédé, c’est bien difficile à comprendre pour son âge. » (janv. 16)

 « Tu me dis que Dédé a toujours un peu de fièvre mais, puisqu’il n’y a pas bronchite, je suis rassuré et j’espère qu’il pourra bientôt se lever et avoir le plaisir (pauvre Dédé) de retourner à l’école. » (févr. 16)

« André trouvait très amer de prendre ses leçons tout seul en paresseux qu’il est, et osait dire qu’il préférerait avoir la fièvre et rester au lit que de courir à sa leçon de piano et faire ses devoirs. Il est flemme par moments cet enfant, c’est effrayant. Il serait temps que Papa revienne pour secouer un peu tout ce petit monde. » (mars 16)

« … Je fais travailler les deux grands. Ils ont leurs devoirs de Docelles à faire et en plus leur maîtresse de solfège leur a donné un devoir. Ils ont un petit cahier en papier de musique et doivent inscrire des clés de sol, de fa, des rondes, blanches, noires, etc. André trouve que c’est assommant, inutile, etc. » (mars 16)

« Monsieur Dédé est en train de pleurer, de grogner parce que je veux qu’il apprenne un chapitre de catéchisme pour bien le savoir jeudi. Naturellement, il trouve cela insupportable, assommant, etc. » (juin 16)

Mais la maman s’en soucie beaucoup

Et, contrairement à André, elle n’apprécie pas du tout le devenu célèbre maître d’école Mr Defer :

« André a quitté ce matin l’école de Mlle Marchal pour aller chez Mr Defer. Pour donner l’exemple à tous les autres enfants, qui quittent leurs maîtres et maîtresses sans un adieu ni merci, je lui ai fait apprendre quelques paroles de remerciement et Maman l’a emmené avec tous les gamins de son âge à onze heures pour saluer Mlle et manifester son regret de la quitter. Mais le regret n’est pas très ancré au fond de son cœur car il est au contraire enchanté d’être avec l’instituteur qui ne fait pas travailler ses élèves rondement. On a moins de devoirs le soir, paraît-il, enfin c’est la joie, pour le moment tout au moins. Je lui ai déjà dit qu’il ferait en tout cas autant d’opérations que chez Mlle, car je trouve qu’il calcule vite et bien pour son âge. (juil. 16)

« Comme Mr Defer boit beaucoup de grands et de petits verres, il est assez souvent violent. Enfin à notre point de vue personnel, c’est très ennuyeux, André aurait très bien pu rester deux ans encore à l’école primaire mais il eut fallu qu’elle soit bien menée et il n’en est rien. Je crains bien d’être obligée de prendre une institutrice car je ne suis pas assez forte pour m’en occuper, et une heure de Mlle Marchal ce ne serait guère suffisant. » (juil. 16)

« Maman est allée hier avec Dédé chez Mr Defer pour le prévenir qu’André ne viendrait plus en classe. Il a répondu qu’il en est très content : « J’y pensais beaucoup à cet enfant, il est plus fort que ceux de son âge (ce n’est pas vrai) mais pas assez pour suivre ma première classe et j’aurais été obligé de lui faire un cours spécial ». Je crois plutôt que Mr Defer est enchanté de ne plus l’avoir, craignant que nous ne sachions trop ce qui se passe et se dit à l’école. En juillet nous avions déjà demandé pourquoi il ne donnait pas de devoirs, problèmes, etc., et il s’était dit sans doute que ce serait assommant de nous avoir sur le dos tout le long d’une année. » (oct. 16)

« Je voudrais que tu le voies imiter Mr Defer en train de priser, de cracher, de crier : « Bougre de buse, tas d’apaches, bande de sauvages » et autres noms charmants. » (juil. 16)

« Le régime des vacances convient à Monsieur Dédé, qui heureusement commence à oublier les « bougres de buse » dont il nous assassinait pendant son séjour chez Mr Defer. » (août 16)

« J’ai été obligée de demander à Mademoiselle Marchal de donner à André une leçon chaque jour de cette semaine, pour lui remettre en mémoire les différentes sortes de problèmes qu’elle lui avait fait faire au cours de cette année. Je lui ferai faire pendant les vacances les devoirs que ces demoiselles donnent à leurs élèves, car Mr Defer n’en fait pas faire et deux mois sont trop longs à passer en s’amusant toujours et, pour une mémoire d’enfant qui n’est pas encore profondément gravée mais n’est qu’effleurée par les diverses sciences, il ne lui en resterait rien… Tu rirais en entendant André raconter ce qu’on fait en classe, de huit à dix. On leur lit le journal et on leur en fait lire des passages. André sait très bien le prix d’une oie maigre ou grasse en Allemagne, etc. Grande récréation, puis copie jusque onze heures. « Je ne suis pas fatigué, allez, Maman, mais je m’ennuie ». Il a pris un livre pour lire dans ses moments inoccupés. L’après-midi, on rentre vers 1 heure ½, quand Mr Defer a fini de causer avec les passants, il est déjà un peu éméché et passe une grande partie de son temps à se mettre en colère. Les gamins lui attachent des bouts de papier aux pans de sa redingote, se moquent de lui par derrière, enfin c’est le modèle du désordre. Nous ne pourrons pas y laisser André l’année prochaine, il n’y apprendrait que du mal et serait trop en retard. Je t’embrasse mon Gi chéri de tout mon cœur. » (août 16)

et pourtant…

Hier Maman l’a emmené à Epinal et en route, il lui a dit : « Est-ce qu’on est astreint à l’octroi ici Grand-mère ? » Et comme Maman semblait étonnée de sa question : « c’est que nous avons appris qu’à l’entrée en ville, il fallait payer pour certaines denrées comme la viande, les œufs, le beurre. Vous savez c’est dans l’instruction civique ». Tu vois qu’il profite des leçons. » (mai 15)

« Dédé vient de me dire qu’Attila et l’empereur allemand étaient semblables : « Attila se disait envoyé de Dieu pour châtier les hommes ou le fléau de Dieu et les Allemands de maintenant disent aussi que Dieu est avec eux, qu’ils ont une mission à remplir et vous savez, Maman, c’est pour excuser leurs cruautés ». Tu vois qu’à l’école on lui fait des leçons de patriotisme. Les institutrices l’aiment beaucoup, notre Dédé, elles lui trouvent un très bon fond, beaucoup de cœur pour elles, pour ses petits camarades. » (juin 15)

« Hier André regardait l’Illustration. Il y avait une gravure intitulée « Les boulevards en 1916 ». C’étaient des soldats qui remplissaient les trottoirs. Au-dessous d’eux, il y avait une pancarte accrochée à un réverbère sur laquelle « Renaissance » était inscrite. André me dit qu’est-ce que vient faire la renaissance ici ? « C’est pour indiquer que le théâtre de la Renaissance est tout près ». « Mais ce n’est pas un théâtre Maman, c’est une époque, j’ai vu sur mon histoire, époque de la Renaissance, à peu près vers François 1er, on a refait des beaux palais, des meubles ». Tu vois que ton fils, quoiqu’ayant des études bien décousues par ses diverses petites maladies, a une vague teinte d’histoire. Il a beaucoup de facilités grâce à sa bonne mémoire. » (fév. 16)

« Dédé est en train de faire une composition française, c’est le devoir qu’il abhorre et il peine dessus, on vient trouver sa maman pour avoir des idées. Le brave Dédé est content, parce que j’ai dit à tante Maguy qu’il travaille très bien, cela lui redonne de la confiance et il est tout joyeux. » (avr. 16)

«  André a aussi son livre de lecture qui l’intéresse beaucoup « biographies d’hommes célèbres ». Hier Maurice l’interrogeait sur ce qu’il avait appris ce jour-là et Dédé lui a dit : « Vous connaissez Palissy, l’oncle Maurice ? ». Maurice a fait un oui un peu douteux. « C’est lui qui a trouvé le secret pour faire de la porcelaine, de l’émail, il a manqué d’être tué dans la nuit de la St Barthélémy parce qu’il était protestant et puis le roi l’a enfermé à la Bastille, parce qu’il ne voulait pas lui donner son secret de fabrication et on l’a tué. » (nov. 16)

Le papa tempère souvent les ardeurs ou les soucis de la maman.

Voilà d’ailleurs un de rares points de désaccord entre eux. Pour lui, l’effort physique à cet âge est plus important que l’effort intellectuel, ainsi que le contact avec d’autres enfants et il l’aurait bien laissé chez Mr Defer :

« Je suis content que notre Dédé travaille bien mais je préférerais de beaucoup qu’on ne lui apprît pas trop de choses et c’est pourquoi, si la combinaison dont je te parlais ne peut réussir et qu’il soit obligé d’aller toute la journée à l’école de Mr Defer, cela n’aura pas autrement d’importance. Je préfère quand même le contact avec les petits camarades. Un de nos camarades ici ne savait pas lire à douze ans. Cela ne l’a pas empêché de sortir huitième de Centrale. Je sais qu’il ne faut pas généraliser mais ne bourrons pas trop la tête de nos enfants. Cela ne sert à rien, il faut simplement qu’ils ne soient pas paresseux. » (juin 16)

« Ne te fais pas de souci pour Dédé. Je t’ai dit je crois qu’un de nos camarades ne savait pas lire à 12 ans. Un autre, un jeune Centrale de 21 ans, n’est allé au collège qu’à onze ans et demi et est resté à l’école primaire jusque là. Il est entré à Centrale à 19 ans dans les premiers. Il faut simplement lutter contre la paresse mais, lorsque les devoirs de l’école primaire sont trop difficiles (notamment les problèmes), il faut aider les enfants, autrement on les rebute. Mais à l’âge de Dédé je préfère l’effort physique à l’effort intellectuel et, à ce point de vue, il faut être sévère. D’ailleurs tu verras tout ira bien. » (juil. 16)

« Je ne suis pas de ton avis pour Dédé. D’ailleurs puisque voici les vacances nous en reparlerons à ma prochaine permission. Mais tu comprends bien ma petite mie qu’avec une institutrice il n’y a aucun effort personnel. On compte toujours sur elle. Elle est constamment là pour surveiller les devoirs et, involontairement et pour montrer qu’elle enseigne bien, elle aide beaucoup trop ses élèves. Tu peux être tranquille, avec une institutrice, tu auras de beaux cahiers, des devoirs très bien faits, des problèmes difficiles très bien résolus, mais ce ne sera pas Dédé qui aura fait tous ces devoirs et résolu tous ces problèmes, ce sera l’institutrice. A mon avis, l’école primaire avant tout, même si on n’y fait pas grand chose. En dehors de l’école primaire, si Dédé n’a aucun devoir à faire, j’admets que Melle Marchal lui en donne, mais qu’elle ne vienne jamais à la maison ou une seule fois par semaine, pour apprendre de temps à autre mais pas souvent quelque chose de nouveau. Songe donc, ma petite mie, si notre Dédé savait déjà bien tout ce qu’il a appris, ce serait presqu’un savant. Enfin tu sais que je n’ai pas de parti pris et que je me rangerai toujours à tes raisons si elles sont bonnes. Mais vois-tu, je ne m’inquiète en aucune façon car, je te l’ai déjà dit, j’ai rencontré depuis la guerre pas mal de jeunes gens qui avaient fait comme ce pauvre Jonett et qui avaient vite rattrapé le temps perdu. Quand j’avais l’âge de Dédé, je n’aurais certainement pas compris les problèmes qu’on lui fait faire. Cela ne m’a pas empêché d’arriver à l’X. Lutte simplement contre la paresse et à cet âge-là la paresse intellectuelle est tout à fait commune. Il ne faut jamais s’en inquiéter. Mais ce que j’appellerai la paresse physique, il faut énergiquement la combattre parce que forcer les enfants à travailler physiquement ne leur fait aucun tort au contraire, lorsqu’on n’abuse pas de leurs forces. » (juil. 16)

André est d’ailleurs quelquefois enchanté de l’école, surtout avec Mr Defer :

« Dédé est ravi de l’école de Mr Defer. Je viens de voir son cahier, il a juste écrit une page pour toute sa journée : un devoir de grammaire et des opérations, hier une dictée et des opérations, pas de leçons à apprendre, pas de problèmes, etc. Chez Mlle il remplissait quatre à cinq pages de devoirs, plus ce qu’il faisait à la maison. Il paraît qu’on leur lit le journal, les communiqués, les articles sur les batailles, etc., c’est évidemment très patriotique mais ce n’est pas assez. Je ne dis rien et vais voir cette semaine mais nous serons obligés de chercher une autre solution si Mr Defer ne change pas de méthode. » (juil. 16)

André et ses frères et sœurs

« Monsieur Robert était pieds nus, les mains dans les poches et marchait comme un vrai paysan. Dédé le gronde souvent pour sa démarche peu élégante. » (juin 15) 

«… et je finissais de laver Dédé quand mon Robert me dit : « Vous m’avez dit que j’étais votre petit amour, Maman, qu’est-ce qu’on leur donne, aux petits amours ? - Mais je ne sais pas, ai-je répondu - Mais si, vous savez ». Dédé m’a soufflé : c’est qu’il veut un bonbon, Maman. » (juin 15)

« André est toujours en admiration devant son frère : le bon petit, il calcule si bien, le bon petit, il aime tant son piano. Robert accepte cette souveraineté avec flegme. » (janv. 16)

« Robert a joué dans le jardin. André avait été très gentil ce matin et hier, il lui avait apporté une vingtaine de petites brouettes de sable de la plage pour qu’il puisse aussi faire des forts et des gâteaux de sable quoique n’allant pas à la plage. » (fév. 16)

« Ce matin Noëlle et André jouaient un moment sur la plage et Noëlle est venue en courant me raconter ce qu’ils faisaient, je te le donne textuellement : « Maman on a fait une grande tour avec des grands fossés, c’est la tour de Louis XV et puis c’est nous qu’on est le peuple, et on monte à l’assaut de la tour et on la démolit parce qu’on est trop fâché contre lui ». On voit qu’ils viennent d’apprendre dans leurs dernières leçons la prise de la Bastille et la Constituante, avec une petite histoire qui est bien laïque donnant raison en tout à la révolution » (mars 16)

« [Les enfants]  font quelquefois des réflexions bien amusantes entr’eux quand ils ne savent pas qu’on les entend. Ainsi hier André et Noëlle se disputaient et tout d’un coup j’entends André dire : « Tu sais je le dirai à Maurice Blech que tu veux épouser, je lui dirai que tu as un mauvais caractère et que tu griffes ». « D’abord tu ne le verras plus Maurice Blech puisqu’il n’habite plus St Dié et puis tu n’as pas besoin de dire que je veux l’épouser, Maman m’a dit que ce n’étaient pas les jeunes filles qui demandent leur mari, donc c’est à lui à me demander ». « Eh bien ! Justement je lui dirai que tu es méchante et il ne te demandera pas ». Tu vois ces petites gens qui parlent déjà mariage, on devient précoce. » (mars 16)

« André et Noëlle travaillent bien leur piano. Noëlle a fait à midi une vraie colère. Dédé l’avait un peu taquinée, elle est partie en frappant la porte. Au bout d’un ¼ d’heure, j’ai envoyé André la chercher mais elle n’a pas voulu revenir. » (juin 16)

« Je fais reposer Noëlle ces jours-ci car elle se donnait vraiment trop de peine pour ses devoirs et elle était pâlotte. Cela ne fait pas l’affaire de Dédé, qui trouve qu’on la gâte, qu’il a aussi besoin de repos, qu’on ne le soigne pas, qu’il va faire grève, etc. Ce flot de paroles ne m’effraie pas. André est bien français, il cause et grogne beaucoup, mais il est néanmoins exact à l’heure des leçons après avoir annoncé à grands fracas qu’il ne veut plus rentrer, plus travailler. » (juil. 17)

L’aîné de la fratrie

Les parents se souviennent avec grande émotion de sa naissance :

La maman

« Te rappelles-tu ce qui se passait il y a 8 ans. C’est dans la nuit que j’ai senti que notre Dédé allait venir et mon Geogi me lisait des comédies pour me faire oublier mon mal. Malgré ces quelques heures de grosse souffrance, je voudrais bien être encore à ce moment et que tu sois ici près de moi, que nous soyons rendus à la vie paisible et heureuse. Notre bon chéri aura donc huit ans demain à 2 heures, comme cela passe vite, c’est déplorable, penser que la vie est si courte et qu’on passe ainsi une belle année de son existence à être séparés, que c’est bête, que c’est bête ! Enfin il est inutile que je te le répète, tu le sais aussi bien et mieux que moi, mon pauvre aimé. (juin 15)

« Il est deux heures ½. Monsieur Dédé est en train de pleurer, de grogner parce que je veux qu’il apprenne un chapitre de catéchisme pour bien le savoir jeudi. Naturellement, il trouve cela insupportable, assommant, etc. Il y a neuf ans, te rappelles-tu, chéri, il criait aussi, mais pour une toute autre cause. Il souffrait d’être arraché du sein de sa pauvre mère, le premier contact de l’air, son premier bain lui coûtaient des pleurs. Hier soir et cette nuit, ma pensée s’est reportée plusieurs fois vers ce mois de juin 1907 et cette nuit où mon pauvre Gi me lisait des comédies pour que je ne sente pas tant les douleurs et tu souffrais autant que moi, moralement, ne pouvant m’aider physiquement. » ( juin 16)

et le papa

« Voilà donc notre Dédé qui va faire sa première communion. Comme le temps passe ma pauvre petite mie. Te rappelles-tu son baptême, Bonne-maman d’Epinal et ma chère Maman et le cher Papa étaient encore là. Comme tout cela paraît loin déjà et comme nous le regrettons ce bon temps où nous étions si heureux. Nous le serons encore lorsque nous nous retrouverons, mais franchement cela ne va pas vite et je me demande quand va finir cette interminable guerre. » (juillet 16)

 « Comme tu penses j’aurais bien voulu assister à la 1ère communion de notre petit Dédé. Je pense que tu seras émue de le voir en grand pantalon. Je crois encore le voir le bon chéri lorsque tout petit tu te rappelles il quittait le sein de sa nourrice pour nous adresser un bon sourire. Crois-tu qu’il y ait si longtemps que nous soyons mariés. Le temps a passé si vite (je ne parle pas évidemment des années de guerre), mais nous avons eu beaucoup de bonheur n’est-ce pas ma chérie adorée et nous en aurons encore, sois-en sûre. » (mars 18)

 

Il a deux ans de plus que Noëlle. Noëlle et Robert sont toujours considérés comme les 2 petits. Mais ils s’entendent tout de même bien tous les trois pour faire tourner chèvres les adultes.

« Robert et Noëlle ont été sur les voitures de foin cet après-midi. André déplorait bien son âge qui l’obligeait à aller à l’école, il aurait bien voulu partager leur plaisir. » (juin 15)

« André s’était mis en tête de donner des leçons de solfège à son frère Robert mais celui-ci ne semble pas s’y prêter de bonne grâce » (mars 16)

« André l’a grondé hier parce que Robert disait de vilains mots, c’était amusant d’entendre les reproches. » (mars 16)

« André a auprès de ses frère et sœur l’allure d’un héros, ils le regardent attentivement et l’ont embrassé très tendrement au retour de l’église. » (juil. 16)

« Au retour, naturellement, révolution entre les bonnes et les enfants, c’est toujours ainsi, je ne peux jamais m’absenter sans avoir à gronder au retour, ils n’écoutent pas du tout les bonnes. Marie Krantz s’en était mêlée, paraît-il, et avait été obligée de donner deux claques à André. Il a fallu punir et j’ai envoyé André à 7 heures du soir demander pardon à Marie Krantz, tu penses qu’il n’était pas fier. Ils ne sont pas plus raisonnables l’un que l’autre. » (nov. 17)

Facétieux, il fait rire ses frère et sœur et ses copains :

« André travaille pas mal, mais il est surtout amusant par sa façon d’observer les poses, manières, façons de s’exprimer, de se tenir, de s’habiller de tous les gens qu’il voit et il imite très bien. Ce soir, Tété nous a amené son beau-fils qui était en permission. Pendant le dîner, Dédé s’est mis à donner à ses lèvres une forme bizarre que ce jeune homme a en effet en parlant, mais tu sais c’était frappant. Les deux petits se sont esclaffés. » (déc. 15)

« André et Robert s’amusent toujours beaucoup avec leur âne et je remarque avec plaisir qu’André se débrouille bien, il grimpe dessus avec rapidité, l’attelle, le dételle seul. C’est ce qu’il aime. Se promener avec son âne, ne pas causer, rêvasser bien tranquille, mais des jeux organisés avec d’autres enfants, cela ne lui convient pas. Il n’a besoin de personne avec lui. Ce matin il a eu l’affront d’avoir son catéchisme à copier car il ne le savait pas bien et, comme c’est moi qui le faisais, il fallait que je sois plus sévère avec lui qu’avec les autres, car sans cela ils auraient crié à l’injustice, tu sais ce que c’est. » (juil. 16)

« Ce matin André me disait : « Je ne sais pas comment Robert a fait pour dormir sans vous demander pardon et sans que vous l’embrassiez. Je lui ai dit d’aller vous demander pardon mais il a dit que cela lui était égal. » (août 16)

« Nous allons partir au chemin de la Croix qui se fait à 3 heures à l’église. A ce sujet, Dédé nous a fait une bonne réflexion hier soir. Comme j’annonçais qu’on irait au chemin de Croix et que j’expliquais pourquoi on le faisait : pour rappeler la montée du Calvaire et la refaire avec et comme Jésus, etc., voilà André qui dit : « Alors nous tomberons trois fois aussi ? Cela va être amusant de voir Mr le Curé et toutes les dames culbuter ». Voilà Mr Dédé qui avait juste retenu cela de ses leçons d’histoire sainte et le servait avec des fous rires à la clé. Tu penses si les autres étaient heureux de rire en pensant à toutes les culbutes. » (mars 16)

« André avait des doutes, il m’avait déjà dit plusieurs fois qu’il avait reconnu grand-mère l’an dernier en St Nicolas. Aussi je le lui ai dit. Il m’a aidée hier dans mes préparatifs et semble encore bien plus content d’être dans la confidence, mais il joue très bien son rôle près des petits. Je lui ai bien recommandé le secret et je crois qu’il le tiendra, on peut lui confier bien des choses, ce n’est pas comme Noëlle. Il me disait hier soir : « Il ne faut surtout pas que Robert sache qu’il n’y a pas de St Nicolas ni de Père Fouettard, car c’est bien commode de l’en menacer quand il ne veut pas obéir ». (déc. 16)

« Hier, je disais aux enfants que si les Allemands venaient, nous serions ruinés. Ils n’en étaient pas émus. Quelle chance disait Dédé je n’irai pas au collège, j’irai au bois chercher des fagots et à treize ans je travaillerai avec Papa à l’usine ou dans une ferme. « Et si Papa ne revient pas de la guerre », leur disais-je. « Ah il faut que Papa revienne, sans cela on serait trop tristes ». Pendant une grande heure, on a fait des projets très attrayants malgré la ruine, puis on est allés se coucher et au moment où j’embrassais Dédé, il m’a dit : « Vous savez, ma petite Maman, j’ai réfléchi, il vaut encore mieux qu’on ne soit pas ruiné, tant pis, j’irai au collège, mais vous n’êtes pas assez forte pour travailler et vous tomberiez malade ». Il a un cœur excellent ce petit. Hier je fouettais Robert qui est insupportable, André s’est mis à pleurer et à me supplier de ne pas continuer, que cela lui faisait trop de peine de voir battre son frère. » (déc. 16)

« André est reparti faire une course à Xamontarupt et je viens encore de l’envoyer chez le percepteur toucher nos rentes. Le brave Dédé a enfin oublié ses « bougres de buses, ses abrutis » et autres noms distingués qu’il avait appris chez Mr Defer. C’est dommage qu’il soit si distrait pour ses leçons, car il est devenu bien gentil. » (févr. 17)

Éducation

« Notre fils André n’a pas été amélioré par sa 1ère communion. Il est bougon et frondeur tout à fait. A lui aussi, mais pour une autre raison, ton retour serait bon car il lui faudrait une bonne poigne pour le redresser. J’espère que ce n’est qu’un moment à passer et qu’il retrouvera ses bonnes qualités sous peu, car vraiment il est assommant. » (août 16)

« Pour le moment André se débrouille bien au point de vue physique, il n’a plus peur de monter sur les arbres, sur le portique, il va à cheval sur les chevaux des soldats. On tâchera que l’institutrice ne soit pas toujours sur leur dos, soit au travail, soit en récréation pour leur laisser la faculté d’être eux-mêmes, de développer leur petite personnalité. » (sept. 16)

Une institutrice est enfin annoncée, mais :

« … Vendredi en voyant la photo de Mlle sur son laissez-passer, André ne l’a pas trouvée de son goût et disait qu’il n’obéirait jamais à une personne aussi laide, il a fallu que je le gronde et lui fasse comprendre sa bêtise. » (oct. 16)

Enfin l’institutrice arrive en novembre 16 et tout semble bien se passer :

« Mlle s’en est bien aperçue, elle m’a dit ce matin que c’est André qui a le meilleur fonds et est le plus facile. A sa leçon de piano il est très docile. » (nov. 16)

« André a toujours son même défaut, le manque de confiance en lui, je lutte autant que je peux contre cette façon de faire qui est une faiblesse en ce monde. Pour réussir il ne faut pas douter de soi et encore moins que les autres doutent de votre valeur. »  (nov. 16)

Mais très vite, tout se complique :

« André a de temps en temps des moments de rébellion contre Mlle. Il m’a dit hier soir qu’il la déteste, qu’il ne pleurera pas à son enterrement. Je lui ai dit qu’il n’avait pas besoin d’aller à son enterrement, que je ne lui demandais pas de l’aimer, mais de lui obéir et d’être poli. Robert dit comme lui naturellement : « On lui dira qu’elle nous fiche la paix, hein André ». « Je lui dirais plus que cela, qu’elle nous foute la paix ». Tu vois mon pauvre chéri que tes fils sont loin d’être soumis et respectueux comme toi. André est toujours très étourdi pour certaines choses, les problèmes par exemple. Il aime bien l’histoire et les sciences naturelles. » (nov. 16)

« Hier André m’a dit qu’il n’aime pas Mademoiselle, qu’elle est bavarde, criarde et impertinente. Je lui ai dit que je ne lui demande pas de l’aimer, mais simplement de bien travailler et de lui obéir. « Oh, nous lui répondrons une bonne fois, Robert et moi, et elle nous laissera la paix ». Vois-tu déjà le petit complot, cela ne m’impressionne pas car je me rappelle en avoir fait de même dans ma jeunesse. « Vous avez vu à table comme cela l’agaçait que nous vous racontions ce qu’elle nous avait dit, elle déteste, elle nous a déjà dit, que nous répétions toujours ce qu’elle nous dit ». J’ai dit à André : « Qu’il fait très bien de me le répéter, qu’on doit tout dire à sa Maman, mais si cela ennuie Mlle, c’est bien facile, tu n’as qu’à me le dire le soir quand elle est remontée ». « Oh, mais non, je fais exprès de le raconter à table, pour la taquiner. » (nov. 16)

« André m’a demandé la permission de ne pas aller se promener avec Mademoiselle mais d’aller au camionnage avec les bœufs. Comme il avait été sage ce matin, j’ai permis jusque 3 heures. Ils vont tous bien, c’est dommage qu’ils soient si diables. » (déc. 16)

« André continue à être sage, Mlle trouve qu’il fait de grands progrès en sagesse, hélas ! pas autant en science. Il déteste toujours autant la grammaire et l’arithmétique et les analyses... L’histoire, la géographie, les sciences, fables, tout cela l’intéresse et il apprend bien ses leçons. Espérons que le reste viendra peu à peu. » (févr. 17)

« André se trouvait là et comme il est toujours très tendre pour son petit frère, il s’est précipité sur lui : « Bonjour, mon petit artiste, venez que je vous embrasse ». Entendant cela, j’ai de suite dit bien haut pour que Robert le sache, que ce n’était pas difficile, que c’était très amusant et qu’on n’était pas du tout artiste en le faisant, car je craignais qu’André aille raconter à d’autres que son frère était un artiste et tu sais comme moi qu’il ne faut pas demander l’admiration aux autres. » (févr. 17)

« Noëlle va très bien, elle travaille le matin. A partir d’aujourd’hui André ne fera pas plus non plus, car il était trop énervé et nous hurlait toutes les nuits dans des cauchemars terribles. » (juil. 17)

« André est toujours enchanté du latin, Mr Melchior trouve qu’il apprend bien et fait des compliments, aussi on est ravi. Le piano marche moins bien, le dessin est si peu commencé qu’on ne peut encore rien dire, mais l’important, c’est le français et le latin…Il est rentré hier soir de sa leçon, tout heureux d’avoir bien travaillé, ayant reçu des compliments de Mlle. Il avait eu d’ailleurs une excellente journée à tous points de vue, les leçons que je lui avais données avaient été prises aussi avec sagesse et sérieux. Le soir après le dîner, tu aurais ri de nous voir tous à la buanderie en train de faire le boucher. Maman a acheté un porc, on l’a tué mercredi, jeudi on a fait des boudins, et hier nous avons découpé les morceaux pour les mettre au saloir. André et Robert sciaient les os, trop heureux d’avoir les mains rougies de sang, on aurait cru une famille de sauvages. » (nov. 17)

« André m’a dit dimanche soir : « Papa savait joliment bien son latin quand il était petit, pour qu’il s’en rappelle encore à quarante ans ». Tu vois que ton idée était juste et que c’est bien bon quand les enfants peuvent admirer leur père, en tout, et être fiers de lui, comme nous le sommes de toi, mon chéri. » (nov. 17)

« André a eu de très bonnes notes chez Mr Melchior comme leçons et devoirs grâce à son Papa qui lui avait si bien fait réciter. » (déc. 17)

« André a eu une bonne journée hier. Par hasard il a très bien pris ses leçons de latin et d’allemand de Marie Mathieu. En général il est étourdi et distrait et elle était tout étonnée de voir comme il comprend bien quand il daigne faire attention. » (mai 18)

« André a été très sage par hasard à sa leçon de dessin et a bien dessiné. Mlle Juteau trouve qu’il a beaucoup de dispositions, mais ce qui manque en général c’est l’attention. Les jours où il daigne s’appliquer, il réussit bien. » (mai 18)

« Mademoiselle lui avait fait faire les devoirs de la composition la semaine dernière. Au début, comme il a beaucoup de mémoire, il s’en souvenait et n’a pas eu à faire un gros effort. Il n’y a que l’analyse grammaticale dans laquelle il ait fait des fautes. Mais cela ne veut pas dire qu’il sera premier car il a une vilaine écriture pour le moment et Mlle dit qu’en général les institutrices aident toujours les enfants. Les parents n’aimeraient pas qu’ils soient dans les derniers. Elle a eu l’air très étonnée quand je lui ai dit que je ne voulais pas qu’elle lui donne des indications. Mais tu vois, elle a tourné la difficulté en lui faisant faire les devoirs huit jours avant pour qu’il les ait dans la tête. » (déc. 16)

« André est en guerre avec Mlle qu’il n’aime pas. Hier il avait été impoli et j’ai dû l’obliger à aller lui demander pardon. Tu penses que devant lui je soutiens toujours Mlle mais je reconnais qu’elle n’est pas agréable, une vraie vieille fille grognogne, elle a toujours froid et elle ne dit jamais une parole gentille. Elle m’avait prévenue en entrant qu’elle ne caressait jamais les enfants, mais je ne croyais pas que c’était si vrai, je n’ai pas besoin d’avoir peur, ils ne s’attacheront pas à elle. » (déc. 16)

« André avait si mal pris sa leçon d’allemand que j’en étais très mécontente et je l’avais grondé très fort et lui avais promis une punition exemplaire pour le soir. Là-dessus il part chez Mlle Marchal, moi à Deycimont reconduire M. Mathieu et le soir quand il rentre, j’étais en train de donner la leçon de piano à Robert, il me met sous les yeux son cahier où il n’y avait que des « Bien » en sagesse, en devoirs et leçons. Au repas, motus, je le sentais très intrigué et effrayé par cette promesse de punition. A huit heures, je l’envoie chercher son cahier et livre d’allemand et lui ordonne de faire un devoir. Il a d’abord voulu dire non, mais je lui ai donné le choix entre le devoir ou 20 coups de bâton, il a encore préféré le devoir. Il a eu fini avant que je termine mon raccommodage, tâche que je m’étais assignée, et je lui disais d’aller se coucher, mais il ne voulait pas et je sentais très bien qu’il voulait me dire quelque chose, mais il reculait l’échéance. Quand j’ai vu cela, j’ai rangé mon ouvrage et suis montée avec lui, mais sans rien dire et en restant très sévère. Au moment de se coucher, il m’embrasse en me demandant pardon et en promettant d’être sage cette semaine, nous allons voir s’il tiendra sa promesse. C’est ennuyeux qu’il soit si paresseux, car autrement il a un bon cœur. »  (avr. 18)

Melle Marchal trouve, elle, grâce à ses yeux :

« Nous avons eu hier les Mlles Marchal et leur mère à dîner. En rentrant d’Epinal, dans l’auto, André me dit : « Je suis content que ces Delles viennent chez nous ce soir ». Voulant le faire parler, je lui demande : « Pourquoi es-tu content, est-ce parce que cela te fait plaisir de les voir ou parce que tu crois qu’elles ont du plaisir à venir ». « Les deux, a-t-il répondu, je les aime bien ». C’est curieux, il trouve Mlle très sévère, elle a énormément d’empire sur lui, mais il l’aime beaucoup car il la sent juste. » (nov. 17)

Un leitmotiv de la part du papa :

« Il faut que Melle Marchal continue à s’occuper d’eux et que Dédé en tout cas fasse ses devoirs tout seul, sans être surveillé par l’institutrice qui l’aiderait et ne le laisserait rien faire. » (juin 18)

Ses passions, ambitions (agriculture, charpentier, mécanique), des goûts «simples et rustiques »

« Les ambitions de nos fils ne sont pas bien hautes, l’un veut être cultivateur, c’est André. » (août 16)

« André bouillait d’impatience car Maman a acheté deux bœufs pour ses charrois de houille et c’était André qui s’était trouvé là au moment où le fermier les amenait. Le charretier engagé n’est pas arrivé à temps et c’est à André qu’on a expliqué toutes les habitudes de ces Messieurs. « C’est Pommé qu’on doit toujours sortir le premier de l’écurie, c’est Jansé auquel on attache le joug », etc. André commence comme tu vois son métier d’agriculteur. Tout l’après-midi il n’a pas quitté le charretier, il a fait les voyages de la gare avec lui et nous est revenu pour goûter avec des mains noires de houille et un fond de culotte ad hoc. J’étais un peu honteuse de le présenter ainsi à Tante Caroline, arrivée à trois heures et habituée aux jeunes citadins, Luc ou autres, toujours propres et soignés. Maintenant il est à la charpenterie. Cette vie de mouvements au grand air lui fait beaucoup de bien, je trouve qu’il se développe en ce moment. » (août 16)

« Noëlle est sage en général et André le devient, il oublie ses mauvaises manières de l’école des garçons. Il va régulièrement à la menuiserie une heure chaque jour et il scie déjà bien. Théaude lui donne sa tâche. Quand elle est remplie, il est quitte. Il y va d’ailleurs très volontiers. » (août 16)

« Ce matin nous sommes allés communier Dédé et moi, et maintenant il est à la menuiserie. Je lui ai donné une petite scie à sa taille et il scie des lattes d’emballage à la dimension que lui indique le charpentier. Il a un mètre, un crayon long de 30 centimètres et il est enchanté de tout son attirail. Si tu lui demandes s’il aime cela, il te répondra non, que cela l’agace, mais c’est une façon de faire, car il y court dès qu’il est prêt, je n’ai pas besoin de l’y envoyer. Pour tout d’ailleurs, il fait la même réponse, le piano, les dessins, soi-disant tout l’ennuie mais il les fait quand même. »  (août 16)

« Notre Dédé scie toujours avec ardeur. Il met quatre lattes l’une sur l’autre et cela t’amuserait de voir avec quelle ardeur il frappe sur le maillet, sur la chose en fer qui les tient serrées sur l’établi. Il prétend que cela ne l’amuse pas, mais il y va sans que je le lui rappelle et il obéit à Théaude sans broncher et en se dépêchant, donc c’est que cela ne l’ennuie pas tellement. » (août 16)

Le papa trouve tout cela très bien :

« Dédé veut être cultivateur lui. Oh mon Dieu c’est aussi intéressant que d’être industriel et cultiver de grandes propriétés comme il y en a dans le Soissonnais ne doit pas être ennuyeux. Mais notre Dédé n’aimera peut-être pas beaucoup plus tard habiter loin des villes et les goûts campagnards qu’il accuse, me dis-tu, changeront peut-être plus que nous ne voudrons lorsqu’il aura vingt ans. » (août 16)« Je suis très content aussi qu’il aille à la menuiserie tous les jours et je me réjouis, lorsque je reviendrai, de voir mon Dédé avec ses instruments, scie et maillet dont il saura certainement déjà bien se servir. Théaude lui montrera certainement comment on fait adroitement une petite boîte, une petite table » (août 16)

« Marie Krantz est venue vers cinq heures et a découpé des bois avec Dédé, qui était enchanté d’opérer avec une grande personne. Elle lui avait découpé des petits morceaux de forme singulière qui doivent, réunis, faire des petits bonshommes genre puzzle. » (oct. 16)

« Quant à André, il faut lutter pour obtenir un peu de soin et de propreté : « puisque je vous dis que je serai cultivateur, ce n’est pas la peine de prendre l’habitude d’être coquet. J’irai charruer, j’aurai encore de bien sales souliers et je ne mettrai pas de manchettes. » (nov. 16)

« Le brave Dédé, il continue de faire des projets d’avenir comme cultivateur. L’autre jour j’entendais une conversation avec le petit Auptel qui a douze ans et qui était venu apporter une lettre de Thérèse. Pendant que j’écrivais la réponse, les deux garçons causaient. « Qu’est-ce que tu feras plus tard », demandait André. « Je veux être ingénieur ». « Qu’est-ce que c’est ingénieur ». « On invente des machines, on travaille dans les usines, c’est très intéressant, et toi tu seras industriel ». « Non, je serai laboureur ». « Laboureur ? Avec l’instruction que tu auras, c’est un sale métier, on ne gagne rien, on n’y devient pas riche ». « Cela ne fait rien, j’aime mieux vivre dans les champs que d’être toute la journée dans un bureau à faire des comptes ». Cela m’amusait de les entendre, ils parlaient comme deux petits hommes, et quand le petit Auptel a été parti, André m’a dit, n’est-ce pas Maman qu’on peut être cultivateur quand même on est instruit et que vous ne me défendrez pas de l’être. Tu vois que la vocation tient toujours. » (déc. 16)

« Monsieur Dédé est très peu ardent au travail, il faudra le secouer un peu à ton retour. Quand je lui dis d’apprendre mieux ses leçons ou de tenir mieux ses cahiers, etc., il me répond : « J’en saurai toujours assez pour être cultivateur ». Belle théorie que voilà !» (déc. 16)

« André avait dessiné sa ferme future avec écuries et dépendances, bétail, chariots, etc. » (janv. 17)

Le papa :

« Le brave Dédé n’est pas très coquet, me dis-tu. Sois tranquille, l’âge des cravates claires et des vestons élégants viendra assez vite. Je serai d’ailleurs très heureux s’il veut s’occuper plus tard de culture, à condition bien entendu que ce ne soit pas à Sfax n’est-ce pas Mie, mais dans ce pays-ci par exemple cela doit être très intéressant et fort agréable. C’est un pays où les machines agricoles peuvent être facilement utilisées. Il faut donc relativement peu d’ouvriers et je crois que, lorsque ce sont des gens sérieux qui s’en occupent, la culture doit donner un bon rendement. » (nov. 16)

« J’étais sûr que Dédé ne serait pas très content d’aller en Suisse. Le brave Dédé aimerait beaucoup mieux, puisqu’il est en vacances, s’amuser à Docelles que d’aller en chemin de fer surtout avec les goûts rustiques et simples qu’il montre depuis quelque temps. » (avr. 17)

Mais il ne s’intéresse pas aux cartes, contrairement à sa mère et ses frère et sœur :

« André s’est mis à un devoir de latin, il y a mis de l’amour-propre depuis ta visite et veut les faire seul, tu verras donc la différence quand tu viendras. Pendant ce temps je donnais les leçons de piano aux deux petits. Après le dîner, pour les récompenser, j’ai fait une partie de nain jaune avec les petits, mais André a préféré aller se coucher, les cartes ne l’intéressent pas du tout. » (nov. 17)

Autre passion juvénile, qui lui est restée plus tard : l’automobile:

« Mon cher Papa… Hier après avoir été déjeuner chez tante Thérèse nous sommes allés à Arches essayer une auto que grand’mère veut acheter. Maman et tante Thérèse ont très bien pu la mettre en route, nous sommes revenus à Docelles, moi j’étais sur le petit banc de derrière. On est moins secoué devant que derrière. Elle marche bien. » (lettre à son Papa – juil. 15)

«  Monsieur Dédé aime l’auto, « si je suis cultivateur, est-ce que je gagnerai assez pour m’acheter une auto, est-ce qu’on ne trouvera pas drôle qu’un cultivateur ait une auto ? ». (août 16)

« André était entre Grand’mère et moi et tenait le volant, je gouvernais seulement les pédales et les leviers et il était ravi. » (août 16)

« Dédé m’a accompagnée et pour revenir s’est mis à côté de moi et a tenu le volant. Il prend déjà très bien ses tournants et aime ce sport. » (août 16)

«  Kommer est revenu pendant deux jours et a remis l’auto en état ce qui a intéressé André avant que Mlle ne soit là, il était au garage toute la journée. » (oct. 16)

« André a conduit l’auto à l’aller et au retour, ce qui l’enchantait. » (nov. 17 : il a 10 ans !)

 

1909 Andre en voiture CADRE.jpg1909 - André Cuny, 2 ans, déjà au volant - Au fond Paul Boucher, Mimi Cuny et Maguy Boucher

et le bon pain !

« Je suis un peu étonné qu’on ait institué dans les villages vosgiens la carte de pain et je plains mon pauvre Dédé qui ne peut plus se tailler dans la miche les bonnes tartines qu’il aime tant. Enfin lui aussi fera un petit sacrifice pour la guerre. » (son Papa mai 18)

Et la religion ?

« Ce matin, nous sommes tous partis à 7 heures pour communier. Mais Monsieur Dédé avait bien du mal d’être recueilli, il faut vraiment que Dieu ait des trésors d’indulgence. » (juillet 16)

 « Notre jeune Dédé n’est pas bien pieux non plus, il accomplit les rites de la religion mais sans en avoir le cœur pénétré. J’espère que la grâce le touchera un jour, il sera bientôt temps, puisqu’il fera sa première communion solennelle l’an prochain. » (juin 17)

« Monsieur le Curé profite des vacances de Pentecôte pour faire repasser le catéchisme en vue de la confirmation qui aura lieu le 5 juin. Cela ne plaisait guère à Master Dédé, comme tu le devines, mais il faut bien y passer, ce sera une chose faite. » (mai 18)

Bien sûr, il sert souvent la messe, sauf quand il est malade…

André et ses « copains »

« Dédé passe ses journées dehors mais hier il a été privé de ses galopins, car il avait été impoli avec Marie Ehling qu’il avait appelée prussienne. Les gamins restaient en dehors du jardin et appelaient tout le temps leur ami André. Ils étaient aussi punis que lui... Il fait le commandant avec tout son petit monde, mais à part les mots peu choisis qu’il en rapporte, cela lui fait du bien de galoper et courir avec des enfants. » (déc. 15)

« André, malgré les bourrasques, joue aux soldats avec ses chers gamins. » (janv.16)

« André trotte dans le jardin avec ses suivants et son âne. » (janv. 16)

« André vient de partir pour servir la messe à un enterrement, il fait bien froid, mais il avait l’air si content quand le grand garçon est venu le chercher, … il ne lui a pas fallu longtemps pour enfiler son pardessus, je t’assure. » (janv. 16)

Le chéri de Célina

«  Maman ne m’écrit pas une fois d’ailleurs sans me parler de Dédé, cela m’a même l’air d’être son petit préféré, le fait est que ce chéri a un cœur d’or. » (mai 15 -  Maguy Laroche-Joubert à Georges Cuny)

« Maman est allée hier à Rouen, elle doit rentrer aujourd’hui à Docelles, les enfants seront contents de la revoir. Il paraît qu’André surtout, qui est le plus sensible, était ennuyé de la voir partir, la nuit de son départ, il n’a pas dormi. Quand elle s’est couchée vers 10 heures il ne dormait pas encore et lui a demandé quand elle reviendrait, et à 3 heures quand elle s’est levée, de suite il lui a dit qu’elle ne reste plus longtemps absente, c’est lui qui est le plus sensible chez nos enfants. » (oct. 16)

« Dédé s’est amusé jusque sept heures à regarder des anciennes illustrations. Il commence à bien s’intéresser à toutes choses et n’est plus dans la lune comme il y a deux ans. Maman a été très fière de lui hier au catéchisme, car il a été le seul à pouvoir lui dire le sens de l’évangile lu en chaire et les explications que Mr le Curé en avait données. Et naturellement quand Maman avait demandé que ceux qui savaient se lèvent, Monsieur était resté sur sa chaise, il a fallu que Maman lui dise : « Comment André, toi aussi tu n’as pas écouté » pour qu’il daigne parler. C’est d’ailleurs le chéri de Maman, tu me taquinais souvent en me disant que c’était « mon Dédé » mais c’est encore bien plus celui de Maman, elle a pour lui une tendresse toute spéciale. Hier soir elle avait les larmes aux yeux en m’en parlant, « qu’il est gentil cet enfant ». (nov. 16)

Conclusion et commentaires :

De ce portrait émane un jeune garçon tendre et affectueux, beaucoup plus que ses frère et sœur à l’époque si on peut me permettre cette comparaison.

Je ne sais pas pour vous, mais je trouve qu’au niveau de l’éducation, en particulier scolaire, le papa Georges Cuny, polytechnicien, rappelons-le, semble avoir des paroles pleines de bon sens, bien que non suivies par la maman…

Mimi, la maman, rend tout de même dans sa correspondance une analyse très fine de son « petit » . En particulier dans le passage : « Il a le caractère bien plus généreux que ses frère et sœur, le bon Dédé, il veut toujours donner tout ce qu’il a. Il faut dire aussi qu’il a le défaut de ses qualités, il ne s’attache à rien. » (déc. 15)

Notre maman adulte (Noëlle dans la correspondance) nous avait toujours dit que le rêve d’Oncle André avait été d’être cultivateur et nous montrait à chaque fois que nous passions entre Cheniménil et Épinal la ferme que nous voyions en contrebas et dans laquelle il se rêvait en tant que « cultivateur ».

Les répétitions dans les lettres de la maman de : « j’aurais voulu que tu voies…, j’aurais aimé que tu puisses être là… » avec en écho : « j’aurais aimé être là…, j’aurais aimé voir… »

        

Photos

1908 Andre Cuny dans sa chaise CADRE.jpg

1908 André Cuny

 

1908 Andre Cuny dans son parc CADRE.jpg1908 André Cuny

 

1908 Andre Cuny dans sa chaise 2.jpg1908 André Cuny

 

1908 André Cuny dormant Docelles CADRE.jpg1909 André Cuny à Docelles

 

1908 Maguy et Andre RETOUCHE.jpg1909 - Docelles - Maguy Boucher et André Cuny

 

1909 Mimi Cuny avec Andre et Noelle-DSC04682 ROGNE REVU.jpg1909 - Mimi Cuny, Noëlle (dans ses bras) et André

 

1910 André Noëlle Mimi et Robert Cuny-DSC04696 ROGNE.jpg1910 - André, Noëlle, Mimi et Robert Cuny

 

1911 Clémentine Cuny avec ses petits-enfants Cuny Noëlle Robert et André-DSC04723 CADRE.jpg1911 - Clémentine Cuny avec ses petits-enfants Cuny : Noëlle, Robert et André

 

1912-Famille Boucher N&B-051 Corrigee.jpgFamille Boucher à Docelles (Vosges) en 1912

Les adultes de gauche à droite : Georges Boucher, Georges Cuny, Louis Boucher, Paul Laroche-Joubert, Maguy Laroche-Joubert, Célina Boucher, Marie Cuny, Thérèse Boucher et Maurice Boucher.

Les enfants de gauche à droite : André Cuny, Noëlle Cuny et Robert Cuny

 

1913 Photo Royan rogne.jpgCélina Boucher, Robert Cuny, Noëlle Cuny, Mimi Cuny, André Cuny, une bonne, Jean Laroche-Joubert dans le landau, Maguy Laroche-Joubert et une bonne (Royan en 1913)

 

1913 Andre Cuny en zouave-A1-25-02 CADRE.jpgAndré Cuny en zouave - 1913

 

1915 Premiere permission GC.jpg1915 - 1ère permission de Georges Cuny à Docelles - André, Georges, Noëlle, Mimi et Robert

 

1917-1-Docelles Permission Maurice N&B-034 Corrigee.jpgDocelles 1917 – Robert Cuny, Thérèse Boucher, Maurice Boucher, Françoise Boucher, Louis Boucher, Célina Boucher, Mimi Cuny, André Cuny et Noëlle Cuny

 

1919-5-Docelles-Enfants a prendre Corrigee.jpgDocelles 1919 - Petits-enfants de Célina Boucher

De gauche à droite : Louis Boucher, Françoise boucher, Robert Cuny, Georges Boucher, Antoinette Laroche-Joubert, André Cuny, Noëlle Cuny, Jean Laroche-Joubert (au fond à droite Célina Boucher)

 

 1919 Robert  Noelle et Andre Cuny-DSC04686 ROGNE CADRE.jpg1919 - Robert, Noëlle et André Cuny

 

1925 - Robert Noelle et Andre Cuny a St Gervais CADRE-A3-08-04 REVU.jpgRobert, Noëlle et André Cuny à St Gervais - Août 1925

 

1928 - Paques CADRE-A3-06-04 -REVU.jpgPâques 1928 - La famille Cuny devant la maison de Cornimont

Célina Boucher, Mimi et Georges Cuny, Robert, Vivette, Noëlle et André Cuny, et Françoise Biesse

 

1928 - Docelles Grand-mere et ses petits-enfants CADRE-A3-26-06.jpgCélina Boucher et ses petits-enfants en 1928 à Docelles

Devant: Geneviève Cuny, Antoinette Laroche-Joubert, Huguette Boucher
Derrière : Do Bocher, Robert Cuny, Louis Boucher, Jean Laroche-Joubert, Françoise Boucher, André Cuny,

Célina Boucher, Noëlle Cuny, André Boucher

 

1929 Marguerite Gaillemin et Andre Cuny CADRE ANDRE-A3-07-04 -.jpgAndré Cuny en 1929

 

1929 Andre au service militaire-A3-16-06 CADRE.jpgMaréchal des Logis Cuny (André à gauche) et deux camarades

Poste de police de Lecourbe - Strasbourg - Juin 1929

 

1929 Le beau skieur-Andre en permission-A1-22-07 CADRE REVU.jpgLe beau skieur - André en permission - 1929

 

1931 La 1ere Bugatti et Andre a la Schlucht.jpgLa première Bugatti et son propriétaire à la Schlucht - 1931

 1931 La 1ere Bugatti et son proprietaire a la Schlucht Revue.jpg

 

1932 - Andre en Bugatti CADRE-A3-16-05 REVU.jpg1932 - André en Bugatti

 

1932-1933-DSCN5927 Andre Cuny Auto Jomard.jpg1932-1933 - André Cuny (à droite), le mécanicien et la Bugatti (Coll. Dominique et Daniel Jomard)

 

1933 Andre en Bugatti ROTATION-A3-24-06 REVU.jpgAndré en Bugatti - 1933 - Il est sur des rails !

 

1934 - Andre dans sa Renault CADRE-A3-24-08.jpgAndré (à droite) et sa Renault - 1934

 

1934 - Andre dans sa Renault ROTATION-A3-24-09.jpgAndré dans sa Renault - 1934

 

1935-Mariage Andre et Lily.jpgMariage André Cuny et Marie (Lily) Laurent - Menthon 4 septembre 1935

 

1950 Famille Andre Cuny 1950-1951.jpgFamille André et Lily Cuny – 1950-1951 – Epinal

Anne, Dominique, Yves, Joseph, Phanette, Georges-Paul, Agnès, Jean-Philippe, Marie-Noëlle portant Véronique

(Pierre-Marie n’est pas encore né)

             

1957 Famille André Cuny P1958_1 CYRIL CUNY.png

 Famille André et Lily Cuny à Azans - 1957-1958 (Coll. Cyril Cuny)

Assis 1er rang : Véronique, Dominique et Anne

Assis 2ème rang : Pierre-Marie, Agnès et Marie-France

Assis 3ème rang : Lily, Marie-Noëlle et Phanette

Débout : Joseph, Jean-Philippe, Yves, Georges-Paul, André

           

1958 pélo-grand-pere CYRIL CUNY.png

Pierre-Marie Cuny et son papa - Vers 1958-1959 (Coll. Cyril Cuny)

 

 



19/12/2014
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